Métrique en Ligne
LAP_4/LAP18
Victor de LAPRADE
ODES ET POÈMES
1844
LIVRE DEUXIÈME
VII
HERMIA
POÈME
Un jour, obéissant à ces charmes austères 6+6 a
Qu’exercent les hauts lieux sur les cœurs solitaires, 6+6 a
Il voulut respirer la neige des sommets 6+6 b
D’une chaste blancheur revêtus à jamais. 6+6 b
5 Sur ces trépieds, où Dieu descend dans la lumière, 6+6 a
Où les forêts, à l’homme unissant leur prière, 6+6 a
Exhalent leurs senteurs et leurs bruits vers le ciel, 6+6 b
Il s’enivra longtemps du souffle universel. 6+6 b
Enfin, désaltéré des divines haleines, 6+6 a
10 Un plus tiède horizon l’attira vers les plaines ; 6+6 a
Car. poète, il n’a vu qu’en ses rêves encor 6+6 b
Au pays du soleil mûrir les pommes d’or. 6+6 b
Après les régions de la neige éternelle, 6+6 a
Des rocs tumultueux d’où le glacier ruisselle 6+6 a
15 La mousse et le lichen sillonnent les flancs gris ; 6+6 b
Puis les rhododendrons rougissent tout fleuris ; 6+6 b
Puis, toujours s’abaissant, les cimes étagées 6+6 a
De diverses forêts par zones sont chargées : 6+6 a
Les mélèzes d’abord, les sapins, et des prés 6+6 b
20 L’émail couvrant déjà des flancs plus tempérés, 6+6 b
Et les hêtres touffus, les bouleaux et les chênes 6+6 a
Annonçant la douceur des collines prochaines. 6+6 a
Sous leur ombre, il marcha jusqu’au premier gradin 6+6 b
D’où l’œil saisit la plaine et son riant jardin, 6+6 b
25 Et l’extrême horizon du lac aux bords fertiles, 6+6 a
Dont le myrte et l’orange ont embaumé les îles. 6+6 a
Offrant à la fatigue un asile attiédi, 6+6 b
Là s’ouvrait une grotte au soleil de midi. 6+6 b
D’un bois entremêlé de taillis, de clairière, 6+6 a
30 De longs vergers en fleurs blanchissaient la lisière. 6+6 a
Les coteaux sinueux qui portent les raisins, 6+6 b
Et les plants d’oliviers, de là semblaient voisins. 6+6 b
Et pourtant des sapins la tête haute et sombre 6+6 a
Versait tout près encor la froideur de son ombre. 6+6 a
35 Amoureux des jardins et des bois tour à tour, 6+6 b
Dans la grotte paisible il se fit un séjour. 6+6 b
La brise et le soleil, par une large entrée, 6+6 a
Des parfums et des voix de toute la contrée 6+6 a
Lui portaient le tribut. Un charmant arbrisseau 6+6 b
40 Déployé sur le bord de la voûte en berceau, 6+6 b
Sous un treillis de fleurs et de feuilles pendantes, 6+6 a
Arrêtait de midi les flammes trop ardentes. 6+6 a
L’arbre mystérieux — il ignora son nom 6+6 b
Entre la vie et l’être, admirable chaînon, 6+6 b
45 S’ébranlait de lui-même et par sa propre force, 6+6 a
Comme s’il enfermait un dieu sous son écorce ; 6+6 a
Sans attendre aucun souffle, il murmurait des sons, 6+6 b
Ses fleurs dans leurs parfums répandaient des chansons, 6+6 b
Des soupirs presque humains, une plainte si douce, 6+6 a
50 Que sur le seuil de l’antre, et couché sur la mousse, 6+6 a
Souvent de ces beaux lieux le nouvel habitant 6+6 b
Oubliait tout un jour de vivre en l’écoutant. 6+6 b
Ainsi, sans les compter, il laissait fuir les heures, 6+6 a
Dans ce désert où Dieu lui donna ses meilleures. 6+6 a
55 Des sommets aux vallons, quand, las d’avoir erré, 6+6 b
Chaque soir, dans la grotte il s’était retiré, 6+6 b
Un fertile sommeil, inconnu dans les villes, 6+6 a
Sans les appesantir fermait ses yeux tranquilles. 6+6 a
Par la porte d’ivoire, un songe, hôte charmant, 6+6 b
60 Près de lui descendu, l’enivrait mollement, 6+6 b
Et, dans toutes ses nuits, d’une image pareille, 6+6 a
À sa vue, à son cœur répétait la merveille. 6+6 a
Il voyait dans la grotte, au coin le plus obscur, 6+6 b
Une lueur mêlée et d’argent et d’azur, 6+6 b
65 Comme un reflet du lac lorsque la lune y brille, 6+6 a
Jaillir des blancs contours d’un corps de jeune fille ; 6+6 a
Puis à la voûte, aux murs, sur les cristaux sculptés, 6+6 b
L’auréole agrandie allumait des clartés. 6+6 b
Un arbuste semblable à la plante inconnue, 6+6 a
70 Et d’où sort comme un fruit la vierge demi-nue, 6+6 a
À sa chaste ceinture attache un vêtement 6+6 b
De rameaux et de fleurs noués confusément : 6+6 b
De ses seins non voilés la neige ardente et pure 6+6 a
S’élève et resplendit dans la sombre verdure ; 6+6 a
75 Sur sa hanche onduleuse un de ses bras descend ; 6+6 b
Une urne, d’où les eaux coulent en gémissant, 6+6 b
À l’autre sert d’appui ; tout est repos en elle ; 6+6 a
Un immobile éclair enflamme sa prunelle ; 6+6 a
Le silence divin sur ses lèvres sourit ; 6+6 b
80 À peine si la vie autrement s’y trahit, 6+6 b
Tant son souffle est subtil, et dans son cœur paisible 6+6 a
Glisse sans soulever un mouvement visible. 6+6 a
Son âme cependant déborde, et par ses yeux 6+6 b
Sa parole jaillit en ruisseaux radieux, 6+6 b
85 Et sur l’heureux songeur s’épanchant tout entière, 6+6 a
D’un rayon prolongé va toucher sa paupière. 6+6 a
Lui, sent par tout son être, ébloui, palpitant, 6+6 b
Ce regard de déesse et d’amante pourtant, 6+6 b
Qui, dans sa fixité lumineuse et limpide, 6+6 a
90 D’un baiser continu lui verse le fluide. 6+6 a
Ainsi, jusqu’au matin, dans l’extase bercé, 6+6 b
Sous un astre amoureux, il dormait caressé. 6+6 b
Illuminant son cœur d’une clarté suprême, 6+6 a
La vierge aux yeux perçants le contemplait de même ; 6+6 a
95 L’urne et les rameaux verts chantaient divinement ; 6+6 b
Et c’était chaque nuit égal enivrement ? 6+6 b
Or, dans la grotte, après quelques jours, son vieux maître 6+6 a
Un homme au large front, des bois auguste prêtre, 6+6 a
Descendant des hauts lieux, rentra : car, tous les ans, 6+6 b
100 Sa main savante et douce aux mortels languissants, 6+6 b
Dans le désert, aux pieds des neiges virginales, 6+6 a
Cueillait, sous l’œil de Dieu, les fleurs médicinales. 6+6 a
Confiant pour cet hôte, et pieux comme un fils, 6+6 b
Le jeune homme eut bientôt dit son nom, son pays, 6+6 b
105 Son invincible amour des monts, des forêts sombres, 6+6 a
Les désirs infinis qui pleuvent de leurs ombres, 6+6 a
Ses courses, son sommeil dans la grotte abrité, 6+6 b
Et le rêve charmant qui l’avait visité. 6+6 b
Et le sage l’aima ; dans les âmes brûlantes, 6+6 a
110 Il savait lire, ainsi que dans le sein des plantes ; 6+6 a
Il comprit cet enfant au désert envoyé 6+6 b
Pour y lire de Dieu le livre déployé. 6+6 b
Un soir, assis tous deux sous les roches voûtées, 6+6 a
Ayant pour frais tapis les mousses veloutées, 6+6 a
115 Tandis que sur le lac la brume s’épaissit, 6+6 b
Il prépara son cœur et lui fit ce récit : 6+6 b
I
C’est du soleil de mai qu’Hermia nous est née ; 6+6 a
Sa mère, au bout des prés par les fleurs entraînée, 6+6 a
Sous les rameaux en sève et les nids palpitants, 6+6 b
120 Avait, tout le matin, respiré le printemps. 6+6 b
Au bord du lac assise, appuyée au vieux saule 6+6 a
Dont les feuilles d’argent pleurent sur son épaule, 6+6 a
À ses pieds les iris, les joncs peuplés d’oiseaux, 6+6 b
Les cygnes amoureux jouant dans les roseaux ; 6+6 b
125 Ses yeux plongent au loin sur l’eau bleue et vermeille 6+6 a
Comme une large fleur où va boire une abeille, 6+6 a
Et sa bouche entr’ouverte aspire le baiser 6+6 b
D’un rayon de soleil qui vient de s’y poser 6+6 b
Là, seule et devant Dieu, sans assistance humaine, 6+6 a
130 Ainsi que l’épi mûr laisse tomber sa graine, 6+6 a
Comme l’écorce ouvrant un passage au bourgeon, 6+6 b
Le calice à la fleur, le nuage au rayon, 6+6 b
Comme si dans les airs dont l’esprit la pénètre 6+6 a
Son sein eût recueilli le germe de votre être, 6+6 a
135 Sans craindre de mourir, sans plainte et sans douleurs, 6+6 b
Elle vous mit au monde, Hermia, sur les fleurs ! 6+6 b
On se rappelle encor ce jour dans nos contrées, 6+6 a
Tant le soleil fut beau, tant les forêts sacrées, 6+6 a
Et l’onde étincelante, et les plaines en feu, 6+6 b
140 Semblèrent s’éveiller plus près de l’œil de Dieu ! 6+6 b
Tout le ciel était pur des vapeurs de la terre, 6+6 a
Comme un front virginal que nul souci n’altère ; 6+6 a
Les rêves infinis pouvaient prendre l’essor 6+6 b
Sans qu’un nuage heurtât, là-haut, leurs ailes d’or. 6+6 b
145 De cette matinée, on cite des prodiges : 6+6 a
Mille boutons éclos tout à coup sur leurs tiges, 6+6 a
Les serpents disparus dans leurs antres obscurs, 6+6 b
Et Dieu paralysant tous les êtres impurs, 6+6 b
Et d’invisibles voix sous l’ombrage entendues, 6+6 a
150 Et des gouttes de miel aux feuilles suspendues. 6+6 a
Dans la vigne et les prés, sur les bruns travailleurs 6+6 b
Il tomba de chaque arbre une neige de fleurs ; 6+6 b
De gais oiseaux volant au bord des toits champêtres 6+6 a
Posèrent des rameaux sur toutes les fenêtres. 6+6 a
155 L’air entrait comme un baume au cœur des affligés, 6+6 b
Les outils du labeur paraissaient plus légers ; 6+6 b
Chacun se sentait pur de ses haines passées, 6+6 a
Une heure enfin coula sans mauvaises pensées. 6+6 a
Sur le sein maternel, enfant joyeux et fort, 6+6 b
160 À la vie Hermia souriait dès l’abord ; 6+6 b
Les oiseaux lui parlaient, les plantes inclinées 6+6 a
La touchaient doucement comme des sœurs aînées, 6+6 a
Et, prompt comme ses yeux à s’ouvrir au soleil, 6+6 b
Son cœur semblait comprendre et bénir ce réveil. 6+6 b
165 Or, les jours de présents sont prodigues pour elle : 6+6 a
Chacun vient apporter une grâce nouvelle, 6+6 a
Et tourne avec amour autour de son berceau, 6+6 b
Offrant, pour la parer, ce qu’il a de plus beau : 6+6 b
L’un verse à ses cheveux tout l’or des moissons blondes 6+6 a
170 Et donne à son regard l’azur profond des ondes : 6+6 a
L’autre, pour la pensée et les rêves naissants, 6+6 b
Dessine de son front les contours grandissants, 6+6 b
Des vertus en son cœur sème avec soin les germes ; 6+6 a
L’autre sur le gazon soutient ses pieds plus fermes ; 6+6 a
175 Elle courut bientôt comme un jeune chevreuil. 6+6 b
La nature, inquiète et la suivant de l’œil, 6+6 b
Lui cachant les douleurs d’où plus tard naît le doute, 6+6 a
Rien qu’en leçons d’amour abondait sur sa route : 6+6 a
Et l’enfant, par chaque être au bonheur invité, 6+6 b
180 Respirait de partout la vie et la beauté. 6+6 b
Mais, comme les sapins qui vivent sur les cimes 6+6 a
Nourris de la rosée et des neiges sublimes, 6+6 a
Et ces herbes sans nom, et ces fleurs du haut lieu, 6+6 b
Et ces jardins jamais arrosés que par Dieu, 6+6 b
185 Son cœur, ayant racine au sein de la nature, 6+6 a
Refusait des mortels la savante culture, 6+6 a
Et le langage humain à sa bouche inconnu 6+6 b
Jusqu’à son âme encor n’était pas parvenu. 6+6 b
Elle comprenait bien tout ce que peuvent dire 6+6 a
190 L’accent qui vient du cœur, les soupirs, le sourire ; 6+6 a
Ses lèvres des oiseaux recevant les leçons, 6+6 b
Répétaient des accords appris de leurs chansons ; 6+6 b
Sa voix se répandait en des murmures vagues 6+6 a
Comme les bruits touffus des feuilles et des vagues ; 6+6 a
195 Il semblait que ces sons, de nous tous incompris, 6+6 b
Autour d’elle évoquaient d’invisibles esprits. 6+6 b
Les hommes exceptés, sans avoir eu de maître, 6+6 a
Elle savait parler dans sa langue à chaque être. 6+6 a
Et sa mère pleurait de n’avoir pas encor 6+6 b
200 D’un seul mot prononcé recueilli le trésor : 6+6 b
Car des lèvres d’un fils la syllabe première 6+6 a
Coule comme le miel dans le cœur d’une mère. 6+6 a
Or, celle d’Hermia bien des jours attendit 6+6 b
La douceur de son nom par son enfant redit. 6+6 b
205 Déjà grande et pensive, aux travaux de famille 6+6 a
Les parents avaient su plier la jeune fille, 6+6 a
Avant qu’à son murmure un mot se fût mêlé ; 6+6 b
Elle chanta longtemps avant d’avoir parlé. 6+6 b
Trompant de tous les siens la tendre vigilance, 6+6 a
210 Comme un jeune chevreau loin du troupeau s’élance, 6+6 a
Vers les taillis lointains, dès qu’elle put courir, 6+6 b
Du chaume paternel elle cherchait à fuir. 6+6 b
Nul n’aurait deviné sur ce tendre visage 6+6 a
L’amitié du désert si fière et si sauvage : 6+6 a
215 En vain d’autres amours dans son âme ont lutté, 6+6 b
Le charme des forêts l’a toujours emporté. 6+6 b
Lorsqu’après tout un jour passé dans les bois, seule, 6+6 a
Le retour lui montrait et la mère et l’aïeule 6+6 a
Encor pâles d’effroi pour l’enfant hasardeux, 6+6 b
220 Au lieu de la gronder, pleurant toutes les deux, 6+6 b
Elle pleurait aussi ; puis, toute la soirée, 6+6 a
Rendait, de ses baisers, la famille enivrée : 6+6 a
Mais comme une eau mobile échappe de la main, 6+6 b
Au bois, dès son lever, fuyait le lendemain. 6+6 b
225 Là, sans s’inquiéter des soins qui nous poursuivent, 6+6 a
Robuste, elle vivait comme les oiseaux vivent ; 6+6 a
Ainsi qu’eux vagabonde, et trouvant sous ses pas 6+6 b
Mille fruits abondants tout prêts pour ses repas, 6+6 b
La fraise, et la framboise, et la faîne, et l’airelle, 6+6 a
230 La mûre et l’aveline, encor plus doux pour elle 6+6 a
Que les fruits les plus beaux mûris dans nos vergers ; 6+6 b
Et parfois la noix fraîche et le pain des bergers ; 6+6 b
Et le miel s’écoulant des chênes par les fentes, 6+6 a
Et des troupeaux hardis qui broutent sur les pentes 6+6 a
235 Le lait tiède et chargé de ce parfum vital 6+6 b
Que donne la montagne à chaque végétal. 6+6 b
La chèvre aux bonds joyeux et les lentes génisses, 6+6 a
Et les blanches brebis s’offraient pour ses nourrices ; 6+6 a
Les chiens fauves léchaient ses mains, et les taureaux 6+6 b
240 Flairaient ses cheveux blonds de leurs sombres naseaux, 6+6 b
Les libres habitants des nids et des tanières, 6+6 a
Autour d’elle marchaient en troupes familières ; 6+6 a
Son seul regard calmait les faibles effrayés, 6+6 b
Et les instincts cruels s’endormaient à ses pieds. 6+6 b
245 Elle semblait ainsi, mêlée à la nature, 6+6 a
Commander par l’amour à toute créature. 6+6 a
Tels, unis à Dieu même et du mal ignorants, 6+6 b
La terre aux anciens jours vit nos premiers parents. 6+6 b
Caché dans le feuillage et muet de surprise, 6+6 a
250 Plus d’un pâtre aperçut la jeune fille, assise 6+6 a
Au milieu de sa cour étrange et du concert 6+6 b
Que forme à ses genoux le peuple du désert. 6+6 b
Sur la pente où des bois un pré suit les lisières 6+6 a
Les arbres sont épars dans les grandes fougères ; 6+6 a
255 Un chêne aux pieds noueux de mousse tapissés 6+6 b
Offre à l’enfant son dais et son trône dressés 6+6 b
Sur les rebords touffus d’une nappe d’eau sombre 6+6 a
Que la forêt protège et nourrit de son ombre. 6+6 a
Là, dans les hauts gazons fleuris et fourmillants, 6+6 b
260 Se croisent par milliers les insectes brillants. 6+6 b
Près des lis argentés rougit la digitale ; 6+6 a
Le large nénuphar sur les cressons s’étale ; 6+6 a
Pendus en noire grappe aux bras d’un frêne clair, 6+6 b
Des essaims bourdonnants s’éparpillent dans l’air ; 6+6 b
265 Sur chaque arbre, pinsons, mésanges et linottes, 6+6 a
Bouvreuils à plein gosier font gazouiller leurs notes. 6+6 a
Les chamois défiants, hôtes des grands rochers, 6+6 b
Pour Hermia venus à ses pieds sont couchés ; 6+6 b
L’aigle, planant là-haut, a jeté sur sa robe 6+6 a
270 Une fleur des sommets que lui seul y dérobe ; 6+6 a
Sur l’herbe, à ses côtés, le daim et le chevreuil 6+6 b
Dorment las de bondir : le joyeux écureuil 6+6 b
Autour de son lit glisse, et court sur ses épaules ; 6+6 a
Les oiseaux envolés des buissons et des saules 6+6 a
275 Vont jusque dans sa main becqueter par instants 6+6 b
De sorbe et d’alizier quelques grains éclatants. 6+6 b
La vie ainsi près d’elle abonde, et la nature 6+6 a
Lui sourit par les yeux de chaque créature : 6+6 a
Car l’invisible mère, en son sein triomphant, 6+6 b
280 Berçait avec orgueil son plus divin enfant. 6+6 b
Cet exil dans les bois, ces ébats sur les cimes, 6+6 a
Dans les prés suspendus au bord des verts abîmes, 6+6 a
Avec les jeunes faons les luttes et les jeux, 6+6 b
Des mutuels instincts cet accord merveilleux, 6+6 b
285 Le babil des oiseaux et ses propres réponses, 6+6 a
Les nids faits, sous ses yeux, dans les blés ou les ronces, 6+6 a
Les sources et les fleurs devinant ses désirs, 6+6 b
C’étaient là d’Hermia l’enfance et ses plaisirs. 6+6 b
Pour les bois, de ses sœurs elle fuyait les rondes, 6+6 a
290 Et ces groupes joyeux de jeunes têtes blondes 6+6 a
Qui se roulent dans l’herbe, au pied des grands noyers, 6+6 b
Et de leurs cris, le soir, égayent les foyers ; 6+6 b
Préférant pour amis, dans son humeur sauvage, 6+6 a
Les hôtes du désert aux enfants du village. 6+6 a
295 De l’arracher une heure à sa chère forêt, 6+6 b
Les baisers de sa mère eurent seuls le secret. 6+6 b
Pour être ainsi rebelle aux amitiés humaines, 6+6 a
Et régner dans les bois comme en ses vrais domaines, 6+6 a
Dans le sein d’une femme avant d’être enfermé, 6+6 b
300 De quels esprits divins le sien fut-il formé ? 6+6 b
S’était-il exhalé du souffle des fontaines ? 6+6 a
Avait-il voyagé dans les eaux souterraines, 6+6 a
Dans les grottes en prisme amassé les cristaux, 6+6 b
Condensé les vapeurs des liquides métaux ? 6+6 b
305 Sous l’écorce avait-il circulé dans la sève 6+6 a
Que la lune à son gré fait descendre ou soulève, 6+6 a
Et connu le bonheur des bourgeons entr’ouverts, 6+6 b
Et l’éveil du printemps, et, dans les noirs hivers, 6+6 b
Ces rêves dont la terre, en ses veines plus lentes, 6+6 a
310 Dans un tiède sommeil berce l’âme des plantes ? 6+6 a
Fleur offrant son calice à la soif de l’été, 6+6 b
Sous un rayon avide avait-il palpité ? 6+6 b
En poussière enlevée à l’or des étamines, 6+6 a
Les Zéphirs l’avaient-ils semé sur les collines, 6+6 a
315 Avec ces frais baisers que les lis amoureux, 6+6 b
Sous leur voile d’argent, se prodiguent entre eux ? 6+6 b
Avant ces blonds cheveux, ces bras roses et frêles, 6+6 a
Aviez-vous, Hermia, des plumes et des ailes ? 6+6 a
Aviez-vous fait des nids, et sifflé des chansons, 6+6 b
320 Et joué, sous la feuille, avec les gais pinsons ? 6+6 b
Vous habitiez, sans doute, en ces forêts plus chaudes, 6+6 a
Où le soleil revêt les oiseaux d’émeraudes, 6+6 a
Où les arbres géants sont constamment fleuris 6+6 b
De papillons nacrés et de verts colibris, 6+6 b
325 Et sur leurs troncs vêtus d’un réseau de lianes, 6+6 a
Ont, la nuit, des colliers d’insectes diaphanes ? 6+6 a
Peut-être qu’en mourant, sur un lac argenté, 6+6 b
Vous étiez un beau cygne, et vous avez chanté ? 6+6 b
Ou plutôt, tour à tour source, oiseau, chêne et rose, 6+6 a
330 Vous avez recueilli l’esprit de toute chose, 6+6 a
Et des êtres divers traversés jusqu’à nous, 6+6 b
Gardé ce qu’en chacun Dieu sema de plus doux. 6+6 b
Comme au seuil d’un tombeau, triste au moment de naître, 6+6 a
Devant l’humanité vous hésitiez peut-être. 6+6 a
335 Dis-nous, âme du lis et du cygne chanteur, 6+6 b
L’homme sombre et pensif sans doute t’a fait peur ; 6+6 b
Et, pour rester encor calme, ignorante et pure, 6+6 a
Tu voudrais prolonger ta première nature 6+6 a
Au sein de l’univers, heureux d’être toujours 6+6 b
340 Exempt de la pensée et débordant d’amour ! 6+6 b
Tu pleures des oiseaux les plumes vagabondes 6+6 a
Et la robe d’azur dont s’habillent les ondes ; 6+6 a
Des bourgeons au soleil l’épanouissement, 6+6 b
Et de l’être en ton cœur ce vague sentiment 6+6 b
345 Dont s’abreuve, ignorant toute crainte insensée, 6+6 a
La paisible nature aux bras de Dieu bercée. 6+6 a
Pour toi, la terre parle et tu comprends chacun 6+6 b
De ses signes profonds, bruit, couleur ou parfum. 6+6 b
Tu sais lire, au milieu des spectacles champêtres, 6+6 a
350 Ce langage sacré dont les mots sont les êtres, 6+6 a
Ce merveilleux symbole à notre âge voilé ; 6+6 b
Et c’est l’amour tout seul qui te l’a révélé ! 6+6 b
Aussi, pour vous chérir oiseaux et fleurs s’unissent ; 6+6 a
À votre voix, les eaux et les vents obéissent : 6+6 a
355 Car, avec la pensée, hôte encore inconnu, 6+6 b
Dans votre corps nouveau, Dieu lui-même est venu ; 6+6 b
Et pourtant, Hermia, dans l’âme d’une femme, 6+6 a
Des cygnes et des lis vous avez gardé l’âme ! 6+6 a
Les oiseaux ses amis et les forêts ses sœurs 6+6 b
360 Ont tous de sa puissance éprouvé les douceurs. 6+6 b
Près des grands feux assis, les pasteurs dans leurs veilles, 6+6 a
En secouant le front, parlent de ses merveilles. 6+6 a
Sur la bruyère, un soir, dans les genévriers, 6+6 b
Pensive, elle écoutait les airs des chevriers. 6+6 b
365 Enivrés de bourgeons et de sève nouvelle, 6+6 a
Ses folâtres chevreaux bondissaient autour d’elle, 6+6 a
Se cherchaient, se fuyaient, l’un par l’autre assaillis, 6+6 b
De grâce et de fierté luttaient dans les taillis ; 6+6 b
Quand d’un bouquet de chêne heurté dans cette lutte 6+6 a
370 Tombe un nid qu’une branche entraîne dans sa chute, 6+6 a
Et la mère accourant l’abritait de son corps, 6+6 b
Avec des cris plaintifs couvait ses petits morts, 6+6 b
Volait et revenait d’eux à la jeune fille. 6+6 a
Hermia s’inclina vers la triste famille ; 6+6 a
375 Elle resta longtemps comme pour lui parler ; 6+6 b
Les pleurs entre ses cils commençaient à couler, 6+6 b
Et la nuit vint mêler sur ce tombeau de mousses 6+6 a
Des perles de rosée à ces larmes si douces. 6+6 a
Comme un céleste grain par la brise semé, 6+6 b
380 Dès l’aube, sur le sol ces pleurs avaient germé ; 6+6 b
Sur d’abondants rameaux des fleurs étaient venues, 6+6 a
Des fleurs à nos climats jusqu’alors inconnues, 6+6 a
Et quand pour les cueillir parut l’enfant béni, 6+6 b
Chaque tige chantait joyeuse de son nid ; 6+6 b
385 Un doux frisson courait entre les branches frêles ; 6+6 a
Mille oiseaux, effleurant Hermia de leurs ailes, 6+6 a
Dans l’air tout plein d’odeurs et de bruits merveilleux, 6+6 b
Comme en un frais baiser agitaient ses cheveux. 6+6 b
Elle semblait porter le printemps avec elle. 6+6 a
390 Du sol qu’elle a touché la vie à flots ruisselle ; 6+6 a
Une source, un arbuste, ou le gazon plus vert, 6+6 b
Marquent de son repos la place en ce désert. 6+6 b
Cherchez dans le granit, sur ces cimes lointaines, 6+6 a
Ces touffes de bouleaux d’où coulent des fontaines ; 6+6 a
395 Les pâtres vous diront qu’en ces lieux Hermia 6+6 b
Tout un beau jour d’automne à rêver s’oublia. 6+6 b
Elle a marché là-bas, où les herbes plus grandes 6+6 a
Ont chassé la bruyère et les genêts des landes ; 6+6 a
Plus d’un troupeau nombreux paît aujourd’hui parmi 6+6 b
400 Les stériles rochers où la fée a dormi. 6+6 b
Espoir de la vendange, à nos pieds, ces collines 6+6 a
Jadis se hérissaient de cailloux et d’épines ; 6+6 a
Mais on a vu l’enfant, sorti du bois voisin, 6+6 b
Sur elles en passant égrener un raisin. 6+6 b
405 Les bergers sérieux savent toutes ces choses. 6+6 a
Son jardin tout l’hiver était peuplé de roses, 6+6 a
Et les rameaux grimpants qui couvrent sa maison 6+6 b
Avaient feuilles et fleurs durant chaque saison. 6+6 b
Après ces jours brûlants où, d’amour épuisées, 6+6 a
410 Les fleurs touchent du front les herbes embrasées, 6+6 a
Lorsque l’autan mortel à tout bourgeon nouveau 6+6 b
À des prés jaunissants tari la sève et l’eau, 6+6 b
Que pour fuir le soleil, dans la soif qui l’altère, 6+6 a
L’âme des végétaux rentre au fond de la terre, 6+6 a
415 Hermia descendait, triste, et les yeux en pleurs ; 6+6 b
Elle allait visiter toutes ces chères fleurs, 6+6 b
Leur parlait en marchant, et des plus rapprochées 6+6 a
Relevait de ses mains les tiges desséchées, 6+6 a
Appelait par leur nom les autres, et dans l’air 6+6 b
420 Répandait de son chant le flot sonore et clair ; 6+6 b
Et comme une rosée au fond de leurs calices 6+6 a
Ces plantes recueillaient sa voix avec délices. 6+6 a
Elle faisait ainsi le tour de son jardin, 6+6 b
Des prés et des vergers paternels, et soudain, 6+6 b
425 Comme par une pluie ou par l’aube lavées, 6+6 a
Toutes les fleurs dressaient leurs têtes ravivées ! 6+6 a
Puisant partout la vie et donnant à son tour, 6+6 b
Dans chaque être Hermia s’épanche avec amour. 6+6 b
Ce doux échange a fait la terre plus féconde. 6+6 a
430 Tel un bel arbrisseau, buvant la brise et l’onde, 6+6 a
Nous rend en fruits, en ombre, en murmure, en parfum 6+6 b
Tous les sucs nourriciers pris au trésor commun. 6+6 b
Des pâtres du désert l’existence hardie, 6+6 a
L’air généreux des monts par qui l’âme est grandie, 6+6 a
435 De la vierge rêveuse écartant la langueur 6+6 b
Ont doué son beau corps d’une saine vigueur ; 6+6 b
À la voir des torrents fendre l’onde avec grâce, 6+6 a
Du cerf à pas égaux suivre en jouant la trace, 6+6 a
Et courber l’herbe à peine, et glisser sur le sol, 6+6 b
440 On dirait qu’un esprit l’emporte dans son vol, 6+6 b
Comme un flocon de plume errant sur une grève, 6+6 a
Ou le duvet des fleurs que notre souffle enlève. 6+6 a
Car, frêle d’apparence et svelte comme un lis, 6+6 b
L’enfant aux regards fiers de pudeur embellis, 6+6 b
445 A dans ses traits, malgré sa force et sa souplesse, 6+6 a
Le charme insinuant qui pare la faiblesse. 6+6 a
Dieu la fit pour les bois et pour la liberté ; 6+6 b
Nos arts et nos plaisirs, elle a tout rejeté ; 6+6 b
Jamais ses pas légers, qui semblent une danse, 6+6 a
450 Sur un rhythme prescrit n’ont réglé leur cadence, 6+6 a
Et la corde sonore, inconnue à ses doigts, 6+6 b
Jamais d’un seul accord n’accompagna sa voix. 6+6 b
Les divines chansons à sa lèvre échappées 6+6 a
Ruisselaient comme l’eau des neiges escarpées, 6+6 a
455 Son cœur pour les verser les engendrait en lui. 6+6 b
Sa voix n’eut pas d’échos pour les chansons d’autrui ; 6+6 b
Comme, après elle aussi, jamais ni voix, ni lyre, 6+6 a
Des airs qu’elle trouvait n’ont rien pu nous redire. 6+6 a
Elle grandit ainsi, se mêlant aux oiseaux, 6+6 b
460 S’assimilant l’esprit des plantes et des eaux, 6+6 b
Inattentive à l’homme, ayant une famille 6+6 a
Partout où la nature et végète et fourmille. 6+6 a
Vie étrange empruntée à tous les éléments, 6+6 b
Prise aux forêts, aux flots, aux nids les plus aimants. 6+6 b
465 Mais comme un clair rayon dans l’épaisse feuillée 6+6 a
La pensée en son sein déjà s’est éveillée. 6+6 a
II
À cet âge où la vierge, avec des yeux baissés, 6+6 b
Éveille innocemment les amoureux pensers, 6+6 b
Où l’enfant avec qui l’on jouait tout à l’heure 6+6 a
470 Vous met le trouble au cœur, si sa main vous effleure ; 6+6 a
Où déjà du pêcher les rameaux rougissants 6+6 b
Font rêver aux doux fruits de ses boutons naissants ; 6+6 b
Où la jeune pudeur sème, aux moindres caresses, 6+6 a
Sa neige purpurine, abondante en promesses ; 6+6 a
475 Quand vint pour Hermia cette fraîche saison, 6+6 b
Chaque jour, sur ses pas, au seuil de la maison, 6+6 b
Aux champs, à la fontaine, elle vit, sans comprendre, 6+6 a
Les jeunes gens rivaux s’empresser d’un air tendre, 6+6 a
Implorer d’elle un mot, un sourire, un regard, 6+6 b
480 Fleurs que l’enfant distraite effeuillait au hasard. 6+6 b
L’arrachant pour une heure à sa chère retraite, 6+6 a
Si sa mère au hameau l’entraîne, un jour de fête, 6+6 a
Les jeux sont oubliés ; ni danses, ni chansons 6+6 b
Ne peuvent captiver la foule des garçons. 6+6 b
485 Autour d’elle un essaim de paroles flatteuses 6+6 a
Bourdonne, et des pasteurs les troupes curieuses 6+6 a
Se croisent à l’envi. Tels de gourmands oiseaux 6+6 b
Par bandes voltigeant, merles et passereaux, 6+6 b
Inquiets d’un passant qui siffle au bord des haies, 6+6 a
490 L’hiver, d’un sorbier mûr guettent les rouges baies. 6+6 a
Mais auprès d’Hermia, soupirs, soins assidus, 6+6 b
Et rieurs et gais propos, hélas ! étaient perdus. 6+6 b
Un sourire naïf, une parole errante, 6+6 a
Animaient par instants sa lèvre indifférente ; 6+6 a
495 Sa pensée était loin, et son cœur s’envolait 6+6 b
Pour suivre au fond des bois un dieu qui l’appelait. 6+6 b
Et tous croyaient, cherchant à deviner cette âme, 6+6 a
Qu’elle restait enfant sous les traits d’une femme. 6+6 a
Elle s’offrait à nous comme une jeune sœur 6+6 b
500 De son affection partageant la douceur : 6+6 b
Car, dans un cœur épris de l’auguste nature, 6+6 a
L’amitié garde encor sa place large et pure ; 6+6 a
Outre les fleurs et l’onde et les oiseaux soumis, 6+6 b
Même chez les humains, la vierge eut des amis. 6+6 b
505 Mais son amant unique, éternel, invincible, 6+6 a
— Moi je l’ai su — c’était ce chanteur invisible 6+6 a
Cet hôte lumineux qui remplit les déserts, 6+6 b
Verse du haut des pins, sous l’ombre, ses concerts, 6+6 b
Avec l’odeur des prés, des étangs, des résines, 6+6 a
510 Flotte sur les coteaux et franchit les ravines. 6+6 a
Esprit au souffle agile, aux vivantes senteurs, 6+6 b
En lui s’épanouit l’âme sur les hauteurs ; 6+6 b
L’aigle aime à s’y bercer, et l’avide génisse 6+6 a
L’aspire en mugissant au bord du précipice ; 6+6 a
515 C’est lui qui, sur le sable aux ardents tourbillons, 6+6 b
D’un étrange vertige enivre les lions ; 6+6 b
À travers tout c’est lui que nos désirs poursuivent 6+6 a
L’immortel aliment dont toutes choses vivent ! 6+6 a
Entre ceux dont l’amour pour elle inaperçu 6+6 b
520 Par sa chaste ignorance était ainsi déçu, 6+6 b
Un plus silencieux, épris des solitudes, 6+6 a
Faisant aussi des bois ses chères habitudes, 6+6 a
Fut choisi d’amitié, mais sans espoir plus doux. 6+6 b
Inégaux en pouvoir, ils avaient mêmes goûts, 6+6 b
525 La sainte affection des sources et des plantes, 6+6 a
Et le don de trouver toutes choses parlantes, 6+6 a
Ces mutuels besoins les avaient réunis. 6+6 b
Lui, semblait familier aux habitants des nids ; 6+6 b
En le voyant chéri du ramier et du cygne, 6+6 a
530 D’intime confiance Hermia le crut digne. 6+6 a
Car les oiseaux du ciel ont des regards perçants 6+6 b
Pour choisir leurs amis chez les cœurs innocents. 6+6 b
Souvent, guidé vers elle au fond de ses retraites, 6+6 a
Il surprit dans les bois ses paroles secrètes ; 6+6 a
535 Vers les ruisseaux charmés dont il suivait le cours, 6+6 b
Il entendit couler ses mystiques discours, 6+6 b
Et des fleurs et des eaux, à sa voix enchaînées, 6+6 a
De musique et d’encens les réponses ornées. 6+6 a
Oh ! vous la compreniez, êtres puissants et doux, 6+6 b
540 Plongés au sein de Dieu bien plus avant que nous ; 6+6 b
Car vous avez l’amour, ô forêts pacifiques, 6+6 a
Votre sève est docile à des lois harmoniques, 6+6 a
Et le souffle d’en haut, qui vient la diriger, 6+6 b
Ne lutte pas en vous contre un souffle étranger ; 6+6 b
545 Vous ignorez la haine ; une ambition folle 6+6 a
Comme nous du grand Tout jamais ne vous isole. 6+6 a
Nous seuls errons sans guide, et cherchons sous le ciel 6+6 b
Par où reprendre vie au tronc universel ; 6+6 b
Mais vous, arbres et fleurs, vous, nature où tout aime, 6+6 a
550 Attachés à ses flancs vous vivez de lui-même ! 6+6 a
Les grands arbres ainsi, les herbes des forêts 6+6 b
Étaient ses confidents et ses maîtres secrets ; 6+6 b
Mais chez l’homme, où la foule eût insulté ses rêves, 6+6 a
Ses paroles, toujours, étaient rares et brèves ; 6+6 a
555 Pourtant sur l’âme ou Dieu des mots inattendus 6+6 b
Ont laissé bien souvent les sages confondus. 6+6 b
Par une voix magique au désert appelée, 6+6 a
Quand la vierge, aux lueurs de la nuit étoilée, 6+6 a
S’en allait respirant l’extase au fond des bois, 6+6 b
560 Entre elle et sa pensée elle souffrait, parfois, 6+6 b
Le disciple amoureux dont l’âme ardente et pure 6+6 a
Sut l’adorer comme elle adorait la nature. 6+6 a
Sous les chênes sacrés, sans suivre de chemin, 6+6 b
Ensemble nous marchions nous tenant par la main, 6+6 b
565 Tous les deux le front ceint des fleurs qu’elle a tressées 6+6 a
Et le cœur enchaîné dans les mêmes pensées. 6+6 a
Par les grandes forêts et les prés, jusqu’au jour, 6+6 b
Nous montions sans fatigue, oublieux du retour 6+6 b
Pas à pas dans la nuit azurée et limpide, 6+6 a
570 Échangeant d’un regard l’étincelle rapide ; 6+6 a
Sans parole tous deux, mais plus étroitement 6+6 b
Sa main serrait la mienne et tremblait par moment. 6+6 b
Et moi, dans ce silence aux douceurs infinies, 6+6 a
J’entendais à grands flots jaillir les harmonies. 6+6 a
575 Son cœur, ouvert dans l’ombre, exhalait des accents 6+6 b
Qui coulaient dans le mien sans passer par mes sens ; 6+6 b
La brise entre les pins, l’onde au fond des abîmes, 6+6 a
Accompagnaient ce chant de leurs notes sublimes. 6+6 a
D’un vent mélodieux j’étais enveloppé ; 6+6 b
580 Comme un lis de rosée et de soleil trempé, 6+6 b
Je sentais goutte à goutte une clarté divine 6+6 a
Descendre avec le son et remplir ma poitrine. 6+6 a
De radieux tableaux, subitement tracés, 6+6 b
Couvraient dans mon esprit les doutes effacés, 6+6 b
585 Et je ne songeais plus à scruter toutes choses, 6+6 a
À demander au monde et ses fins et ses causes. 6+6 a
La terre m’entr’ouvrait ses flancs mystérieux ; 6+6 b
Dans leurs replis secrets je voyais de mes yeux 6+6 b
Et lisais un instant, à cette sainte flamme, 6+6 a
590 Les lois de la nature et l’énigme de l’âme. 6+6 a
Qui te rendra, mon cœur, ces chastes voluptés, 6+6 b
Ces saints ravissements dans le désert goûtés, 6+6 b
Quand je tenais sa main, étreinte fraternelle, 6+6 a
La plus tendre faveur que l’homme reçut d’elle, 6+6 a
595 Réservée à sa mère, et dont, heureux amant, 6+6 b
Moi seul, aux plus beaux jours, j’obtins le don charmant ! 6+6 b
Ô forêt ! ô bruyère ! ô gazon des vallées ! 6+6 a
Ô fleurs qu’à ses côtés j’ai doucement foulées ! 6+6 a
J’appris tout d’Hermia ! Si je sais aujourd’hui 6+6 b
600 Ce que Dieu mit en vous pour nous parler de lui, 6+6 b
Si je connais les biens que le désert recèle, 6+6 a
C’est que j’ai vu s’ouvrir tous ses trésors pour elle, 6+6 a
Et de parfums, d’accords, de clartés revêtus, 6+6 b
Les terrestres esprits exhaler leurs vertus ! 6+6 b
605 Comme en un frais vallon, sous la forêt ravie, 6+6 a
Le soleil qui descend éveille toute vie ; 6+6 a
Bruits d’ailes et de voix, bourdonnements confus, 6+6 b
Chantent avec le vent dans les rameaux touffus ; 6+6 b
Des feuilles, des gazons, des mousses remuées, 6+6 a
610 Insectes et vapeurs s’envolent par nuées ; 6+6 a
À travers la verdure et dans un clair-obscur, 6+6 b
Comme des gouttes d’or, et d’argent, et d’azur, 6+6 b
Jaillissent violier, liseron et pervenche ; 6+6 a
La rosée en anneau s’empourpre à chaque branche, 6+6 a
615 Et des troncs, réchauffés par ce regard du ciel. 6+6 b
Court sur la noire écorce un blond sillon de miel. 6+6 b
Ainsi, lorsqu’à travers les plantes sans culture, 6+6 a
Rayon d’une clarté plus intime et plus pure, 6+6 a
Hermia paraissait, sous ses yeux pénétrants 6+6 b
620 Les esprits des forêts jaillissaient à torrents, 6+6 b
Et tout ce qu’à nos sens, sous le soleil visible, 6+6 a
Cybèle en ses replis garde d’inaccessible, 6+6 a
Ces bruits intérieurs plus féconds et plus doux 6+6 b
Que l’âme seule entend, se révélaient à nous. 6+6 b
625 Alors c’était parmi les choses réjouies 6+6 a
Un réveil des splendeurs sous la forme enfouies, 6+6 a
Des âmes le concert entendu sous les corps, 6+6 b
Une apparition de leurs secrets ressorts, 6+6 b
Et Dieu manifesté nous laissant apparaître 6+6 a
630 Quelle est dans le grand Tout la raison de chaque être. 6+6 a
Dans la nature ainsi je prenais des leçons ; 6+6 b
Sur les pas d’Hermia parcourant les saisons, 6+6 b
J’épelais sous son doigt les divins caractères 6+6 a
Dont la vie a formé les mots de ses mystères ; 6+6 a
635 Et, lisant le symbole en tout ce monde écrit, 6+6 b
J’apprenais à percer les voiles de l’esprit. 6+6 b
Tous deux interrogeant les eaux vives ou lentes, 6+6 a
Nous discernions leurs voix différemment parlantes, 6+6 a
Les échos variés mourant dans les ravins, 6+6 b
640 Le bruit distinct du chêne et celui des sapins, 6+6 b
Et les vents dont chacun, des branches qu’il traverse 6+6 a
Fait sortir, selon l’arbre, une note diverse. 6+6 a
Des nuages sculptés en mobiles tableaux, 6+6 b
Nous voyions au couchant s’enflammer les signaux ; 6+6 b
645 Sur chaque lettre sombre ou de pourpre vêtue 6+6 a
Nous cherchions de quel ton le soleil l’accentue, 6+6 a
Et la nuit, dans l’azur où Dieu les a tracés, 6+6 b
Lisions ces chiffres d’or qui roulent enlacés. 6+6 b
Elle savait dans l’air les routes parcourues 6+6 a
650 Par les migrations des cygnes et des grues, 6+6 a
De chaque oiseau les mœurs, le langage, et comment 6+6 b
L’art de bâtir les nids leur échoit en s’aimant, 6+6 b
Et quel est de chacun la sœur entre les plantes. 6+6 a
Car, les rapports secrets des natures vivantes, 6+6 a
655 Par quel lien sacré, mystérieux, profond, 6+6 b
Chaque degré de l’être aux autres correspond, 6+6 b
Elle avait tout senti : nos désirs, nos pensées 6+6 a
Dans les fleurs, dans les nids, intimement versées, 6+6 a
Sous la feuille ou la plume, à travers tous les corps, 6+6 b
660 Elle en suivait le germe ; et savait quels accords, 6+6 b
Dans l’évolution par Dieu même guidée, 6+6 a
Unissent la couleur et la forme à l’idée. 6+6 a
Vous, plantes, vous, surtout, dont le soleil revêt 6+6 b
Cybèle aux larges flancs comme d’un frais duvet, 6+6 b
665 Fleurs qui brodez les plis de sa verte ceinture, 6+6 a
Arbres, des monts courbés mobile chevelure, 6+6 a
Hermia vous aimait ; la paix et la douceur, 6+6 b
Et la sérénité, la firent votre sœur. 6+6 b
Elle connut les noms dont Dieu vous a nommées, 6+6 a
670 Et de quels sucs choisis vos sèves sont formées, 6+6 a
Vos rêves printaniers, vos plaisirs, et les lois 6+6 b
De vos amours lointains déterminant le choix, 6+6 b
Et votre langue habile aux tendres mélodies, 6+6 a
Et toutes vos vertus longtemps approfondies. 6+6 a
675 Elle comprit pourquoi, montant ou s’abaissant, 6+6 b
Et par des nœuds secrets attachés au croissant, 6+6 b
Dans vos soyeux tissus les arômes qui glissent 6+6 a
À la reine des nuits de si loin obéissent. 6+6 a
À vous initié, j’appris d’elle à savoir 6+6 b
680 Des simples sur nos corps le magique pouvoir, 6+6 b
À quelle heure, en quel lieu, toute plante sacrée 6+6 a
Doit être recueillie, et comment préparée, 6+6 a
Et quel mot prononcé sur vos philtres puissants 6+6 b
Verse un charme infaillible aux membres languissants. 6+6 b
685 Elle enseignait aussi que, pour les maux de l’âme, 6+6 a
Toutes les fleurs des bois renferment un dictame ; 6+6 a
Et quels sont leurs conseils, et quels signes certains 6+6 b
Dans les fleurs à l’amour prédisent ses destins ; 6+6 b
Quelle ombre rafraîchit l’espoir et le relève ; 6+6 a
690 Quelle orne le sommeil des prestiges du rêve ; 6+6 a
Et comment des forêts les émanations 6+6 b
Dans les cœurs orageux calment les passions. 6+6 b
La vierge m’instruisait dans son silence même. 6+6 a
Quand la création me posait un problème, 6+6 a
695 Souvent le mot auguste, à tout esprit voilé, 6+6 b
À l’aspect d’Hermia s’est pour moi révélé : 6+6 b
Car ta vie, ô nature ! a les lois de la nôtre, 6+6 a
Et l’homme et l’univers s’expliquent l’un par l’autre. 6+6 a
Des globes confiants qui montent dans les cieux 6+6 b
700 Elle avait les clartés et l’amour dans ses yeux, 6+6 b
Et des grands horizons la paix insinuante 6+6 a
S’épanchait de sa face et de sa voix calmante ; 6+6 a
Et pourtant Hermia, cet être pur et doux, 6+6 b
A connu la douleur et pleuré comme nous ! 6+6 b
705 Parfois, près d’elle assis sous un tranquille ombrage, 6+6 a
Et respirant le calme empreint sur son visage, 6+6 a
J’ai, dans nos plus beaux jours, vu ses yeux adorés 6+6 b
De sinistres vapeurs se charger par degrés. 6+6 b
Telle agitant les flots la flamme sous-marine, 6+6 a
710 Un orage étouffé soulevait sa poitrine ; 6+6 a
Les soupirs, les sanglots, les mots tumultueux 6+6 b
Sortaient sourds et pressés, et les pleurs, après eux. 6+6 b
De ses yeux obscurcis qu’en vain ma lèvre essuie, 6+6 a
En allégeant son cœur, tombaient comme une pluie. 6+6 a
715 Et moi, non sans terreur, apaisant ses esprits, 6+6 b
Je cherchais le secret de ce trouble incompris ; 6+6 b
La nature, bientôt m’expliquant cet orage, 6+6 a
M’en montrait dans son sein et la cause et l’image. 6+6 a
Un nuage amassant la foudre et les éclairs 6+6 b
720 Déploie avec lenteur ses flancs noirs dans les airs ; 6+6 b
Les forêts devant lui, de leur frisson sonore, 6+6 a
Tremblent comme Hermia sans qu’un vent souffle encore ; 6+6 a
Il éclate, et soudain à torrent sur les bois 6+6 b
L’eau, la grêle et le feu descendent à la fois ; 6+6 b
725 Le tonnerre grondant sur les hauteurs prochaines 6+6 a
Fait voler en éclats le granit et les chênes. 6+6 a
Adieu feuilles et fruits, et vignes et moissons, 6+6 b
Dans les sillons fangeux broyés par les glaçons ; 6+6 b
Sur les monts décharnés, de pierres et de branches 6+6 a
730 Les eaux avec fracas roulent des avalanches. 6+6 a
Ô nature ! Hermia ! ce repos que j’aimais 6+6 b
A-t-il de votre sein disparu pour jamais ? 6+6 b
Non, déjà le soleil revient panser vos plaies, 6+6 a
Les oiseaux reparus chantent au bord des haies ; 6+6 a
735 D’un feuillage plus vert et de plus frais pensers 6+6 b
Je vois se parer l’âme et les rameaux blessés ; 6+6 b
Les fleurs ont relevé leur front dans les prairies ; 6+6 a
L’esprit s’est émaillé de tendres rêveries, 6+6 a
L’œil, lavé par les pleurs, dans son ardent azur 6+6 b
740 À des cieux plus sereins offre un miroir plus pur, 6+6 b
Et l’hymne au double chœur qu’à Dieu la terre envoie, 6+6 a
Un instant suspendu, monte avec plus de joie ; 6+6 a
Mais chaque être a souffert, et cet instant fatal, 6+6 b
Nature, en toi suffit pour attester le mal ! 6+6 b
745 L’orage ainsi descend sur les plus saintes choses ; 6+6 a
La douleur germe au sein des vierges et des roses ; 6+6 a
Et quoiqu’un divin souffle y coule à tous moments, 6+6 b
La terre ainsi que l’âme a ses déchirements ! 6+6 b
Ô mal, d’où venez-vous ? qui sait ce que vous êtes ? 6+6 a
750 Dans quelles régions se forment les tempêtes ? 6+6 a
Quand l’orage s’abat sur nos fronts foudroyés, 6+6 b
Est-ce vous, ô mon Dieu ! vous qui nous l’envoyez ? 6+6 b
Mais vous êtes l’amour, mais vous êtes la vie, 6+6 a
Et la perfection d’elle-même assouvie ; 6+6 a
755 Être, pour vous, ô Dieu ! c’est créer, c’est bénir ; 6+6 b
Non, ce n’est point d’en haut que le mal peut venir ! 6+6 b
C’est de ton propre sein que sortent les nuages 6+6 a
Et les noirs éléments du trouble et des orages, 6+6 a
Ô terre ! en toi dormaient tous ces éclairs brûlants 6+6 b
760 Que t’arrache le ciel pour en frapper tes flancs ! 6+6 b
Ainsi, crainte, remords, doute, orages suprêmes, 6+6 a
Votre invisible cause habite dans nous-mêmes, 6+6 a
Des assauts répétés que subit notre cœur 6+6 b
En vain nous accusons le monde extérieur ; 6+6 b
765 L’homme en lui, comme toi, porte, ô triste nature ! 6+6 a
Le germe renaissant du mal qui le torture. 6+6 a
Et cependant, ô père, ô créateur d’heureux ! 6+6 b
De toi, pour y rentrer, nous sortons tous les deux ! 6+6 b
Dans l’œuvre où tu te plais, et qui vit de ton être, 6+6 a
770 Si rien n’est que par toi, d’où vient le mal, ô maître ? 6+6 a
Comment au fond du bien le mal s’est-il produit ? 6+6 b
De ce problème en vain j’interrogeai la nuit ; 6+6 b
Ni les bois, ni les mers, ni ma vierge divine, 6+6 a
Ne m’ont rien révélé de la triste origine. 6+6 a
775 Dieu garde ce secret ; mais, ô sainte Hermia ! 6+6 b
Nature que mon cœur de parler supplia ! 6+6 b
Ce que vous m’avez dit dans vos deuils, dans vos fêtes, 6+6 a
Ce que vous m’avez dit même au fort des tempêtes, 6+6 a
Ce que l’onde, et la feuille, et les oiseaux des bois, 6+6 b
780 Et son cœur, me chantaient avec toutes leurs voix, 6+6 b
Ce que je veux redire en paroles sans nombre, 6+6 a
C’est qu’au sein du grand tout le mal n’est rien qu’une ombre 6+6 a
Qu’il sera par l’amour à jamais effacé. 6+6 b
Oui, le mal finira, car il a commencé ; 6+6 b
785 Oui, l’être est bon, oui, tout doit bénir l’existence ; 6+6 a
Le bien seul est réel, le bien seul est substance ; 6+6 a
Et, sans cesse agrandi, chaque être doit, un jour, 6+6 b
De l’amour émané, retourner dans l’amour ! 6+6 b
Sous l’œil de Dieu, perdus au fond des solitudes 6+6 a
790 Et des plantes faisant nos charmantes études, 6+6 a
Par l’attrait du désert sur les sommets conduits, 6+6 b
Tout l’été nous passions les jours, souvent les nuits. 6+6 b
Mais sitôt que le froid dépouillait les collines, 6+6 a
Et refoulait la sève au profond des racines, 6+6 a
795 De son chaume Hermia ne passait plus le seuil, 6+6 b
Objet d’étonnement pour nous tous, et de deuil, 6+6 b
Se cachant même aux siens, et comme enveloppée 6+6 a
Dans le sommeil pesant dont l’hiver l’a frappée. 6+6 a
Une blancheur de neige avait glacé son teint 6+6 b
800 Comme l’azur des flots que la gelée éteint, 6+6 b
Ses grands yeux sans rayons, et d’où l’âme s’absente, 6+6 a
Perdaient leur profondeur lumineuse et vivante. 6+6 a
Son souffle et sa parole, enchaînés et taris, 6+6 b
N’embaument plus sa lèvre où meurt son fin souris ; 6+6 b
805 La mauve, ouvrant sa feuille avec mélancolie, 6+6 a
Remplace le corail de sa bouche pâlie ; 6+6 a
Et, tel que le soleil enfui sur d’autres bords, 6+6 b
Son esprit semble avoir abandonné son corps. 6+6 b
Tant que dure l’hiver on la voit, morne et sombre, 6+6 a
810 Au foyer qu’elle attriste assise comme une ombre. 6+6 a
Dormiez-vous tout ce temps d’un étrange sommeil ? 6+6 b
Votre esprit suivait-il les courses du soleil ? 6+6 b
Peut-être il descendait dans ces grottes profondes 6+6 a
Où l’hiver enfouit les sèves et les ondes. 6+6 a
815 Là, du gouffre divin où tous les éléments 6+6 b
Confondus en un seul bouillonnent écumants, 6+6 b
Sous l’effort de l’amour excitant la puissance 6+6 a
Vous avez vu jaillir la divine substance, 6+6 a
Se répandre à grands flots en des moules divers 6+6 b
820 Cet unique métal dont est fait l’univers, 6+6 b
Et compris par quel art la force intelligente 6+6 a
Varie à l’infini cette unité changeante ; 6+6 a
Comment, tour à tour onde, oiseau, granit, ou fleur, 6+6 b
Elle sait combiner la forme et la couleur. 6+6 b
825 À vos yeux, dans chacun des grands sillons de l’être, 6+6 a
Les graines se triaient pour les moissons à naître ; 6+6 a
Vous saviez quel rocher ferait jaillir des flots, 6+6 b
Combien chaque buisson verrait de nids éclos, 6+6 b
Et de toutes les fleurs que le printemps nous donne, 6+6 a
830 Ce qui nous resterait de fruits mûrs pour l’automne. 6+6 a
Tous ces germes confus, qu’enchaînent les frimas, 6+6 b
En attendant leur jour, sont-ils oisifs là-bas ? 6+6 b
Dans l’ombre préludant au concert qui doit suivre, 6+6 a
Déjà bourdonnent-ils, impatients de vivre ? 6+6 a
835 Car, dans tous ses degrés, et jusqu’au noir chaos, 6+6 b
L’immortelle nature ignore le repos : 6+6 b
Dans l’espace sans borne où Dieu la fait s’étendre, 6+6 a
Elle détruit sans cesse, et toujours elle engendre. 6+6 a
Et partout, dans son sein, ton âme, en s’abîmant, 6+6 b
840 A trouvé, n’est-ce pas, l’éternel mouvement ? 6+6 b
Tu nous raconteras tes merveilleux voyages 6+6 a
Dans les flancs de la terre et dans ceux des nuages. 6+6 a
Le peuple des esprits, sur la brume bercé, 6+6 b
Dans sa langue, avec toi, n’a-t-il pas conversé ? 6+6 b
845 Les ombres t’ont guidé sur leurs grèves funèbres ; 6+6 a
Tu sais ce que la mort couve dans ses ténèbres ; 6+6 a
Tu connais la cité des rêves, leurs travaux ; 6+6 b
Tu vis, avec les fils de leurs mille échevaux, 6+6 b
Leurs doigts industrieux tresser les broderies 6+6 a
850 Dont le sommeil déroule à nos yeux les féeries. 6+6 a
Dans leurs champs nébuleux quelles fleurs cueillent-ils, 6+6 b
Pour en tirer ces sucs et ces philtres subtils 6+6 b
Qui, versés par les airs de leur urne d’ivoire, 6+6 a
Font certains jours chargés de vague et d’humeur noire ? 6+6 a
855 Créant, à notre insu, dans nos cœurs agités, 6+6 b
L’aversion sans cause ou les affinités, 6+6 b
Quelle main lie et rompt ces invisibles trames 6+6 a
Qui, du premier regard, unissent quelques âmes ? 6+6 a
Car dans tous ces secrets tu lis à découvert 6+6 b
860 Sur ce pâle rivage où t’emporte l’hiver. 6+6 b
Mais ne montais-tu pas vers la sphère meilleure 6+6 a
Que le soleil de vie enveloppe à toute heure, 6+6 a
Dans un globe encor pur et dont les habitants 6+6 b
Portent au fond du cœur un éternel printemps, 6+6 b
865 Dans un de ces palais où l’âme se repose, 6+6 a
Quand l’idéal l’attire et la métamorphose, 6+6 a
Quand, reine après la lutte où le mal est dompté, 6+6 b
Elle dépose en Dieu sa libre volonté, 6+6 b
Et que, prêt à s’unir avec sa créature, 6+6 a
870 Pour l’ineffable hymen Dieu la juge assez pure ? 6+6 a
III
Or, sous un soleil libre, au désert, chaque été, 6+6 b
Mon amour grandissait ainsi que sa beauté. 6+6 b
Excité par les feux de l’ardente jeunesse, 6+6 a
Pour la femme souvent j’oubliais la prêtresse, 6+6 a
875 Et des secrets divins le grave enseignement 6+6 b
Pour le tendre sourire et les propos d’amant. 6+6 b
Mais elle, près de moi sans désirs et sans crainte, 6+6 a
Me rendait d’une sœur l’amitié calme et sainte, 6+6 a
Et cette sympathie étrange dont les fleurs, 6+6 b
880 Les oiseaux et moi seul partagions les douceurs. 6+6 b
Elle m’aimait ainsi que menthes et verveines, 6+6 a
Lilas avec son souffle échangeant leurs haleines, 6+6 a
Cerfs et lévriers dans l’herbe à ses pieds accroupis, 6+6 b
Et ramiers à sa main becquetant les épis. 6+6 b
885 Pour chaque être c’était une affection pure, 6+6 a
Allant des fleurs à moi, sans changer de nature. 6+6 a
Car la jeune sibylle au mystique savoir, 6+6 b
Par qui Dieu même en tout se laisse percevoir, 6+6 b
Dont l’œil voit, à travers la roche et les écorces, 6+6 a
890 Des éléments sacrés se pondérer les forces, 6+6 a
Dont la main, s’emparant des fluides vitaux, 6+6 b
En fait couler l’effluve au sein des végétaux, 6+6 b
Elle, qui sent germer et prédit toute chose, 6+6 a
Ignore le tourment des désirs qu’elle cause, 6+6 a
895 Et, pleine de candeur en ses rêves puissants, 6+6 b
N’a jamais soupçonné le trouble de mes sens. 6+6 b
Elle avait avec moi l’abandon de cet âge 6+6 a
Où, semblables tous deux de taille et de visage, 6+6 a
Et de même vêtus, l’un près de l’autre assis, 6+6 b
900 Nos longs cheveux laissaient nos sexes indécis. 6+6 b
Des forêts, sur mes pas, elle affrontait les ombres ; 6+6 a
Sur les fleurs en amour au bord des grottes sombres, 6+6 a
À l’heure où midi vient chargé de voluptés, 6+6 b
D’un paisible sommeil dormait à mes côtés. 6+6 b
905 Dans ma barque entraînée, elle suivait son rêve 6+6 a
Sans jeter, inquiète, un regard vers la grève ; 6+6 a
Chaste couple, flottant étroitement uni, 6+6 b
Comme deux alcyons seuls dans le même nid. 6+6 b
Et quand de mes soupirs, de mes airs de tristesse, 6+6 a
910 La plainte répétée alarmait sa tendresse, 6+6 a
Étonnée, et croyant à quelque mal soudain, 6+6 b
Et des larmes aux yeux, et me prenant la main, 6+6 b
Elle m’interrogeait : * Est-ce le corps ou l’âme ? 6+6 a
Pour tous deux le soleil verse un puissant dictame. 6+6 a
915 Le printemps ne peut rien, ami, sur vos douleurs ? 6+6 b
Dites où vous souffrez. Les arbres sont en fleurs, 6+6 b
L’air embaume, les flots chantent, le ciel rayonne ; 6+6 a
Les hommes sont bien loin, et Dieu nous environne, 6+6 a
Et vous êtes mon frère, et nous sommes tous deux : 6+6 b
920 Que vous faut-il de plus, ami, pour être heureux ? » 6+6 b
Et moi, plus ivre encore, et par tant d’innocence 6+6 a
Troublé, je l’accusais de froide indifférence, 6+6 a
Et parlais de bonheurs inconnus, et qu’un jour 6+6 b
Je voudrais être enfin aimé d’un autre amour. 6+6 b
925 Elle : * Entre Dieu, ce monde et tous ceux que l’on aime, 6+6 a
L’amour est divisé ; mais c’est toujours le même. 6+6 a
Comment désirer plus, et pourquoi me blâmer ? 6+6 b
Est-il dans votre cœur deux manières d’aimer ? 6+6 b
J’aime de cet amour dont les plantes nouvelles 6+6 a
930 Chérissent le soleil, et s’unissent entre elles, 6+6 a
Que les flots caressants ont pour les grands roseaux, 6+6 b
Qu’avec l’ombre et les fleurs échangent les oiseaux, 6+6 b
Dont le souffle éternel, courant d’un pôle à l’autre, 6+6 a
Vient effleurer toute âme, et fait chanter la vôtre. 6+6 a
935 Ce que Dieu m’a donné de sa vie en m’aimant, 6+6 b
Moi je le rends à tous, quoique inégalement ; 6+6 b
Et vous qui vous plaignez, vous n’avez de rivale 6+6 a
Que ma mère : sa part à la vôtre est égale. » 6+6 a
Et, pour un jour encor, j’enchaînais dans mon sein 6+6 b
940 Des profanes désirs le turbulent essaim. 6+6 b
Un matin, du printemps les effluves errantes 6+6 a
Sur les sens réveillés tombaient plus pénétrantes ; 6+6 a
Des gouttes de cristal, scintillant sur les prés, 6+6 b
Les avides rayons s’étaient désaltérés ; 6+6 b
945 Un zéphir déjà tiède, entr’ouvrant les calices, 6+6 a
Dès l’aube avait des fleurs savouré les prémices, 6+6 a
Et s’envolait, chargé de fécondes senteurs ; 6+6 b
La terre tressaillait dans ses flancs créateurs ; 6+6 b
La nature exhalait comme un trop plein de vie, 6+6 a
950 Et d’aimer avec l’air on respirait l’envie. 6+6 a
Elle et moi, nous glissions sur le lac flamboyant 6+6 b
Qu’embrase au loin le feu dardé de l’Orient ; 6+6 b
L’eau, de ses vifs reflets empourprant la nacelle, 6+6 a
Sous la rame éclatante en flots d’or, étincelle ; 6+6 a
955 Ivres des fleurs, de l’air, de toutes ces splendeurs, 6+6 b
Du monde rajeuni partageant les ardeurs, 6+6 b
Vers les pieds sinueux de ces monts où nous sommes, 6+6 a
Nous allions adorer le printemps, loin des hommes. 6+6 a
Notre barque attachée à cet aune encor vert, 6+6 b
960 Pour gravir les hauts lieux et trouver le désert, 6+6 b
Nous marchons par les prés tout blancs de marguerites. 6+6 a
Dans les gazons touffus mille fleurs plus petites 6+6 a
Tentaient de soulever leur front pâle ou vermeil, 6+6 b
Pour prendre aussi leur part des baisers du soleil. 6+6 b
965 Dans la vigne, où déjà les feuilles sont écloses, 6+6 a
Où les pêchers hier ont répandu leurs roses, 6+6 a
La violette abonde et la pervenche aux pieds 6+6 b
Des ceps sur la lisière aux ormeaux appuyés ; 6+6 b
Et plus haut, des vergers où finit la culture 6+6 a
970 La neige des pommiers argenté la ceinture. 6+6 a
Déjà, dans la bruyère et dans les genêts d’or, 6+6 b
Les taillis clair-semés, et nous montons encor. 6+6 b
Bientôt, de cette grotte aujourd’hui consacrée, 6+6 a
Légers et souriants, nous atteignons l’entrée. 6+6 a
975 Un soleil plus précoce et de plus tièdes eaux 6+6 b
Hâtent dans ce doux lieu les fleurs et les rameaux ; 6+6 b
La paix féconde y règne et mai vient d’y conduire 6+6 a
Tous les êtres pressés d’aimer et de produire ; 6+6 a
Le gazon en fourmille, et tout chargé de nids 6+6 b
980 Chaque arbre offre au printemps des hymnes infinis ; 6+6 b
Des baisers de l’époux la terre au loin s’enivre. 6+6 a
Levant au ciel son front plein du bonheur de vivre, 6+6 a
Belle à faire descendre un dieu pour l’écouter, 6+6 b
La vierge alors s’arrête et se prend à chanter : 6+6 b
985 « Soleil, ô créateur ! la terre te salue ; 6+6 a
L’être coule de toi, l’être vers toi reflue ; 6+6 a
Le monde épanoui sous tes yeux bienfaisants 6+6 b
Vient t’offrir un tribut riche de tes présents. 6+6 b
Avec toutes leurs fleurs les prés joyeux te louent, 6+6 a
990 L’arbre avec ses rameaux où mille voix se jouent, 6+6 a
L’onde avec la splendeur des torrents irisés, 6+6 b
La nue avec ses flancs de ta pourpre embrasés. 6+6 b
L’esprit de toute chose à tes flammes s’envole. 6+6 a
L’herbe avec ses parfums, l’homme avec sa parole, 6+6 a
995 Et tous avec la vie, et tous avec l’amour, 6+6 b
Tous t’adorent, ô Dieu qui nous fis ce beau jour. 6+6 b
La forme te sourit, marbre, écorce ou plumage, 6+6 a
Pour toi dans l’univers la forme est un hommage, 6+6 a
En des tons variés, sur les flots et les fleurs 6+6 b
1000 Chante en te célébrant le concert des couleurs. 6+6 b
De leur plus pur encens les âmes et les roses 6+6 a
Chargent tes doux rayons dont elles sont écloses, 6+6 a
Et chaque atome d’air se balance, animé 6+6 b
Du rhythme par ton souffle à son aile imprimé. 6+6 b
1005 « Car c’est ta flamme, ô roi ! qui meut tout, et qui verse 6+6 a
Au sein du froid chaos la vie une et diverse. 6+6 a
C’est toi qui donnas l’âme aux éléments grossiers ; 6+6 b
Tu fais courir la sève en fleuves nourriciers ; 6+6 b
Chacun de tes regards jette à la terre avide 6+6 a
1010 Et lumière et chaleur en un même fluide. 6+6 a
L’arôme intérieur dans tout objet caché, 6+6 b
Ne saurait en jaillir, si tu ne l’as touché : 6+6 b
Sans toi pas d’œil qui voie et pas de cœur qui sente ; 6+6 a
Tout se renferme en soi quand ton rayon s’absente ; 6+6 a
1015 Et ces esprits féconds qui se cherchaient entre eux 6+6 b
Rentrent dans un repos stérile et ténébreux. 6+6 b
Mais, égal en ta course, autour de tes domaines, 6+6 a
Vigilant et paisible, ô roi ! tu te promènes, 6+6 a
Jetant du haut d’un char à ton peuple indigent, 6+6 b
1020 Sans t’appauvrir jamais, des flots d’or et d’argent ; 6+6 b
Et la terre, à ta suite, amasse une étincelle 6+6 a
De ces chaudes clartés dont ta face ruisselle. 6+6 a
« Pour toi l’ombre n’a pas d’infranchissable seuil ; 6+6 b
De flots ou de granit tu perces son linceul : 6+6 b
1025 Tu fais dans la montagne aux entrailles de pierre 6+6 a
Germer les diamants d’un grain de ta lumière ; 6+6 a
Sous le noir Océan, une perle qui luit 6+6 b
Nous atteste un rayon déposé dans sa nuit. 6+6 b
Seul, tu peux traverser de tes flèches de flammes 6+6 a
1030 La triple obscurité qui recouvre nos âmes. 6+6 a
Dans les détours du cœur, comme en ceux des vallons, 6+6 b
Tu parais, et les blés jaillissent des sillons, 6+6 b
L’eau coule des rochers, les nids se font entendre, 6+6 a
La feuille printanière exhale une odeur tendre, 6+6 a
1035 Et l’homme tout entier est rempli d’un doux feu 6+6 b
Qu’il répand sur chaque être et qui remonte à Dieu ! 6+6 b
« Père de la beauté, toi seul nous la révèles ; 6+6 a
Dans ton sein créateur tu portes ses modèles. 6+6 a
C’est par toi qu’au désir l’intelligence naît, 6+6 b
1040 Roi sage et lumineux, par toi qu’elle connaît. 6+6 b
C’est toi qui fais sortir tout être de lui-même, 6+6 a
Et de chacun à tous fais le lien suprême ; 6+6 a
Tout s’ouvre, et tout se mêle, à ta sainte chaleur ; 6+6 b
Ô père de l’amour ! tu fais vivre le cœur. 6+6 b
1045 Sans toi la nuit, le doute, et les terreurs funèbres, 6+6 a
Et l’immobilité dans le froid des ténèbres, 6+6 a
Et l’esprit infécond dans son isolement : 6+6 b
Par toi l’espoir, la foi, l’épanouissement, 6+6 b
Et le ciel en largesse, et la terre en prière, 6+6 a
1050 Et la communion au sein de la lumière ! 6+6 a
« Mais, dis-moi, tous ces dons versés à pleines mains, 6+6 b
La vie à la nature et la vie aux humains, 6+6 b
Ces effluves d’amour en qui flottent les mondes, 6+6 a
Où les vas-tu puiser, toi qui nous en inondes ? 6+6 a
1055 Quand tes feux sont taris, pour les renouveler 6+6 b
Quelle âme plus divine en toi sens-tu couler ? 6+6 b
Mais il donne sans perdre, et de sa propre essence 6+6 a
Tire éternellement les rayons qu’il nous lance ; 6+6 a
Ce n’est pas un flambeau prêt à s’évaporer ; 6+6 b
1060 Il n’a rien de mortel, et je puis l’adorer ! 6+6 b
Non, ce torrent de vie animant tout l’espace, 6+6 a
Ce n’est pas dans l’azur un globe en feu qui passe ; 6+6 a
Sa lumière qui luit et qui crée en tout lieu, 6+6 b
C’est ton regard lui-même et ton verbe, ô mon Dieu ! 6+6 b
1065 « Répands, répands, ô toi par qui le printemps règne ! 6+6 a
Cet or fluide et tiède où la terre se baigne, 6+6 a
Dont tout être vivant s’imprègne et se nourrit ; 6+6 b
Enveloppe-nous tous, ô radieux esprit ! 6+6 b
C’est ton heure, ô soleil ! les plantes et les âmes 6+6 a
1070 S’ouvrent de toutes parts pour absorber tes flammes ; 6+6 a
Toute écorce est gonflée et toute sève bout ; 6+6 b
Mêlée à tes rayons, la vie entre partout. 6+6 b
Ô vie ! ô douce vie ! oh ! qu’il est heureux d’être 6+6 a
Quand de ses longs baisers le soleil nous pénètre ! 6+6 a
1075 Au sein des prés fumants, sous cet azur serein, 6+6 b
Des choses qu’il est doux d’aspirer le trop plein, 6+6 b
Et ce double courant d’haleine ardente et pure 6+6 a
Qu’avec le Créateur échange la nature ! 6+6 a
Souffle amoureux, parfums de la terre exhalés, 6+6 b
1080 Passez en moi, mon cœur s’élance où vous allez ! 6+6 b
Chaste fluidité de l’eau qui s’évapore, 6+6 a
Frémissement de l’air et du rameau sonore, 6+6 a
Embrasement des pics par la neige blanchis, 6+6 b
Rayonnement des flots dans mes yeux réfléchis, 6+6 b
1085 Âme avec qui je sens mon âme correspondre, 6+6 a
Nature, viens à moi t’unir et te confondre ! 6+6 a
Je te dois, ô désert chaque jour visité, 6+6 b
Ce que j’ai de lumière et de sérénité : 6+6 b
Par toi de l’infini l’image m’est connue, 6+6 a
1090 Et la divinité dans mon cœur s’insinue. 6+6 a
Mais, ô forêts ! ô brise ! ô fleurs ! à votre tour, 6+6 b
Recevez, recevez mon souffle et mon amour. 6+6 b
De ma bouche, reçois les rumeurs embaumées 6+6 a
En verbe intelligent dans mon sein transformées, 6+6 a
1095 Ô nature ! et, mêlés dans le père commun, 6+6 b
Que chacun vive en tous comme tous en chacun ! 6+6 b
« Soleil, sur les hauts lieux j’irai te voir sourire : 6+6 a
C’est là que l’air est pur, et c’est là qu’on respire. 6+6 a
Là, qu’avec mon esprit plus libre et plus léger 6+6 b
1100 L’esprit universel est prompt à s’échanger. 6+6 b
Là, sur toutes les fleurs mon âme se disperse, 6+6 a
Là, de tous ses rayons le soleil la traverse ; 6+6 a
Et comme cette cime exposée à tout vent, 6+6 b
Je sens de toutes parts ton souffle, ô Dieu vivant ! » 6+6 b
1105 Moi, j’ouvrais tout mon être aux langueurs printanières : 6+6 a
Baigné d’ardents parfums et de chaudes lumières, 6+6 a
J’aspirais à longs traits ces regards, cette voix, 6+6 b
Et les brises d’amour qui s’exhalaient des bois. 6+6 b
Elle, cet enfant calme, aux visions profondes, 6+6 a
1110 Ce chaste nénuphar trempé de froides ondes, 6+6 a
Ce lis ferme et sans tache et de rosée empli, 6+6 b
Ce cœur de pur cristal semblait s’être amolli. 6+6 b
Tout tremblait près de nous d’un amoureux vertige, 6+6 a
L’onde entre les cailloux et les fleurs sur leur tige ; 6+6 a
1115 Les oiseaux frémissaient mêlés dans les buissons 6+6 b
Or, s’animant comme eux à ses propres chansons, 6+6 b
La vierge a respiré des voluptés nouvelles, 6+6 a
Un rayon inconnu jaillit de ses prunelles, 6+6 a
Sa main brûle la mienne, et je crois que son cœur 6+6 b
1120 Comme moi du désir sent l’aiguillon vainqueur. 6+6 b
Le printemps, le soleil, ces bois pleins de délices, 6+6 a
De ma fatale erreur, hélas ! furent complices 6+6 a
J’aspire en un baiser son âme, et sens frémir 6+6 b
Avec bonheur sa lèvre et doucement gémir 6+6 b
1125 Mais, ô terreur ! ô prix de mon amour farouche ! 6+6 a
C’est un frisson mortel qui passe sur sa bouche ! 6+6 a
Sous son front sans couleur se ferme un œil glacé ; 6+6 b
Sur ses reins fléchissant son cou s’est renversé, 6+6 b
Et, vierge, sur les fleurs et la mousse odorante, 6+6 a
1130 Le lit prêt pour l’hymen la reçut expirante ! 6+6 a
J’implorai tous les dieux ; des rameaux bienfaisants 6+6 b
Pour elle j’exprimai les sucs les plus puissants ; 6+6 b
Comme l’âme d’un lis que le zéphyr emporte, 6+6 a
De ce premier baiser mon amante était morte ! 6+6 a
1135 Dieux que je sers ici ! dieux des grandes forêts, 6+6 b
Seuls vous avez connu l’horreur de mes regrets, 6+6 b
Et quelle vision, obstinée à me suivre, 6+6 a
Depuis ce jour cruel sut me forcer à vivre. 6+6 a
Son ordre, et de l’oubli votre culte sauvé, 6+6 b
1140 Et votre sacerdoce à mes mains réservé, 6+6 b
Seuls m’ont pu retenir sur la terre attristée 6+6 a
Que par mon crime, hélas ! votre fille a quittée. 6+6 a
Je reste pour garder, sous ces arbres chéris, 6+6 b
Vos rites éternels qu’elle m’avait appris, 6+6 b
1145 Et répandre, en son nom, les vertus salutaires 6+6 a
Dont les fleurs du désert lui livraient les mystères. 6+6 a
Je tressai de feuillage un verdoyant linceul, 6+6 b
Et le soir, de la grotte ayant creusé le seuil, 6+6 b
J’y couchai de mes mains la blanche trépassée, 6+6 a
1150 Gravant sa douce image au fond de ma pensée. 6+6 a
L’invisible nature a repris, dès ce jour, 6+6 b
Et cache dans son sein tout ce que j’ai d’amour. 6+6 b
Sur la tombe, à genoux, durant la nuit entière, 6+6 a
J’y versai devant Dieu mes pleurs et ma prière. 6+6 a
1155 Vers l’aube, un sommeil plein de songes merveilleux, 6+6 b
Sans assoupir mon cœur, descendit sur mes yeux ; 6+6 b
Et quand vint le soleil et l’hymne qui s’élève 6+6 a
Des sources et des nids, faire envoler mon rêve, 6+6 a
Sous l’émail odorant d’un gazon déjà vert 6+6 b
1160 De son lit de repos le sol était couvert, 6+6 b
Et cet arbre divin, l’orgueil de la contrée, 6+6 a
Tout en fleurs de la grotte ornait déjà l’entrée. 6+6 a
Dès lors, hôte assidu de ce temple nouveau, 6+6 b
Je vis loin des humains, veillant sur ce tombeau ; 6+6 b
1165 Des sources, des rochers, des fleurs, j’y fais l’étude ; 6+6 a
Les oiseaux qu’elle aimait peuplent ma solitude ; 6+6 a
Ils me fêtent comme elle, et de son souvenir, 6+6 b
Dans leurs chants, près de moi, viennent s’entretenir. 6+6 b
Nous avons un langage avec eux et les plantes ; 6+6 a
1170 Ensemble nous faisons des prières ferventes ; 6+6 a
Nous parlons d’Hermia, du soleil et de Dieu. 6+6 b
Jaillissant du rocher, cette source au flot bleu 6+6 b
Où se baigne la lune, où les chevreuils vont boire, 6+6 a
De la divine enfant garde aussi la mémoire, 6+6 a
1175 Et, comme ces rameaux par son âme agités, 6+6 b
Murmure avec amour les airs qu’elle a chantés. 6+6 b
Mêlant sa voix plus grave aux bruits que je consulte, 6+6 a
L’arbrisseau merveilleux, à qui je rends mon culte, 6+6 a
De feuilles et de fleurs paré dans tous les temps, 6+6 b
1180 Verse à mon front blanchi l’espoir d’un beau printemps. 6+6 b
Ainsi, je vis au fond des forêts fraternelles, 6+6 a
J’attends le jour certain des noces éternelles ; 6+6 a
Le jour où, pardonnant mon précoce larcin, 6+6 b
Hermia doit m’ouvrir l’asile de son sein. 6+6 b
1185 Dans cet antre sacré reste, toi qui m’écoutes, 6+6 a
Recueille les pensers qui pleuvent de ces voûtes, 6+6 a
Et parfois, si tu veux, sur ces lointains rochers, 6+6 b
Visiter les jardins dans les neiges cachés, 6+6 b
Je t’y ferai choisir ces fleurs humbles et pures 6+6 a
1190 Que Dieu sème au désert pour toutes nos blessures. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 595((aa))
logo du CRISCO logo de l'université