Métrique en Ligne
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| = césure
LAP_5/LAP30
Victor de LAPRADE
POÈMES ÉVANGÉLIQUES
1852
INVOCATION
I
Viens, Esprit créateur, visite ma pensée ; 6+6 a
Dans la nuit de mon cœur fais briller le vrai jour. 6+6 b
Par toi seul toute force à l’âme est dispensée, 6+6 a
Descends, Esprit du ciel, dont le nom est AMOUR ! 6+6 b
5 Tout procède de toi procédant de Dieu même ; 6+6 a
C’est toi qui de son Verbe accomplis les desseins ; 6+6 b
Par un don gratuit tu fais la part suprême 6+6 a
Dans l’œuvre du poëte et dans l’œuvre des saints. 6+6 b
Esprit ! tout vient de toi : ces pleurs dont je m’enivre, 6+6 a
10 Ce feu né de ton nom rien qu’en le prononçant, 6+6 b
Et l’effroi dont je tremble, au début de ce livre, 6+6 a
De l’homme qui l’écrit si tu dois être absent ! 6+6 b
Esprit ! toute beauté que l’on voit ou qu’on rêve, 6+6 a
La blancheur sur les lis, dans les âmes la foi, 6+6 b
15 Le soleil après l’ombre et l’espoir qui se lève, 6+6 a
Le regard d’un ami... c’est un rayon de toi. 6+6 b
Esprit ! sève de tout, des chênes et des roses ; 6+6 a
Par toi le bouton d’or sourit sur les prés verts ; 6+6 b
Par toi l’Océan gronde ; et c’est toi qui déposes 6+6 a
20 Le miel au fond des fleurs comme au fond des beaux vers. 6+6 b
Sois mon âme et mon sang ! et coule avec largesse, 6+6 a
Esprit qui fais chanter les flots, les vents, les bois ! 6+6 b
Esprit de charité, de force de sagesse, 6+6 a
Pense avec mon esprit et parle avec ma voix ! 6+6 b
II
25 Je t’invoque et je crains ! tu m’as ailleurs, peut-être, 6+6 a
Assigné mon devoir. 6 b
Peut-être, en mon orgueil, je viens, comme un faux prêtre, 6+6 a
Usurper l’encensoir ? 6 b
A la commune glèbe ai-je dû me soustraire ? 6+6 a
30 Parle-moi sans détour, 6 b
Esprit ! faut-il semer dans le sillon vulgaire 6+6 a
Mon pain de chaque jour ? 6 b
« Le glaive et le marteau, la charrue à conduire 6+6 a
C’est le lot des humains ; 6 b
35 Et Dieu n’a concédé les pinceaux ou la lyre 6+6 a
Qu’à de bien rares mains. 6 b
Quoi ! le poids de la lance ou du hoyau t’accable, 6+6 a
O débile rêveur ! 6 b
Et tu m’offres tes reins, ouvrier misérable, 6+6 a
40 Pour porter le Seigneur ! 6 b
Comme le fier Jacob, tu vas, lutteur étrange, 6+6 a
Toi qu’un coup d’aile abat, 6 b
Près de l’échelle d’or, tu vas offrir à l’ange 6+6 a
Un éternel combat ! » 6 b
III
45 Esprit ! je me connais ; je m’accuse et je tremble. 6+6 a
Éperdu de désir et d’effroi tout ensemble, 6+6 a
J’hésite sur le seuil. 6 a
Vous savez, ô mon Dieu ! lisant au for interne, 6+6 b
Si les fibres du cœur qu’à vos pieds je prosterne 6+6 b
50 Ont résonné d’orgueil ! 6 a
Non, je n’ai pas cherché ma force dans moi-même ; 6+6 a
Je l’implore de vous, j’attends et je vous aime : 6+6 a
Parlez-moi quelquefois ! 6 a
Je sais que le poëte, en son art difficile, 6+6 b
55 Est maître d’autant plus qu’il s’est fait plus docile 6+6 b
A votre seule voix. 6 a
L’artiste est le trépied rayonnant et fragile ; 6+6 a
L’homme fournit en lui les charbons et l’argile ; 6+6 a
Toi seul y mets le feu. 6 a
60 Le poëte est le flot, la feuille qui palpite ; 6+6 b
Il doit son harmonie au souffle qui l’agite, 6+6 b
A ton souffle, ô mon Dieu ! 6 a
Mes fautes, mes ennuis, Seigneur, ont clos ma bouche ; 6+6 a
Mais tu peux en tirer, si ton esprit la touche, 6+6 a
65 Des accords, des leçons. 6 a
Les lyres d’ici-bas devant toi sont égales, 6+6 b
Et tu prends tour à tour le cygne et les cigales 6+6 b
Pour dire tes chansons. 6 a
IV
Ô Christ ! si, pleins de ta doctrine, 8 a
70 Mes chants savent la faire aimer, 8 b
Que l’Esprit souffle en ma poitrine, 8 a
Seigneur, dût-il me consumer ! 8 b
Mon cœur se brisera peut-être 8 a
En vibrant sous tes doigts, ô Maître ! 8 a
75 En répétant ton nom béni. 8 a
Touche-moi de ces vents sublimes 8 b
Qui font sur les flots des abîmes 8 b
Gronder l’écho de l’infini. 8 a
Quand mon âme est comme une pierre 8 a
80 D’où nulle voix ne peut sortir, 8 b
Foudroyez ! si votre tonnerre 8 a
Peut seul me faire retentir. 8 b
Pourvu que mon cœur vous annonce, 8 a
Mon Dieu, frappez-moi, je renonce 8 a
85 A tous les bonheurs d’ici-bas..... 8 a
Que la charité me féconde ; 8 b
Qu’en moi votre parole abonde ; 8 b
Pour la porter au bout du monde, 8 b
Je suis prêt à tous les combats. 8 a
90 Frappez, frappez, je me résigne. 8 a
Mais pendant que je souffre, au moins, 8 b
Seigneur ! montrez-moi par un signe 8 a
Que je suis un de vos témoins. 8 b
Si j’ai fait naître une prière, 8 a
95 Si j’ai fait poindre une lumière, 8 a
Et si quelque noble paupière 8 a
Sur ce livre pleure à son tour, 8 a
C’est assez ! ou joie ou supplice, 8 b
Que tout le reste s’accomplisse, 8 b
100 Je bénirai l’amer calice, 8 b
Si je suis poëte... un seul jour ! 8 a
V
Je l’ai tenté : docile aux maîtres d’Ionie 6+6 a
J’ai poursuivi d’amour leur sereine harmonie ; 6+6 a
Sur les pas de la Muse et des trois Charités 6+6 a
105 J’ai fréquenté le Pinde et ses bois désertés. 6+6 a
J’appris à marier, dans Athènes ma mère, 6+6 a
Le verbe de Platon et la lyre d’Homère. 6+6 a
L’écho religieux d’Orphée et de Linus 6+6 a
M’a parlé dans la Thrace et les temps inconnus ; 6+6 a
110 Et, pressant les beaux fruits de la sagesse antique, 6+6 a
J’en ai fait, sous mes doigts, jaillir le vin mystique. 6+6 a
Puis les chênes gaulois m’ont dit tous leurs secrets ; 6+6 a
J’ai traduit aux humains la chanson des forêts. 6+6 a
J’ai, sous les noirs sapins, comme un fils des Druides, 6+6 a
115 Écouté les esprits qui leur servaient de guides, 6+6 a
Et, la verveine au front, avec la serpe d’or, 6+6 a
Du gui sacré de chêne invoqué le trésor. 6+6 a
Saignant des coups portés à mes forêts divines, 6+6 a
J’ai maudit notre engeance acharnée aux ruines ; 6+6 a
120 J’ai noté les accords des derniers sommets verts, 6+6 a
Et l’âme du grand chêne a parlé dans mes vers. 6+6 a
Maintenant j’ose plus et j’attends plus de grâces : 6+6 a
Sur les moûts de Juda je vais chercher vos traces, 6+6 a
O Christ ! dans votre champ, je vais près du chemin, 6+6 a
125 Après les moissonneurs choisis de votre main, 6+6 a
Glaner quelques épis du grain sacré qui reste, 6+6 a
Et pétrir aux enfants un peu de pain céleste. 6+6 a
J’ose ouvrir l’Évangile et chanter à mon tour, 6+6 a
Au pied du Golgotha, le cantique d’amour. 6+6 a
130 J’ose m’aventurer, ô croix ! sois ma boussole, 6+6 a
Sur le vaste océan de la sainte parole. 6+6 a
Je descends seul et nu, plongeur audacieux, 6+6 a
Dans l’abîme sans fond qui contient tous les cieux. 6+6 a
Nul homme, je le sais, nul poëte, en ses veilles, 6+6 a
135 N’en pourrait esquisser les lointaines merveilles ; 6+6 a
Mais livrez-moi, — pour prix de tant de pleurs amers, — 6+6 a
Une, et la moindre, ô Christ ! des perles de vos mers ! 6+6 a
Et j’aurai fait briller, dans notre nuit mortelle, 6+6 a
Un de ces noms vivants par qui Dieu se révèle. 6+6 a
VI
140 Maintenant, ô Jésus ! il m’est permis, je crois, 6+6 a
De monter au Calvaire, 6 b
Parcourant vos sentiers et prêchant de la croix 6+6 a
L’enseignement sévère. 6 b
Si vous nous pesez tous au poids de nos douleurs, 6+6 a
145 Si la souffrance est bonne, 6 b
Si de vos ouvriers ceux-là sont les meilleurs, 6+6 a
Qu’elle tord et façonne..... 6 b
Son marteau qui retombe, hélas ! incessamment, 6+6 a
Son feu qui me dévore, 6 b
150 Peut-être ont, dans mon cœur, forgé votre instrument 6+6 a
Plus pur et plus sonore. 6 b
Si les plus durs aciers dans nos pleurs sont trempés, 6+6 a
Mon glaive est prêt, ô Maître ! 6 b
Si votre amour se juge aux coups que vous frappez, 6+6 a
155 Ah ! vous m’aimez peut-être. 6 b
Mon printemps est fini ; court et triste printemps, 6+6 a
Trompé par quelques rêves. 6 b
Sous les mêmes soleils des saisons que j’attends, 6+6 a
Le froid n’a plus de trêves. 6 b
160 Je connais le faux jour que ces soleils nous font. 6+6 a
J’ai vidé l’urne amère, 6 b
Et n’y trouve plus même, en remuant le fond, 6+6 a
L’espoir, pauvre chimère. 6 b
J’eus mes jours de révolte, et ma bouche, — ô pardon ! — 6+6 a
165 S’est ouverte au blasphème ; 6 b
Mais je n’ai pu longtemps croire à votre abandon, 6+6 a
Mon Dieu ! car je vous aime. 6 b
Et maintenant je dis : O douleur ! frappe encor ; 6+6 a
Jette-moi sur l’enclume ; 6 b
170 S’il faut encor du feu pour me changer en or, 6+6 a
Que ton brasier s’allume, 6 b
Qu’importe tous les maux ! mon nom même en débris 6+6 a
Sous les dents des couleuvres... 6 b
Si je deviens un jour, ô Seigneur ! à ce prix, 6+6 a
175 L’ouvrier de vos œuvres. 6 b
Foulez mon cœur saignant, à vos pressoirs offert 6+6 a
Comme un fruit de la vigne. 6 b
Pour parler de Jésus s’il faut avoir souffert, 6+6 a
Peut-être en suis-je digne ! 6 b
VII
180 C’est l’homme et le martyr, mais non le Dieu vivant, 6+6 a
Que j’évoque aujourd’hui sous mon pinceau fervent. 6+6 a
Je viens montrer le frère en exemple à ses frères ; 6+6 a
J’ai chassé de mon cœur les pensers téméraires ; 6+6 a
L’apôtre seul, touché par les langues de feu, 6+6 a
185 Dira la majesté du Verbe égal à Dieu ; 6+6 a
Moi j’adore en son nom et je baisse la tête ; 6+6 a
J’y crois, et je le sais ineffable au poète. 6+6 a
Mais ce Christ, ce Sauveur qu’on implore à genoux, 6+6 a
Il fut pauvre et souffrant et triste comme nous. 6+6 a
190 Oui, quel que soit le nom dont au ciel on le nomme, 6+6 a
Votre fils est aussi, mon Dieu, LE FILS DE L’HOMME. 6+6 a
Ce Christ que je veux peindre, il a les yeux en pleurs ; 6+6 a
Je le comprends, il est notre frère en douleurs. 6+6 a
Fils d’Adam comme nous, le mal le sollicite ; 6+6 a
195 Il reçoit du démon l’infernale visite. 6+6 a
C’est lui qui, dans sa force affermissant les bons, 6+6 a
Vint triompher pour nous du piège où nous tombons. 6+6 a
Jésus, de nos péchés se faisant la victime, 6+6 a
Nous est semblable en tout, excepté par le crime. 6+6 a
200 Je puis donc l’exprimer, car c’est l’homme éternel, 6+6 a
Ce Christ qui s’abreuva de vinaigre et de fiel, . 6+6 a
Celui dont le travail durcit les mains actives ; 6+6 a
Ce Christ, non du Thabor, mais du mont des Olives, 6+6 a
Qui put dire, au milieu des affres de la croix, 6+6 a
205 Que Dieu l’abandonnait, et qui cria trois fois ! 6+6 a
Toutes ses actions nous parlent, nous enseignent, 6+6 a
Et sa chair saigne encor dans nos membres qui saignent 6+6 a
Jésus, Jésus mourant vit et palpite en moi, 6+6 a
Il prendra par l’amour les cœurs privés de foi. 6+6 a
210 Mais, pour parler de lui, j’ai besoin de sa grâce ; 6+6 a
Je l’invoque en pleurant par sa croix que j’embrasse ; 6+6 a
En écrivant son nom par le siècle oublié, 6+6 a
J’apporte dans mon œuvre un cœur humilié. 6+6 a
Des humaines clartés je connais l’indigence. 6+6 a
215 Je prosterne, ô mon Dieu ! ma pauvre intelligence ; 6+6 a
Vous seul de la sagesse y répandez le sel. 6+6 a
Hors l’éclair émané du Verbe universel, 6+6 a
Chez moi, poëte obscur, chez les voyants célèbres, 6+6 a
Il n’est, dans tout esprit, qu’erreurs et que ténèbres..... 6+6 a
220 O Père tout-puissant que nul ne prie en vain, 6+6 a
Illuminez-moi donc par ce Verbe divin ! 6+6 a
VIII
O raison incréée ! ô Verbe ! 8 a
Hormis ton rayon qui nous luit, 8 b
Rien n’est dans notre esprit superbe, 8 a
225 Rien... qu’une épaisse et lourde nuit. 8 b
Viens donc, ô clarté souveraine, 8 a
Viens, de toute sagesse humaine 8 a
Éclipse en moi le vain flambeau. 8 a
C’est quand l’homme en nous fait silence, 8 b
230 Que l’harmonie éclate et lance 8 b
Le vrai dans la splendeur du beau ! 8 a
Pour que ma voix soit la parole, 8 a
Dans mon être, ô Verbe vainqueur ! 8 b
Descends comme une foudre ! immole 8 a
235 Et la chair et l’orgueil du cœur. 8 b
Qu’un charbon épure ma bouche. 8 a
Qu’un ange, gardien farouche, 8 a
Compte les mots qui jailliront ; 8 a
Que son glaive veille à ma porte, 8 b
240 Afin que nul passant ne sorte 8 b
S’il n’a votre sceau sur le front. 8 a
Seigneur, à l’insu de moi-même, 8 a
Si, folle en ses témérités, 8 b
Ma bouche enseignait le blasphème 8 a
245 Des adorables vérités..... 8 b
Si mon œil offense un mystère, 8 a
Si jamais la pudeur austère 8 a
Rougit de mes vers imprudents.... 8 a
Faites, comme un fruit de Gomorrhe, 8 b
250 Tomber ma langue, que j’abhorre, 8 b
En cendre infecte sous mes dents. 8 a
J’ai choisi le don de la lyre. 8 a
Même au prix de tout mon bonheur, 8 b
Mais si mes chants, dans un délire, 8 a
255 S’élevaient contre vous, Seigneur ! 8 b
Si l’erreur que notre âge expie 8 a
Attachait une corde impie 8 a
A l’or du divin instrument.... 8 a
Comme un fer blanchi dans les flammes, 8 b
260 Qu’il se colle à mes doigts infâmes 8 b
Et se fonde en me consumant ! 8 a
Non ! cette œuvre où Jésus doit vivre 8 a
Ne vous méconnaîtra jamais ; 8 b
Si j’ai longtemps rêvé ce livre, 8 a
265 O Christ ! c’est que je vous aimais. 8 b
Je veux, je veux que chaque page 8 a
Monte vers vous comme un hommage ; 8 a
Qu’on puisse l’ouvrir au saint lieu ; 8 a
Et qu’innocent par ses doctrines, 8 b
270 Il verse au moins dans les poitrines 8 b
L’amour des hommes et de Dieu. 8 a
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