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12 longueur métrique
6-6 mètre
LAP_4/LAP28
Victor de LAPRADE
ODES ET POÈMES
1844
LIVRE TROISIÈME
X
ADIEUX SUR LA MONTAGNE
À MON AMI BARTHÉLEMI TISSEUR
I
Dans les villes, tombeauxdont le peuple croit vivre, 6+6 a
s’agitent des mortspar des morts coudoyés, 6+6 b
l’âme aspire un airqui la tue ou l’enivre, 6+6 a
Ceux qui sont nés à Dieusont bientôt oubliés. 6+6 b
5 Là, des spectres faisantde l’ombre et du tumulte, 6+6 a
Vous cachent à mes yeux,vous-même, ô mon ami ! 6+6 b
Et j’omets tout un jourde vous rendre mon culte, 6+6 a
Vous l’hôte de mon cœur,vous d’hier endormi ! 6+6 b
Des bruits humains font taireen moi le saint murmure 6+6 a
10 De votre esprit qui souffleet qui veut me parler, 6+6 b
Et la foule taritsous son haleine impure 6+6 a
Chaque larme aussitôtqu’elle cherche à couler. 6+6 b
Mais à peine ai-je fuitout seul vers la campagne, 6+6 a
Et trouvé la natureet vu le jour vermeil ; 6+6 b
15 Sitôt que je respireune odeur de montagne, 6+6 a
Et que Dieu dans mon âmeentre avec le soleil ; 6+6 b
Sitôt que l’infinise fait dans ma pensée, 6+6 a
J’y revois, près du Dieuque je viens adorer, 6+6 b
Votre ombre lumineuseun instant éclipsée 6+6 a
20 M’appeler, me sourire ;et je puis vous pleurer. 6+6 b
Tout alors, fleur qui s’ouvreet rayon qui s’allume, 6+6 a
Arbres, flots exhalantun soupir triste et doux, 6+6 b
Sillons court la briseet toit lointain qui fume, 6+6 a
Tout semble s’animeret se peupler de vous. 6+6 b
25 Les cimes des forêtsd’un bruit large inondées, 6+6 a
Les buissons fourmillantde chansons et de cris, 6+6 b
En écho tour à tourredisent les idées 6+6 a
Dont votre âme fécondeemplissait nos esprits. 6+6 b
Aux êtres vous parliezdans leur langue divine ; 6+6 a
30 Vous les sentiez tous vivre ;ils vous sentaient rêver : 6+6 b
Car vous aviez l’amourqui voit ou qui devine, 6+6 a
Et leurs secrets accords,vous les saviez trouver. 6+6 b
Tout se réfléchissaitdans votre âme profonde ; 6+6 a
Torrent, fleuve et ruisseau,tout vous payait tribut : 6+6 b
35 Vous deviez promptementépuiser tout un monde, 6+6 a
Et toucher dans un autrea l’invisible but. 6+6 b
Votre esprit visitaitles chênes et les roses ; 6+6 a
Et, sans doute, sachantqu’à mon tour j’y viendrai, 6+6 b
Vous avez en partantlaissé sur toutes choses 6+6 a
40 Des vestiges de vous :je les recueillerai ! 6+6 b
II
Avec l’odeur montantde ces prés en corbeilles, 6+6 a
Avec l’oiseau qui fuitet va chanter là-bas, 6+6 b
De l’herbe et des rameaux,avec un bruit d’abeilles, 6+6 a
Un souvenir de vouss’élève à chaque pas. 6+6 b
45 L’atmosphère s’emplitd’une vivante flamme : 6+6 a
C’est vous qui de vos yeuxla versez par éclair ; 6+6 b
Sa chaleur m’enveloppe,et j’ai senti mon âme 6+6 a
S’épanouir en vouscomme mon corps dans l’air. 6+6 b
Alors la part de vousque Dieu nous a ravie, 6+6 a
50 Celle en qui rien ne change,et dont rien n’est distrait, 6+6 b
Celle qui gte au cielune meilleure vie, 6+6 a
Ce qu’en vous nous aimons,votre cœur m’appart. 6+6 b
Vous êtes revêtude la forme plus pure 6+6 a
Que prend l’homme là-hautquand son corps y rent. 6+6 b
55 Mais sous ce vêtement,quoiqu’il vous transfigure, 6+6 a
Vous êtes bien le mêmeet l’on vous reconnt. 6+6 b
C’est bien lui ! cet espritplein de mansuétude, 6+6 a
Parole qui charmaitma joie ou ma douleur, 6+6 b
À qui toute sciencearrivait sans étude, 6+6 a
60 Comme l’onde à la sourceet le miel à la fleur ! 6+6 b
C’est lui ! Dans tous ses mauxtoujours paisible et grave, 6+6 a
Que j’ai tant vu souffrirsans se plaindre jamais ! 6+6 b
Cet homme à la raisonpuissante, au cœur suave, 6+6 a
Mont de granit couvertde rieurs jusqu’au sommet ! 6+6 b
65 C’est lui ! Pour vivre en nouss’oubliant à toute heure, 6+6 a
Lui qui prenait pour siensmes travaux, mes combats ; 6+6 b
C’est lui dont la pensée,onde supérieure, 6+6 a
Fertilisait la mienne,et ne tarissait pas ! 6+6 b
De ces forêts vers moije vous ai vu descendre 6+6 a
70 Ainsi qu’un blanc nuage,et glissant lentement ; 6+6 b
Le sol autour de vouss’éclaire d’un jour tendre, 6+6 a
De votre corps nouveaudivin rayonnement. 6+6 b
Les plantes s’inclinantbaisent vos pieds de neige ; 6+6 a
L’air est rempli d’oiseauxet de joyeuses voix ; 6+6 b
75 Les bois semblent marcherpour vous faire cortège ; 6+6 a
La nature vous rendvotre amour d’autrefois. 6+6 b
Vous, calme et traversantson peuple qui s’assemble, 6+6 a
Vers moi sans lui parlervous voilà parvenu ; 6+6 b
Et, comme aux jours heureux nous pensions ensemble, 6+6 a
80 Vous avez pris mon bras,cet appui si connu. 6+6 b
Et nous marchons tous deuxen dominant la plaine 6+6 a
De mon pays natal,que je vantais souvent ; 6+6 b
Les monts à l’occidentnous déroulent leur chne, 6+6 a
Beaux lieux que j’espéraisvoir avec vous vivant ! 6+6 b
85 Vous m’êtes si présentque nous causons encore 6+6 a
D’hier et de demain,de nos projets nombreux : 6+6 b
Hélas ! comme si Dieu,dans un but que j’ignore, 6+6 a
N’avait pas déjà misun monde entre nous deux ! 6+6 b
Le mobile entretienvole en sa fantaisie 6+6 a
90 Des étoiles du cielaux herbes des chemins ; 6+6 b
Nous parlons de mon cœuret de ma poésie, 6+6 a
Coursiers dont vous teniezles rênes dans vos mains : 6+6 b
Car je croyais en vous,que nul n’a su conntre ! 6+6 a
Source au modeste flotqui dans l’ombre a coulé, 6+6 b
95 J’ai vu vos profondeurs,et vous fûtes mon mtre : 6+6 a
Tous mes doutes fuyaientquand vous aviez parlé. 6+6 b
Dieu vous donna le sensdes clartés éternelles ; 6+6 a
Jamais, idée ou fait,vous ne jugiez en vain, 6+6 b
Tandis que nous errionsdans les choses mortelles, 6+6 a
100 Vos yeux, à travers tout,allaient droit au divin. 6+6 b
De la sphère idéale vous viviez d’avance 6+6 a
Pour moi, vous revenez ;et, comme aux anciens jours, 6+6 b
Vous m’en communiquezaujourd’hui la science ; 6+6 a
Vous rallumez ma foidu feu de vos discours. 6+6 b
105 Et longtemps nous restonsassis près des fontaines ; 6+6 a
Nous allons sur la mousseet le gazon nouveau, 6+6 b
Méditant de savoir,dans les luttes humaines, 6+6 a
Réaliser le bienet contempler le beau. 6+6 b
Mais trop tôt, étouffantla voix dont je m’enivre, 6+6 a
110 Un bruit d’homme s’élève,et nous a séparés, 6+6 b
Moi pour aller mourir,et vous pour aller vivre 6+6 a
Dans ces mondes d’amourau sage préparés. 6+6 b
III
Je le sais, votre part,sans doute, est la meilleure ; 6+6 a
Mon esprit dort encor,le vôtre eut son réveil ; 6+6 b
115 Cette vie est mauvaiseet pourtant je vous pleure, 6+6 a
Vous qui ne verrez plusles fleurs ni le soleil ! 6+6 b
Grande âme à ses amoursavant l’heure arrachée, 6+6 a
Onde pour nous tarieavant les jours d’été, 6+6 b
Fort ouvrier laissantl’œuvre à peine ébauchée, 6+6 a
120 Harmonieux oiseaumort sans avoir chanté ! 6+6 b
Peut-être en te pleurantje gémis sur moi-même, 6+6 a
Resté seul dans la lutte tu viens d’expirer ; 6+6 b
Mais les décrets de Dieusont sacrés pour qui t’aime, 6+6 a
Et, plein de ton esprit,je les dois adorer. 6+6 b
125 Comme tu le serais,je suis fort dans mes larmes ; 6+6 a
Je garde ta doctrine,et ta foi m’agrandit : 6+6 b
En de mâles adieuxtu me lègues tes armes ; 6+6 a
Ta voix parle, j’entends ;voici ce qu’elle dit : 6+6 b
« Frère ! si Dieu te laisseici-bas seul et triste, 6+6 a
130 C’est que l’homme nouveaudans ton cœur n’est pas né : 6+6 b
La main de la douleur,cette sublime artiste, 6+6 a
Au gré du mtre encorne t’a pas façonné. 6+6 b
« Dans la sphère je monteavant que de me suivre, 6+6 a
Il te reste à livrerde plus rudes combats ; 6+6 b
135 Ce n’est que pour lutterque tu dois encor vivre, 6+6 a
Et les adversitésne t’épargneront pas. 6+6 b
« Il te faut, comme moi,prendre la voie étroite ; 6+6 a
L’ombre abonde et les fleurssur la route du mal ; 6+6 b
Celle tu marcheras,plus âpre mais plus droite, 6+6 a
140 Mène par le désertplus près de l’idéal. 6+6 b
« Tu porteras le poidsde ton cœur solitaire ; 6+6 a
Déjà ton front penchése dépouille et pâlit ; 6+6 b
Nul œil ne souriraprès de ta lyre austère, 6+6 a
Et la seule insomniehabitera ton lit. 6+6 b
145 « Jamais tu ne verrasun champ dont tu sois mtre 6+6 a
Se couvrir à ton gréde rameaux ou d’épis ; 6+6 b
Et jamais en des boisplantés par un ancêtre 6+6 a
Tes bras ne bercerontdes enfants assoupis. 6+6 b
« Sans même que l’oiseaupour son nid les recueille, 6+6 a
150 Tu verras sous le pasde l’homme indifférent 6+6 b
Tes stériles chansonss’envoler feuille à feuille, 6+6 a
Et jusqu’aux mers d’oublicouler dans le torrent. 6+6 b
« Le monde tient pour vilsles objets de ton culte ; 6+6 a
Il cherche d’autres biensqu’un son mélodieux ; 6+6 b
155 Tu n’auras rien de luiqu’ironie et qu’insulte 6+6 a
Toi, ne le maudis point !sois fidèle à nos dieux. 6+6 b
« Passe au milieu de luisans haine et sans murmure : 6+6 a
La sagesse est amour :mais garde la fierté : 6+6 b
Que ton front de l’orgueilporte la noble armure, 6+6 a
160 Et pour trésor au moinschoisis la liberté. 6+6 b
« Marche inflexible au but,je t’ai tracé la route ; 6+6 a
Mon esprit vit en toi,suis ce guide sacré ; 6+6 b
Songe, en te relevantdans tes heures de doute, 6+6 a
Que, de près ou de loin,pour toi je combattrai ! » 6+6 b
IV
165 Partout ainsi, partoutson ombre m’accompagne ; 6+6 a
Sans cesse à mes côtésje l’entends, je le vois, 6+6 b
Tel qu’il me dit adieudu haut d’une montagne, 6+6 a
Sans le savoir, hélas !pour la dernière fois ! 6+6 b
Par l’amitié conduitssur un sommet auguste, 6+6 a
170 Exempt des bruits du mondeet par Dieu visité, 6+6 b
Nous habitions tous deuxdans la maison d’un juste, 6+6 a
Et trouvions dans son cœurune hospitalité. 6+6 b
Là, tout penser grandit,tant cette cime est haute. 6+6 a
Dans les bois solennelsnous allions, tour à tour 6+6 b
175 Écoutant la nature,ou l’âme de notre hôte, 6+6 a
Homme entre tous choisipour enseigner l’amour. 6+6 b
Là, nous avons vécude divines journées, 6+6 a
Parlant des véritéset des biens éternels ; 6+6 b
De célestes lueursnous y furent données : 6+6 a
180 La sagesse descenddans les cœurs fraternels, 6+6 b
Vous aviez vos desseinssur nos dernières heures, 6+6 a
Seigneur ! en nous menantvers ces sommets bénis ! 6+6 b
Sans doute, ainsi tous troisdans des sphères meilleures, 6+6 a
Un jour, en votre nom,nous serons réunis ! 6+6 b
185 Je partis le premier,rappelé dans les villes ; 6+6 a
Et lui, pour prolongernotre cher entretien, 6+6 b
Me suivit jusqu’au boutde ces forêts tranquilles ; 6+6 a
Et son bras ne pouvaitse détacher du mien. 6+6 b
Il nous fallut enfinrompre la douce chne, 6+6 a
190 Alors restant, malgréle soleil lourd et chaud, 6+6 b
Debout au bord des pins,et tourné vers la plaine, 6+6 a
Il me voyait descendreet me parlait d’en haut. 6+6 b
Longtemps, sur ce trépiedde mousse et de bruyère, 6+6 a
— Cette image à jamaisvit dans mon souvenir — 6+6 b
195 Je l’apeus baignéd’une ardente lumière, 6+6 a
Tenant son bras levécomme pour me bénir. 6+6 b
Et Dieu m’a retirécette main forte et pure, 6+6 a
Ce rayon tout puissantqui m’aurait rajeuni ! 6+6 b
Dans ces bois, altérésde ton souffle, ô nature ! 6+6 a
200 Nous n’irons plus tous deuxrespirer l’infini. 6+6 b
Seul je vous cherche encor,désert, forêt divine ! 6+6 a
Chaque arbre y fait surgirson ombre à mon regard ; 6+6 b
De chaque émotionqui gonfle ma poitrine, 6+6 a
À son esprit, là-haut,je fais monter sa part. 6+6 b
205 Et toi, tu la reçois,n’est-ce pas, ô chère âme ? 6+6 a
Ces brises, ces parfumsdes pins mélodieux, 6+6 b
Cet horizon qui rouleun océan de flamme, 6+6 a
Tu les sens par mon cœuret les vois par mes yeux. 6+6 b
Eh bien ! j’irai souvent,pour te faire une offrande, 6+6 a
210 M’imprégner des rayonset des bruits des sommets ; 6+6 b
Et prier dans ces bois,dont la paix est si grande, 6+6 a
Et qu’il est bon d’aimerpuisque tu les aimais ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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