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LAP_6/LAP49
Victor de LAPRADE
LES SYMPHONIES
1855
LIVRE PREMIER
I
SYMPHONIE DES SAISONS
I
PRINTEMPS
L'ABEILLE
Sur la ruche qui dort, Avril au doigt vermeil 6+6 a
Frappe, et le jeune essaim respire à son réveil 6+6 a
La fraîche odeur des sèves ; 6 a
Il s’envole et murmure à travers les pruniers ; 6+6 b
5 Et le même soleil, dans les cœurs printaniers, 6+6 b
Fait bourdonner les rêves. 6 a
Pars, diligente abeille, et choisis bien tes fleurs ! 6+6 a
À l’appel des parfums et des vives couleurs, 6+6 a
Tu peux fuir ta cellule ; 6 a
10 Car un dieu te conseille, et tu sais éviter 6+6 b
Ces beaux fruits vénéneux qui se font récolter 6+6 b
Par notre main crédule. 6 a
Vienne un guide aussi sûr diriger ton essor, 6+6 a
Enfant qui vers la rose et vers le bouton d’or 6+6 a
15 Veux t’envoler si vite ! 6 a
Sache imiter l’abeille et les oiseaux du ciel ; 6+6 b
Et puisses-tu, comme eux, ne trouver que du miel 6+6 b
Dans la fleur qui t’invite ! 6 a
ADAH
Hier, je l’ai reconnu sans l’avoir vu jamais ! 6+6 a
20 À travers les taillis j’ai surpris son visage. 6+6 b
C’est le bel étranger que dès longtemps j’aimais ; 6+6 a
Mon cœur m’a dit son nom et montré son visage. 6+6 b
Il vient ! ces prés en fleurs se sont parés pour lui. 6+6 a
Comme l’air est plus pur, quel beau soleil se lève ! 6+6 b
25 Avant ces doux rayons je n’existais qu’en rêve ; 6+6 b
Je me sens vivre enfin à partir d’aujourd’hui. 6+6 a
FLEURS DES PRÈS
Viens consulter les marguerites, 8 a
Oracles des fraîches amours. 8 b
Toutes les pages de vos jours 8 b
30 Dans les fleurs des prés sont écrites. 8 a
Viens consulter les marguerites. 8 a
Viens nous cueillir comme autrefois, 8 a
Et tresser de blanches couronnes 8 b
Pour parer le front des Madones, 8 b
35 Assise encore au bord des bois, 8 a
Viens nous cueillir comme autrefois. 8 a
À nos prés nous restons fidèles, 8 a
Sans folle envie et sans dédains ; 8 b
Nous ne rêvons pas les jardins 8 b
40 Où nos fleurs deviendraient plus belles. 8 a
À nos prés nous restons fidèles. 8 a
ADAH
Dans le vallon natal cueillons toutes nos fleurs ; 6+6 a
Où trouverai-je ailleurs les trésors qu’il rassemble ? 6+6 b
C’est là que j’ai connu mes plus chères douleurs ; 6+6 a
45 C’est là qu’il faut s’aimer, qu’il faut vieillir ensemble. 6+6 b
Oh ! quel charme, avec vous, de longer ces buissons, 6+6 a
De nous pencher tous deux sur les nids sans défense, 6+6 b
Et de vous voir sourire à ces mêmes chansons 6+6 a
Dont ma mère, en filant, a bercé mon enfance ! 6+6 b
50 Qu’il est bon de mêler ainsi tous ses amours ; 6+6 a
Avec ma mère et vous d’habiter sous ce chaume ! 6+6 b
J’y verrai de mon cœur s’agrandir le royaume. 6+6 b
Et mes tilleuls chéris l’abriteront toujours. 6+6 a
LA SOURCE
L’humble source est intarissable ; 8 a
55 Dans l’herbe entendez-la frémir. 8 b
J’y suis bien sur mon lit de sable, 8 a
Si bien que j’y voudrais dormir ! 8 b
Je n’en sors qu’avec un murmure. 8 a
Pleurant mon bassin de cristal ; 8 b
60 Et mon eau va, sous la verdure, 8 a
Se perdre au bout du pré natal. 8 b
C’est assez d’apporter la vie 8 a
Aux fleurs de mes bords transparents : 8 b
J’y mourrai sans porter envie 8 a
65 Aux flots voyageurs des torrents. 8 b
L’eau du fleuve est trop agitée 8 a
Pour être un fidèle miroir ; 8 b
Et jamais la lune argentée 8 a
Ne s’y baigne en paix tout un soir. 8 b
70 Mais moi, quand tu viens, jeune fille, 8 a
Je reflète, en mon flot charmé, 8 b
Tes grands yeux où ton âme brille. 8 a
Et les regards du bien-aimé. 8 b
ADAH
Que ton sourire est beau sous ce grand front sévère ! 6+6 a
75 Comme il invite bien à l’amour, à l’espoir ! 6+6 b
Ainsi, sous le grand chêne où tu m’as fait asseoir, 6+6 b
J’ai vu, dans un rayon, s’ouvrir la primevère. 6+6 a
Un charme, ô bien-aimé ! m’enchaîne auprès de toi ; 6+6 a
Mes yeux semblent contraints à chercher ton visage. 6+6 b
80 Et pourtant, à tes pieds, je sens un vague effroi 6+6 a
M’arriver de ton front, s’il y passe un nuage. 6+6 b
Ton aspect a des dieux la grâce et la fierté, 6+6 a
Ô mon bel inconnu ! mais aussi leur mystère. 6+6 b
Tes doux regards, souvent mêlés d’éclairs austères, 6+6 b
85 M’apportent la tristesse avec la volupté. 6+6 a
Quel enivrant parfum autour de toi voltige ! 6+6 a
Hier, tu m’offris des fleurs aux étranges contours ; 6+6 b
Des signes merveilleux sont peints sur leur velours, 6+6 b
Et, quand je les respire, il me vient un vertige. 6+6 a
90 Tu m’as parlé souvent d’une terre aux fruits d’or ; 6+6 a
Tu voudrais la revoir et l’habiter ensemble ; 6+6 b
Je suis prête à t’y suivre… et malgré moi je tremble. 6+6 b
Sous l’aubépine en fleur, ami, restons encor. 6+6 a
Je veux cueillir encor les genêts de nos landes ; 6+6 a
95 Laisse-moi du vieux temple en orner les piliers, 6+6 b
Et, des fleurs du pays, achever ces guirlandes 6+6 a
Que j’ai fait vœu d’offrir à nos dieux familiers. 6+6 b
CHŒUR DES FÉES
Dans l’aube où nous régnons bienheureux qui sommeille ! 6+6 a
Dénoue avec lenteur notre écharpe vermeille. 6+6 a
100 Et garde un voile encor sur ton front ingénu. 6+6 a
Que l’innocent réveil du printemps qui se lève 6+6 b
Ressemble encore au rêve 6 b
Où ton âme entrevit le céleste inconnu. 6+6 a
Fais durer longuement la saison des prémices : 6+6 a
105 Les jours y sont pareils, mais tous ont leurs délices. 6+6 a
Vos heures passeront comme un groupe de sœurs : 6+6 a
Toutes ont le même air et semblable parure ; 6+6 b
Pourtant chaque figure 6 b
A sa grâce distincte et ses propres douceurs. 6+6 a
110 Reste donc parmi nous, dans le pays des songes, 6+6 a
Seul monde où le cœur vive à l’abri des mensonges, 6+6 a
Habite nos palais de nuages construits ; 6+6 a
Ne poursuis que des yeux nos vagues perspectives ; 6+6 b
Fuis les clartés trop vives, 6 b
115 Et nourris-toi des fleurs plus douces que les fruits. 6+6 a
II
ÉTÉ
LE ROSSIGNOL
Dans un buisson de roses 6 a
Mon nid fut bien caché ; 6 b
Mais, sous les fleurs écloses, 6 a
Amour m’a déniché. 6 b
120 Il courut au bocage, 6 a
Léger et triomphant. 6 b
J’eus pour première cage 6 a
Les doigts du bel enfant. 6 b
J’ai reçu la becquée 6 a
125 Sur le bout de son dard ; 6 b
Ma langue y fut piquée 6 a
Par le dieu babillard. 6 b
Aussi ma voix subtile. 6 a
En tout cœur, dès ce jour, 6 b
130 S’insinue et distille 6 a
Un doux venin d’amour, 6 b
Et ma gorge en délire, 6 a
Dans ses brillants fredons, 6 b
De l’amoureuse lyre 6 a
135 Sait prendre tous les tons. 6 b
Je veux chanter encore 6 a
Ma joie et mes ennuis ; 6 b
Je chante avec l’aurore, 6 a
Je chante avec les nuits. 6 b
140 Je défie et méprise 6 a
Fauvettes et pinsons, 6 b
Et la mort seule épuise 6 a
Mon cœur et mes chansons. 6 b
J’aime une fleur nouvelle, 6 a
145 La rose qui m’entend ; 6 b
J’aime, et je veux, près d’elle, 6 a
Expirer en chantant. 6 b
ADAH
J’y suis bien, sous ton ciel de flamme ! 8 a
J’y sens mieux respirer mon âme ; 8 a
150 C’est la vie après le sommeil. 8 a
J’aime aux fleurs ces parfums sauvages 8 b
Et l’air brûlant de ces rivages… 8 b
Marchons toujours vers le soleil. 8 a
Vois-tu la grenade et l’orange ; 8 a
155 Vois-tu ces fruits à forme étrange 8 a
Rouler autour de nos pieds nus ? 8 a
Cueillons-les ! et, plus loin encore, 8 b
Cherchons, aux lieux d’où vient l’aurore, 8 b
Des enivrements inconnus. 8 a
LES ROSES
160 Le soleil a bu dans la rose 8 a
Les pleurs dont le matin l’arrose ; 8 a
Il enlève aux boutons charmants 8 a
Le poids de leurs frais diamants. 8 a
Mille fleurs, heureuses d’éclore, 8 a
165 S’ouvrent au feu qui les colore ; 8 a
Un zéphir passe et fait larcin 8 a
Des parfums cachés dans leur sein. 8 a
Il s’en va partout les répandre, 8 a
Ces parfums qui font le cœur tendre ; 8 a
170 Avec lui l’enivrant poison 8 a
Vole aux deux bouts de l’horizon. 8 a
Il n’est au loin, sous la verdure, 8 a
Une âme si fière et si dure 8 a
Où l’amour, en sa folle ardeur, 8 a
175 N’entre avec la subtile odeur. 8 a
Si tu ne veux qu’elle t’enivre, 8 a
Il ne faut respirer ni vivre ; 8 a
Il faut fuir l’odeur du rosier 8 a
Et son poëte au doux gosier. 8 a
180 Fuis cet air que l’été respire ; 8 a
Fuis cette chanson qu’il soupire ; 8 a
Fuis vers ces monts toujours couverts 8 a
Du neigeux manteau des hivers. 8 a
ADAH
Pour vous, ô mon frère, ô mon maître ! 8 a
185 J’abandonne, à jamais peut-être, 8 a
Ma mère et nos dieux offensés. 8 a
Je vais, dans mon idolâtrie. 8 b
Sans nom, sans autel, sans patrie… 8 b
Mais si tu m’aimes, c’est assez. 8 a
190 Le bonheur dont ta voix m’inonde 8 a
Me paierait la perte d’un monde. 8 a
Ton regard ouvre au mien les cieux ; 8 a
Si sa clarté m’était ravie, 8 b
Je donnerais toute une vie 8 b
195 Pour un seul éclair de tes yeux. 8 a
Vois le ciel, la mer qui flamboie : 8 a
Entends ces oiseaux dans leur joie : 8 a
Respire à flots l’air embaumé. 8 a
Goûtons ces splendeurs infinies. 8 b
200 Viens ! la clef de ces harmonies, 8 b
C’est l’amour, ô mon bien-aimé ! 8 a
VOIX DE LA MER
Un désir, une ardeur immense 8 a
Court jusqu’au fond des flots amers : 8 b
C’est l’amour qui jette en démence 8 a
205 Et fait gronder l’esprit des mers. 8 b
La mer, la belle mer de Grèce 8 a
S’enfle et rougit d’une caresse, 8 a
S’embrase au soleil d’Orient, 8 a
Et, de la vague où tout palpite, 8 b
210 Voici que la blanche Aphrodite 8 b
Sort toute nue en souriant. 8 a
Elle vient, la déesse blonde ; 8 a
Tout cède au charme de ses yeux ; 8 b
Elle vient, la fille de l’onde, 8 a
215 Régner sur l’homme et sur les dieux. 8 b
Dès lors, on entend sur tes plages 8 a
Rire, ô mer ! les amours volages, 8 a
Et retentir leurs doux sanglots. 8 a
Et l’on voit tes nymphes hardies, 8 b
220 Accourant à leurs mélodies. 8 b
Plonger avec eux sous les flots. 8 a
Mais la brillante et folle écume 8 a
D’où sort la belle au sein d’argent, 8 b
Cache au fond ta noire amertume, 8 a
225 Ô mer ! ton désir est changeant. 8 b
L’astre d’or, qui, durant des lieues, 8 a
Enflamme ainsi tes vagues bleues. 8 a
S’éteint sous les flots rembrunis… 8 a
Ô Vénus ! et l’eau qui sommeille 8 b
230 Berce, hélas ! ta conque vermeille 8 b
Sur des abîmes infinis. 8 a
ADAH
Les mers, si nous voguons ensemble, 8 a
N’ont pas de courroux dont je tremble ; 8 a
Je m’y berce en paix sur ta foi. 8 a
235 Viens ! dans ces mondes que j’ignore, 8 b
Sous un ciel plus torride encore, 8 b
Ô mon amour, emporte-moi ! 8 a
CHŒUR DES SIRÈNES
La douce voix de la Sirène 8 a
Est plus douce à qui vient plus près. 8 b
240 Le vent dort, la mer est sereine ; 8 a
Suis l’instinct charmant qui t’entraîne 8 a
À jouir de nos dons secrets. 8 b
Cherche avec le Triton folâtre 8 a
À dénouer nos cheveux d’or, 8 b
245 À plonger sous l’onde bleuâtre 8 a
Qui s’enlace à nos flancs d’albâtre : 8 a
Des beautés s’y voilent encor. 8 b
C’est nous, au pays de ses rêves, 8 a
Qui portons le cœur ingénu, 8 b
250 Au poëte errant sur nos grèves, 8 a
Nous faisons respirer, sans trêves, 8 a
L’air enivrant de l’inconnu. 8 b
Quiconque à nos flots s’abandonne 8 a
Verra des palais enchantés 8 b
255 Où tout désir a sa couronne, 8 a
Où, par nous, jour et nuit résonne 8 a
Le plein accord des voluptés. 8 b
Si d’un regret ton cœur soupire, 8 a
Nous guérissons du souvenir. 8 b
260 Là, dans l’air, l’oubli se respire, 8 a
Et quiconque a vu notre empire 8 a
A refusé d’en revenir. 8 b
Suis l’instinct charmant qui t’entraîne 8 a
À jouir de nos dons secrets : 8 b
265 Le vent dort, la mer est sereine ; 8 a
Venez écouter de plus près 8 b
La douce voix de la Sirène. 8 a
III
AUTOMNE
ADAH
C’en est fait des beaux jours ! le soleil incertain 6+6 a
S’est levé dans la brume. 6 b
270 De nos baisers d’hier, pleurant jusqu’au matin, 6+6 a
Je garde une amertume. 6 b
Nous marchions, au retour, sur les gazons flétris, 6+6 a
Sur la feuille jaunie, 6 b
Quand J’ai vu s’allumer, dans ses yeux assombris, 6+6 a
275 L’éclair de l’ironie. 6 b
Et mon cœur se referme ! et j’oublie à jamais 6+6 a
Nos printemps et mes songes. 6 b
Bonheurs qu’il m’a donnés, saisons où je l’aimais, 6+6 a
N’étiez-vous que mensonges ? 6 b
VENTS D'AUTOMNE
280 Tenez la porte close et gardez votre cœur ! 6+6 a
Je sens un souffle aigu, j’écoute un bruit moqueur ; 6+6 a
Voici les vents d’automne. 6 a
Les feuilles devant moi volent en tourbillons ; 6+6 b
Un brouillard glacial étend sur les sillons 6+6 b
285 Sa blancheur monotone. 6 a
Adieu, tièdes zéphyrs aux murmures discrets ! 6+6 a
C’est la bise insolente ; elle arrache aux forêts 6+6 a
Des cris de mille sortes. 6 a
Je l’entends qui nous raille en ses longs sifflements… 6+6 b
290 Et j’ai fait, sous mes pieds, comme des ossements, 6+6 b
Craquer les branches mortes. 6 a
ADAH
Je m’éveille au milieu du lointain univers 6+6 a
Où tu m’as entraînée. 6 b
Je cherche autour de moi, dans nos jardins déserts… 6+6 a
295 J’y suis abandonnée ! 6 b
Que me font ces fruits d’or dérobés sur ta foi 6+6 a
Pour les goûter ensemble ? 6 b
Que me font ces beaux lieux où j’aspirais pour toi ? 6+6 a
J’y suis seule et je tremble. 6 b
300 Pauvre cœur, à jamais exilé de l’amour, 6+6 a
Mon supplice commence. 6 b
Pourrai-je sans mourir traverser tout un jour 6+6 a
Ma solitude immense ? 6 b
CHŒUR DE FAUNES
Quand les fleurs tombent du rozier, 8 a
305 Quand mûrit le rouge alizier, 8 a
Quand les bois sont devenus jaunes, 8 a
Entre les ceps de pourpre et d’or, 8 b
Prompts à cueillir leur doux trésor, 8 b
Voici le chœur des joyeux Faunes. 8 a
310 Les jours ont perdu leurs clartés, 8 a
Les derniers fruits sont récoltés, 8 a
Mais il reste encor la vendange. 8 a
Le soleil, au fond du raisin, 8 b
Cache un feu pour l’hiver voisin : 8 b
315 En Bacchus Apollon se change. 8 a
Vois, sous les chênes dépouillés, 8 a
Danser les Faunes barbouillés, 8 a
Riant sous leur masque de lie. 8 a
Fardez ainsi votre pâleur ; 8 b
320 Le rire étouffe la douleur : 8 b
On la cache, et puis on l’oublie. 8 a
Plus mon âme a de lourds chagrins, 8 a
Plus ma voix a de gais refrains, 8 a
Mon œil de railleuses tendresses ! 8 a
325 Voyez, sur les gazons flétris, 8 b
Le soir qui passe en manteau gris… 8 b
C’est l’instant propice aux ivresses. 8 a
Ta joue a perdu son carmin ; 8 a
L’ennui rendrait chauve, demain, 8 a
330 Ton front jauni par son haleine. 8 a
Reçois nos joyeuses couleurs : 8 b
Il faut, sur un visage en pleurs, 8 b
Mettre le masque de Silène. 8 a
Pourquoi, dans tes yeux obscurcis, 8 a
335 De ton cœur trahir les soucis ? 8 a
Veux-tu que la pitié t’accable ? 8 a
Laisse notre doigt acéré 8 b
Sur ton masque transfiguré 8 b
Graver un rire ineffaçable. 8 a
340 Des traits que vous avez reçus. 8 a
Pour bien guérir, ô cœurs déçus ! 8 a
Rendez des blessures pareilles. 8 a
Venez apprendre à nos leçons 8 b
Comment dans le miel des chansons 8 b
345 On tient prêt le dard des abeilles. 8 a
CHANSON DU MERLE
Le rossignol amoureux, 7 a
Langoureux, 3 a
Qui s’enivrait d’une rose, 7 a
L’oiseau poète est parti, 7 b
350 Averti 3 b
De l’hiver et de la prose. 7 a
Mais il reste encore des voix 8 a
Au doux mois 3 a
Où le raisin nous arrive. 7 a
355 Voyez, sans craindre les rêts, 7 b
Des forêts 3 b
Sortir en chantant la grive ; 7 a
La grive et le sansonnet 7 a
Qui connaît 3 a
360 Les plus beaux ceps de nos vignes ; 7 a
Le merle, siffleur méchant, 7 b
Dont le chant 3 b
Raille et fait peur à vos cygnes. 7 a
Il mord, le hardi voleur. 7 a
365 Au meilleur ; 3 a
À tout fruit mûr il fait brèche ; 7 a
Puis, des pampres déliés, 7 b
À nos pieds, 3 b
Part sifflant comme une flèche 7 a
370 Il effleure, oiseau fripon. 7 a
Le jupon 3 a
Et la main de la plus belle : 7 a
Portant sur l’arbre voisin 7 b
Un raisin, 3 b
375 Qu’il becquète en riant d’elle. 7 a
Sans doute, un jour, l’étourdi, 7 a
Engourdi 3 a
Par le jus divin qu’il aime, 7 a
Sans voir nos lacets subtils, 7 b
380 Dans leurs fils 3 b
Ira se jeter lui-même. 7 a
Aux chasseurs qui l’ont guetté, 7 a
Sa gaîté 3 a
Le trahit sous le feuillage ; 7 a
385 La mort vient dans son plaisir 7 b
Le saisir… 3 b
C’est le sort rêvé du sage. 7 a
ADAH
Voici l’urne où j’ai bu la divine liqueur, 6+6 a
Plus rien, plus rien n’y reste… 6 b
390 Et je garde aujourd’hui des voluptés du cœur 6+6 a
Un souvenir funeste. 6 b
Ô vous qui dans nos prés où je dansais pieds nus, 6+6 a
Et d’où je suis proscrite, 6 b
Interrogez encor, sous vos doigts ingénus, 6+6 a
395 La blanche marguerite ; 6 b
Vous qui rêvez encor d’innocence et d’amour, 6+6 a
Enfant rieuse et blonde, 6 b
Le vent qui m’a porté doit vous porter un jour 6+6 a
Dans ce désert du monde. 6 b
400 Et quand disparaîtra le mirage trompeur, 6+6 a
À moitié dans la route, 6 b
Vous aussi vous aurez ma voix qui vous fait peur, 6+6 a
Et mes yeux qu’on redoute. 6 b
Car vous ne voudrez pas exposer votre deuil 6+6 a
405 À la foule qui passe ; 6 b
À défaut du bonheur, gardons au moins l’orgueil 6+6 a
Pour dernière cuirasse ! 6 b
Repoussons des humains l’insolente pitié : 6+6 a
Mieux vaut leur lâche envie. 6 b
410 Jetons comme un mépris, à leur fausse amitié, 6+6 a
L’éclat de notre vie. 6 b
Je veux faire pâlir le printemps et l’été 6+6 a
Devant ma belle automne ; 6 b
Du charme rayonnant de ma sérénité 6+6 a
415 Je veux que l’on s’étonne. 6 b
Je veux plus haut qu’eux tous rire et chanter encor ! 6+6 a
Je veux, je veux répandre 6 b
Mes plus sombres pensers avec une voix d’or, 6+6 a
Avec un regard tendre. 6 b
420 Que chacun loue en moi la stoïque raison, 6+6 a
La tendresse divine… 6 b
Quand chaque flot de miel portera son poison, 6+6 a
Chaque fleur son épine. 6 b
Viens, ô consolateur que j’insultais hier ! 6+6 a
425 Sois mon amer génie. 6 b
Oh ! viens m’ouvrir ton temple, asile d’un cœur fier, 6+6 a
Ironie, Ironie ! 6 b
FEUX FOLLETS
Les cieux de vapeurs sont chargés ; 8 a
Sortez de terre et voltigez, 8 a
430 Flammes railleuses de l’automne. 8 a
Venez, sylphes et lutins, 7 b
De vos rires argentins 7 b
Rompre sa voix monotone. 7 a
Levez-vous, esprits follets, 7 a
435 Sur l’étang qui fume ; 5 b
Trilby chante ses couplets : 7 a
Valsez dans la brume. 5 b
Sautez, sans courber les joncs, 7 a
Sur les fossés des donjons 7 a
440 Et sur les bruyères. 5 a
Sur les crânes dispersés 7 b
Dans les cimetières ; 5 a
On entend, où vous dansez, 7 b
Le rire des trépassés. 7 b
IV
HIVER
ADAH
445 Fantômes importuns de mes belles années, 6+6 a
Ô mes chers souvenirs, que voulez-vous de moi ? 6+6 b
Ôtez ces jeunes fleurs de vos tempes fanées, 6+6 a
Fermez ces yeux brillants qui me glacent d’effroi. 6+6 b
J’aimais en vous l’espoir : vous m’apportiez en foule 6+6 a
450 Des promesses que Dieu n’a pas voulu tenir ; 6+6 b
Désormais tout, chez moi, s’assombrit et s’écroule : 6+6 a
Et je hais le passé, n’ayant plus d’avenir. 6+6 b
Je sais, ô mes printemps ! j’ai vu ce que vous êtes 6+6 a
Sans les illusions dont vous fûtes ornés ; 6+6 b
455 Quand le temps a flétri vos couronnes de fêtes, 6+6 a
Le remords apparaît sur vos fronts décharnés. 6+6 b
LES CORBEAUX
Voici l’hiver lugubre et son affreux cortège 6+6 a
D’oiseaux noirs répandus sur son linceul de neige. 6+6 a
Les corbeaux ont senti le parfum de la mort. 6+6 a
460 Ils viennent, enhardis en leurs instincts funestes ; 6+6 b
De nos belles saisons ils dévorent les restes, 6+6 b
Croassants et rongeurs, et pareils au remords. 6+6 a
Là, les débris sanglants du coursier plein d’audace 6+6 a
Dont le vol idéal nous portait dans l’espace ; 6+6 a
465 Ici, le chien fidèle à son maître oublieux ; 6+6 a
Là, le cygne plaintif et la tendre colombe 6+6 b
Bien, corbeau ! fais rouler sur cette fraîche tombe 6+6 b
Ce crâne chauve et blanc dont tu crevas les yeux. 6+6 a
ADAH
Hier, je vous pleurais ; je désirais peut-être, 6+6 a
470 Ô mes Jeunes saisons, revoir vos jours si doux ; 6+6 b
Maintenant je dirais, si vous pouviez renaître : 6+6 a
Fuyez, ô mes printemps ! je ne veux plus de vous. 6+6 b
Je vous connais trop bien pour songer à revivre ! 6+6 a
Je sais trop à quel but mènent tous les chemins ; 6+6 b
475 Je sais quel est le fond du vase où l’on s’enivre ; 6+6 a
Je sais, ô mes beaux jours ! quels sont vos lendemains. 6+6 b
Et toi, que viens-tu faire en ces mornes ténèbres, 6+6 a
Image encor chérie et qu’en vain je veux fuir ? 6+6 b
Je ne dois pas te voir à ces clartés funèbres ; 6+6 a
480 J’aime mieux t’oublier… Il faudrait te haïr ! 6+6 b
LES GNOMES
Les rêves sont rentrés dans leurs lointains royaumes, 6+6 a
Et ton foyer désert s’est peuplé de fantômes. 6+6 a
L’hiver évoque en toi les spectres du passé. 6+6 b
Nous voici, les dragons, les vampires, les gnomes ! 6+6 a
485 En vain ta porte est close : à ton chevet glacé 6+6 b
L’essaim des noirs esprits dans l’ombre est amassé. 6+6 b
Vois du plafond qui s’ouvre une forme descendre, 6+6 a
Vois ces nains s’accroupir à tes pieds, sur la cendre ; 6+6 a
Vois ces doigts tout sanglants écarter tes rideaux. 6+6 b
490 Un râle, sous ton lit, vient de se faire entendre ; 6+6 a
Le livre que tu tiens se déchire en lambeaux. 6+6 b
Et le vent d’un soupir a soufflé tes flambeaux. 6+6 b
Les reconnais-tu bien sous leurs formes nouvelles. 6+6 a
Ces folles visions que tu trouvas si belles ? 6+6 a
495 Ta main blanche a serré ces doigts courts et velus : 6+6 b
Les voilà, tes amours, sans que tu les rappelles ! 6+6 a
Tu fais pour nous bannir des efforts superflus ; 6+6 b
Le remords nous conduit, nous ne te quittons plus. 6+6 b
ADAH
Ô frère de la mort, ô sommeil que j’envie ! 6+6 a
500 Dans ma suprême attente, hélas ! tu me trompais ! 6+6 b
Je souffre, en ton linceul, les horreurs de la vie : 6+6 a
Tu n’as pu me donner ni l’oubli, ni la paix. 6+6 b
Je ne demandais pas à ta douce magie 6+6 a
De verser à mon cœur des songes superflus ; 6+6 b
505 J’invoquais pour tout bien la froide léthargie. 6+6 a
Heureux qui dort sans rêve et ne s’éveille plus ! 6+6 b
Je bornai là mes vœux. Je ne dois plus entendre 6+6 a
Ce vain nom du bonheur, sans objet, sans échos : 6+6 b
Si Dieu même ici-bas s’offrait à me le rendre, 6+6 a
510 Je le refuserais ! J’ai besoin du repos. 6+6 b
LA NEIGE
Tombe sans bruit, neige éternelle ; 8 a
Couvre de ton linceul ces prés jadis si verts. 6+6 b
Tombe sans bruit, neige éternelle, 8 a
Sur ce corps où brillaient tant de charmes divers, 6+6 b
515 Sur cette âme qui fut si belle. 8 c
Tombe sans bruit, neige éternelle, 8 c
Enveloppe à jamais ce corps et l’univers. 6+6 b
Tombe sans bruit, neige éternelle, 8 a
Étouffe, en même temps, la crainte et le remords. 6+6 b
520 Tombe sans bruit, neige éternelle, 8 a
Interdis le réveil à tout ce qui s’endort, 6+6 b
Au souvenir vivant chez elle… 8 c
Tombe sans bruit, neige éternelle, 8 c
Et fais régner partout le silence et la mort. 6+6 b
ADAH
525 Bien ! je vois s’effeuiller, avec mon dernier rêve, 6+6 a
Tout ce qui fut mon cœur, mes regrets, mes désirs. 6+6 b
Voici le vent d’oubli qui souffle et vous enlève ; 6+6 a
Tombez avec la neige, ô derniers souvenirs ! 6+6 b
Allez où va la voix quand les lèvres se taisent, 6+6 a
530 Où vont en s’éteignant les rayons du soleil. 6+6 b
Bien ! d’un sang tiède encor les orages s’apaisent, 6+6 a
Tout est rentré dans l’ombre, et je tiens mon sommeil. 6+6 b
CHŒUR DES TÉNÈBRES
C’est pour nous qu’ont fleuri les roses de l’aurore. 6+6 a
Pour nous tous ces fruits d’or que le soir voit éclore, 6+6 a
535 Pour nous chaque rayon qui sourit dans les cieux, 6+6 a
Chaque regard d’amour qui brilla dans vos yeux. 6+6 a
Tout revient à la nuit solitaire et profonde. 6+6 a
Ton règne, ô sombre hiver ! s’est levé sur le monde ; 6+6 a
Viens couvrir de tes flots sans forme et sans couleur 6+6 a
540 Ces germes inquiets de vie et de chaleur ; 6+6 a
L’espace ouvre son lit à tes ondes funèbres : 6+6 a
Roule en paix sur la neige, océan des ténèbres ! 6+6 a
mètre profils métriques : 6, 8, 7, 3, 5, 6+6
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