Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAP_4/LAP15
Victor de LAPRADE
ODES ET POÈMES
1844
LIVRE DEUXIÈME
IV
À LA TERRE
— Ô mère des vivants, | ô terre, ô déité, 6+6 a
Nul homme plus que moi | n’adore ta beauté ! 6+6 a
Il n’est pas de rayon | au ciel, et pas de globe, 6+6 b
Qui me soient plus sacrés | qu’une fleur de ta robe. 6+6 b
5 — Je me souviens de toi ; | sur mes plus hauts sommets, 6+6 a
Un pied plus amoureux | ne se posa jamais. 6+6 a
Je t’ai vu, gravissant | mes Alpes solitaires, 6+6 b
T’abreuver à longs traits | dans leurs coupes austères. 6+6 b
— Ah ! j’étais libre et fort, | j’étais seul avec Dieu, 6+6 a
10 Pas un vestige humain | ne souillait ce saint lieu ! 6+6 a
Jamais je n’ai senti, | depuis cette heure étrange, 6+6 b
D’amour et de terreur | cet enivrant mélange. 6+6 b
Quand il fallut revoir | la plaine où l’homme est roi, 6+6 a
Mère, je m’indignais | et je pleurais sur toi : 6+6 a
15 Car, ô terre, à plaisir | l’homme te défigure ; 6+6 b
Rien ne te restera | de ta noble parure ; 6+6 b
Chacun de nos travaux | t’enlève une beauté ; 6+6 a
Tu vas baissant ton front | comme un taureau dompté. 6+6 a
Dans ton royaume antique, | une aveugle industrie 6+6 b
20 Fera céder bientôt | l’ordre à la symétrie. 6+6 b
Par des murs anguleux | les champs sont divisés ; 6+6 a
Les fleuves gracieux, | dans leurs lits maîtrisés, 6+6 a
Ont aligné les plis | de leurs courbes divines ; 6+6 b
Un lourd niveau s’étend | sur le sein des collines, 6+6 b
25 Et le jour n’est pas loin | où nous ne verrons plus 6+6 a
Un seul arbre debout | sur ces monts chevelus ; 6+6 a
Jusqu’au dernier sommet, | les nations accrues 6+6 b
Décharnent le granit | sous le fer des charrues. 6+6 b
Ô chênes, ô forêts, | ô lieux doux et sacrés, 6+6 a
30 Temple où les premiers dieux | à nous se sont montrés, 6+6 a
Où de nos jours encor | l’esprit d’en haut se cache, 6+6 b
Mon cœur saigne pour vous | à chaque coup de hache ! 6+6 b
Je sens une même âme | entre nous s’échanger ; 6+6 a
Ailleurs que parmi vous | je me crois étranger ; 6+6 a
35 Il pleut de vos rameaux | des visions sans nombre, 6+6 b
Et l’intime soleil | me luit mieux sous votre ombre ! 6+6 b
Quand l’homme ainsi vainqueur | des fleuves et des bois 6+6 a
Au plus lointain désert | aura donné des lois 6+6 a
Et mis à nu des monts | les squelettes énormes, 6+6 b
40 Et serré tes beaux flancs | de réseaux uniformes, 6+6 b
Ô globe, dépouillé | de ta vieille splendeur, 6+6 a
Pourras-tu d’idéal | parler dans ta laideur ? 6+6 a
— Ami de mes secrets | et de mes solitudes, 6+6 b
Ah ! laisse-moi sourire | à tes inquiétudes ! 6+6 b
45 L’homme te fait trembler | pour nos abris charmants 6+6 a
Et tu le vois déjà | vainqueur des éléments. 6+6 a
C’est ainsi, je le sais, | que parlent vos prophètes ; 6+6 b
Vos Titans sont tout prêts | à trôner sur mes faîtes ; 6+6 b
Ils partagent déjà | mes dépouilles entre eux, 6+6 a
50 Et sillonnent mes flancs | de leurs fers orgueilleux. 6+6 a
Mais ils n’ont pas encore | avec leur main rebelle 6+6 b
Ébranlé les créneaux | de l’antique Cybèle ; 6+6 b
Mon vieux front de ses tours | n’est pas découronné, 6+6 a
Et du Sphinx des déserts | l’Œdipe n’est pas né ! 6+6 a
55 De plans audacieux | soyez toujours prodigues ; 6+6 b
Multipliez vos chars, | vos vaisseaux et vos digues ; 6+6 b
Comme fait un coursier | la poudre de ses crins, 6+6 a
Je puis tout disperser | en secouant mes reins. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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