Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LAP_5/LAP33
Victor de LAPRADE
POÈMES ÉVANGÉLIQUES
1852
LE PRÉCURSEUR
I
Les urnes, les trépieds,les flambeaux étincellent 6+6 a
Dans le festin d’Hérode,et les fleurs s’amoncellent. 6+6 a
Des hôtes accoudésles robes à longs plis 6+6 b
Jettent mille couleurssur la pourpre des lits. 6+6 b
5 Les échansons, levantà deux mains les amphores, 6+6 a
Versent les vins mielleux ;les blanches canéphores, 6+6 a
Dans les paniers tressésd’argent flexible et fin, 6+6 b
Offrent les blonds gâteauxétalés sur le lin. 6+6 b
Les disques sont chargésde mets savants et rares. 6+6 a
10 Sur les tables de jaspe,en figures bizarres 6+6 a
De fleurs et d’animauxque l’art a transformés, 6+6 b
L’ivoire et les métauxsemblent s’être animés. 6+6 b
L’encens fuit des trépiedsen vapeur tournoyante ; 6+6 a
Le nard, aux lampes d’or,brûle avec l’amiante. 6+6 a
15 Le festin chante et rit,et mêle à tous moments 6+6 b
Le bruit des coupes d’orau son des instruments. 6+6 b
La lyre alterne avecles flûtes et les trompes. 6+6 a
Le roi veut aujourd’huimontrer toutes ses pompes ; 6+6 a
Au sortir de sa fête,il faut que mille voix 6+6 b
20 Le proclament heureuxet grand parmi les rois. 6+6 b
Car il gte à la foisle meurtre et l’adultère ; 6+6 a
La belle Hérodiade,enlevée à son frère, 6+6 a
A su, d’un cœur uséréveillant les désirs, 6+6 b
Mêler ses cruautésd’incestueux plaisirs. 6+6 b
25 Grands et riches sont là,mendiant ses sourires, 6+6 a
Des rois les plus mauvaisministres cent fois pires, 6+6 a
Qui des vices du mtreont toujours fait leurs dieux. 6+6 b
Mais les bruits échappésde cet antre odieux 6+6 b
Attroupent à l’entourl’oisive multitude. 6+6 a
II
30 Or, loin des carrefoursqu’il hantait d’habitude, 6+6 a
Ce jour-là mendiait,aux portes du palais, 6+6 b
Vieux, d’ulcères rongé,Lazare. Les valets, 6+6 b
Arrogants et cruels,et dignes de leur mtre, 6+6 a
Le huaient, le battaientdès qu’il osait partre. 6+6 a
35 Il souffre de la faim ;il voudrait seulement 6+6 b
Avoir, pour toute aumôneet tout soulagement, 6+6 b
Les plus minces débris,les miettes de la table :. 6+6 a
Mais nul ne les lui donne,et sa voix lamentable 6+6 a
N’éveille sur ce seuilque l’insulte et les coups. 6+6 b
40 L’esclave armé du fouetle chasse avec courroux, 6+6 b
De l’aspect du lépreuxcraignant quelque souillure. 6+6 a
Mais les chiens s’approchaientet léchaient sa blessure, 6+6 a
O cœurs des mendiantsà l’outrage endurcis ! 6+6 b
Plus bas, sur l’escalier,le vieillard reste assis, 6+6 b
45 Impérieuse faim !et tenace, il bourdonne 6+6 a
De l’appel usitéle refrain monotone. 6+6 a
Des enfants vagabondscriant : Sus au lépreux ! 6+6 b
De boue et de clameursle harcelaient entre eux ; 6+6 b
Puis du bâton fuyaient,en riant, la menace. 6+6 a
50 Tout à coup, s’avançantà grands pas sur la place, 6+6 a
Un homme s’est montré ;sous sa saie en lambeaux, 6+6 b
Sous son poil noir, ses ossemblent percer sa peau^ 6+6 b
Montant vers le palais,il va franchir la dalle 6+6 a
gronde le vieux pauvre, sa lèpre s’étale ; 6+6 a
55 Mais Lazare, à l’aspectd’un nouveau mendiant 6+6 b
Plus jeune et plus hardi,s’irritait, lui criant : 6+6 b
« Retire-toi d’ici,misérable ! est-il juste 6+6 a
Qu’avec ces bras nerveux,encoreencor vert et robuste, 6+6 a
Un pareil fainéantdérobe ici la part 6+6 b
60 Qu’on donnerait peut-êtreà l’infirme, au vieillard ? » 6+6 b
Et les pierres volaientavec les cris lancées 6+6 a
Sur le noir étranger.
Et lui, de ses pensées 6+6 a
Distrait, parle, et, laissantà l’autre son erreur : 6+6 b
« Quel mal ici te fais-je ? tend cette fureur ? 6+6 b
65 Qu’ai-je dit ? ai-je ôtérien des mains de personne, 6+6 a
Ou t’aurais-je enviél’aumône qu’on te donne ? 6+6 a
Ce seuil, tu le sais bien,si dur aux suppliants, 6+6 b
Ne peut-il pas tenir,hélas ! deux mendiants ? 6+6 b
Tais-toi, renonce aux coups,à l’insulte farouche ; 6+6 a
70 Si je frappais, ce poingte briserait la bouche, 6+6 a
Et du festin j’aurais,pour moi seul les débris. » 6+6 b
Mais, redoublant alorsles pierres et les cris, 6+6 b
Le lépreux : « Écoutezce bavard ; sur mon âme, 6+6 a
De même, au coin du feu,grogne une vieille femme 6+6 a
75 Viens, et je fais pleuvoirtes dents sous ce bâton ; 6+6 b
Et je veux te traitercomme le porc glouton 6+6 b
Surpris à dévorerles blés semés pour l’homme, 6+6 a
Et qu’avec son épieule laboureur assomme. » 6+6 a
La foule du portiqueencombrait les degrés, 6+6 b
80 Passants, soldats, valets,par ces cris attirés ; 6+6 b
Et ceux-ci se penchaientau bord des balustrades, 6+6 a
Riaient, faisant de loinsigne à leurs camarades. 6+6 a
Ils excitaient Lazare,et c’était un concert 6+6 b
De rire et de clameurs.
Mais l’homme du désert 6+6 b
85 Darde un œil tout-puissantsous sa fauve crinière, 6+6 a
Se dresse, et rejetantson front large en arrière : 6+6 a
« Fils d’Israël, dit-il,ô peuple sans pitié, 6+6 b
Par le joug des gentilsjustement châtié ! 6+6 b
Si tu n’ouvres ton cœurà la miséricorde, 6+6 a
90 Comment espères-tuqu’un jour Dieu te l’accorde ? 6+6 a
Aussi vous bafouezet vous poussez aux coups, 6+6 b
Comme on pousse des chiens,deux hommes comme vous ! 6+6 b
Aux pauvres voilà doncl’aumône que vous faites ? 6+6 a
Durs, moqueurs, insolentspour vos frères, vous êtes 6+6 a
95 Toujours prêts à ramperdans l’adoration, 6+6 b
Quand passent le licteuret le centurion. 6+6 b
Bien dignes de servir,de trembler sous un homme, 6+6 a
De marcher enchnésvers Babylone ou Rome, 6+6 a
Vous qui ne servez plusle Seigneur, et riez 6+6 b
100 Des captifs qu’à son jougla misère a liés ! 6+6 b
Les chiens des carrefours,les brutes vous enseignent 6+6 a
La pitié, mais en vain !sur ces membres qui saignent, 6+6 a
Caressant aux lépreux,ils lèchent ; vous mordez ! 6+6 b
Je vous reconnais bien !c’est vous qui lapidez 6+6 b
105 Tout envoyé de Dieu,tout pasteur qui n’emploie 6+6 a
Ni glaive ni bâtonpour tracer votre voie, 6+6 a
Et qui cherche à semer,sous vos crânes épais, 6+6 b
Des germes inconnusde justice et de paix... 6+6 b
Il parle, et tout à coupune voix : « C’est lui-même, 6+6 a
110 Criait-elle, c’est Jeanqui donne le baptême ! » 6+6 a
Et la foule, déjàfrappée en l’écoutant, 6+6 b
Des rires au respectchangée en un instant, 6+6 b
Se presse et fait silence.Et lui reprend : « Mon frère ! » 6+6 a
— Vers Lazare tourné :— « Loin de nous la colère ; 6+6 a
115 L’humble bonté du cœurconvient aux malheureux : 6+6 b
Qui pourra les aimers’ils ne s’aiment entre eux ? 6+6 b
C’est pour les affligés,c’est pour nous qui le sommes 6+6 a
Que la sainte amitiéfut envoyée aux hommes ; 6+6 a
Les pauvres l’ont reçue ;elle aide à mieux souffrir 6+6 b
120 Ces lépreux éternelsqui ne peuvent guérir. 6+6 b
Pour votre frère en pleursdont la faim vous désole, 6+6 a
Si vous n’avez du pain,ayez une parole. 6+6 a
Un mot dit par le cœurfortifie et nourrit 6+6 b
L’âme du malheureuxque l’abandon aigrit. 6+6 b
125 Dieu transforme souventla larme secourable, 6+6 a
Qu’un pauvre a vu coulersur sa plaie incurable, 6+6 a
En un baume qui laveet guérit du passé 6+6 b
Le flanc qui le reçoitet l’œil qui l’a versé. 6+6 b
Que la paix entre voushabite donc sans cesse, 6+6 a
130 Mendiants dont le cœurest toute la richesse ; 6+6 a
Amassez sur la terreun tel trésor d’amour, 6+6 b
Que le méchant lui-mêmeen ait sa part un jour. 6+6 b
Le lépreux délaisséqui sait souffrir sans haine, 6+6 a
Voilà l’homme en qui Dieubénit la race humaine ; 6+6 a
135 C’est l’arche qu’il choisitpour s’asseoir parmi nous, 6+6 b
Le pur froment qu’en gerbeon lie à deux genoux, 6+6 b
Et que le mtre enfermeen ses célestes granges : 6+6 a
Le pauvre au cœur sans fielest plus grand que les anges. 6+6 a
Toi, Lazare, affamé,nu, maudit par les tiens, 6+6 b
140 Toi qui n’as jamais euque la pitié des chiens, 6+6 b
Dont le corps et le cœurne sont plus qu’une plaie, 6+6 a
Cesse un jour de haïr ;sois patient ; essaie 6+6 a
De pardonner, d’aimer ;apprends-nous ce devoir ; 6+6 b
Dieu compta tes douleurs,et peut-être, ce soir, 6+6 b
145 Des anges imprévus,te prenant sur leurs ailes, 6+6 a
Dans le sein d’Abraham, dorment les fidèles, 6+6 a
Blanc, vêtu de fin lin,un bandeau d’or au front, 6+6 b
Au festin nuptial,ami, t’emporteront. 6+6 b
Mais l’homme de céansqui se fait rendre un culte, 6+6 a
150 Et de ses longs banquetsjette à ta faim l’insulte, 6+6 a
Alors, étant scellédans sa tombe de fer, 6+6 b
Lèvera ses yeux lourdsdes ombres de l’enfer, 6+6 b
Et d’Ahraham, au loin,découvrant la lumière, 6+6 a
Et Lazare en son sein,fera cette prière : 6+6 a
155 Abraham, oh ! pitié !laisse approcher un peu 6+6 b
Lazare, et se penchersur ma couche de feu ; 6+6 b
Qu’il trempe au moins dans l’eauson doigt et qu’il en touche 6+6 a
Ma langue, ardent tisonqui me brûle la bouche ; 6+6 a
Car d’un supplice affreuxje souffre... — Mais la voix 6+6 b
160 D’Abraham : — Tu n’as eudans tes jours d’autrefois 6+6 b
Que joie et que plaisirs,Lazare que misères ; 6+6 a
Paye aujourd’hui le prixde tes biens éphémères ; 6+6 a
Lazare va jouirde son bonheur au ciel : 6+6 b
On l’achète en souffrant,mais il est éternel. — 6+6 b
165 Voilà ce que dirala justice ; et toi-même, 6+6 a
O lépreux ! invoquantnotre père suprême, 6+6 a
Tu voudras obtenirpour ce riche damné 6+6 b
Le don delà pitiéqu’il ne t’a pas donné ; 6+6 b
La prière du pauvreelle-même, ô Lazare ! 6+6 a
170 N’éteindra pas le feuqui doit ronger l’avare. 6+6 a
En vérité, celuiqui met son cœur dans l’or 6+6 b
L’enfouit à jamaisavec ce lourd trésor ; 6+6 b
Il ne peut plus montervers les divines sphères. 6+6 a
Et je dis : L’or et Dieusont deux mtres contraires, 6+6 a
175 Et par un trou d’aiguilleun câble entrerait mieux 6+6 b
Qu’un riche n’entrerapar la porte des cieux. » 6+6 b
Le peuple ému disait :« Parle encore, ô prophète ! » 6+6 a
Mais lui, sans plus l’entendreet sans tourner la tête, 6+6 a
Droit au seuil d’ l’orgieau loin a retenti 6+6 b
180 Monte, laissant Lazareen pleurs et converti ; 6+6 b
Et, bravant des valetsle groupe encore hostile, 6+6 a
Il franchit fièrementle royal péristyle. 6+6 a
III
Le festin redoublaitde joie et de splendeurs ; 6+6 b
Et déjà, de l’ivresseannonçant les ardeurs, 6+6 b
185 Le rire avait couvertde ses éclats sonores 6+6 a
Le son des coupes d’orse heurtant aux amphores. 6+6 a
Des flambeaux plus nombreuxs’allument, éclipsant 6+6 b
Les obliques rayonsdu soleil pâlissant. 6+6 b
Le métal des bassinset des disques s’embrase ; 6+6 a
190 Une étoile jaillitdu flanc de chaque vase ; 6+6 a
Et, complices des vins,les feux et les odeurs 6+6 b
Endorment la raisonsous les fronts ceints de fleurs. 6+6 b
Ce corps s’étend et pèseavec plus de mollesse 6+6 a
Sur l’ondoyant duvetdu coussin qui s’affaisse ; 6+6 a
195 Sur le marbre, empourprédu vin qui la remplit, 6+6 b
La coupe échappe aux doigtset roule au bord du lit. 6+6 b
C’est l’heure le nectar,qu’enfin la main repousse, 6+6 a
Suscite le désird’une ivresse plus douce. 6+6 a
Entre les gais proposet les folles chansons, 6+6 b
200 Un cœur plus gracieuxbannit les échansons. 6+6 b
De la reine ont parules plus belles suivantes, 6+6 a
A la lyre, à la danse,aux voluptés savantes ; 6+6 a
Elles entrent ; leurs yeux,leur langoureux maintien, 6+6 b
Attestent l’art impurd’un mtre ionien. 6+6 b
205 Une d’elles s’avanceau pied du lit d’ivoire 6+6 a
D’ sourit aux flatteursHérode dans sa gloire ; 6+6 a
Et, prêtant l’ornementdu luth et de la voix 6+6 b
Aux chants d’un vil rapsode,hôte gagé des rois, 6+6 b
Elle verse à l’amantl’éloge de l’amante, 6+6 a
210 Philtre plus enivrantque la coupe écumante : 6+6 a
« Ta bouche a le parfumdu raisin d’Engaddi ; 6+6 b
Tes yeux ont les ardeursde l’heure de midi : 6+6 b
Ceux des vierges, pour moi,sont froids comme l’aurore 6+6 a
Qui, sans fondre la neige,un moment la colore ; 6+6 a
215 Leur souffle est, sur ma couche,ainsi qu’un vent des eaux, 6+6 b
Sorti des nénufarsdormant sous les roseaux. 6+6 b
Toi, du brûlant Simountu me verses l’haleine ; 6+6 a
De flammes et d’encenston urne est toujours pleine. 6+6 a
Je préfère le vinqui cuve en ton cellier 6+6 b
220 Au fruit laiteux et vertde leur pâle amandier. 6+6 b
Plus mûre en ton verger,la pomme d’or plus ronde 6+6 a
De mielleuses saveurssous mes lèvres abonde ; 6+6 a
Ton rosier éclatantdes plus vives couleurs, 6+6 b
Cache un frais rejetonné sous ses larges fleurs. 6+6 b
225 Tes lèvres ont le mielet le dard des abeilles. 6+6 a
Ouvre-moi ton enclos,et qu’à pleines corbeilles, 6+6 a
Sur ton arbre, la fleurse mêle encore au fruit, 6+6 b
Je cueille avec transport...»
Mais sur le seuil un bruit, 6+6 b
Un pas ferme et tonnantrésonne, et dans la fête, 6+6 a
230 Orage inattendu,gronde le noir prophète. 6+6 a
L’œil en feu, « le front haut,il parle. Un morne effroi 6+6 b
Sur leur pourpre a clouéles convives du roi. 6+6 b
Il parle, et le frissonvole avec sa voix prompte ; 6+6 a
Il lance, à chaque mot,un geste qui les dompte, 6+6 a
235 Et, d’un murmure, entre euxpas un ne l’a bravé ; 6+6 b
Le luth seul vibre encortombé sur le pavé. 6+6 b
« Malheur à vous, dit-il,roi, grands, race funeste ! 6+6 a
Malheur à ce palais s’étale l’inceste ; 6+6 a
Qui s’allume, le soir,d’infernales splendeurs, 6+6 b
240 Et des parfums lascifssème au loin les odeurs ! 6+6 b
Qu’un homme vienne icicherchant justice, il trouve 6+6 a
La maison de Davidcomme un antre de louve, 6+6 a
passe, au bruit des chantset des rires impurs, 6+6 b
L’ivresse aux doigts souillésrampant le long des murs. 6+6 b
245 O roi ! pour l’annoncerses colères prochaines, 6+6 a
Dieu vient dans ma prisonde délier mes chnes. 6+6 a
Je t’avertis encor,ton étoile pâlit. 6+6 b
Chasse, avant de mourir,l’inceste de ton lit ; 6+6 b
Bannis les grands du monde,artisans de tes vices, 6+6 a
250 Qui conseillent tes raptspour en être complices, 6+6 a
Et pour avoir leur part,dans cet affreux festin, , 6+6 b
De l’or et de la chairdont vous faites butin. 6+6 b
Malheur à vous ! Pillantla veuve et le pupille, 6+6 a
Au champ qui vous revientvous en ajoutez mille ; 6+6 a
255 Chaque jour vous joignezun toit à votre toit, 6+6 b
Sur le sol d’Israëlvous êtes à l’étroit. 6+6 b
Croyez-vous, oubliantque les autres sont hommes, 6+6 a
Grands du monde, habiterseuls la terre nous sommes ? 6+6 a
Mais des fruits du démon,dont vous êtes repus, 6+6 b
260 Votre chair a mûriles germes corrompus. 6+6 b
J’entends déjà les verséclos dans vos entrailles, 6+6 a
Pour vous ronger longtempsavant vos funérailles ; 6+6 a
Je les vois, de vos frontslentement détachés, 6+6 b
Sourdre autour de vos yeuxpourris par les péchés, 6+6 b
265 Et votre affreux gosier,des dents sortant lui-même, 6+6 a
Vomir leurs noirs anneauxen un dernier blasphème. 6+6 a
« Malheur au peuple entier,quand du trône descend 6+6 b
Du vice couronnél’exemple tout-puissant ; 6+6 b
Quand la foule respire,à travers les scandales, 6+6 a
270 Les émanationsdes débauches royales ! 6+6 a
Pour avoir de tels roisporté le Joug en paix, 6+6 b
Tu seras châtié,peuple, de leurs forfaits. 6+6 b
Tu les hais : c’est, au fond,pour usurper leur place 6+6 a
Et pour les imiter ;mais tu manques d’audace : 6+6 a
275 Tu subis leur bâton,leurs dédains outrageux, 6+6 b
Peuple, et contre Dieu seulte montres courageux. 6+6 b
Mais ton heure est venue,et le Seigneur se lève ; 6+6 a
Il aiguise sa flèche,il est ceint de son glaive. 6+6 a
L’ongle de ses chevauxest d’un silex tranchant. 6+6 b
280 Devant lui, vers tes murs,son char pousse en marchant, 6+6 b
Comme un sommet qui crouleen entrnant les chênes, 6+6 a
Cent peuples engendrésdans les neiges lointaines ; 6+6 a
Ils raseront tes tours.Sur ton sol dévasté 6+6 b
Tu verras l’étrangerconstruire sa cité, 6+6 b
285 Et toi, peuple, enchnésur ton seuil en ruine, 6+6 a
Dans ton champ plein d’épissouffriras la famine, 6+6 a
Pour avoir adoréton ventre ; et tu mourras, 6+6 b
Rongeant ta propre chairsur chacun de tes bras. 6+6 b
Car l’Esprit du Seigneur,t’ayant trouvé rebelle, 6+6 a
290 Choisit pour se répandreune race nouvelle. » 6+6 a
Il dit. Princes du peupleet des soldats tremblaient 6+6 b
Et dans l’affreux réveilde l’ivresse, ils semblaient 6+6 b
Écouter dans le fondde leur propre poitrine 6+6 a
Une voix répétantla sentence divine. 6+6 a
295 D’une foudre invisibleon les dirait frappés ; 6+6 b
La pourpre se déchireentre leurs doigts crispés. 6+6 b
S’agitant tour à toursur ces faces livides, 6+6 a
L’étonnement, la haine,en tourmentent les rides ; 6+6 a
Puis, reprenant leurs senset l’instinct du flatteur, 6+6 b
300 Cherchant à ne pas voirle spectre accusateur, 6+6 b
Ils consultent les yeuxdu mtre, avec prière, 6+6 a
Comme pour s’abriterderrière sa colère. 6+6 a
Ainsi, quand le chasseur,dans le charnier du loup, 6+6 b
Fier, et l’épieu levé,se dresse tout à coup, 6+6 b
305 D’immondes louveteauxune troupe effarée, 6+6 a
Abandonnant la chairdont elle fait curée, 6+6 a
Se jette sous les flancsde la mère, attendant 6+6 b
Que la louve à l’œil rouge,aux reins arqués, grondant, 6+6 b
Bondisse, et qu’elle étreigneentre ses crocs d’ivoire 6+6 a
310 La gorge du chasseurtrop sûr de sa victoire. 6+6 a
Or, frissonnant lui-mêmeet glacé de stupeur, 6+6 b
— Car il sentait là Dieu,— mais recouvrant sa peur 6+6 b
Du fard de majesté,de calme et de justice 6+6 a
Dont le front des tyranspossède l’artifice, 6+6 a
315 Le roi de sa vengeancea suspendu le trait 6+6 b
Aiguisé dans son cœur.Un seul mot lancerait 6+6 b
Le glaive et des licteursla hache toujours prête 6+6 a
A saluer le princeen tranchant une tête. 6+6 a
Il n’ose encor frapper ;il sait qu’avec honneur 6+6 b
320 Le peuple accueillit Jeancomme élu du Seigneur ; 6+6 b
Qu’il est dans les tribusdes hommes forts, sans nombre, 6+6 a
Nourris de ses leçonset se comptant dans l’ombre ; 6+6 a
Il craint d’obscurs vengeurspar sa mort engendrés ; 6+6 b
Et croit voir, du palaisfranchissant les degrés, 6+6 b
325 Au lieu des vains remordsqu’une autre orgie emporte, 6+6 a
La révolte aux cent brasdéracinant sa porte. 6+6 a
S’armant d’une fiertéque sa pâleur dément, 6+6 b
Il parle avec orgueil,mais veut être clément : 6+6 b
« Suis-je roi ? d’un esclaveai-je enduré l’audace ? 6+6 a
330 La poudre de mes piedsme juge et me menace ! 6+6 a
Toi qui prétends parlerau nom de Dieu, sais-tu 6+6 b
Que de sa majestémon front est revêtu ? 6+6 b
Ce qu’est Dieu dans le ciel,le roi l’est sur la terre ; 6+6 a
Tu dois devant son ombreadorer et te taire. 6+6 a
335 Va, prophète menteur,souffler aux révoltés 6+6 b
Le vent tumultueuxdes folles nouveautés ! 6+6 b
Ton sang vil des festinsne doit troubler la joie, 6+6 a
Le bouc est au lionune trop lâche proie. 6+6 a
Mais il faut, pour la paixde l’État raffermi, 6+6 b
340 Que la nuit des cachots,qui t’avait revomi, 6+6 b
Étouffe enfin ta langue,et, dans ses ombres sourdes, 6+6 a
Courbe ton front rétifsous des chnes plus lourdes. » 6+6 a
Il fait signe ; à l’instantun ministre d’enfer 6+6 b
S’élance et saisit Jean,et du carcan de fer 6+6 b
345 Enroule au cou du saintla rigide couleuvre. 6+6 a
Mais l’homme du désertjusqu’au bout fait son œuvre ; 6+6 a
Sa voix tonne plus haut :« Malheur à qui m’entend, 6+6 b
Si, quand le Seigneur parle,il reste impénitent ! 6+6 b
J’ai crié pour l’esclaveet le roi ; voici l’heure ; 6+6 a
350 Préparez les sentiersdu mtre et sa demeure ; 6+6 a
Soyez purs ; il n’est pasde grandeur devant lui. 6+6 b
Revêts pour le combattre,ô roi, comme aujourd’hui, 6+6 b
La majesté de Dieu,vainement usurpée, 6+6 a
Qu’opposent tes pareilsà la foule trompée : 6+6 a
355 Sous ce bandeau sacréqui garantit ton front, 6+6 b
Toi, sans juge ici-bas,les vers te jugeront. 6+6 b
A leur morsure, alors,disputant tes chairs vives, 6+6 a
Étends ton sceptre d’orsur ces affreux convives ! 6+6 a
Pour moi, libre ou captif,de ce jour je me tais ; 6+6 b
360 Fais ici de mon corpsce que tu veux ; j’étais 6+6 b
La voix qui va devantpour annoncer le mtre ; 6+6 a
Celui qui doit venirest là qui va partre, 6+6 a
Mes yeux l’ont vu. Seigneur,maintenant à mes os, 6+6 b
Ma journée étant faite,accordez le repos ! » 6+6 b
365 Les soldats ont trnéle captif au cœur ferme 6+6 a
Hors de l’impure salle ;et sur lui se referme 6+6 a
Le cachot, noir sillon, dans l’ombre jeté, 6+6 b
A germé si souventle grain de vérité. 6+6 b
Et tandis que le saint,sur la pierre connue, 6+6 a
370 Prie à genoux, là-hautla fête continue ; 6+6 a
Ce festin éterneldu riche et du puissant, 6+6 b
Dont l’insolente odeurjusqu’au pauvre descend ; 6+6 b
La salle en est de fleurset de chants inondée, 6+6 a
Mais sur une prisonelle est toujours fondée. 6+6 a
IV
375 Une plus large coupeet des vins plus ardents, 6+6 b
Aux trépieds ravivésles parfums abondants, 6+6 b
Les chants, les ris, l’éclatdes trompettes de cuivre, 6+6 a
La nuit changée en jourdont la vapeur enivre, 6+6 a
Les bruits tourbillonnant,dans l’âme de chacun, 6+6 b
380 Ont fait taire l’échodu prophète importun. 6+6 b
Enfin, pour mieux chasserles visions moroses, 6+6 a
Au front des conviésrenouvelant les roses, 6+6 a
La danse aux pieds lascifsvient leur sourire, et mieux 6+6 b
Que l’ivresse du vinelle éblouit les yeux. 6+6 b
385 Cent beautés, par l’eunuquehabilement choisies 6+6 a
Pour réjouir des yeuxles folles fantaisies, 6+6 a
Esclaves de l’Euxinplus blanches que le lait, 6+6 b
Noires filles d’Afriqueet Grecques de Milet, 6+6 b
S’élancent par essaim,par couple ou dispersées, 6+6 a
390 Ou formant des réseauxde leurs mains enlacées. 6+6 a
Blanche aux yeux d’escarboucleet presque enfant encor, 6+6 b
Leur belle coryphéeaux épais cheveux d’or, 6+6 b
Fille d’Hérodiadeet par sa mère instruite, 6+6 a
Mais insensible encoreaux transports qu’elle imite, 6+6 a
395 Salomé vient offrir,en effleurant le sol, 6+6 b
Les charmes de sa danseou plutôt de son vol. 6+6 b
C’est d’abord, vive et gaie,un oiseau sur les branches ; 6+6 a
Bientôt un long frissonfait onduler ses hanches, 6+6 a
Et son corps de serpent,s’agitant par degré, 6+6 b
400 Se déploie ou se tordsous l’aiguillon sacré ; 6+6 b
Ses bras s’ouvrent, son dosse renverse et se cambre ; 6+6 a
La fièvre de ses yeuxfrémit dans chaque membre ; 6+6 a
Elle bondit, tournoie,et sa prunelle en feux 6+6 b
D’un éclair circulaireentoure ses cheveux. 6+6 b
405 Puis s’affaisse et languit,et. doucement penchée, 6+6 a
Sur un lit invisibleon la dirait couchée. 6+6 a
Réveillant tous les yeuxpar le vin engourdis, 6+6 b
La vierge, en souriant,subit leurs traits hardis ; 6+6 b
Le roi de longs regardsl’entoure avec ivresse, 6+6 a
410 Aspire de ce corpsl’ardeur ou la mollesse, 6+6 a
Et s’incline, et la suit,palpitant, éperdu ; 6+6 b
Car l’obscène serpentdans le cœur l’a mordu, 6+6 b
Et de ses sens éteintsrallume l’agonie. 6+6 a
Enfin, lorsqu’à ses pieds,la danse étant finie, 6+6 a
415 Vermeille et tout en feusous le lin transparent, 6+6 b
La danseuse, avec art,se plie en l’adorant : 6+6 b
« Enfant, dit-il, ta danseà nos yeux trouve grâce. 6+6 a
Forme un vœu, qu’à l’instantton roi le satisfasse. 6+6 a
Dans son royaume entierchoisis : tout l’or d’Ophir, 6+6 b
420 Mes coffres, mes colliers,perles, rubis, saphir, 6+6 b
Choisis et prends. J’en jureici, devant mes princes, 6+6 a
Demande la moitiédu trône et des provinces, 6+6 a
Par le ciel et ce sceptre,et mon serment de roi, 6+6 b
Mes peuples, mes trésors,enfant, seront à toi ! » 6+6 b
425 Hésitant, mais adroite,aux ruses d’un autre âge 6+6 a
Déjà mûre et voulantle prix de son ouvrage, 6+6 a
La jeune fille sort,court, s’arrête un instant 6+6 b
Au seuil du gynécée, sa mère l’attend, 6+6 b
Écoute, et peu de motsont fait son cœur docile ; 6+6 a
430 Au sang qu’elle a reçutant le crime est facile, 6+6 a
Tant la jeune vipèreapprend vite et sans art 6+6 b
Le secret du veninrenfermé sous son dard. 6+6 b
Elle rentre, et le roilui sourit : « Jeune belle, 6+6 a
Qu’exigez-vous du roi ?» — « Je ne veux, lui dit-elle, 6+6 a
435 Qu’un seul don ; il me fautdans ce bassin d’argent, 6+6 b
Sur l’heure, entre mes mains,voir la tête de Jean. » 6+6 b
Mais Hérode est muet ;à ce désir farouche 6+6 a
Qu’un enfant exprimaitle sourire à la bouche, 6+6 a
Son cœur, un cœur de roidans le crime vieilli, 6+6 b
440 De tristesse et d’horreurlui-même a tressailli. 6+6 b
Sa prudence d’ailleursse révolte, alarmée, 6+6 a
Car d’un peuple nombreuxla victime est aimée. 6+6 a
Mais son serment est là ;ses témoins dangereux 6+6 b
D’un sourire déjàs’avertissent entre eux, 6+6 b
445 Esclaves peu soumiss’ils doutaient de sa force ; 6+6 a
Enfin la voluptéqui lui tend sou amorce, 6+6 a
Ce fruit que sur sa lèvreun frais rameau suspend ; 6+6 b
L’éclat fascinateurdes doux yeux du serpent ; 6+6 b
D’ailleurs, c’est le destin ;son serment le décide : 6+6 a
450 Il jette en frémissaitla parole homicide. 6+6 a
Le bourreau déjà sort,armé du glaive. Ainsi 6+6 b
Ce que n’avaient oséle vieillard endurci 6+6 b
Et son courroux de feraiguisé par l’injure, 6+6 a
Le meurtre s’accomplit,œuvre de la luxure 6+6 a
455 Et des philtres dont Ève,aux lèvres du démon, 6+6 b
Sous l’arche de l’Éden,a suce le poison. 6+6 b
V
Le bourreau, se montrantsur le seuil de la salle, 6+6 a
Abaisse un large ferdégouttant sur la dalle, 6+6 a
Et tient, de l’autre main,le vase horrible à voir, 6+6 b
460 , parmi les caillotsd’un sang épais et noir, 6+6 b
Le col rouge et fluant,une tête coupée 6+6 a
Vacille à chaque pasdu sombre porte-épée ; 6+6 a
Il vient lent et stupide,il présente à l’enfant 6+6 b
L’affreux don, accueillid’un geste triomphant. 6+6 b
465 La vierge aux tresses d’orsur le disque se penche, 6+6 a
Dans les cheveux crépusenfonce une main blanche, 6+6 a
Lève, non sans effort,mais la paix sur le front, 6+6 b
Le poids lourd à son brasde la tête sans tronc, 6+6 b
Sourit en l’attirant,et sur ces traits livides 6+6 a
470 Promène des regardsrestés sereins et vides ; 6+6 a
Puis vers le lit royal,fière, se retournant, 6+6 b
Tend cette face aux yeuxd’Hérode frissonnant. 6+6 b
Les nerfs vibrent toujourssous les chairs convulsives ; 6+6 a
Les orbites en feujettent des lueurs vives ; 6+6 a
475 Dans les rides du front,jaune et de sang baigné, 6+6 b
Le courroux siège encore,et l’esprit indigné, 6+6 b
Du cratère béantde la bouche profonde, 6+6 a
Semble lancer encorl’anathème au vieux monde. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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