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LAP_5/LAP41
Victor de LAPRADE
POÈMES ÉVANGÉLIQUES
1852
LA COLÈRE DE JÉSUS
I
Fils de la femme, ô Christ, vous aviez entre tous 6+6 a
La face la plus belle et le cœur le plus doux ! 6+6 a
Sans qu’une voix d’en haut vous rendît témoignage, 6+6 a
O Seigneur ! j’aurais cru devant votre visage, 6+6 a
5 Même au sépulcre, et pâle, et sans l’éclair sacré 6+6 a
Que les Douze y voyaient, mais tel qu’il s’est montré, 6+6 a
Vers le Tibre ou le Rhin, à nos pieux ancêtres, 6+6 a
Tel que sur un fond d’or nous l’ont peint les vieux maîtres ! 6+6 a
Ah ! qui n’adorerait ton front plein de grandeur, 6+6 a
10 D’où rayonne l’amour plus fort que la douleur ! 6+6 a
Soit qu’on t’ait vu portant la couronne d’épines, 6+6 a
Ou parlant aux petits sur les choses divines, 6+6 a
Ou dans l’humble festin, par Marie embaumé, 6+6 a
Pressant contre ton cœur l’Apôtre bien-aimé ! 6+6 a
15 Comme j’aurais voulu t’adoucir ton Calvaire ! 6+6 a
Porter un peu ta croix et t’offrir le suaire, 6+6 a
Entre la Véronique et le Cyrénéen ; 6+6 a
Étendre mon manteau sur ton rude chemin ; 6+6 a
Te garantir des coups et des clameurs infâmes, 6+6 a
20 Et pleurer sur tes mains avec les saintes femmes ! 6+6 a
Car, tu fus calme et bon ; car, sur ton front divin, 6+6 a
La colombe du ciel ne plana pas en vain. 6+6 a
Car, ô roi plein de grâce et de mansuétude, 6+6 a
L’homme a mis dans sa loi tout ce qu’il a de rude ; 6+6 a
25 Et, sur les malheureux qu’il s’applique à punir, 6+6 a
Tu n’étendis jamais les bras que pour bénir. 6+6 a
Tu voyais le péché troubler la race humaine, 6+6 a
Et tu vécus trente ans sans colère et sans haine ! 6+6 a
Et moi je lis ces mots dans ton calice amer : 6+6 a
30 Le mal est une goutte et l’amour une mer. 6+6 a
Sois béni de tous ceux qu’on maudit, qu’on délaisse ! 6+6 a
Jamais un mot de toi n’effraya la faiblesse, 6+6 a
Jamais, sans t’attirer vers son lit de douleur, 6+6 a
Lépreux d’âme ou de corps ne te cria : Seigneur ! 6+6 a
35 Ta main fermait sa plaie et touchait sa souillure, 6+6 a
Sans craindre les regards ni cesser d’être pure. 6+6 a
Ah ! c’est que de ton cœur, comme de son milieu, 6+6 a
Coulait la charité, ce baptême de feu ! 6+6 a
Tu donnas l’Évangile à la Samaritaine 6+6 a
40 Pour une goutte d’eau puisée à sa fontaine. 6+6 a
La courtisane même eut grâce devant toi ; 6+6 a
L’adultère s’y mit à l’abri de ta loi ; 6+6 a
Ton esprit prévalut sur la lettre homicide, 6+6 a
Et tu ravis sa proie au docteur qui lapide. 6+6 a
45 Tu bénis tes bourreaux, au moment d’expirer ; 6+6 a
Penché sur le larron, tu lui dis d’espérer ; 6+6 a
Un regard triste et doux fut le seul anathème 6+6 a
Que tu voulus, Seigneur, lancer sur Judas même ! 6+6 a
Une fois, une seule, — ô Jésus, ô bonté, 6+6 a
50 O front orné de paix et de sérénité, 6+6 a
O cœur qui par l’amour répondait à l’injure !... — 6+6 a
La colère atteignit ta divine nature ; 6+6 a
Ta face resplendit d’une sainte rougeur, 6+6 a
Et ta droite, ô Jésus, s’arma du fouet vengeur ! 6+6 a
55 C’est le jour qu’inondant la maison de ton père, 6+6 a
L’impur négoce avait détrôné la prière. 6+6 a
Au milieu des troupeaux de bœufs et de brebis, 6+6 a
Les tables des changeurs souillaient les saints parvis ; 6+6 a
Les vils marchands, aux voix aigres et discordantes, 6+6 a
60 Discutaient avec bruit les achats et les ventes. 6+6 a
Tu vins ; et, furieux des autels profanés, 6+6 a
Tu frappas à grands coups sur ces hommes damnés ; 6+6 a
Ta voix tonna contre eux, précipitant leur fuite, 6+6 a
Et la maison de Dieu fut rendue au Lévite. 6+6 a
II
65 O poète ! sois calme et beau par la douceur ; 6+6 a
Qu’elle éclaire ton front et siège dans ton cœur ! 6+6 a
Sois comme le grand chêne au feuillage sonore, 6+6 a
Où mille voix d’oiseaux s’éveillent à l’aurore, 6+6 a
Et qui chante à la brise, et qui porte en son flanc 6+6 a
70 Un miel pur et secret goutte à goutte coulant. 6+6 a
Que la haine jamais, que jamais l’amertume 6+6 a
N’enveniment tes flots de leur sanglante écume. 6+6 a
Au sarcasme jamais n’ouvre ta bouche d’or ; 6+6 a
Qu’en tes vers, blonde gerbe où nul serpent ne dort, 6+6 a
75 La tendre sympathie, ou visible, ou voilée, 6+6 a
Comme une fleur du ciel soit toujours recelée. 6+6 a
Que ta parole enfin, pour qu’on y croie un jour, 6+6 a
Vive par l’harmonie, et surtout par l’amour. 6+6 a
Va, fécond par le cœur, va, comme la nature ; 6+6 a
80 Donne un peu de ton être à toute créature ; 6+6 a
Relève les épis et les roseaux courbés ; 6+6 a
A l’ombre du buisson remets les nids tombés ; 6+6 a
Aide à vivre à tous ceux à qui la vie est bonne, 6+6 a
Verse en eux ce trop-plein que le Seigneur te donne. 6+6 a
85 Si quelque chose en toi s’agite incessamment, 6+6 a
C’est que Dieu t’a créé pour aimer vaillamment. 6+6 a
Aime donc, aime donc, c’est là ta sainte tâche ! 6+6 a
Monte sur la montagne et bénis sans relâche, 6+6 a
Bénis, de ce trépied où le cœur s’agrandit, 6+6 a
90 Et la terre qui chante, et l’homme qui maudit ! 6+6 a
Ah ! quel que soit le vent qui tourmente la plage, 6+6 a
Qu’il passe sur tes flots sans soulever d’orage. 6+6 a
Que jamais souffle humain, pacifique océan, 6+6 a
Ne trouble, pour un jour, ton repos de géant, 6+6 a
95 Et ne puisse ternir, dans le bleu de ton onde, 6+6 a
L’image de l’esprit qui flotte sur le monde ! 6+6 a
Que jamais ton front calme, où Dieu doit résider, 6+6 a
D’un vulgaire courroux ne daigne se rider ! 6+6 a
Reste, au fort de l’outrage, absorbé dans tes cultes ; 6+6 a
100 Ta lyre a plus de chants que l’homme n’a d’insultes. 6+6 a
Chante, et laisse tomber, sans honte et sans effroi, 6+6 a
Les flèches du méchant, s’il ne vise qu’à toi. 6+6 a
Quand tu ne sauras plus où reposer ta tête, 6+6 a
Bénis encor Sion qui chassa le prophète ; 6+6 a
105 Pardonne sur la croix au Juif lâche et moqueur, 6+6 a
Et meurs sans que la haine ait effleuré ton cœur. 6+6 a
Va ! quand le monde impur te flagelle et te foule, 6+6 a
Tu n’es pas sans amis cachés dans cette foule ; 6+6 a
Cherche leurs yeux en pleurs à travers les soldats, 6+6 a
110 Songe à ta mère, à Jean, pour oublier Judas ! 6+6 a
Cependant, ô poète, ô foudre qui sommeille, 6+6 a
Il vient parfois une heure où Dieu même t’éveille, 6+6 a
Où l’anathème en feu gronde à travers tes chants, 6+6 a
Devant le Saint des saints souillé par les marchands ! 6+6 a
III
115 L’anathème du Christ pèse encor sur vos têtes, 6+6 a
Hommes sans âme, impurs vendeurs ! 8 b
Dieu vous chasse ; rentrez, sous le fouet des prophètes, 6+6 a
Dans vos cavernes de voleurs. 8 b
Au nom du temple en deuil, de ses splendeurs ternies, 6+6 a
120 De tous les cultes profanés, 8 b
Au nom de l’amour même et des choses bénies, 6+6 a
Soyez maudits, soyez damnés ! 8 b
L’abomination remplit la maison sainte ; 6+6 a
Et l’avarice ose s’asseoir 8 b
125 Jusqu’aux pieds de l’autel, pour trafiquer sans crainte 6+6 a
De la lyre et de l’encensoir. 8 b
Le temple est un marché plein d’ignobles boutiques, 6+6 a
Avec des crieurs au portail ; 8 b
Autour des bancs de cèdre et des piliers antiques, 6+6 a
130 Rumine et beugle un vil bétail. 8 b
Du lieu pur et voi la banque a chassé l’arche, 6+6 a
Dont les quatre anges sont vaincus, 8 b
Et l’avide changeur y trône en patriarche, 6+6 a
Faisant briller ses faux écus. 8 b
135 L’or des sept chandeliers sert à dorer le cuivre ; 6+6 a
Les vases sculptés sont dissous ; 8 b
La grande mer d’airain où se vautre un peuple ivre, 6+6 a
Attend qu’on la fonde en gros sous ! 8 b
Tout se toise ou se pèse ; il n’est chose éthérée, 6+6 a
140 Rien de si noble et de si grand, 8 b
Dont l’homme d’aujourd’hui ne fasse une denrée, 6+6 a
Qui se délivre au plus offrant. 8 b
La gloire, le pouvoir, l’honneur sont aux enchères, 6+6 a
Les rois vendent la royauté, 8 b
145 Les nobles leurs blasons, les soldats leurs bannières, 6+6 a
Les nations leur liberté. 8 b
Au démon de l’argent on signe un pacte à vie ; 6+6 a
On met son âme pour enjeu. 8 b
La femme vend son cœur, l’artiste son génie ; 6+6 a
150 L’homme a vendu jusqu’à son Dieu. 8 b
Le sceptre est monnayé ; nos seigneurs portent l’aune, 6+6 a
Tyrans plus vils et plus méchants ; 8 b
La bêtise opulente accapare le trône, 6+6 a
Les rois ont fait place aux marchands ! 8 b
155 Le peuple aux usuriers a, pour quelque centimes, 6+6 a
Cédé l’héritage des rois ; 8 b
Et quand il n’a plus faim, sans désirs plus sublimes, 6+6 a
Il dort tranquille sur ses droits ! 8 b
Et les vendeurs sont là ; palais, chaires, portiques, 6+6 a
160 Temples sont par eux envahis. 8 b
Ils rognent à leur gré les contrats politiques 6+6 a
Et les frontières des pays ; 8 b
En deniers, sous leurs doigts, tout se métamorphose : 6+6 a
Art, prière, amour, équité ; 8 b
165 Ils trafiquent du mot et détruisent la chose ; 6+6 a
Le mensonge est leur vérité ! 8 b
Ô toi, parole ! ô voix, qui féconde et qui crée, 6+6 a
Parole, ô don terrible et grand, 8 b
Part de l’âme divine à l’homme conférée, 6+6 a
170 Parole, un des noms que Dieu prend ! 8 b
Ô parole, ô puissance, ô forme diaphane 6+6 a
De tout ce que l’œil ne voit pas, 8 b
Ô verbe, ô poésie, en ce siècle profane, 6+6 a
Combien n’as-tu pas de Judas ? 8 b
175 Les hommes d’à présent ne se font tes apôtres 6+6 a
Que pour te vendre à meilleur prix ; 8 b
Et nos pharisiens, à l’exemple des autres, 6+6 a
Te poursuivent de leur mépris ; 8 b
Ton sanctuaire est plein de vendeurs, de faux prêtres, 6+6 a
180 Scribes, trafiquants éhontés, 8 b
Chiens qu’on voit aboyer au signe de leurs maîtres, 6+6 a
Contre les saintes vérités ; 8 b
Là se vend le sophisme, à la page, au volume ; 6+6 a
Là tout vil mensonge a son taux ; 8 b
185 Là se dresse l’échoppe, où le valet de plume 6+6 a
Exploite l’ignoble et le faux ; 8 b
Là se cote le prix des pamphlets, des harangues ; 6+6 a
Se règle la part de chacun ; 8 b
Là se tresse le fil qui fait mouvoir les langues 6+6 a
190 Du courtisan et du tribun. 8 b
Là, sous l’œil des chalands, le docteur qu’on délaisse 6+6 a
Met la science en écriteaux, 8 b
Il a des vérités pour la hausse et la baisse, 6+6 a
Il parade sur des tréteaux ! 8 b
195 Vérité, vérité, prêtresse au front pudique ! 6+6 a
Rois et peuples, grands et petits, 8 b
Chacun cherche à voler un pan de là tunique 6+6 a
Pour le vendre ensuite aux partis ; 8 b
Sur son corps ténébreux chaque histrion le roule 6+6 a
200 En s’offrant aux marchés rivaux ; 8 b
Le riche paye avec ses écus, et la foule 6+6 a
Avec ses stupides bravos ! 8 b
Le poëte, — oh ! pleurez, vierges des chœurs antiques, 6+6 a
Le poëte, l’homme inspiré, 8 b
205 Qui marchait devant vous, dans les fêtes publiques, 6+6 a
Le front ceint du rameau sacré ; 8 b
Qui chantait noblement, sur le luth de Phrygie, 6+6 a
Les chastes amours et les dieux, — 8 b
Le poëte aujourd’hui se loue à tant l’orgie, 6+6 a
210 Pour amuser les mauvais lieux ; 8 b
Tout rôle bien pa pour lui devient commode, 6+6 a
Il est tribun, ou bateleur ; 8 b
Il exploite, selon le caprice et la mode, 6+6 a
Ou l’ironie ou la douleur. 8 b
215 L’art, c’est l’argent ! Seul Dieu, seul idéal des âmes ; 6+6 a
L’argent qui fait l’homme de bien ; 8 b
Qui soumet au banquier les princes et les femmes ; 6+6 a
Qui donne rang de citoyen ! 8 b
On en veut ! Car il faut, aux penseurs, aux poëtes, 6+6 a
220 Festins, salons, coursiers de choix ; 8 b
Car il faut fréquenter et vaincre par ses fêtes, 6+6 a
Les banqueroutiers et les rois ! 8 b
Car il faut oublier, dans les plaisirs profanes, 6+6 a
L’amour trahi, le ciel perdu, 8 b
225 Et payer lès bouffons, les vins, les courtisanes 6+6 a
Avec le prix de Dieu vendu ! 8 b
Vieux artistes du temple, hommes ravis en gloire, 6+6 a
Qui, jadis pauvres et cachés, 8 b
N’aviez d’autre souci que travailler et croire, 6+6 a
230 Trente ans sur une œuvre penchés ! 8 b
Maîtres, maudissez-nous ! on pille sans mystère 6+6 a
Les vases, les trépieds, l’autel, 8 b
Et l’on met à l’encan les voix du sanctuaire, 6+6 a
Et le Kinnor, et le Nebel ! 8 b
235 On dresse sur l’étal la chair des hécatombes ; 6+6 a
L’arche est ouverte sans remords ; 8 b
On y vole la manne, on fouille dans les tombes 6+6 a
Pour exploiter les os des morts ! 8 b
On arrache l’ivoire et l’or pur de la lyre, 6+6 a
240 Et l’on jette le reste au feu ! 8 b
O temple, qu’a-t-on fait de tes blocs de porphyre 6+6 a
D’où l’on gratte le nom de Dieu ? 8 b
On t’a prostitué ! L’esprit d’en haut le quitte, 6+6 a
Le lucre est l’idéal nouveau ; 8 b
245 A peine, en ce moment, quelque rare lévite 6+6 a
Offre un culte pur au vrai beau ! 8 b
O honte !... oh ! prends le fouet, frappe, écrase l’impie, 6+6 a
Brise à grands coups son crâne épais, 8 b
Ton courroux fait ta gloire, et Dieu le sanctifie, 6+6 a
250 Homme d’amour, homme de paix ! 8 b
Ah ! trafiquants maudits, prêtres de l’avarice, 6+6 a
Dont l’âme est un coffre béant : 8 b
Que vos vœux exaucés fassent votre supplice. 6+6 a
Vivez avec l’or et l’argent ! 8 b
255 Que Dieu vous paye en or ce qu’il doit à chaque être 6+6 a
Des moissons de sa charité ; 8 b
La part qui vous revient dans le droit de connaître 6+6 a
Et d’aspirer à sa beauté ! 8 b
Qu’entre vous et le ciel un monceau d’or se dresse 6+6 a
260 Vous cachant le seul vrai trésor ; 8 b
Pour votre lot d’amour, d’amitié, de sagesse, 6+6 a
Ayez de l’or, rien que de l’or ; 8 b
Qu’il soit votre penser, dans les bois, sur les grèves ; 6+6 a
Votre entretien avec la nuit ; 8 b
265 Que son œil fauve et louche éclaire seul vos rêves- 6+6 a
Ayez pour musique son bruit ! 8 b
Que l’or vous tienne lieu des baisers de vos mères 6+6 a
Et des sourires paternels, 8 b
De tous les biens sans nom qui vous semblent chimères 6+6 a
270 Et qui sont les seuls biens réels ! 8 b
Que l’or jette sans cesse à votre lèvre ardente 6+6 a
Son embrasement glacial ; 8 b
Quand vos bras s’ouvriront tendus vers une amante, 6+6 a
Étreignez des flancs de métal ; 8 b
275 Ne trouvez pour vos soifs que des sources étranges 6+6 a
Où l’or bouillonne à flots ardents, 8 b
Que les fruits de la terre et le froment des anges 6+6 a
Soient changés en or sous vos dents ! 8 b
L’anathème du Christ pèse encor sur vos têtes, 6+6 a
280 Hommes sans âme, impurs vendeurs ! 8 b
Dieu vous chasse, rentrez, sous le fouet des prophètes, 6+6 a
Dans vos cavernes de voleurs, 8 b
Au nom du temple en deuil de ses splendeurs ternies, 6+6 a
De tous les cultes profanés, 8 b
285 Au nom de l’amour même et des choses bénies, 6+6 a
Soyez maudits, soyez damnés ! 8 b
IV
Ah ! même en servant Dieu, que la colère est rude ! 6+6 a
Ah ! qu’elle laisse au cœur de sombre lassitude ; 6+6 a
Qu’il est dur de mêler l’anathème à ses chants, 6+6 a
290 Et qu’on souffre à frapper, même sur les méchants ! 6+6 a
Ah ! malheur au mortel investi de la lyre, 6+6 a
S’il la garde montée au ton de la satire, 6+6 a
S’il lance l’ironie et le mépris par choix, 6+6 a
S’il s’arme enfin du fouet plus d’une seule fois ! 6+6 a
295 Sois doux et patient, même à l’heure où nous sommes ; 6+6 a
Demande à Pieu pardon d’avoir maudit les hommes ; 6+6 a
Pour frapper sans pécher il faut pouvoir guérir ; 6+6 a
Il faut, comme Jésus, aimer jusqu’à mourir. 6+6 a
Cherche, ô poëte ! cherche une douce fontaine 6+6 a
300 Pour t’y purifier de cet instant de haine ; 6+6 a
Reviens aux champs, aux flots, sous les fleurs endormis, 6+6 a
Aux oiseaux du désert qui sont tous tes amis ; 6+6 a
Aux forêts des vieux jours qu’effleure un vent paisible, 6+6 a
Où ton oreille s’ouvre aux voix de l’invisible ; 6+6 a
305 A la grande nature, à cette mer sans fond 6+6 a
Où ce fiel d’un instant s’abîme et se confond ; 6+6 a
Au berceau de l’amour qui lie entre eux les êtres ; 6+6 a
A toute chose où Dieu se manifeste ; — aux maîtres 6+6 a
Dont le doigt t’a montré le chemin du vrai beau ; 6+6 a
310 A l’art pur et serein qui crée un ciel nouveau. 6+6 a
Pour que l’on boive une heure à ton vase d’argile, 6+6 a
Puise aux flots qu’épanchaient Euripide et Virgile ; 6+6 a
Erre autour de William, torrent au bord fleuri ; 6+6 a
Vois d’en bas s’éployer l’aile d’Alighieri ; 6+6 a
315 Vois les livres puissants du sculpteur et du peintre, 6+6 a
Les reliefs du fronton et les fresques du cintre, 6+6 a
Phidias, Raphaël dont Dieu guida les mains ; 6+6 a
Rêves de marbres grecs et de tableaux romains, 6+6 a
De beaux fronts amoureux, d’Héloïses pudiques, 6+6 a
320 Cœurs chrétiens qui battraient sous des formes antiques ! 6+6 a
Songe à ton œuvre aussi ; sculpte un vers trop confus ; 6+6 a
Émonde tes rameaux aux jets gris et touffus ; 6+6 a
Poursuis la couleur nette et la forme finie ; 6+6 a
Va dorer ta statue au soleil d’Ionie ; 6+6 a
325 Apprends des maîtres grecs les secrets du contour, 6+6 a
Sans fermer ton oreille aux maîtres de l’amour. 6+6 a
Fais ton livre émouvant, mais de style sévère, 6+6 a
Beau vase athénien, plein de fleurs du Calvaire ! 6+6 a
Viens, viens ; la Muse encore a des bois ignorés 6+6 a
330 Où l’on écoute et voit danser des chœurs sacrés ; 6+6 a
Où tu peux, à l’abri de toute haine impure, 6+6 a
Aimer l’homme dans l’art et Dieu dans la nature, 6+6 a
Voile, en passant, tes yeux pour ne pas voir le mal ; 6+6 a
Et quand vers tes pieds nus monte le flot fatal, 6+6 a
335 Quand ton cœur est gonflé d’émotions trop vives, 6+6 a
Va prier et pleurer au jardin des Olives ! 6+6 a
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