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P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAP_4/LAP26
Victor de LAPRADE
ODES ET POÈMES
1844
LIVRE TROISIÈME
VIII
LA COUPE
Amis, le temps brumeux | fait les songeurs moroses ! 6+6 a
Tout exhale l’ennui, | ce soir, même ces roses ; 6+6 a
Des yeux les plus aimés | le sourire a pâli ; 6+6 b
Nos pensers de ce ciel | ont pris la morne teinte… 6+6 c
5 Mais venez ! Dans le vin | cherchons la verve éteinte, 6+6 c
Et la joie, et l’espoir, | compagnons de l’oubli. 6+6 b
Une âme est dans le vin ! | un dieu d’humeur charmante 6+6 a
Remplit de son esprit | cette pourpre écumante ; 6+6 a
Lui-même a teint la grappe | avec son doigt vermeil ; 6+6 b
10 Au feu de ses rayons | toute ombre s’évapore ; 6+6 c
Le vin, c’est sa lumière | et sa chaleur ; l’amphore 6+6 c
Cache en ses flancs obscurs | des gouttes de soleil. 6+6 b
Toi, par qui, d’une lèvre | où le rire étincelle, 6+6 a
La chanson radieuse | à plus grands flots ruisselle ; 6+6 a
15 Toi, dont ma coupe pleine | atteste le pouvoir, 6+6 b
Je t’ai vu, le carquois | sonnant sur tes épaules, 6+6 c
Descendre, ô dieu joyeux, | sur nos coteaux des Gaules, 6+6 c
Et tes cheveux flotter, | et les rubis pleuvoir ! 6+6 b
Comme sous le baiser | frémit un sein d’amante, 6+6 a
20 Sous tes yeux printaniers | la terre au loin fermente ; 6+6 a
Les féconds éléments | s’y combinent entre eux ; 6+6 b
La flamme du silex, | les pleurs de la rosée 6+6 c
Se mêlent dans le cep ; | et la sève embrasée 6+6 c
A gonflé les bourgeons | d’un esprit généreux. 6+6 b
25 Bientôt la jeune vigne | au vieil orme s’enlace ; 6+6 a
Le pampre offre aux amours, | sous son ombre, une place, 6+6 a
Près du Faune enivré | la Nymphe y vient le soir ; 6+6 b
L’été voluptueux | brunit l’ardente grappe ; 6+6 c
Puis, buvant à deux mains | le doux sang qui s’échappe, 6+6 c
30 L’automne au front pourpré | danse autour du pressoir, 6+6 b
Nous, maintenant, tirons | du sommeil et des ombres 6+6 a
Ce soleil enfoui, | trésor pour les jours sombres, 6+6 a
Sève de feu qui vient | réchauffer nos hivers. 6+6 b
Dans le cœur le plus morne, | à briller toute prête, 6+6 c
35 Peut-être, avec ce vin, | d’une veine secrète, 6+6 c
La gaîté va jaillir, | sur l’heure, et les beaux vers. 6+6 b
Partout où la sema | la nature en largesse, 6+6 a
Cueillons la joie, amis, | germe de la sagesse ; 6+6 a
D’une fleur au jardin | et d’une étoile aux cieux, 6+6 b
40 Du chant sacré d’un maître, | ou des yeux d’une belle, 6+6 c
De toute chose, enfin, | ou divine, ou mortelle… 6+6 c
De ce cristal bleuâtre | où rougit le vin vieux ! 6+6 b
À table ! avant d’ouvrir | la solennelle amphore, 6+6 a
Que d’habits éclatants | l’amitié se décore ; 6+6 a
45 Dans le plaisir des yeux | naît le charme du cœur. 6+6 b
Le vin vaut mieux quand l’urne | est de fleurs couronnée 6+6 c
Qu’en nos festins, surtout, | daigne la Muse ornée 6+6 c
Des plus aimables dieux | nous amener le chœur. 6+6 b
À nos graves discours | que le rire entrecoupe, 6+6 a
50 Qu’Aphrodite et Pallas | vident la même coupe ; 6+6 a
Le sage admet aussi | des amours enjouées. 6+6 b
Amenons au banquet, | charmantes entre mille, 6+6 c
Daphné, Glycère aux yeux | d’émeraude, et Camille, 6+6 c
Mais que leurs noirs cheveux | restent toujours noués. 6+6 b
55 Glycère chantera | quelque folle élégie ; 6+6 a
Du toit joyeux, pourtant, | chassons bien loin l’orgie, 6+6 a
Poètes ! nous avons | la Ménade en horreur. 6+6 b
Des soupers effrénés | les Muses sont absentes ; 6+6 c
Amis, ne faisons pas | fuir les Grâces décentes ! 6+6 c
60 Car, après sa gaîté, | le vin a sa fureur. 6+6 b
Dans l’excès de la coupe | où nous trouvons la verve, 6+6 a
L’esprit s’appesantit, | le corps même s’énerve ; 6+6 a
Un stupide sommeil | gonfle la lèvre en feu. 6+6 b
Des hautes voluptés, | nous que la soif altère, 6+6 c
65 Fils de la Muse, au vin | rendons un culte austère, 6+6 c
Buvons-le chastement | sous le regard d’un dieu. 6+6 b
Le poète aime mieux | l’extase que l’ivresse ; 6+6 a
Un sévère échanson | à sa table se dresse, 6+6 a
Il invite parfois | l’amour à s’y placer ; 6+6 b
70 Mais c’est pour nous dicter | ses chansons immortelles, 6+6 c
Amis, qu’en nos banquets | les ivresses soient telles 6+6 c
Qu’Elvire ou Béatrix | pourraient nous les verser. 6+6 b
Venez ! la table est prête | où l’amitié s’épanche ; 6+6 a
De verdoyants rameaux | parons la nappe blanche. 6+6 a
75 C’est l’autel de la joie | et du rire innocent ; 6+6 b
C’est là, dans l’abandon | des longues causeries, 6+6 c
Qu’entre les luths d’ébène | et les coupes fleuries 6+6 c
Le feu sacré nous touche | et que l’esprit descend. 6+6 b
Ô vin ! source d’amour, | nous dirons tes louanges ! 6+6 a
80 Nous sommes ouvriers | pour les grandes vendanges, 6+6 a
Nous conduisons la bêche | autour des ceps divins. 6+6 b
Prends-nous à ta journée, | ô ma France féconde ! 6+6 c
Toi qui, pour le salut | ou la gaîté du monde, 6+6 c
Fais couler tour à tour | ton sang et tes bons vins. 6+6 b
85 À l’œuvre, tous à l’œuvre | et préparons la fête, 6+6 a
Bras d’acier du soldat, | bouche d’or du poète. 6+6 a
À l’œuvre les marteaux, | les socs, les avirons ! 6+6 b
De froment et de miel | que les pains se pétrissent ; 6+6 c
Et vous, sculpteurs, à qui | les métaux obéissent, 6+6 c
90 Ciselez dans l’or pur | la coupe où nous boirons. 6+6 b
Gravez sur ses contours | les exploits de l’épée ; 6+6 a
Des géants paternels | chantez-nous l’épopée. 6+6 a
Dites leur sang versé, | leurs travaux, leurs douleurs ; 6+6 b
Tracez-nous le tableau | de l’héroïsme antique ; 6+6 c
95 Faites-nous voir, aux flancs | de l’urne pacifique, 6+6 c
L’âge des grands combats | déroulés sous des fleurs. 6+6 b
À ceux donc qui sont morts, | soldats ou capitaines, 6+6 a
Pour un bonheur promis | à des races lointaines, 6+6 a
Ce calice doit rendre | un hommage éternel ; 6+6 b
100 Qu’il fasse, amis, le tour | de la cité des hommes, 6+6 c
Et qu’enchaînés de cœur, | comme ici nous le sommes, 6+6 c
Tous boivent à la ronde | un nectar fraternel ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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