Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LAP_5/LAP32
Victor de LAPRADE
POÈMES ÉVANGÉLIQUES
1852
LE BAPTÊME AU DÉSERT
I
Dans les plaines luit,d’un éclat jaune et morne, 6+6 a
Des sables ondoyantsl’aridité sans borne, 6+6 a
Loin des puits et de l’ombreet plus loin des humains, 6+6 b
Est accroupi, couvrantsa tête de ses mains, 6+6 b
5 Fauve, sombre, immobileet différant à peine 6+6 a
Des rochers calcinéspeant la molle arène, 6+6 a
Un homme aux durs contours,aux flancs maigres, nerveux, 6+6 b
Inculte, hérisséde barbe et de cheveux : 6+6 b
Un éclair parfois brilleen son orbite cave, 6+6 a
10 Il a l’œil d’un voyantet l’habit d’un esclave ; 6+6 a
Des lanières de cuirserrent contre ses reins 6+6 b
Les poils roux du chameautissus avec des crins. 6+6 b
Hors lui seul, il n’est pas,sous ce ciel rouge, une âme ; 6+6 a
Pas un insecte errantdans cet air tout de flamme, 6+6 a
15 Pas un brin d’herbe et pasune haleine de vent; 6+6 b
Lui seul, dans la fournaise,a pu rester vivant. 6+6 b
Autour de lui, sans fin,le silence et le vide, 6+6 a
Et du sable éternella mer morte et livide. 6+6 a
La lumière, inondantson immense prison, 6+6 b
20 D’un cercle épais de feuferme tout horizon. 6+6 b
Or l’hôte du désertqui, sans tomber en cendres, 6+6 a
Habite ainsi le feu,pareil aux salamandres, 6+6 a
Disait:— « Toi que j’entends, donc es-tu caché, 6+6 b
Esprit retentissantà mon ombre attaché ? 6+6 b
25 J’écoute, je te suis ;seul avec ta parole, 6+6 a
Sourd à toutes les voixde ma chair que j’immole, 6+6 a
J’ai marché bien des jours,bien des nuits, sans savoir 6+6 b
tu fais ta demeure,Esprit, et sans te voir. 6+6 b
Dans les buissons ardentspeut-être tu te voiles ? 6+6 a
30 Incliné sur les puits tremblent les étoiles, 6+6 a
Le moindre bruit de l’eautient mon âme en suspens, 6+6 b
Mais, au fond, je n’ai vunager que les serpents. 6+6 b
Dans les bois du Carmel,en écartant leurs branches, 6+6 a
J’ai vu des nids s’ouvriret fuir des ailes blanches, 6+6 a
35 Et dans l’antre, devantmon œil qui te poursuit, 6+6 b
L’œil sanglant du lionflamboyer dans la nuit. 6+6 b
En tous lieux, dans la plaineou la vallée étroite, 6+6 a
Dans les flots, ta voix parleà ma gauche, à ma droite ; 6+6 a
Jamais pourtant, Seigneur,tu n’as voulu montrer 6+6 b
40 La gloire de ton frontque je viens adorer. » 6+6 b
— « Va partout des yeuxle rayon peut s’étendre ; 6+6 a
Ne te lasse jamaisni de voir, ni d’entendre ; 6+6 a
Que ton regard des boisperce les sombres murs ; 6+6 b
Fouille au creux des volcans ;du bord des puits obscurs, 6+6 b
45 Vois l’onduleux serpentsillonner les eaux calmes ; 6+6 a
Entr’ouvre les rameauxdes cèdres et des palmes, 6+6 a
Écoute leurs oiseaux ;et considère, encor, 6+6 b
Le grand désert couchédans sa cuirasse d’or. 6+6 b
Des sables, des forêts,des flots, d’ qu’elle vienne, 6+6 a
50 La voix qui parlerasera toujours la mienne. » 6+6 a
— « Seigneur ! te voir un jour,pour prix des ans nombreux 6+6 b
Consumés au déserten jnes rigoureux ! 6+6 b
Tu le sais, j’ai si biendompté la faim grossière, 6+6 a
Qu’on dirait que je visde flamme et de poussière. 6+6 a
55 Marchant vers l’horizon,qui recule toujours, 6+6 b
A peine ai-je trouvé,tous les deux ou trois jours, 6+6 b
Une source, un peu d’herbeet quelques sauterelles. 6+6 a
J’ai quitté la maison,la vigne paternelles, 6+6 a
Et ma mère et les miens,pour suivre ton sentier ; 6+6 b
60 A tes commandementsj’appartiens tout entier ; 6+6 b
A peine des humainssais-je encor le visage. 6+6 a
Donne-moi mon salaireaprès ce dur voyage, 6+6 a
Découvre-moi ta face,et ces lèvres d’ sort 6+6 b
Un souffle nourricierplus puissant que la mort. » 6+6 b
65 — « Que veux-tu ? je n’ai pasde lèvres ni de face. 6+6 a
Renonce à me trouverdans un coin de l’espace ; 6+6 a
Je n’habite pas l’antre,ou le cèdre, ou le puits. 6+6 b
Tes bras s’ouvrent en vainpour me saisir ; je suis 6+6 b
Plus prompt que le simoun,et plus insaisissable 6+6 a
70 Que n’est dans un rayonl’atome ailé du sable, 6+6 a
Plus subtil que le feu,plus transparent que l’eau, 6+6 b
Plus fluide que l’airagité par l’oiseau. 6+6 b
Touche, là-haut, des nuitsles blanches étincelles ; 6+6 a
Moi je suis plus lointain,plus innombrable qu’elles. 6+6 a
75 Enlace dans tes brasle désert ou les mers, 6+6 b
Moi je suis plus grand qu’eux,plus un et plus divers ; 6+6 b
Je suis plus beau, je n’aini couleur ni figure. 6+6 a
Qui prétend m’avoir vucommet une imposture. 6+6 a
Reste mon serviteur ;écoute ; obéis-moi, 6+6 b
80 Moi, lorsque tout se tait,qui retentis en toi... 6+6 b
Si tu pouvais me voir,c’est à l’heure suprême 6+6 a
, fermant tes deux yeux,tu plonges dans toi-même. » 6+6 a
— « Pour vous suivre, ô Seigneur !de ces sables mouvants 6+6 b
J’ai traversé les flotsinconnus des vivants ; 6+6 b
85 J’espérais vous trouverau moins sur l’autre rive : 6+6 a
Vers le lieu du reposdites-moi si j’arrive ; 6+6 a
De cette mer de feutrouverai-je le port ? 6+6 b
Me faut-il, au désert,marcher jusqu’à la mort ? » 6+6 b
— « La sphère éblouissante l’on entre à ma suite 6+6 a
90 Est un feu sans repos,sans foyer, sans limite ; 6+6 a
Sur mon aile emporté,dans ces mondes brûlants 6+6 b
Sans atteindre le fondtu volerais mille ans. 6+6 b
Mais c’est assez ; tes yeuxont puisé de lumière 6+6 a
Ce qui peut en tenirsous l’humaine paupière ; 6+6 a
95 Va, tout plein du désert,prêchant ce qu’il t’apprit, 6+6 b
Homme, retourne aux lieuxd’ t’a tiré l’Esprit. » 6+6 b
— « Moi, ton hôte, ô Seigneur !m’enfermer dans les villes, 6+6 a
Et porter avec euxle joug des lois serviles... 6+6 a
Faire aspirer ton souffleà leurs poumons impurs ! » 6+6 b
100 — « T’ai-je dit d’habiterà l’ombre de leurs murs ? 6+6 b
Tu parlerais en vaindans leurs palais frivoles ; 6+6 a
Il faut l’ardent soleil,l’air libre à tes paroles. 6+6 a
Dans le bruit des citésla voix de Dieu se perd. 6+6 b
Il faut que les humainsretournent au désert ; 6+6 b
105 Qu’ils brûlent leurs vieux toits,qu’ils partent ; qu’ils oublient 6+6 a
Leurs trésors, leurs plaisirs,ces chnes qui les lient, 6+6 a
Les festins éternels,les fornications, 6+6 b
Viciant jusqu’aux osles. générations. 6+6 b
Le jne du désertest leur dernier remède ; 6+6 a
110 Tu ne peux rien sur euxsi le désert ne t’aide. 6+6 a
Mais, aussi loin que toi,nul, sans mourir brûlé, 6+6 b
N’offensera du piedce sable immaculé. 6+6 b
Va plus près d’eux ; habiteune terre moins rude 6+6 a
Dont leurs cœurs puissent mieuxporter la solitude, 6+6 a
115 l’air, plus tempérépar l’ombre et par les eaux, 6+6 b
Ait l’humide douceurqu’il faut à ces roseaux. 6+6 b
Va-t’en vers le Jourdain,prêchant la pénitence, 6+6 a
La crainte, la justice :un autre, qui s’avance, 6+6 a
D’une loi plus parfaiteenseignant le devoir, 6+6 b
120 Porte un mot plus divinque tu n’as pu savoir. 6+6 b
Va donc, reprends le peuple ;et qu’un flot pur le lave 6+6 a
Des taches de la chairqui le rendait esclave. 6+6 a
A toi de nettoyer,de tout Je vieux levain, 6+6 b
Le vase qu’un plus digneemplira de son vin. 6+6 b
125 Pars, et si tu trouvais,avant d’atteindre au fleuve, 6+6 a
Le zèle du désertdans quelque âme encor neuve, 6+6 a
Mène-la plus avantdans ce pays ardu 6+6 b
ta chair s’est durcie, tu m’as entendu. 6+6 b
Tout homme doit veniraussi près que possible 6+6 a
130 De ces lieux ton œilvoulut voir l’invisible, » 6+6 a
II
Or, docile à l’Esprit,Jean se leva soudain, 6+6 b
Et l’ardent Précurseurmarcha vers le Jourdain. 6+6 b
Et déjà le suivaient,dans ces sentiers austères, 6+6 a
Des hommes imitantses jnes solitaires. 6+6 a
135 Tous, dans les vives eaux,à sa voix, se plongeaient 6+6 b
Affranchis de la chair,et tous l’interrogeaient : 6+6 b
— « O mtre, qu’as-tu vu,qu’as-tu fait, dis, ô mtre, 6+6 a
Dans la contrée nulaprès toi ne pénètre ? » 6+6 a
— « Comme vous m’écoutez,j’écoutais une voix. » 6+6 b
140 — « Qui te parlait ? celuiqu’apeut autrefois 6+6 b
Moïse, et qui gravases décrets sur dix tables ? 6+6 a
Mtre, dis-nous sa formeet ses traits redoutables. » 6+6 a
— « Je n’ai rien vu de plusque, sous les vastes cieux, 6+6 b
Ne peuvent en s’ouvrantvoir les plus faibles yeux : 6+6 b
145 Les fleuves, les forêtset les bêtes vivantes, 6+6 a
Puis des sables sans finles montagnes mouvantes. » 6+6 a
— « Peut-être ce conseilqui marchait avec toi, 6+6 b
C’était entre tes mainsle livre de la loi ; 6+6 b
Les aïeux, le passédont tu faisais l’étude, 6+6 a
150 De leurs doctes leçonspeuplaient ta solitude ? » 6+6 a
— « Mes yeux n’ont jamais luqu’aux pages du désert, 6+6 b
Et son esprit au miens’est peut-être entr’ouvert. 6+6 b
J’ignore clés aïeuxla sagesse éphémère, 6+6 a
Et j’oubliai, là-bas,jusqu’au nom de ma mère. 6+6 a
155 Je vous offre, après moi,le livre souverain 6+6 b
Que nul n’a copiésur l’écorce ou l’airain ; 6+6 b
Les étoiles au cielen ont tracé les pages ; 6+6 a
Par les monts sinueux,les forêts, les rivages, 6+6 a
Par le flot qui serpenteet l’herbe qui fleurit, 6+6 b
160 Son vaste enseignementsur la terre est écrit ; 6+6 b
Pour y lire, il suffitd’en aimer les merveilles, 6+6 a
D’être pur, et d’ouvrirses yeux et ses oreilles, 6+6 a
Et d’aller, quelquefois,priant, loin des cités, 6+6 b
Seul, écouter son cœur,dans les lieux écartés ; 6+6 b
165 C’est mon livre éternel,je laisse en paix les autres. » 6+6 a
— « Chaque année, à Sion,comme ordonnent les nôtres, 6+6 a
Disciple du désert,les autels négligés 6+6 b
N’ont pas eu ta prièreet les dons obligés, 6+6 b
Tu n’as jamais offertencens ni sacrifice ? » 6+6 a
170 — « Non ; à d’autres présentsje crois Dieu plus propice. 6+6 a
Je n’égorgeai jamais,sur les autels anciens, 6+6 b
Les brebis et les bœufscomme les Pharisiens. 6+6 b
Sur les sables fumantsdes plaines d’Idumée, 6+6 a
J’offrais ma propre chairde jnes consumée, 6+6 a
175 Et mes vils appétits,et tout penchant grossier, 6+6 b
Retranché par l’espritplus aigu que l’acier. 6+6 b
Non, je n’ai pas priédans ces enceintes vides 6+6 a
tombent des docteursles paroles arides, 6+6 a
Mais au temple de vie, mes sens immolés, 6+6 b
180 Dans la lumière et l’airse sont renouvelés ; 6+6 b
Je m’y dépouille encor,chaque fois que j’y plonge, 6+6 a
De quelque impur lambeaude haine et de mensonge. 6+6 a
Donc, vous qui me suivezdans le lit des torrents, 6+6 b
Rendez-vous comme moinus, maigres, ignorants ; 6+6 b
185 Chassez loin dans l’oublitoutes vieilles doctrines, 6+6 a
Et que la vieille chairsèche sur vos poitrines. » 6+6 a
— « Ta voix, mtre, nous sembleinviter à la mort ! » 6+6 b
— « Nul ne vivra toujourssans s’immoler d’abord, 6+6 b
Sans avoir traversé,voyageur intrépide, 6+6 a
190 La région du videet le sable torride. 6+6 a
Écoutez le désert :« Sur mes sables sans fin 6+6 b
« J’endure le soleilet la soif et la faim ; 6+6 b
« Je n’ai ni frais manteaude gazon, ni ceinture 6+6 a
« De ruisseaux ombragés,ni turban de verdure. 6+6 a
195 « Je jne et je suis nude toute éternité ; 6+6 b
« C’est pourquoi le Seigneurm’a toujours habité ; 6+6 b
« Et tous les cœurs impurs,en qui la mort pénètre, 6+6 a
« Doivent se consumerdans mes feux pour rentre. » 6+6 a
— « Mtre, à qui le déserta parlé si souvent, 6+6 b
200 Dans ses secrets sentiersconduis-nous plus avant ; 6+6 b
Sans doute il t’a montréce que l’œil ne voit guères ? » 6+6 a
— « Non ; la terre m’offritses spectacles vulgaires : 6+6 a
J’ai vu les loups gloutonset les chacals, plongés 6+6 b
D’ans le sang des troupeauxpar le tigre égorgés. 6+6 b
205 Luttant pour assouvirleur faim terrible, ancienne, 6+6 a
Quand l’horrible chasseuravait repu la sienne, 6+6 a
Ils mangeaient ardemment,longuement, sans repos ; 6+6 b
Après la chair encorleurs dents broyaient les os. 6+6 b
Mais je n’ai jamais vula brute dans son antre 6+6 a
210 Mourir de plénitudeen festoyant son ventre. 6+6 a
En vérité, sachezque les chiens et les loups, 6+6 b
Hommes, dans leurs repas,sont moins hideux que vous. 6+6 b
J’ai vu, lorsqu’au printempsle rut les aiguillonne, 6+6 a
Se cherchant, s’appelant,le lion, la lionne ; 6+6 a
215 Le couple en rugissantsur l’herbe se roulait ; 6+6 b
De leurs fauves plaisirsle sol même tremblait : 6+6 b
Puis, de forts lionceaux,apparus à la vie, 6+6 a
Attestaient de l’amourla sainte loi suivie. 6+6 a
Et je dis : les lions,dans leurs fougueux hymens, 6+6 b
220 Sont plus purs devant Dieuqu’aujourd’hui les humains, 6+6 b
Et, libres des forfaitsque la nature abhorre, 6+6 a
Condamnent vos cités,ces filles de Gomorrhe ! » 6+6 a
— « Parle encor du désert,ô mtre ! tes discours 6+6 b
Dussent-ils accuseret maudire toujours ; 6+6 b
225 Ne t’a-t-il pas montrédes choses moins cruelles ? » 6+6 a
— « J’ai vu les grands troupeauxdes daims et des gazelles, 6+6 a
Après un long parcoursde sables, de rochers, 6+6 b
Trouver enfin la sourceet le gazon cherchés ; 6+6 b
Et tous se répandaientsur la pelouse verte, 6+6 a
230 Chacun broutait un peude l’herbe à tous offerte. 6+6 a
Et je ne voyais pasle plus faible, à l’écart, 6+6 b
Contraint par le plus fortà lui céder sa part ; 6+6 b
Et, plutôt que laissermourir de la famine 6+6 a
Le troupeau fraternelqui suit sa loi divine, 6+6 a
235 Notre père commun,devant les pieds des daims, 6+6 b
De ce vert oasisallongeait les jardins. 6+6 b
J’ai vu, dans ses travaux,le peuple des abeilles 6+6 a
De sa ville embauméeordonnant les merveilles. 6+6 a
Des flancs de l’arbre creux,nettoyés avec soin, 6+6 b
240 De nombreux ouvriersse répandent au loin ; 6+6 b
Et nul, en épuisantle parfum des calices, 6+6 a
Ne songe à s’enivrerd’égoïstes délices. 6+6 a
Tous travaillent ; aussila féconde cité 6+6 b
Conserve tout l’hiverles présents de l’été ; 6+6 b
245 L’abondance l’habite,et la ruche encor laisse 6+6 a
Fuir des fentes du chêneun trop-plein de richesse, 6+6 a
Et répand, pour la faimdu pauvre voyageur, 6+6 b
L’aumône d’un miel purbéni par le Seigneur. » 6+6 b
III
Loin des hommes ainsi,la voix de Jean captive 6+6 a
250 Des élus du désertla famille attentive. 6+6 a
Puis, quand il vint plus prèsdes pays habités, 6+6 b
De nouveaux pénitentssortaient de tous côtés. 6+6 b
Car le bruit de son nom,dans les cités surprises, 6+6 a
Tombait, comme apportédu désert par les brises. 6+6 a
255 Tels d’un fleuve lointain,dans le calme des nuits, 6+6 b
Avec l’odeur des boisroulant vers nous les bruits, 6+6 b
Un vent frais les répand,en sonores bouffées, 6+6 a
Dans les murs des citésde poussière étouffées. 6+6 a
Plusieurs, dans la mollesseet les mauvaises mœurs, 6+6 b
260 S’éveillaient et marchaient,frappés de ces rumeurs ; 6+6 b
Et couraient au-devantde celui qui châtie, 6+6 a
Et courbaient sous sa mainleur tête repentie, 6+6 a
Jnant, marchant les reinsdu cilice entourés, 6+6 b
D’un besoin de douleurtout à coup dévorés. 6+6 b
265 Or, du mtre en courroux,dont la voix tonne et gronde, 6+6 a
Plus le joug est sévèreet plus la foule abonde ; 6+6 a
Et lui, les flagellantdu fouet de leurs péchés, 6+6 b
Savait rouvrir aux pleursles yeux les plus séchés. 6+6 b
« Age impur ! race avide,au front bas, à l’œil terne, 6+6 a
270 Qui gouverne le peupleet que la chair gouverne 6+6 a
Leurs monstrueux festins,leurs amours plus hideux, 6+6 b
Répandent, la famineet la peste autour d’eux. 6+6 b
Les plus divins trésorsde la terre y périssent, 6+6 a
La perle s’y dissout,les vierges s’y flétrissent, 6+6 a
275 Et meurent par milliersdans leurs embrassements. 6+6 b
Tous leurs jeux sont ornésde l’aspect des tourments. 6+6 b
Des hommes, déchiréspar ces hommes de proie, 6+6 a
Dans leurs viviers sanglantsengraissent la lamproie. 6+6 a
Toi qui portes leur jouget le trouves si dur, 6+6 b
280 Peuple, en ta pauvreté,tu n’es pas moins impur ! 6+6 b
Tu prends part, quand tu peux,à leur orgie infâme, 6+6 a
tous vous oubliezque vous avez une âme. 6+6 a
Vous, lâches affranchis,vous avez regretté 6+6 b
Les oignons de l’Égypteet la captivité ; 6+6 b
285 D’une chne à vos coussouffrant la flétrissure, 6+6 a
Pour savourer en paixl’ivresse et la luxure. 6+6 a
Devant l’or et l’argentvous vous agenouillez. 6+6 b
Les grands et les petitsvous êtes tous souillés ; 6+6 b
Vous êtes corrompusdans vos forces viriles ; 6+6 a
290 Votre exécrable hymenrend les femmes stériles. 6+6 a
Donc, pour les mieux haïr,confessez vos péchés. 6+6 b
Je parle, et c’est par Dieuque vous serez touchés ! 6+6 b
Pleurez donc et souffrez ;la douleur nous épure ; 6+6 a
Seule elle peut des cœursguérir la flétrissure. 6+6 a
295 Jnez donc ; refusezle pain même et le vin, 6+6 b
L’amour dont vous avezflétri le nom divin. 6+6 b
Quittez femmes et sœurs,car vous avez fait d’elles 6+6 a
Un servile bétailet d’impures femelles. 6+6 a
Laissez là vos enfantsqui, dans votre maison, 6+6 b
300 D’un exemple mortelaspiraient le poison. 6+6 b
Vous ne méritez plusni cités ni familles. 6+6 a
Jnez donc de l’aspectde vos fils, de vos filles ; 6+6 a
Fuyez même la facehumaine ; allez, épars, 6+6 b
Habitant les rocherscomme les léopards ; 6+6 b
305 Et pleurez, au désert,les jours vous vécûtes, 6+6 a
Tels que vous gagneriezen imitant les brutes, 6+6 a
Tels que, dans votre chairmenacés de pourrir, 6+6 b
Il faut la retranchersi vous voulez guérir. » 6+6 b
Debout sur une rocheétroite, et que du fleuve 6+6 a
310 La blanche écume atteint,si peu que l’eau s’émeuve, 6+6 a
Pieds nus, d’un long bâtonarmé comme un pasteur, 6+6 b
Il s’appuie, et, parlantde toute sa hauteur, 6+6 b
Châtie ainsi la fouleincessamment accrue, 6+6 a
De loin, pour l’écouter,vers le fleuve accourue. 6+6 a
315 Foule étrange de gensincultes ou maudits, 6+6 b
Pâtres, bandits, soldatssemblables aux bandits ; 6+6 b
Obscènes mendiantsaux sourires farouches ; 6+6 a
Publicains aux doigts noirs,au front blême, aux yeux louches, 6+6 a
Sur de tels compagnonsencor peu rassurés ; 6+6 b
320 Et, couvertes de fard,de voiles bigarrés, 6+6 b
Sanglotant et joignantleurs mains de pleurs mouillées, 6+6 a
Maintes filles de joie,en groupe agenouillées. 6+6 a
Tous attentifs : les unssur le sable couchés ; 6+6 b
D’autres, assis plus loindans les creux des rochers, 6+6 b
325 Sous les grands aloèset sous les palmiers rares, 6+6 a
Cherchant l’ombre et le fraisdont ces lieux sont avares ; 6+6 a
D’autres, pour voir le mtreet l’ouïr à leur gré, 6+6 b
Entrent jusqu’aux genouxdans le fleuve sacré. 6+6 b
Tout fait silence au loin,le vent, l’eau jaune et lente, 6+6 a
330 Et des plaines du Gadl’immensité brûlante. 6+6 a
Seul, l’homme du désertparle à ce peuple, et dit 6+6 b
Ce qu’il peut répéterde ce qu’il entendit : 6+6 b
« Rendez droits les sentierset préparez la voie ; 6+6 a
Toute chair conntrale salut et la joie. 6+6 a
335 Approchez ! Le Seigneurest déjà sur le seuil ; 6+6 b
Des superbes sommetsson pied courbe l’orgueil. 6+6 b
Loin des molles citésque l’esclavage habite, 6+6 a
Venez, dans le désert,attendre sa visite ; 6+6 a
Venez, et, par le jneet les mâles travaux, 6+6 b
340 Faites-vous des cœurs neufset des membres nouveaux. 6+6 b
Ah ! que l’eau du torrentmêlée au miel sauvage 6+6 a
Mieux que le vin dans l’orm’a fait un doux breuvage ! 6+6 a
Comme à mes pieds tombantdans l’herbe, le matin, 6+6 b
La sauterelle apporteun facile festin ! 6+6 b
345 Sans autre soin que Dieudans la journée entière, 6+6 a
Combien vive au déserts’écoule la prière ! 6+6 a
Et, faisant avec nousleurs adorations, 6+6 b
Quels saints rugissements,le soir, ont les lions ! 6+6 b
« Pour tirer ses élusdes longues servitudes, 6+6 a
350 Dieu les pousse lui-mêmeau fond des solitudes. 6+6 a
Il fait, pour les nourrirdans l’aride séjour, 6+6 b
De la manne du cielleur pain de chaque jour. 6+6 b
Le désert affranchitle corps ainsi que l’âme ; 6+6 a
La fierté se respireavec ses vents de flamme. 6+6 a
355 Venez ! dans la prièreet l’air libre des monts 6+6 b
Vous secourez le jougdes rois et des démons. 6+6 b
« Et si la solitude,en votre âme agrandie, 6+6 a
De sa soif immortelleallume l’incendie, 6+6 a
Le prophète appartqui jamais ne faillit ; 6+6 b
360 Il frappe le rocher,et l’eau vive jaillit, 6+6 b
Jaillit à flots presséset coule intarissable ; 6+6 a
Elle creuse son litsur le roc, dans le sable, 6+6 a
Et vous y buvez tous,esclaves triomphants, 6+6 b
La liberté, la vie.Hommes, femmes, enfants, 6+6 b
365 Tous s’y viennent plonger ;et toute plaie immonde, 6+6 a
Toute marque des fersdispart dans cette onde : 6+6 a
Vous marchez jeunes, purs,pleins d’audace et de foi, 6+6 b
Vers le mont foudroyantd’ descendra la Loi, 6+6 b
« Venez donc ! au passédites l’adieu suprême, 6+6 a
370 Entrez tous hardimentdans la mer du baptême ; 6+6 a
L’eau renferme la forceavec la pureté 6+6 b
Et l’oubli des douleursde la captivité ; 6+6 b
La terre, aux anciens jours,coupable, y fut lavée. 6+6 a
L’onde, en touchant le corps,fait que l’âme est sauvée ; 6+6 a
375 Elle donne une voixprophétique aux roseaux ; 6+6 b
L’esprit du Dieu vivantflotte encor sur les eaux ! » 6+6 b
Tel Jean les entrnaitdans le sein pur du fleuve 6+6 a
Pour engendrer au pèreune famille neuve ; 6+6 a
Et tous y descendaient,confessant leurs péchés, 6+6 b
380 Et devant lui passaient ;et sur leurs fronts penchés, 6+6 b
Élevant à deux mainsla conque qui déborde, 6+6 a
Jean répandait à flotsl’eau de miséricorde. 6+6 a
D’un peuple si nombreuxle Jourdain se remplit, 6+6 b
Que les hommes couvraientses rives et son lit. 6+6 b
385 Durant l’automne, ainsi,quand les forêts sont mûres, 6+6 a
Un grand vent annoncépar de lointains murmures, 6+6 a
Éclatant tout à coup,enlève en tourbillons 6+6 b
Les feuilles, les rameauxqui comblent les sillons ; 6+6 b
Sur la vigne et les prés,comme un épais nuage, 6+6 a
390 Ils courent, longuementbalayés par l’orage, 6+6 a
Tant qu’au bout de la plaineils n’ont pas rencontré 6+6 b
Le lac qui les reçoitdans son lit azuré ; 6+6 b
Le feuillage en monceauxsur l’eau tombe et s’amasse, 6+6 a
Et d’une nappe sombreil en couvre la face. 6+6 a
IV
395 Or, des pharisiens,enveloppés d’orgueil, 6+6 b
Des scribes pleins de fiel,mais le sourire à l’œil, 6+6 b
Des prêtres méditantdéjà quelque anathème, 6+6 a
Attendaient à l’écartpour s’offrir au baptême. 6+6 a
Et Jean les reconnut ;et de sa rude voix : 6+6 b
400 « Hypocrites maudits,est-ce vous que je vois ? 6+6 b
Qui vous apprit à fuirles futures colères, 6+6 a
A tromper l’œil du mtre,ô race de vipères ? 6+6 a
Malheur à vous ! Armésde longues oraisons, 6+6 b
Des veuves, des enfantsvous mangez les maisons ; 6+6 b
405 Et, selon le tributque la peur vous apporte, 6+6 a
Vous nous ouvrez du cielou nous fermez la porte ; 6+6 a
Comme de votre bientrafiquant ici-bas 6+6 b
Du royaume d’amour vous n’entrerez pas. 6+6 b
Malheur ! vous attachezaux épaules des autres 6+6 a
410 Les fardeaux importunsque rejettent les vôtres. 6+6 a
Vous faites pour les yeuxvotre moindre action ; 6+6 b
Vous payez à l’autelpar ostentation 6+6 b
La dîme de l’anis,du cumin, de la menthe, 6+6 a
Et pas un dont la vieà ses discours ne mente, 6+6 a
415 Et pas un qui, fidèleau vrai sens de la loi, 6+6 b
Fasse pour le prochaince qu’il ferait pour soi. 6+6 b
Vous ne comprenez plusde vos lois que la lettre ; 6+6 a
À son joug infécondvous voulez nous soumettre ; 6+6 a
L’esprit qui les dictade vous s’est retiré, 6+6 b
420 Son livre est dans vos mainsun mensonge sacré. 6+6 b
Malheur à vous ! Quand Dieudaigne envoyer un sage, 6+6 a
De l’avenir au peupleapportant le message, 6+6 a
Votre haine le suitet le désigne aux rois 6+6 b
Qui le font flagelleret clouer à la croix. 6+6 b
425 Maintenant s’enquiert-onde vos œuvres, vous dites : 6+6 a
Oh ! nous sommes les filsdes saints et des lévites ! 6+6 a
Et Dieu dit : Ces gentils,ces hommes sans aïeux, 6+6 b
J’en fais mes ouvriers,mes fils les plus pieux. 6+6 b
Cessez donc de parlerdes vertus de vos pères, 6+6 a
430 Montrez à votre tourdes œuvres salutaires ; 6+6 a
Car la hache est à l’arbre,et va dans un moment 6+6 b
Jeter au feu tout boisinfertile et gourmand. » 6+6 b
Et le peuple inquietl’interrogeait : « O mtre ! 6+6 a
Que faire donc ? »
Et Jean :« Voici ce qui doit être : 6+6 a
435 Quiconque a deux habitslorsqu’un autre homme est nu 6+6 b
Doit donner le meilleurà ce frère inconnu ; 6+6 b
Et quiconque a du pain,un toit, un héritage, 6+6 a
Doit à ceux qui n’ont rienen faire le partage. » 6+6 a
Or au fond de leurs cœursils se demandaient tous : 6+6 b
440 « Jean n’est-il pas le Christapparu parmi nous ? » 6+6 b
Et lui : « Je ne suis pasle Messie, et pas même 6+6 a
Un prophète. Je viensvous donner le baptême. 6+6 a
Je viens laver dans l’eaules hommes pénitents, 6+6 b
Et préparer la voieà celui que j’attends. 6+6 b
445 Voyez : lorsque la nuitvers l’occident recule, 6+6 a
Annonçant le soleil,part le crépuscule ; 6+6 a
Le Seigneur, de là-haut,l’envoie avec amour 6+6 b
Aux yeux que blesseraitle brusque éclat du jour. 6+6 b
Il vient ; il verse à flotssa limpide rosée, 6+6 a
450 La moindre fleur des champsest par lui baptisée. 6+6 a
Aux arbres des cheminscomme à ceux des forêts 6+6 b
Chaque rameau lavéluit plus vert et plus frais, 6+6 b
Afin que le soleiln’échauffe rien d’immonde 6+6 a
En visitant le seindu bourgeon qu’il féconde. 6+6 a
455 Ainsi, moi, précurseurd’un baptême nouveau, 6+6 b
Pour vous purifierje vous plonge dans l’eau. 6+6 b
Mais, comme un grand soleilnécessaire à la vigne, 6+6 a
Un autre va venir,dont je ne suis pas digne 6+6 a
De toucher la sandale,et dans l’esprit de Dieu 6+6 b
460 Il vous baptiseradu baptême de feu ; 6+6 b
Sa flamme au sang d’Adamrendra toute sa force, 6+6 a
A la sève ascendanteil ouvrira l’écorce, 6+6 a
Afin que le vieux cepque le père a planté 6+6 b
Donne au saint vendangeurle fruit de charité. » 6+6 b
V
465 Jusqu’alors confondudans le peuple en prières, 6+6 a
Et simple comme un frèreau milieu de ses frères, 6+6 a
Un homme au front pensif,mais sans austérité, 6+6 b
Se lève et vient s’offrir ;si divin de beauté 6+6 b
Qu’une lueur partémaner de sa face, 6+6 a
470 Et que les yeux émuss’humectent quand il passe. 6+6 a
Un sourire apeude tout être innocent 6+6 b
Attire à lui les cœursd’un attrait tout-puissant. 6+6 b
Les tout petits enfants,pareils encore aux anges, 6+6 a
De son manteau d’azurviennent baiser les franges, 6+6 a
475 Et, de ses cheveux blonds,les oiseaux souonneux 6+6 b
De l’aile en se jouanttouchent l’or lumineux. 6+6 b
Il marche ; aux pieds de Jeanà son tour il s’arrête, 6+6 a
Au baptême communil tend déjà la tête. 6+6 a
Voilà qu’un grand frissonsaisit, à son aspect, 6+6 b
480 Le baptiseur courbéde crainte et de respect ; 6+6 b
Il refuse et lui dit :« Ah ! Seigneur, c’est vous-même 6+6 a
De qui j’implore icile don du vrai baptême ; 6+6 a
Je baptise dans l’eau,Mtre, et vous dans l’Esprit. » 6+6 b
Mais celui-ci : « Faisonsce que Dieu nous prescrit. » 6+6 b
485 Jean cède, et de sa mainsur l’homme pur s’écoule 6+6 a
La même eau qui lavaitles péchés de la foule. 6+6 a
Et dès qu’au bord du sableont paru, hors de l’eau, 6+6 b
Les pieds étincelantsdu baptisé nouveau, 6+6 b
Voilà que le ciel s’ouvre,un large éclair en tombe, 6+6 a
490 L’Esprit de Dieu descendsous forme de colombe ; 6+6 a
Une voix dit dans l’air, la splendeur a lui : 6+6 b
« C’est mon fils bien-aimé,je me complais en lui. » 6+6 b
De lui seul et de Jeancette voix entendue 6+6 a
Remplit de longs échosl’invisible étendue ; 6+6 a
495 Et, palpitant d’amourdu nadir au zénith, 6+6 b
Dans son sein attentifl’univers la bénit. 6+6 b
Les germes non éclosde toutes créatures, 6+6 a
Les vieux morts attendantau fond des sépultures, 6+6 a
Les globes nouveau-néset dans leur floraison, 6+6 b
500 Les anges, les Espritsd’amour et de raison, 6+6 b
Le cèdre et l’humble mauveen ses frêles corolles, 6+6 a
Tout a frémi d’attenteau vent de ces paroles ; 6+6 a
Car, en montrant à Jeancelui qu’il espérait, 6+6 b
La colombe annonçaJésus de Nazareth ! 6+6 b
505 Faites silence, ô voixdes prophètes, des sages, 6+6 a
Descendez de votre aigle,ô porteurs de messages ; 6+6 a
Mourez avec la nuit,étoiles, pâles sœurs : 6+6 b
Le vrai soleil éteintles flambeaux précurseurs ! 6+6 b
En rayons inégauxautrefois dispersée, 6+6 a
510 La lumière elle-mêmeenfin s’est élancée, 6+6 a
Et le Verbe, que Dieumesurait entre vous, 6+6 b
Est donné sans mesureà ce cœur humble et doux. 6+6 b
Donc, ô Jean, la plus grandeentre les voix humaines, 6+6 a
Sagesse du désert,flot des douze fontaines, 6+6 a
515 Ton baptême finitsur ce front tout-puissant ; 6+6 b
Tu n’as plus sur la terreà verser que ton sang. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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