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| = césure
LAP_4/LAP20
Victor de LAPRADE
ODES ET POÈMES
1844
LIVRE TROISIÈME
II
INVOCATION SUR LA MONTAGNE
À MON AMI BARTHÉLEMY TISSEUR
Sachez ce que j’ai dit | pour vous sur la montagne, 6+6 a
Ami dont la pensée | est partout ma compagne. 6+6 a
Un matin de janvier, | par un temps vif et clair, 6+6 a
Où je me sentais fort | de la vigueur de l’air, 6+6 a
5 Un de ces jours dorés, | bleus, et tels que d’avance 6+6 b
Son soleil, l’hiver même, | en donne à la Provence, 6+6 b
Je sortis de la ville | où, — souvenir sacré ! — 6+6 a
Pour la première fois | je vous ai rencontré. 6+6 a
De nos ans révolus, | je repassais l’histoire ; 6+6 b
10 Pèlerin, je voulais | gravir Sainte-Victoire. 6+6 b
Jusqu’à l’étroit vallon | fermé d’un mur romain, 6+6 a
Si connu de nous deux, | je suivis le chemin ; 6+6 a
Et de là, pour seul guide | ayant le pic sublime, 6+6 b
Sur un sol non foulé, | j’allai de cime en cime. 6+6 b
15 La lumière en tons chauds | jouait sur les hauteurs ; 6+6 a
Mes pieds dans les taillis | soulevaient des senteurs ; 6+6 a
Je marchais dans les buis, | les houx et les genièvres ; 6+6 b
Pour seuls bruits au lointain | les clochettes des chèvres 6+6 b
Et le cri de la grive | entre les chênes verts, 6+6 a
20 Et le vent dans les pins | semblable au bruit des mers. 6+6 a
En montant, je cueillais | un peu de chaque arbuste : 6+6 b
Et quand j’eus du rocher | atteint la crête auguste, 6+6 b
J’y posai mon bouquet | religieusement. 6+6 a
Je sentais du désert | le saint enivrement ; 6+6 a
25 Avec l’air, et par flots | odorants et sonores, 6+6 b
L’esprit de vie entrait | en moi par tous les pores. 6+6 b
A genoux, je pleurai | pour que Dieu nous bénit ; 6+6 a
Ma bouche se colla | sur le sacré granit ; 6+6 a
Je priai sans parole, | et mon baiser austère 6+6 b
30 S’imprima sur ton front, | ô ma mère la terre ! 6+6 b
Enfin je me dressai ; | de mes deux bras ouverts 6+6 a
Sur ce trépied géant, | j’embrassai l’univers ; 6+6 a
Comme un prêtre épanchant | l’extase qui l’inonde, 6+6 b
J’envoyai mes baisers | aux quatre points du monde 6+6 b
35 Quatre fois saluant | et changeant d’horizon, 6+6 a
De notre Père au ciel | je redis l’oraison, 6+6 a
Et, m’unissant d’amour | à la nature entière, 6+6 b
A longs traits j’aspirai | la vie et la lumière. 6+6 b
Puis, je courbai mon front | sur mes deux mains en feu, 6+6 a
40 Et mon âme un moment | s’anéantit en Dieu. 6+6 a
« Penche-toi sur mon cœur, | toi d’où l’être ruisselle, 6+6 a
Verse à flots de tes yeux | les fluides vivants ; 6+6 b
Coulez d’en haut, torrents | de vie universelle, 6+6 a
Venez pour m’abreuver, | venez des quatre vents ! 6+6 b
45 « Ô lumière, ô couleurs, | ô rayons de sa face, 6+6 a
Regards de l’infini | de caresses chargés, 6+6 b
Rosiers de l’Orient | effeuillés dans l’espace, 6+6 a
Sourires amoureux | d’astre en astre échangés ; 6+6 b
« Notes qui, refluant | des étoiles lointaines, 6+6 c
50 Glissez de ce rocher | aux bois, aux champs, aux mers ; 6+6 d
Bruit des troupeaux errants, | des arbres, des fontaines, 6+6 c
Arômes et vapeurs | mêlés dans les déserts ; 6+6 d
« Haleine des forêts, | des cités et des ondes, 6+6 a
Souffle que tout respire | et qu’on ne peut tarir ; 6+6 b
55 Des jardins inconnus | semences vagabondes, 6+6 a
Germes qui demandez | une place où fleurir ; 6+6 b
« Rayons, accords, parfums | que les vents précipitent, 6+6 a
Voix qui montez du globe | et qui tombez du ciel, 6+6 b
Mélodieux roulis | des sphères qui palpitent, 6+6 a
60 Mouvement cadencé | sur un rhythme éternel ! 6+6 b
« Et vous, lumière interne, | espoir, saintes pensées, 6+6 a
Grâces que l’invisible | envoie à son amant, 6+6 b
Eaux vives de l’esprit | par Dieu même versées, 6+6 a
Qui des sources d’en haut | coulez à ce moment ; 6+6 b
65 « Vous, prières, douleurs, | travaux, vertus secrètes, 6+6 a
Parfums nés pour le ciel | qui montez de là-bas, 6+6 b
Actions des élus | et chansons des poètes, 6+6 a
Courant de l’idéal | qui ne tarissez pas ; 6+6 b
« Paroles qui flottez | de l’âme à la nature, 6+6 a
70 Échanges de l’amour | qui donne et qui reçoit, 6+6 b
Part de l’être accordée | à chaque créature, 6+6 a
Forces du Dieu caché | que le cœur aperçoit ! 6+6 b
« Affluez, affluez | autour de cette cime, 6+6 a
D’un nuage vivant | que j’y sois revêtu, 6+6 b
75 Unissez-vous à moi | dans un mélange intime, 6+6 a
Vertus du monde entier, | devenez ma vertu ! » 6+6 b
Ainsi, j’ouvrais mon âme | aspirant dans l’espace 6+6 a
Ce grand souffle de Dieu | qui passe et qui repasse, 6+6 a
Et le sentant couler | dans mes sens agrandis, 6+6 b
80 Je saluai trois fois | le ciel, et j’étendis 6+6 b
Mes deux bras secouant | l’effluve magnétique, 6+6 a
Au nord, vers le Jura, | vers la ville helvétique 6+6 a
Où Dieu vous a conduit | loin de toute amitié, 6+6 b
Vous avec qui toujours | je pense de moitié. 6+6 b
85 « Recevez, recevez | l’esprit qui me pénètre 6+6 a
Et le surcroît de vie | ajoutée à mon être ; 6+6 a
Soyez, autant qu’aimé, | soyez calme et puissant ; 6+6 b
Recevez à la fois | et ma force et ma joie ; 6+6 c
Mon âme a recueilli, | mon âme vous envoie 6+6 c
90 D’ici tout ce qui monte | et tout ce qui descend. 6+6 b
« Entrez en lui, rayons, | parfums, musique, aurore ! 6+6 a
Clartés dont l’horizon | s’anime et se colore, 6+6 a
Coulez avec lenteur | pour qu’il n’en perde rien ; 6+6 b
Esprit de Dieu flottant | sur l’océan des mondes, 6+6 c
95 Lumière où je me baigne, | extase qui m’inondes, 6+6 c
Descendez dans son cœur, | en passant par le mien ! 6+6 b
« Divin balancement | des flots, des bois, des nues, 6+6 a
Sphères qui décrivez | des danses inconnues, 6+6 a
Bruits des astres lointains, | des fleuves, des forêts, 6+6 b
100 Accord universel, | musique saisissante 6+6 c
De tout ce qui se meut | et de tout ce qui chante, 6+6 c
Vous qui des cœurs guidez | les battements secrets ; 6+6 b
« Esprits qui dirigez | l’ascension des sèves, 6+6 a
Urnes qui répandez | la pensée et les rêves, 6+6 a
105 Essor auquel mon cœur | s’abandonne aujourd’hui, 6+6 b
Donnez-lui le vouloir, | l’action forte et sûre, 6+6 c
Réglez de tous ses pas | le mode et la mesure, 6+6 c
Versez à travers moi | votre harmonie en lui. 6+6 b
« Haleine du désert, | senteurs dont je m’enivre, 6+6 a
110 Souffle de l’idéal | qui m’avez fait revivre, 6+6 a
Par qui toute blessure | est prompte à se fermer ; 6+6 b
Arômes fécondants | que la brise balaie, 6+6 c
Descendez dans son cœur | et pansez chaque plaie ; 6+6 c
Autant qu’il a souffert | faites qu’il puisse aimer ! 6+6 b
115 « Tombez, grains et rosée, | en cette âme choisie, 6+6 a
Ravivez les moissons | qu’attend la poésie ; 6+6 a
Qu’en lui l’homme nouveau | sorte de l’homme ancien ; 6+6 b
Mûrissez, ô soleil, | les épis qu’il nous cache 6+6 c
Dans les sillons secrets : | car il faut qu’on le sache, 6+6 c
120 Le beau fut dans son cœur | semé comme le bien. 6+6 b
« Que chacun de mes doigts, | d’où mon âme ruisselle, 6+6 a
Du feu que j’aspirai | lui verse une étincelle ; 6+6 a
Qu’il soit fortifié | des forces que je prends ; 6+6 b
Que je fasse, investi | pour lui d’un sacerdoce, 6+6 c
125 Du trépied solennel | où mon amour m’exhausse, 6+6 c
Les bénédictions | s’épancher par torrents ! » 6+6 b
Ami dont la pensée | est partout ma compagne, 6+6 a
Voilà ce que j’ai dit | pour vous sur la montagne. 6+6 a
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