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LAP_5/LAP40
Victor de LAPRADE
POÈMES ÉVANGÉLIQUES
1852
LARMES SUR JÉRUSALEM
I
Semant sur son chemin l’esprit de charité, 6+6 a
Portant la vie aux morts, à tous la vérité, 6+6 a
Il s’arrache au désert qui l’aime et qui le fête, 6+6 b
Et va vers la cité mortelle à tout prophète. 6+6 b
5 En Betphagé, déjà, sous ces bois bien connus 6+6 a
Où l’ombre et le printemps sont d’hier revenus, 6+6 a
Il touche au sol où doit couler de sources vives 6+6 b
Son sang divin... Il est sur le mont des Olives. 6+6 b
Mais ce n’est pas encor, pour l’homme des douleurs, 6+6 a
10 Le jour, prévu pourtant, des sanglantes sueurs ; 6+6 a
Quand le cœur, défaillant sous le poids de l’épreuve, 6+6 b
Repousse le calice où Dieu veut qu’il s’abreuve ; 6+6 b
Jour qu’au bout de son œuvre, en s’immolant pour nous, 6+6 a
Chaque apôtre, ô Jésus, rencontre comme vous ; 6+6 a
15 Où l’homme qui calmait la faim des multitudes 6+6 b
Connaît le peuple, hélas ! à ses ingratitudes, 6+6 b
Et, jugé par Pilate, entend la foule en bas 6+6 a
Acclamer son supplice et choisir Barrabas. 6+6 a
C’est le jour du triomphe ; un ciel par le décore. 6+6 b
20 Et les feux du Thabor semblent y luire encore 6+6 b
Entouré des amis, des disciples nombreux, 6+6 a
Jésus passe ; et, de loin accourus, les Hébreux 6+6 a
Le suivent à l’envi ; leur allégresse immense 6+6 b
Éclate en ses transports ainsi qu’une démence. 6+6 b
25 Partout ce sont des chants et des cris éperdus, 6+6 a
Les manteaux, à ses pieds, sur la route, étendus, 6+6 a
Les bras levés au ciel, et, sur le saint cortège, 6+6 b
Mille fleurs du printemps pleuvant comme une neige, 6+6 b
Et la foule, partout, jusqu’au sein des hameaux, 6+6 a
30 Au cèdre, à l’olivier enlevant leurs rameaux. 6+6 a
Tant qu’on dirait, à voir ces rangs épais de branches 6+6 b
S’avancer et verdir au loin ces routes blanches, 6+6 b
Que les vieilles forêts, s’animant aujourd’hui, 6+6 a
Viennent le saluer et marchent devant lui. 6+6 a
35 Ainsi tout cœur le cherche et toute voix le nomme ; 6+6 b
Et la nature unit à ces transports de l’homme 6+6 b
L’hosanna du printemps en tous lieux exhalé. 6+6 a
Vêtu du simple habit que Marie a filé 6+6 a
L’humble triomphateur a, selon l’Écriture, 6+6 b
40 Désigné, pour ce jour, sa modeste monture, 6+6 b
L’ânon laborieux, serviteur de la paix, 6+6 a
Qui fend patiemment la foule aux flots épais. 6+6 a
Et Jésus, répandant ses regards doux et calmes, 6+6 b
Passait sur les manteaux d’écarlate et les palmes. 6+6 b
45 Un chœur miraculeux s’avance à ses côtés, 6+6 a
Les malades guéris, les morts ressuscités, 6+6 a
Sourds, aveugles, lépreux, et Lazare à leur tête, 6+6 b
Lazare sur la mort sa dernière conquête ; 6+6 b
Tous attestant son nom de Christ et de Sauveur ; 6+6 a
50 A sa gauche, plus près, l’apôtre au front rêveur, 6+6 a
Jean le maître des purs qui suit la voie étroite ; 6+6 b
Et Pierre armé du glaive et plus fier, à sa droite ; 6+6 b
Tous ces témoins futurs dont le sang doit parler, 6+6 a
Le troupeau qu’au bercail il a su rappeler, 6+6 a
55 Les pécheurs à sa voix sortis de leurs ruines, 6+6 b
Tout le cortège enfin de ses œuvres divines. 6+6 b
Des vertus de son Christ le peuple louait Dieu. 6+6 a
L’essaim des chants sacrés montait dans un ciel bleu, 6+6 a
Et ces mots dominaient au loin les cris de joie : 6+6 b
60 « Béni le roi d’amour et Dieu qui nous l’envoie ; 6+6 b
« Paix et gloire au Très-Haut ! » Et de toutes les mains 6+6 a
Les palmes et les fleurs pleuvaient sur les chemins. 6+6 a
Aux splendeurs de ce jour, à votre gloire humaine 6+6 b
Rien ne manque, ô Jésus, rien, pas même la haine ! 6+6 b
65 Car les pharisiens sont là ; leurs yeux jaloux 6+6 a
Sous la peau des brebis font deviner les loups. 6+6 a
Ces chants pour d’autres qu’eux ! cette marche royale, 6+6 b
Ces cris joyeux, ces fleurs, tout leur est un scandale. 6+6 b
Or, même en détestant le paisible vainqueur, 6+6 a
70 Ils le savaient si bien doux et simple de cœur, 6+6 a
Qu’ils viennent le priant, dans leur zèle hypocrite, 6+6 b
De blâmer ces transports, ces chants dont Dieu s’irrite. 6+6 b
Jésus n’exauça pas ce vœu de leur orgueil, 6+6 a
Et du peuple amoureux il accepta l’accueil. 6+6 a
75 Car, ce jour-là, c’était, il nous l’a dit lui-même, 6+6 b
Un de ces rares jours où tout parle, où tout aime, 6+6 b
Où Dieu se montre au monde avec tant de beauté, 6+6 a
Où luit d’un tel éclat l’esprit de vérité, 6+6 a
Que si l’homme fermait son cœur à la lumière, 6+6 b
80 Des voix pour l’acclamer sortiraient de la pierre. 6+6 b
Mais le peuple toujours chantant et louant Dieu, 6+6 a
Le groupe des élus et le Maître au milieu 6+6 a
Du mont des Oliviers avaient touché la cime ; 6+6 b
Et de là, tout à coup, un horizon sublime, 6+6 b
85 Jérusalem, ses tours, et, brillant au soleil, 6+6 a
Le temple aux frontons bleus rehaussés de vermeil, 6+6 a
Les maisons, à ses pieds, de blancheur éclatantes, 6+6 b
Dans l’ordre où le désert a vu l’arche et les tentes, 6+6 b
Jérusalem parut : et, de cris répétés, 6+6 a
90 Le peuple salua la reine des cités. 6+6 a
Jésus pleurait ! Lazare et l’amitié brisée 6+6 b
De sa première larme obtinrent la rosée. 6+6 b
Pour la seconde fois il pleurait... ou du moins 6+6 a
D’autres pleurs n’eurent pas les hommes pour témoins ! 6+6 a
95 Il pleurait ! l’avenir redoutable à connaître, 6+6 b
L’inflexible avenir lui venait d’apparaître. 6+6 b
A-t-il donc aperçu, pour s’abaisser aux pleurs, 6+6 a
Le Calvaire et la croix entre les deux voleurs, 6+6 a
Et le fiel débordant du vase expiatoire, 6+6 b
100 Et Pilate aux degrés de l’injuste prétoire, 6+6 b
Et la dérision du sceptre de roseau... 6+6 a
Tout ce chemin sanglant qui finit au tombeau ? 6+6 a
Dans sa gloire il pleurait ! d’où vient donc qu’il oublie 6+6 b
Et l’orgueil du triomphe et son œuvre accomplie ? 6+6 b
105 Maître, n’étiez-vous pas au solennel moment 6+6 a
Dont tout homme créé chérit l’enivrement ! 6+6 a
Alors qu’un peuple entier, vibrant de vos doctrines, 6+6 b
N’a qu’un seul cœur qui bat dans toutes les poitrines ; 6+6 b
A l’heure où de l’esprit le fidèle ouvrier 6+6 a
110 Peut au bout des six jours comme Dieu s’écrier ; 6+6 a
Où vous avez dû voir, plus heureux que Moïse, 6+6 b
La terre tout entière à vos autels promise ; 6+6 b
Où l’artiste sacré, s’il se compare aux rois, 6+6 a
Bénit Dieu de son lot, même y compris la croix ; 6+6 a
115 Où l’orgueilleux poëte, enflant sa voix fragile, 6+6 b
Attache le laurier à ses faux dieux d’argile, 6+6 b
Et, mesurant leur vie à ce qu’ils ont coûté, 6+6 a
Au verre a de l’airain promis l’éternité ! 6+6 a
Oui, vers vous s’élançait l’hosanna populaire, 6+6 b
120 Et ces intimes voix, mieux faites à vous plaire, 6+6 b
Les soupirs des pécheurs amoureux et contrits, 6+6 a
L’hymne des cœurs blessés que vous avez guéris. 6+6 a
Vous pleuriez cependant... mais non point sur vous-même ! 6+6 b
Non ! sous ces oliviers, lieu du combat suprême, 6+6 b
125 En face du Calvaire, ô Jésus, ô bonté ! 6+6 a
Vous pleuriez, non sur vous, mais sur votre cité, 6+6 a
Sur ce peuple déchu que l’étranger surmonte, 6+6 b
Et qui va de son joug connaître encor la honte. 6+6 b
« Sion, pourquoi l’orgueil a-t-il fermé tes yeux ? 6+6 a
130 « Aujourd’hui même encor, la foi de tes aïeux 6+6 a
« T’aurait dit d’où provient la seule paix durable ; 6+6 b
« Mais la nuit t’environne, ô cité déplorable ! 6+6 b
« Tes ennemis, déjà, marchent de toutes parts, 6+6 a
« De fossés et de murs ils cernent tes remparts ; 6+6 a
135 « Ils ne laisseront pas à tes tours une pierre ; 6+6 b
« Tes dômes, tes palais tomberont en poussière, 6+6 b
« Et toi-même, et tes fils... pour ton lâche abandon 6+6 a
« Du véritable esprit dont Dieu t’avait fait don ! » 6+6 a
C’est ainsi qu’oubliant la croix qui le menace, 6+6 b
140 Il donnait tous ses pleurs à sa ville, à sa race. 6+6 b
Il sait bien que ces murs lui gardent des bourreaux ; 6+6 a
Qu’un peuple déicide a mérité ses maux, 6+6 a
Et que, sur les débris de la cité rebelle, 6+6 b
Le Christ doit se bâtir une Sion plus belle 6+6 b
145 Où ses enseignements seront tous obéis... 6+6 a
Il a pleuré pourtant son peuple et son pays ! 6+6 a
Nouvel Adam en qui l’humanité se fonde, 6+6 b
Lui seul a droit au nom de citoyen du monde ; 6+6 b
Qu’importe où fut formé cet humble corps qu’il prit ! 6+6 a
150 Lui, fils de l’invisible, et né du seul Esprit, 6+6 a
Pourrait, hormis le ciel, habité par son Père, 6+6 b
Traiter toute cité d’impure et d’étrangère. 6+6 b
Il aima cependant, il aima jusqu’aux pleurs 6+6 a
La terrestre Sion, pays de ses douleurs. 6+6 a
155 Ah ! loin de l’abolir comme une idolâtrie, 6+6 b
Il sacra de ses pleurs l’amour de la patrie ! 6+6 b
C’est lui dont tout le sang ira remplir demain 6+6 a
La coupe universelle offerte au genre humain, 6+6 a
Et c’est lui qui pleurait à la seule pensée 6+6 b
160 De la cité natale en sa gloire offensée ; 6+6 b
A l’aspect de cet aigle, entouré de vautours, 6+6 a
Qui plane au loin et vient s’abattre sur ses tours, 6+6 a
De son peuple captif, qui va subir des maîtres... 6+6 b
De l’étranger foulant la terre des ancêtres ! 6+6 b
II
165 O toi, la voix de tous, faite pour tout bénir, 6+6 a
L’amour universel qui peut tout contenir, 6+6 a
Mélodieux esprit né de l’accord des hommes, 6+6 b
Qui rends commune à tous la chose que tu nommes, 6+6 b
Toi dont le cœur humain est la chère Sion, 6+6 a
170 Qui formes en cités le tigre, et le lion, 6+6 a
O poëte ! ô voyant des lois de l’harmonie, 6+6 b
Qui sens palpiter l’âme où notre orgueil la nie ; 6+6 b
Toi qui dis frère au chêne, et, compris bien souvent, 6+6 a
Ne tiens pour étranger aucun être vivant ; 6+6 a
175 Pacifique soldat qui pour Dieu seul milites... 6+6 b
Toi, tu n’as rien pourtant des cœurs cosmopolites ! 6+6 b
Tu l’aimes d’un amour jaloux et menaçant 6+6 a
Le pays trois fois saint qui t’a donné ton sang. 6+6 a
Haine au lâche rêveur qui, drapé dans sa robe, 6+6 b
180 S’abrite du vain nom de citoyen du globe ! 6+6 b
Qui ne voit, dans le sol du pays dévasté, 6+6 a
Qu’une place à bâtir l’utopique cité, 6+6 a
Et des dieux paternels raillant le culte austère, 6+6 b
Encense avec orgueil l’idole humanitaire ! 6+6 b
185 Haine à ce fils bâtard des prêtres du veau d’or ! 6+6 a
A ceux dont il est né, race plus vile encor, 6+6 a
Qui, d’autres mots pompeux couvrant une autre fange, 6+6 b
Pour patrie a tous lieux où l’on gagne, où l’on mange ! 6+6 b
Ah ! ceux-là, ces suppôts d’avarice ou d’orgueil, 6+6 a
190 N’ont point de rage au cœur et point de larme à l’œil 6+6 a
En songeant, — ô penser qui ronge tes entrailles ! — 6+6 b
Que l’étranger dans l’ombre enserre nos murailles ; 6+6 b
Heureux, en attendant, si leur coffre s’emplit, 6+6 a
Si de leur vain savoir l’oracle s’accomplit. 6+6 a
195 Or, tandis que leur peuple, infidèle à sa gloire, 6+6 b
Ivre des vils poisons qu’eux seuls lui firent boire, 6+6 b
Les imite et dérive à ses mauvais penchants, 6+6 a
Quoique ennemis entre eux, sophistes et marchands, 6+6 a
Ils offrent, de son mal tous auteurs ou complices, 6+6 b
200 Le fer à ses douleurs ou l’éloge à ses vices. 6+6 b
Toi donc pleure, ô poëte, et ravive, en ce jour, 6+6 a
Tes imprécations... toutes pleines d’amour ! 6+6 a
Qu’as-tu fait du Seigneur, peuple impie et frivole ? 6+6 b
Il t’avait confié son glaive et sa parole, 6+6 b
205 Son saint nom s’inscrivait par tes mains en tout lieu, 6+6 a
Tes œuvres se nommaient jadis l’œuvre de Dieu. 6+6 a
Qu’as-tu fait de ses dons, de son Verbe lui-même ? 6+6 b
Par tes lèvres l’esprit a soufflé le blasphème ; 6+6 b
Ta longue autorité sur toute nation 6+6 a
210 N’enseigna que le doute et la dérision. 6+6 a
Tes scribes, tes docteurs n’ont dressé ton génie 6+6 b
Qu’à lapider les saints et Dieu par l’ironie, 6+6 b
Qu’à tourner en poison le Verbe qui nourrit, 6+6 a
O honte ! et qu’à pousser la chair contre l’esprit. 6+6 a
215 Des sens et de l’orgueil la révolte insolente 6+6 b
A fait de toi sa voix sonore et turbulente ; 6+6 b
Prompt à donner l’exemple avec l’enseignement, 6+6 a
Oh ! tu t’es dans le mal comporté vaillamment ; 6+6 a
Ta langue, si rapide à franchir ta frontière, 6+6 b
220 A porté haut et loin l’hymne de la matière. 6+6 b
Tes pères, quand ton sang bouillait en eux trop fort, 6+6 a
Au cri de Dieu le veut, s’élançaient à la mort ! 6+6 a
Aujourd’hui, quand ton sol s’ébranle et que la foule 6+6 b
Disperse les débris d’un trône qui s’écroule, 6+6 b
225 Lorsque, pour infliger leur juste peine aux rois, 6+6 a
Tu sembles commencer les guerres de la croix ; 6+6 a
Quand tu sors, tel qu’un loup affamé sort d’un antre, 6+6 b
Un autre Dieu le guide, et ce Dieu, c’est le ventre ! 6+6 b
Pour rallumer ton feu prêt à s’évanouir, 6+6 a
230 Il n’est plus qu’un seul mot, ce mot impur : jouir ! 6+6 a
Ah ! le jour où viendraient les nations nouvelles 6+6 b
A ce libre festin à qui tu les appelles, 6+6 b
Loin d’imiter le Maître en ce banquet d’amour 6+6 a
Où chacun se fait pain et s’immole à son tour, 6+6 a
235 Votre fraternité, les mains de sang rougies, 6+6 b
Vous dévorerait tous en d’affreuses orgies ! 6+6 b
Oui ! tu n’as fait la guerre aux grands de la cité 6+6 a
Qu’afin de conquérir leur molle oisiveté ; 6+6 a
Tu renverses leurs lois et tu retiens leurs vices. 6+6 b
240 Eux t’accusent : leur haine est dans ses injustices 6+6 b
Lâche et folle ; après tout, tu fais ce qu’ils ont fait : 6+6 a
Ils ont semé la cause, ils récoltent l’effet. 6+6 a
Ils t’ont dit que pour l’homme ici-bas tout s’achève : 6+6 b
Qu’y bien jouir est tout, que le ciel n’est qu’un rêve ; 6+6 b
245 Qu’il faut songer à soi, ne vivre que pour soi ; 6+6 a
Posant pour idéal, pour règle : enrichis-toi ! 6+6 a
Comme ton sang plus chaud, tes mains plus violentes 6+6 b
Ont trouvé leurs façons de s’enrichir trop lentes... 6+6 b
Qu’ils luttent, maintenant, pour garder leur trésor ! 6+6 a
250 Si l’or est Dieu, ton droit est de posséder l’or. 6+6 a
Si richesse et plaisir font tout notre héritage, 6+6 b
O peuple, tu fais bien d’en vouloir le partage, 6+6 b
Et d’appeler voleurs et de vouer au fer 6+6 a
Ceux qui sont mieux servis au banquet de la chair. 6+6 a
255 Oui, c’est là le souci, la fièvre où tu te ronges, 6+6 b
Qui des pâles enfants trouble déjà les songes : 6+6 b
Prendre ou garder cet or pour l’employer au mal, 6+6 a
Mieux boire et mieux manger, voilà ton idéal ! 6+6 a
Ah ! ta race, autrefois, dans des combats sans trêve, 6+6 b
260 Du royaume de Dieu poursuivait le saint rêve, 6+6 b
Cherchant d’abord l’honneur, la vérité, le droit, 6+6 a
Et sachant que le reste est donné par surcroît. 6+6 a
Mais toi, tu prends pour dieu les richesses vulgaires ; 6+6 b
C’est là l’unique but de ta paix, de tes guerres. 6+6 b
265 Eh bien ! même cet or, ces splendeurs d’ici-bas, 6+6 a
Si tu n’acquiers pas Dieu, tu ne les auras pas ! 6+6 a
Non, tu n’obtiendras pas même ces biens immondes, 6+6 b
Seul espoir, seul ciment des cités que tu fondes ; 6+6 b
Ici de tes docteurs la science te ment. 6+6 a
270 En Dieu seul la richesse a son commencement. 6+6 a
Ce n’est qu’en cherchant Dieu, d’une foi vive et ferme, 6+6 b
Qu’on fait sortir le pain du sillon qui l’enferme ; 6+6 b
Notre appétit n’est pas la règle qu’il nous faut : 6+6 a
Le bonheur de ce monde a son secret plus haut. 6+6 a
275 Ah ! ne rêve donc plus, d’après tes faux prophètes, 6+6 b
Une paix éternelle et d’éternelles fêtes ! 6+6 b
En vain, pour s’affranchir des combats incessants 6+6 a
Que doit livrer l’esprit aux révoltes des sens, 6+6 a
Ils ont imaginé, dans leur sagesse infâme, 6+6 b
280 De mettre en nous la paix en abolissant l’âme ! 6+6 b
Non ! la lutte ici-bas est le moyen fatal 6+6 a
Par où l’homme tombé se relève du mal. 6+6 a
Malheur, ô conscience, ô nation trompée, 6+6 b
Sitôt que vous quittez l’aiguillon et l’épée ! 6+6 b
285 Ils aiment, dans la paix que prêchent leurs désirs, 6+6 a
Non l’accord fraternel, mais les impurs loisirs, 6+6 a
Toutes les fleurs du ciel qu’en sa robe elle apporte ; 6+6 b
Les doctes vérités, les arts, que leur importe ! 6+6 b
La paix pour mieux jouir, pour s’enivrer encor, 6+6 a
290 Pour manger, pour danser autour de leur veau d’or ! 6+6 a
Mais, désarmé du glaive et de Dieu qu’on insulte, 6+6 b
Tu seras impuissant même à ce nouveau culte ; 6+6 b
Pas de fer au côté, pas de couronne au front ! 6+6 a
Des foudres du Seigneur d’autres hériteront. 6+6 a
295 J’entends, — pâles rêveurs, scribes, marchands, avares, — 6+6 b
Hennir à l’horizon les chevaux des barbares ! 6+6 b
O peuple, et contre toi tournant tes propres mains, 6+6 a
Je te vois leur frayer de faciles chemins. 6+6 a
Ils viendront ! tu n’auras, ô ville condamnée, 6+6 b
300 Pas même les honneurs d’une mort acharnée ; 6+6 b
Si quelque noble sang coule alors de ton sein, 6+6 a
C’est que tu dresseras l’échafaud assassin. 6+6 a
Ils viendront ! pour ouvrir à leurs sombres cohortes 6+6 b
La discorde et la peur ébranleront tes portes. 6+6 b
305 Alors l’impur sophisme, auteur de tous tes maux, 6+6 a
Pour te masquer ta honte aura quelques grands mots ! 6+6 a
C’est la paix, le travail, l’ordre qu’on te ramène, 6+6 b
Et la sainte unité de la famille humaine, 6+6 b
Et, cédant au progrès, à tes arts plus exquis, 6+6 a
310 Tes sauvages vainqueurs par toi-même conquis... 6+6 a
O des peuples vieillis exécrables doctrines 6+6 b
Dont germa le venin en de lâches poitrines, 6+6 b
Armes du vil sophiste à qui pèse le fer, 6+6 a
Je vous hais à l’égal des portes de l’enfer ! 6+6 a
315 Tu sauras à quel prix, aux temps de décadence, 6+6 b
D’héroïques vertus un peuple se dispense ; 6+6 b
Ce qu’il gagne en sagesse à voir chez lui raillés 6+6 a
Le cœur et le blason des aïeux chevaliers. 6+6 a
Ah ! malheur aux cités, quand’la race amollie 6+6 b
320 Du glaive et de la croix perd la sainte folie, 6+6 b
Et tient qu’il est, pour nous, sur la foi d’un rêveur, 6+6 a
Des droits et des devoirs plus sacrés que l’honneur ! 6+6 a
Tu sauras s’il est bon de penser que la terre 6+6 b
Doit être un paradis, ou reste un champ de guerre ; 6+6 b
325 Si le joug étranger, de phrases revêtu, 6+6 a
Est plus doux que celui de l’antique vertu... 6+6 a
Le jour où le barbare, en sa froide insolence, 6+6 b
Alignera tes fils au bâton de sa lance. 6+6 b
Ah ! jusque dans la nuit de l’éternel repos, 6+6 a
330 L’opprobre d’un tel jour réveillera mes os ! 6+6 a
Vers le sol des aïeux se creusant une route, 6+6 b
Mon crâne du tombeau battra l’épaisse voûte ; 6+6 b
Je voudrai, de mon peuple espérant un remord, 6+6 a
Trouver chez lui l’honneur d’une seconde mort. 6+6 a
335 Mais puissé-je, en l’horreur dont ce jour nous menace, 6+6 b
Au combat des vivants avoir encor ma place ! 6+6 b
Peut-être est-il resté dans le profond des bois, 6+6 a
Quelques rameaux noueux des vieux chênes gaulois, 6+6 a
Et qui remplaceraient, s’animant de mon âme, 6+6 b
340 Le glaive abandonné dans quelque pacte infâme. 6+6 b
Peut-être, ô sol sacré, monts que j’ai tant chéris, 6+6 a
Vos rustiques enfants descendraient à mes cris, 6+6 a
Et votre vieux granit, jusque vers la frontière, 6+6 b
Roulerait sur mes pas en bataillons de pierre ! 6+6 b
345 Ou, si même l’honneur, si tout était perdu, 6+6 a
Mon faible corps, au moins, dans son sang étendu, 6+6 a
Retarderait pour toi l’heure, l’heure fatale ! 6+6 b
Du temps qu’il faut pour qu’un dernier soupir s’exhale. 6+6 b
III
Or, le jour ou Jésus, dans sa gloire attristé, 6+6 a
350 Versa du haut du mont ses pleurs sur la cité, 6+6 a
Il entra, précédant sa triomphale escorte ; 6+6 b
Et, sentant du Seigneur le zèle qui l’emporte, 6+6 b
Droit au lieu profané d’où naîtra le grand deuil, 6+6 a
Il va, dans son courroux, monte et franchit le seuil. 6+6 a
355 Causes des maux pleurés par ses yeux prophétiques, 6+6 b
Des hommes du saint temple encombraient les portiques 6+6 b
Jusqu’aux sept chandeliers, depuis la mer d’airain. 6+6 a
Ces hommes dont le lucre est le dieu souverain ! 6+6 a
Par eux le luxe impur, empoisonnant les villes, 6+6 b
360 Y détruit plus de sang que les guerres civiles ; 6+6 b
Du glaive des aïeux il détrempe l’acier, 6+6 a
Et soutire la sève au sillon nourricier. 6+6 a
Pour eux le noir sophiste en son antre médite 6+6 b
Le dieu nouveau fondu de l’or cosmopolite, 6+6 b
365 Et démontre, au profit de leur coffre qui croît, 6+6 a
L’amour de la patrie être un amour étroit. 6+6 a
Ah ! c’est là le trafic impardonnable, infâme, 6+6 b
Le trafic des poisons mêlés au pain de l’âme, 6+6 b
L’éloquence vénale aux lèvres des rhéteurs, 6+6 a
370 Ce Verbe impur, mortel au crédule acheteur, 6+6 a
Ce négoce éhonté du scribe à bout de rôles, 6+6 b
Jouant l’apostolat pour vendre ses paroles ! 6+6 b
Entre les vils marchands qui souillent le saint lieu, 6+6 a
C’est là le plus maudit de la Muse et de Dieu. 6+6 a
375 Oui, c’est bien notre mal, la lèpre qui nous ronge. 6+6 b
Le sophiste chez nous fait argent du mensonge ; 6+6 b
De tout hors du plaisir enseignant le mépris, 6+6 a
Il débite aux enfants le blasphème à tout prix. 6+6 a
Ces hommes, énervant les cités les plus fières, 6+6 b
380 Y préparent le lit des races étrangères. 6+6 b
O Maître, votre cœur le jugeait bien ainsi, 6+6 a
Quand Sion l’accabla d’un filial souci, 6+6 a
Puisqu’au milieu des pleurs donnés à ses ruines, 6+6 b
La colère, — une fois, — arma vos mains divines ; 6+6 b
385 Et clémente autour d’elle à tant d’autres méchants, 6+6 a
Frappa du fouet vengeur et chassa les marchands. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
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