Métrique en Ligne
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LAP_5/LAP44
Victor de LAPRADE
POÈMES ÉVANGÉLIQUES
1852
LA CITÉ DES HOMMES
I
Le règne est arrivé de leur sagesse impie ; 6+6 a
Ils ont touché le sol de leur chère utopie. 6+6 a
Pour fonder à leur gré la cité de la chair, 6+6 b
Le Seigneur leur livra la mer, la terre et l’air. 6+6 b
5 Libres du joug des mœurs, libres des lois divines, 6+6 a
Seuls maîtres, seuls debout sur toutes les ruines, 6+6 a
Ils promènent partout le stupide niveau, 6+6 b
Règle unique à leurs yeux et du juste et du beau. 6+6 b
Ils sont égaux ! Nul front, dans leur Babel énorme, 6+6 c
10 Ne dépasse des fronts la bassesse uniforme. 6+6 c
Tout est conquis : richesse, épargnes du passé, 6+6 a
Puissance du savoir longuement amassé, 6+6 a
Champs, outils, greniers pleins, troupeaux, maisons prospères 6+6 b
Attestant les sueurs, les vertus de nos pères... 6+6 b
15 Sur la terre et ses fruits ils ont domaine entier ; 6+6 a
Mais c’est peu, quand jouir reste le seul métier ; 6+6 a
C’est trop peu ! pour grossir les profits du partage, 6+6 b
Ils mettent follement l’avenir au pillage. 6+6 b
La dernière forêt, tombant sous leur viol, 6+6 a
20 Des sommets décharnés s’écroule avec le sol. 6+6 a
Ils dévorent le sein de la mère nourrice ; 6+6 b
Après eux, s’il le faut, que tout son lait tarisse. 6+6 b
L’œuvre du peuple est faite ! Il va fêter en paix 6+6 c
Le bien-être, seul dieu de leurs rêves épais. 6+6 c
25 Voyez-la s’élever la cité de l’orgie ! 6+6 a
Des fleurs couvrent le sang dont sa base est rougie ; 6+6 a
L’édifice, enrichi des dépouilles du temps, ’ 6+6 b
Convie aux longs festins ses impurs habitants. 6+6 b
Écoutez ! c’est la chair qui chante sa victoire 6+6 c
30 Et des sottes vertus nargue la vieille histoire. 6+6 c
Un regard aux splendeurs de ces autels sans dieu ! 6+6 a
Car l’éternelle nuit va descendre avant peu. 6+6 a
En vouant aux plaisirs cette ville rebelle, 6+6 b
Oublieux de la mort, l’homme a bâti pour elle ; 6+6 b
35 C’est elle qui s’avance à pas sûrs et sans bruit ; 6+6 c
Vous semez pour jouir, elle cueille ce fruit. 6+6 c
Ces ans comptés par Dieu, que l’homme à Dieu refuse, 6+6 a
Voilà que dans un jour la volupté les use. 6+6 a
L’heure presse ! Écoutez, de ce monde aux abois, 6+6 b
40 Sur le seuil du néant monter les folles voix. 6+6 b
CHŒUR DES HOMMES
Jouissons ! le bonheur est un droit de nature. 6+6 a
La vie est un festin ; 6 b
Arrière qui l’ajourne à la moisson future ; 6+6 a
Ce jour seul est certain ! 6 b
45 L’espoir d’un autre monde est un mensonge austère ; 6+6 a
Cette vie a son miel. 6 b
Jouissons ! Ils voulaient nous dérober la terre 6+6 a
Ceux qui parlaient d’un ciel. 6 b
« Ce globe, disaient-ils aux crédules ancêtres, 6+6 a
50 Et ses fruits sont maudits. » 6 b
Mais nous en ferons bien, quand nous serons les maîtres, 6+6 a
Le seul vrai paradis. 6 b
Changer enfin la terre en séjour de délices, 6+6 a
Ce n’est pour nous qu’un jeu ; 6 b
55 Il suffît d’abolir ces trois fléaux complices : 6+6 a
Le roi, le prêtre et Dieu ! 6 b
De renverser les lois, ces injustes barrières 6+6 a
Faites pour les petits ; 6 b
Et d’ouvrir, sans remords, de plus vastes carrières 6+6 a
60 A tous les appétits. 6 b
Rien de pur, rien d’impur ! Que le plaisir gouverne 6+6 a
En maître souverain. 6 b
Malheur à qui dira qu’à la chair subalterne 6+6 a
L’âme doit mettre un frein ! 6 b
65 Le désir est sacré ; l’esprit n’est qu’un organe 6+6 a
Créé pour le servir. 6 b
L’homme est bon, lorsqu’il suit ces instincts que l’on damne 6+6 a
Et qu’il doit assouvir. 6 b
Pour fonder nos cités, pour trouver, sans miracles 6+6 a
70 Notre ciel toujours prêt, 6 b
Autour des passions écartons les obstacles : 6+6 a
C’est là tout le secret. 6 b
Vieux mots sur qui vivaient les antiques familles : 6+6 a
Abstinence et travail ! 6 b
75 Croulez sous les débris des dernières bastilles, 6+6 a
Indigne épouvantail. 6 b
A d’autres les labeurs, l’épargne misérable ! 6+6 a
Chaque jour se suffit. 6 b
La nature est pour tous un fonds inépuisable ; 6+6 a
80 Tout plaisir est profit. 6 b
Qui desséchait le sein de la bonne déesse ? 6+6 a
Les prêtres et les rois. 6 b
Brisons à tout jamais leur sceptre qui nous blesse, 6+6 a
Et rentrons dans nos droits ! 6 b
85 A nous donc la nature et pressons sa mamelle 6+6 a
Sans labeurs superflus ! 6 b
Elle porte la vie et nos plaisirs en elle, 6+6 a
Et ne tarira plus. 6 b
UN SAVANT
Du trône et de l'autel démasquant l'imposture, 6+6 a
90 Homme ! notre savoir t'a soumis la nature. 6+6 a
Pour franchir à ton gré l'air, la terre et les eaux, 6+6 b
Nous t'avons fait des chars plus prompts que les oiseaux. 6+6 b
Du désir à son but la distance s'efface; 6+6 c
Te voilà souverain du temps et de l'espace. 6+6 c
95 Reste encor du travail l'antique et rude loi : 6+6 a
Mais en un mol attrait nous la changeons pour toi. 6+6 a
Nous allons affranchir de toute œuvre servile 6+6 b
Et transformer en rois la multitude vile. 6+6 b
Notre art, sans le secours du ciel ou de l'enfer, 6+6 a
100 Créa pour te servir une âme dans le fer. 6+6 a
Homme, un seul jour encore ! au travail qui t'accable 6+6 b
Dévouant la machine, esclave infatigable, 6+6 b
Toi, sur un lit de fleurs, libre et fier souverain, 6+6 a
Tu n'auras qu'à régir tout ce peuple d'airain. 6+6 a
CHŒUR DES HOMMES
105 Adieu, labeur antique, ouvre de servitude ; 6+6 a
La charrue à nos bras est désormais trop rude; 6+6 a
Nos reins ont trop fléchi. 6 b
Plus d'effort, le travail flétrit l'homme qui pense ; 6+6 c
Nos sages nous l'ont dit ; leur art nous en dispense, 6+6 c
110 Le corps est affranchi. 6 b
L'effort existe-t-il en toi, sainte nature ? 6+6 a
Le chêne, dans tes flancs puise sa nourriture 6+6 a
Sans creuser de sillon ; 6 b
L'abeille sans travail boit dans la fleur nouvelle ; 6+6 c
115 Au prix d'un bond léger, la chair de la gazelle 6+6 c
Est offerte au lion. 6 b
L'homme seul, jusqu'ici, d'une sueur sanglante 6+6 a
Paya l’eau de la source et le fruit de la plante ; 6+6 a
Lui leur maître et seigneur ! 6 b
120 Lui, contraint d'étouffer le désir qui s'élance, 6+6 c
Dans ses plus chers instincts a souffert violence ; 6+6 c
Lui né pour le bonheur ! 6 b
Mais nos sages veillaient. Science, oh ! sois bénie ! 6+6 a
L'effort dans le travail, dernière tyrannie, 6+6 a
125 Va donc s'évanouir. 6 b
L'industrie a produit sa suprême merveille ; 6+6 c
L'homme enfin se repose et la machine veille ; 6+6 c
L'homme enfin peut jouir ! 6 b
UN SAVANT
Ainsi notre sagesse abolit l'indigence, 6+6 a
130 Aux dociles métaux transmet l'intelligence, 6+6 a
Pour qu'en son lit de fleurs, libre de se bercer, 6+6 b
L'homme n'ait même plus le labeur de penser. 6+6 b
Si l'esprit travailla dans le corps en révolte, 6+6 a
C'était pour que la chair fît plus ample récolte. 6+6 a
135 L'esprit est né des sens et leur doit le tribut; 6+6 b
Du génie et des arts le bien-être est le but. 6+6 b
Triomphe à la science, à l'industrie humaine, 6+6 a
Qui nous fait de ce globe un facile domaine, 6+6 a
Et transforme pour nous en palpable trésor 6+6 b
140 Les chimères d'Éden et du vieil âge d'or ! 6+6 b
CHŒUR DES HOMMES
Salut, œuvre de la sagesse, 8 a
Siècle plus fort que le destin, 8 b
Tu fais à tous, avec largesse, 8 a
Une part égale au festin ! 8 b
145 Par toi l'homme enfin se repose, 8 c
La terre se métamorphose ; 8 c
L'âge des luttes doit finir ; 8 d
Plus d'effort, de travail, de gênes ; 8 e
Brise, ô peuple, ces vieilles chaînes, 8 e
150 Entrons joyeux dans l'avenir !. 8 d
En vain le mensonge des prêtres 8 a
Prêchait un effort éternel, 8 b
Châtiment transmis des ancêtres 8 a
Dans le venin originel; 8 b
155 Viens ! la souffrance est abolie ; 8 c
Ne crois plus à cette folie 8 c
De lutte et d'expiation ; 8 d
D’un Dieu repousse au loin la crainte ; 8 e
La douleur n'est que la contrainte 8 e
160 Qui pesait sur tes passions. 8 d
Levons-nous, peuple trop docile, 8 a
La raison nous a convertis ; 8 b
Proclamons le bonheur facile, 8 a
La liberté des appétits ; 8 b
165 C'est le secret des jours prospères. 8 c
Insensés, insensés nos pères! 8 c
Ces lutteurs, rudes à leurs sens, 8 d
Qui par les combats et les veilles 8 e
Étouffaient, stupides merveilles, 8 e
170 Leurs désirs les plus innocents. 8 d
Vous, ô maîtres, votre science 8 a
Fait taire l'âme dans chacun ; 8 b
Vous étouffez la conscience, 8 a
Murmure aux plaisirs importun. 8 b
175 La vertu, que votre art allége, 8 c
N'est plus l'austère privilége 8 c
Dont les forts étaient seuls jaloux : 8 d
Mais, si jouir est le seul code, 8 e
Dans cette sagesse commode, 8 e
180 Le peuple en sait autant que vous. 8 d
A votre tour, savants prophètes ! 8 a
Acceptez le règne nouveau ; 8 b
Vos œuvres désormais sont faites, 8 a
Rentrez sous le commun niveau. 8 b
185 Vous l'avez dit : le droit de l'homme 8 c
Se mesure à ce qu'il consomme. 8 c
Abdiquez donc, ô vanité ! 8 d
Vous m'offusquez, savoir sublime; 8 e
Beauté, vertu, que tout s'abîme 8 e
190 Dans l'éternelle égalité ! 8 d
O peuple, si ta faim trompée 8 a
T'a rongé jusqu'à ce moment, 8 b
C'est que leur grandeur usurpée 8 a
Vivait de ton abaissement. 8 b
195 O multitude, ô tourbe sainte, 8 c
Leur miel sortait de ton absinthe; 8 c
Leurs honneurs faisaient ton affront. 8 d
Les fronts que le vice déprime 8 e
Sont le niveau que nul, sans crime, 8 e
200 Ne pourra dépasser du front. 8 d
UN ARTISTE
Viens, douce volupté, toi qu'ils tenaient captive 6+6 a
Sous les mille réseaux des meurs et de la loi; 6+6 b
Assouvis notre soif sous tes yeux plus active : 6+6 a
Les arts forment ta cour et s'inspirent de toi. 6+6 b
205 Viens, ô charme adoré de tout être ayant vie ! 6+6 a
L'insensé te résiste ou connaît le remords : 6+6 b
La sagesse devance ou suit ta moindre envie ; 6+6 a
Viens ! puis nous dormirons à jamais dans la mort. 6+6 b
· Viens, aux feux du soleil danser joyeuse et nue, 6+6 a
210 O toi qui meus les flots, l'herbe et le sable et l'air ; 6+6 b
L'homme seul jusqu'ici parfois t'a méconnue, 6+6 a
Et porté quelque atteinte aux saints droits de la chair. 6+6 b
Le désir est la loi de toute créature. 6+6 a
Nous seuls de nœuds sans fin avons chargé l'amour. 6+6 b
215 ais selon tes conseils, simple et douce nature, 6+6 a
Aimons, sans lourds serments, à la face du jour. 6+6 b
CHŒUR DES HOMMES
Mêlez, plaisirs légers, vos libres fantaisies. 6+6 a
Rien n'enchaîne l'abeille aux fleurs qu'elle a choisies : 6+6 a
L'oiseau ne fait son nid que pour une saison ; 6+6 b
220 O nature, ta loi, souriante à la terre, 6+6 c
Vient de l'hymen austère 6 c
Nous ouvrir la prison. 6 b
Que la coupe d'amour, dont plus rien ne nous sèvre, 6+6 a
Tant qu'elle écumera passe de lèvre en lèvre ; 6+6 a
225 Le caprice changeant tient les sens en éveil. 6+6 b
Donnons leur plein essor aux voluptés captives; 6+6 c
Donnons aux caresses furtives 8 c
Leur place au grand soleil. 6 b
En délivrant l'amour de l'hymen qui l'attriste, 6+6 a
230 Brisons du père au fils le lien égoïste : 6+6 a
Ton épouse est partout où tu sens la beauté ; 6+6 b
Ton fils, c'est ce troupeau des enfants qui fourmille. 6+6 c
Qu'il ne soit plus d'autre famille 8 c
Que l'éternelle humanité. ' 8 b
235 Ce siècle croit ainsi, tout fier de ses chimères, 6+6 a
Convertir en cités les tentes éphémères 6+6 a
Que son peuple, au milieu du sang et des tombeaux, 6+6 b
Sur nos temples détruits dresse avec des lambeaux. 6+6 b
Et l'orgie unissait, dans ses hymnes infâmes, 6+6 a
240 La voix des hommes forts, des vieillards et des femmes. 6+6 a
La vieillesse fardée, abdiquant sa grandeur, 6+6 a
Comme un masque plus jeune affiche l'impudeur; 6+6 a
Mais un œil plus vitreux, une bouche cynique 6+6 b
La trahit sous les fleurs et l'étroite tunique. 6+6 b
245 Du geste et de la voix tout le sexe éhonté 6+6 a
Stimule encor des chants l'ignoble crudité. 6+6 a
Fruit de Gomorrhe infect et plein de cendre amère, 6+6 b
La femme de ces temps n'est ni vierge ni mère. 6+6 b
Or, singeant ces tableaux, hurlant sur tous les tons, 6+6 a
250 Rôde autour de l'orgie un troupeau d'avortons, 6+6 a
Enfants plus vils encor de cette vile race ; 6+6 b
Les vices paternels sont empreints sur leur face. 6+6 b
Nains hideux, à la fois décharnés et bouffis, 6+6 a
De ces hommes sans Dieu, tels sont les dignes fils. 6+6 a
255 On voit jaillir déjà de leurs yeux de vipères 6+6 b
La luxure et l'orgueil cuvant au cœur des pères. 6+6 b
La couleur de ces fronts semble un reste de fard : 6+6 a
Mélange monstrueux de l'enfant, du vieillard. 6+6 a
Disciples de l'exemple et d'un instinct immonde, 6+6 b
260 Eux, aussi, célébraient déjà leur nouveau monde. 6+6 b
CHŒUR DES ENFANTS
A nous la place, ô vieillards, il est temps ! 4+6 a
Pour nous seuls la table est servie. 8 b
Hivers glacés, nous sommes le printemps; 4+6 a
C'est à nous qu'appartient la vie. 8 b
265 Place à nos fleurs! croulez, troncs vermoulus; 4+6 a
Taisez-vous, corneilles moroses ; 8 b
Ne troublez pas nos chants ; ne jetez plus 4+6 a
Votre ombre noire sur nos roses. 8 b
Mourez, vieillards, vos jours sont révolus. 4+6 a
270 Devant vos fils insultant votre père, 4+6 a
Poussant du pied votre mère au tombeau, 4+6 b
Vous avez dit qu'un avenir prospère 4+6 a
Veut un passé mis en lambeau. 8 b
L'avenir, c'est nous qui le sommes ! 8 a
275 Qu'il grandisse en vous étouffant ; 8 b
Les vieillards sont honnis des hommes : 8 a
Place à l'enfant ! 4 b
CHŒUR DES HOMMES
Jouissons ! le bonheur est un droit de nature. 6+6 a
La vie est un festin ; 6 b
280 Arrière qui l'ajourne à la moisson future; 6+6 a
Ce jour seul est certain ! 6 b
L'espoir d'un autre monde est un mensonge austère; 6+6 a
Cette vie a son miel. 6 b
Jouissons ! Ils voulaient nous dérober la terre 6+6 a
285 Ceux qui parlaient d'un ciel. 6 b
« Ce globe, disaient-ils aux crédules ancêtres, 6+6 a
Et ses fruits sont maudits. » 6 b
Mais nous en ferons bien, quand nous serons les maîtres, 6+6 a
Le seul vrai paradis. 6 b
290 Changer enfin la terre en séjour de délices, 6+6 a
Ce n'est pour nous qu'un jeu ; 6 b
Il suffit d'abolir ces trois fléaux complices : 6+6 a
Le roi, le prêtre et Dieu ! 6 b
De renverser les lois, ces injustes barrières 6+6 a
295 Faites pour les petits ; 6 b
Et d'ouvrir, sans remords, de plus vastes carrières 6+6 a
A tous les appétits. 6 b
Rien de pur, rien d'impur ! Que le plaisir gouverne 6+6 a
En maître souverain. 6 b
300 Malheur à qui dira qu'à la chair subalterne 6+6 a
L'âme doit mettre un frein ! 6 b
Le désir est sacré; l'esprit n'est qu'un organe 6+6 a
Créé pour le servir. 6 b
L'homme est bon,lorsqu'il suit ces instincts que l'on damne 6+6 a
305 Et qu'il doit assouvir. 6 b
Pour fonder nos cités, pour trouver, sans miracles 6+6 a
Notre ciel toujours prêt, 6 b
Autour des passions écartons les obstacles : 6+6 a
C'est là tout le secret. 6 b
310 Vieux mots sur qui vivaient les antiques familles : 6+6 a
Abstinence et travail ! 6 b
Croulez sous les débris des dernières bastilles, 6+6 a
Indigne épouvantail. 6 b
A d'autres les labeurs, l'épargne misérable ! 6+6 a
315 Chaque jour se suffit. 6 b
La nature est pour tous un fonds inépuisable ; 6+6 a
Tout plaisir est profit. 6 b
Qui desséchait le sein de la bonne déesse ? 6+6 a
Les prêtres et les rois. 6 b
320 Brisons à tout jamais leur sceptre qui nous blesse, 6+6 a
Et rentrons dans nos droits ! 6 b
A nous donc la nature et pressons sa mamelle 6+6 a
Sans labeurs superflus! 6 b
Elle porte la vie et nos plaisirs en elle, 6+6 a
325 Et ne tarira plus. 6 b
II
Dans les cités sans lois, hormis les lois infâmes 6+6 a
Des libres appétits qui gouvernent les âmes, 6+6 a
Tout à sa folle orgie, un peuple insoucieux 6+6 b
Mange les derniers grains du grenier des aïeux ; 6+6 b
330 Sans savoir, l’insensé ! qu’en sa longue révolte, 6+6 c
Il use le sol même avec chaque récolte. 6+6 c
Car le sol nourricier, domaine des humains, 6+6 a
Comme il peut s’enrichir s’épuise entre nos mains. 6+6 a
Hélas ! les pleurs de l’homme et sa sueur austère 6+6 b
335 Sont le sel nécessaire aux vertus de la terre. 6+6 b
L’homme n’obtient son pain, éternel indigent, 6+6 a
Qu’en vouant à la terre un culte intelligent ; 6+6 a
Elle n’a de bonté, de vertu productive, 6+6 b
Que la vertu de l’âme et du bras qui cultive. 6+6 b
340 Quand l’esprit est aveugle et quand les reins sont mous, 6+6 a
Toute vigueur du sol se tourne contre nous ; 6+6 a
Et, de ces mêmes flancs, pleins de moissons fertiles, 6+6 b
La terre fait jaillir la ronce et les reptiles. 6+6 b
Quand de son front touffu les bois sont respectés, 6+6 a
345 Elle en verse l’eau pure et l’ombrage aux étés. 6+6 a
Mais dès qu’un soc impie a fait les cimes chauves, 6+6 b
Du squelette des monts, du crâne des rocs fauves, 6+6 b
Les torrents descendus, comme des dieux vengeurs, 6+6 a
Détruisent la vallée et ses peuples rongeurs, 6+6 a
350 Brillant de nos vertus, ou terni par nos fautes, 6+6 a
Ce globe est le miroir de l’âme de ses hôtes. 6+6 a
La nature avec nous subit, incessamment, 6+6 b
Des chutes de l’orgueil l’antique châtiment. 6+6 b
Homme ! tu peux, au sein de la mère nourrice, 6+6 a
355 Du sang originel inoculer le vice ; 6+6 a
Ou bien, comme ton cœur transformant chaque lieu, 6+6 b
Refaire tout un monde à l’image de Dieu. 6+6 b
Mais le peuple, en ces jours insensés et cupides, 6+6 a
Décharné les sommets et les coteaux rapides, 6+6 a
360 Et, comme aux saints autels, fait la guerre aux forêts 6+6 b
Où les vertus du globe ont leurs germes secrets. 6+6 b
Les monts, les fronts humains portent les traces viles 6+6 a
Du niveau promené par les haines serviles. 6+6 a
Le rocher nu succède aux bois, aux prés fleuris. 6+6 b
365 Les vallons, encombrés d’infertiles débris, 6+6 b
Après quelques saisons de récoltes prodigues, 6+6 a
Sont des lits de cailloux où roule une eau sans digues. 6+6 a
Sur la plaine et les champs, à jamais recouverts, 6+6 b
Les fétides marais étendent leurs flots verts. 6+6 b
370 Les reptiles fangeux, les fièvres et les pestes 6+6 a
Éclosent par milliers des miasmes funestes. 6+6 a
Or, pour dompter encor les fléaux souverains, 6+6 b
Les peuples ont perdu la force de leurs reins ; 6+6 b
Leur chair, ivre toujours, dans sa lourde fumée 6+6 a
375 Éteint cette science à l’orgueil allumée. 6+6 a
Le sang est appauvri, bu par les passions ; 6+6 b
Le flot va décroissant des générations. 6+6 b
Toute raison pâlit ; toute beauté s’efface. 6+6 a
Le seul pouvoir du mal survit chez cette race. 6+6 a
380 Plus faibles sont les corps, plus les cœurs vicieux 6+6 b
De forfaits inconnus épouvantent les cieux. 6+6 b
Alors, dans notre monde, où le soleil s’éclipse, 6+6 a
Commencera des temps la sombre Apocalypse ; 6+6 a
Ces prodiges sans nom, ce déluge de maux 6+6 b
385 A Jean le bien-aimé révélés dans Patmos. 6+6 b
Sept Anges ont versé sur les eaux et les plantes 6+6 a
Des colères de Dieu les sept coupes sanglantes. 6+6 a
Sur la terre maudite à ses quatre horizons 6+6 b
Toute sève tarit, excepté les poisons ; 6+6 b
390 Et, contre l’homme, issus des marais et des sables, 6+6 a
Surgissent tout à coup des monstres innombrables. 6+6 a
La chair, comme l’esprit, n’a, dans ce temps fatal, 6+6 b
Conservé de fécond que les germes du mal. 6+6 b
Alors, comme aux vieux jours que le crime ramène, 6+6 a
395 Les bêtes prévaudront contre la race humaine. 6+6 a
Les hommes ne sont plus ces vigoureux enfants 6+6 b
Qui disputaient la proie aux lions triomphants, 6+6 b
Et, même après Éden, sur tout ce qui respire 6+6 a
De l’être intelligent rétablissaient l’empire. 6+6 a
400 Tant de siècles sans Dieu, dans la chair accroupis, 6+6 b
Ont fait des nations de vieillards décrépits : 6+6 b
L’homme éteint, sans ressort, incapable de lutte, 6+6 a
Tombe, de race en race, au-dessous de la brute. 6+6 a
Je le vois, je le vois, l’Adam des derniers jours ! 6+6 a
405 Il rampe sur ses mains, il se traîne à pas lourds, 6+6 a
Et promène au niveau de la fange et de l’herbe 6+6 b
Ce front que notre orgueil relevait si superbe. 6+6 b
Ce n’est plus l’Ange, hélas ! même l’Ange exilé, 6+6 a
A qui, dès son berceau, le Seigneur a parlé ; 6+6 a
410 Et qui, malgré sa chute et dans l’ombre charnelle, 6+6 b
Garde encor de son Dieu l’empreinte originelle ; 6+6 b
C’est l’animal pensant, tel que vous l’avez fait ; 6+6 a
Mûri par vos leçons, voilà l’homme en effet ! 6+6 a
O sophistes, voyez ! c’est bien la bête immonde 6+6 b
415 Éclose lentement de l’œuf grossier du monde ; 6+6 b
En qui l’esprit, issu des besoins de la chair, 6+6 a
Ne survit pas aux sens et meurt comme un éclair. 6+6 a
Triomphez ! le voilà tel que dans votre rêve : 6+6 b
L’homme naquit ainsi rampant sur une grève ; 6+6 b
420 Avant de s’adorer, quand sa raison grandit, 6+6 a
Il procéda du ver, c’est vous qui l’avez dit ! 6+6 a
Or, pour dernière fin, ce fils de la matière 6+6 b
Restitue au limon son âme tout entière ; 6+6 b
Il rend tout à la terre, il en a tout reçu ; 6+6 a
425 Voilà le genre humain que vous avez conçu ! 6+6 a
Mais la mort ne tient pas vos promesses infâmes ; 6+6 a
Le néant désiré n’engloutit pas vos âmes ; 6+6 a
Vous le saurez trop tard, ô prophètes pervers, 6+6 b
Non ! tout ne finit pas avec l’œuvre des vers. 6+6 b
430 La tombe, où vous rêvez un éternel refuge, 6+6 a
Nous livrera vivants aux bras de notre juge. 6+6 a
Comme en tremblant, alors, vous, cyniques railleurs, 6+6 b
Vous porterez envie aux hommes des douleurs, 6+6 b
Combien, devant ce Dieu qu’un seul remords désarme, 6+6 a
435 Vous sentirez le prix d’une pieuse larme ! 6+6 a
Mais rien ne coulera de vos yeux éperdus, 6+6 b
Hors vos venins sur terre aujourd’hui répandus. 6+6 b
Ravalant le poison qu’ont vomi vos blasphèmes, 6+6 a
Vous ne pourrez maudire et haïr que vous-mêmes ; 6+6 a
440 Et, du feu qui vous ronge irritant la fureur, 6+6 b
Vos âmes se verront, et se feront horreur. 6+6 b
Qu’ai-je dit ? ô mon Dieu, pitié pour mon audace ! 6+6 a
Moi, pécheur, j’ose prendre une voix qui menace ; 6+6 a
Moi qui n’aurais, dans l’ombre admis à supplier, 6+6 b
445 Qu’à frapper ma poitrine et qu’à m’humilier, 6+6 b
Avant que votre appel ici ne retentisse, 6+6 a
J’ose aller au-devant du jour de la justice ; 6+6 a
J’ose, en mon sens étroit, sonder vos jugements 6+6 b
Et, criminel aussi, parler de châtiments ! 6+6 b
450 Mon Dieu, puisque entre tous, j’ai besoin de clémence, 6+6 a
Laissez-moi ne rien voir que votre amour immense ; 6+6 a
Mes yeux n’embrassent pas, Seigneur, l’éternité ; 6+6 b
Je ne sens l’infini que dans votre bonté. 6+6 b
J’ignore tout, mon Dieu ; ma misère est profonde ! 6+6 a
455 Mais je crois à ton fils né pour sauver le monde, 6+6 a
Et j’invoque, en serrant sa croix entre mes mains, 6+6 b
Le sang de Jésus-Christ mort pour tous les humains. 6+6 b
mètre profils métriques : 6, 8, 6+6, 4+6, (4)
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