LIVRE DEUXIÈME |
ARGUMENT
LA VIE TERRESTRE OU L’EXPIATION.
LA SÉRIE DES ÉPREUVES.
LES DIVERS ÂGES DE L’HISTOIRE.
I. Psyché au désert. — Après la faute d’Ève, Dieu maudit
la terre, dit la Bible. La nature est devenue l’ennemie de
l’homme, qui dans ces premiers temps est vaincu par elle.
— En proie aux douleurs de la faim, exposée à la rage des
bêtes fauves au milieu des sables torrides ou des forêts
glaciales, la veuve de l’idéal, Psyché, rejetée du sein de
l’Amour, perd presque entièrement dans les souffrances du
corps le souvenir de l’époux mystique. — Après la chute,
l’obscurcissement de la vérité est presque complet. — État
sauvage ; les premiers arts matériels ne sont pas encore
inventés. — Dieu ne cesse pas néanmoins de veiller sur
l’âme. Éros, resté invisible, garantit Psyché des dangers de
ce voyage à travers la nature vierge et la barbarie
primitive.
II. Psyché, victime humaine. — Les premières sociétés
barbares. — Les religions de sang et de ténèbres. — Le
souvenir des révélations de l’Éden s’est effacé. L’humanité
déchue reçoit ses premiers dieux de la terreur ; elle se
prosterne devant des idoles monstrueuses. — Prise par une
tribu de chasseurs, Psyché est réservée comme la plus
précieuse victime d’une hécatombe humaine ; elle va
monter sur le bûcher, lorsqu’elle est délivrée à la suite d’un
combat des peuples nomades. — Les nationalités
commencent à se former sous ces dieux exclusifs et
sanguinaires ; tout étranger est ennemi, tout ennemi doit
mourir.
III. Psyché esclave. — Premières sociétés régulières ;
premières villes. — L’étranger n’est plus condamné à
mourir ; la vie lui est conservée, mais il est esclave ; il est
exclu du temple et de la cité. — Psyché prépare la
nourriture grossière des captifs qui construisent Babylone.
— Chant des esclaves bénissant la Nuit, divinité de l’oubli
et du repos. — Un souvenir du bonheur antique et de
l’apparition de l’idéal s’est réveillé dans l’âme de Psyché.
— Écrasée par la servitude, elle veut chercher un refuge
dans la mort. — Ses lamentations au bord du fleuve. —
Mais la nature, par toutes ses voix, lui conseille de vivre. —
L’humanité commence à recevoir de la nature une
révélation meilleure, à y puiser le sentiment du bien.
IV. Psyché en Égypte. — Commencement des temps
historiques. — Fin des religions de la nature ; renaissance
de la tradition spiritualiste. — Invention des arts et des
sciences. — Commencement de la domination de l’homme
sur la nature et de l’exploitation régulière du globe. —
Satisfaction des besoins du corps. — Servitude religieuse.
— Dans ce premier apaisement des besoins physiques, et
sous l’empire d’une théocratie dépositaire d’une grande
tradition, le sentiment de l’idéal se réveille et se manifeste
plus clairement. — L’Égypte initiatrice de l’Occident.
Psyché, employée au service des temples, retrouve dans son
cœur le souvenir d’Éros ; l’époux mystique lui apparaît
dans ses rêves avec un divin sourire. — Elle fuit les dieux
monstrueux de l’Égypte pour chercher ce dieu plus jeune,
plus libre et plus beau.
V. La Grèce orphique et sacerdotale. — Psyché, dans sa
fuite d’Égypte, a fait naufrage ; elle est recueillie dans un
temple de la haute Grèce. — Consacrée à la déesse, elle
connaît une divinité plus élevée et plus douce, une divinité à
forme humaine. — vivant de posséder l’idéal, l’humanité
est obligée de traverser plusieurs religions où la vérité
divine se dégage de plus en plus. Les voiles sont arrachés
l’un après l’autre ; les symboles deviennent plus
transparents. — Psyché, qui aperçoit chaque jour plus
clairement dans sa pensée la radieuse figure de l’époux,
s’enfuit pour jamais du temple malgré l’effort du prêtre
pour la retenir violemment. — L’anathème des vieilles
religions idolâtriques impuissant devant l’appel de l’idéal.
— Psyché, disciple émancipée du sacerdoce, a emporté la
lyre sacrée.
VI. Les temps héroïques et la Grèce d’Homère. —
Émancipation de la poésie et des arts. — Psyché aux jeux
Pythiques ; elle y remporte le prix du chant. — Son hymne,
en célébrant Apollon, chante à travers les symboles
helléniques, l’évolution de l’âme humaine et ses destinées
célestes. — Psyché cède la couronne au chanteur aveugle.
— Hommage de l’esprit humain au génie de la Grèce. —
Psyché ne sera plus enfermée dans un temple ; elle
poursuivra librement la recherche de l’époux divin.
VII. Psyché à Sunium. — La Grèce philosophique. —
Liberté complète de la pensée humaine ; l’homme choisit
entre les traditions, et les interprète selon la lumière
intérieure. — Dialogue de la veuve d’Éros avec le sage des
sages. — Le beau, splendeur du vrai et souverain mobile de
l’âme ; par lui elle est emportée vers l’idéal et remonte
jusqu’au dieu qu’elle a perdu.
VIII. Psyché, reine. — Accomplissement des destinées
terrestres de l’humanité. — La nature extérieure domptée
par la science, mais par une science mêlée d’inspiration et
d’amour analogue à la science intuitive des premiers âges.
— La charrue de l’homme a labouré dans tous les sens le
double domaine terrestre et intellectuel. L’âme a obtenu et
épuisé tout ce que ce monde peut lui donner de bonheur et
de lumière. — C’est alors que le désir d’idéal et d’infini se
réveille plus dévorant que jamais. — Tristesse divine de
Psyché à travers son existence royale. — Ardente
invocation à l’époux mystique. Cri de l’âme saturée des
biens de la terre vers Dieu et les biens infinis. — Toute la
création s’associe aux immenses aspirations de Psyché.
Déchue avec l’âme, la nature pressent aujourd’hui comme
elle la réhabilitation prochaine. — Tous les êtres ont connu
le besoin d’union avec Dieu ; l’attente de l’infini les fait
tous tressaillir. — L’océan palpite ; les forêts tressaillent ;
les lions vont atteindre la proie inconnue qu’ils poursuivent
éternellement sur la montagne. Le Sphinx du désert va
révéler l’énigme qu’il garde depuis le commencement sur
ses lèvres fermées. — Mais ce n’est pas dans cette vie et sur
ce globe que l’ineffable union peut s’accomplir. Brisée par
le désir de l’infini, Psyché, dans un élan d’amour
surhumain, expire en appelant Éros. Le cercle de l’épreuve
est parcouru ; l’expiation est consommée.
|
I |
|
Ce n’est plus le jardin,│asile de délice, |
6+6 |
a |
|
Où l’âme dans les fleurs│buvait à plein calice, |
6+6 |
a |
|
Le joyeux sanctuaire,│à l’amour préparé, |
6+6 |
b |
|
Que dorait un soleil│égal et tempéré, |
6+6 |
b |
5 |
De miel et de beaux fruits│le sol inépuisable. |
6+6 |
a |
|
Où tout sentier était│de mousse et de fin sable ; |
6+6 |
a |
|
C’est le désert vainqueur,│libre du joug humain, |
6+6 |
b |
|
L’exil errant, l’exil│sans tente et sans chemin ; |
6+6 |
b |
|
C’est une terre aride│ou des marais sans bornes, |
6+6 |
a |
10 |
Et des bois hérissés│que glacent des eaux mornes ! |
6+6 |
a |
|
Horribles premiers-nés│de ce royaume affreux, |
6+6 |
b |
|
Mille monstres sanglants│s’y déchirent entre eux : |
6+6 |
b |
|
Les tigres, les lions│rugissent ; les reptiles |
6+6 |
a |
|
Exhalent en poisons│leurs haleines subtiles. |
6+6 |
a |
15 |
Dans chaque antre, dans l’air,│dans les flots insoumis, |
6+6 |
b |
|
Dans l’arbre et dans la fleur│l’homme a des ennemis. |
6+6 |
b |
|
De l’amour offensé│la haine a pris la place ; |
6+6 |
a |
|
Car le monde est sans dieux│quand notre âme les chasse. |
6+6 |
a |
|
Du séjour pacifique│avec leur reine exclus, |
6+6 |
b |
20 |
Tes sujets, ô Psyché !│ne t’obéiront plus. |
6+6 |
b |
|
Cette vallée en fleur,│si fraîche avant ta chute, |
6+6 |
a |
|
La terre n’est qu’un champ│préparé pour la lutte, |
6+6 |
a |
|
Où ton cœur va saigner│à toute heure, en tout lieu, |
6+6 |
b |
|
Mais qu’il faut traverser│pour atteindre ton dieu. |
6+6 |
b |
25 |
Maintenant la nature,│inféconde et rebelle, |
6+6 |
a |
|
D’elle-même à ta soif│n’offre plus sa mamelle ; |
6+6 |
a |
|
Tes yeux ne liront plus│dans ses yeux obscurcis. |
6+6 |
b |
|
C’est le Sphinx éternel│sur la montagne assis : |
6+6 |
b |
|
Sa bouche à flot répand│l’ironie et le doute, |
6+6 |
a |
30 |
Et son corps immobile│intercepte la route ; |
6+6 |
a |
|
De lui nul voyageur│ne peut se détourner ; |
6+6 |
b |
|
Devant l’énigme, il faut│mourir ou deviner. |
6+6 |
b |
|
|
Quoi ! ce corps affaissé,│cette ombre qui chancelle, |
6+6 |
a |
|
Ce fantôme tremblant,│c’est Psyché ? C’est bien elle ! |
6+6 |
a |
35 |
Le vent mêle du sable│à ses cheveux épars ; |
6+6 |
b |
|
Son front pur s’est ridé ;│l’eau de ses yeux hagards |
6+6 |
b |
|
En sillons inégaux│creuse sa pâle joue ; |
6+6 |
a |
|
Ses pieds nus sont rougis│de sang et noirs de boue ; |
6+6 |
a |
|
Ses habits en lambeaux,│sur ses flancs amaigris, |
6+6 |
b |
40 |
Cachent mal sa poitrine│et ses membres flétris ; |
6+6 |
b |
|
À peine si debout,│sous la chair affaissée, |
6+6 |
a |
|
Dans ses yeux par instants│se trahit la pensée. |
6+6 |
a |
|
Qui dirait en voyant,│sur ces plaines en feu, |
6+6 |
b |
|
Ce fantôme sans voix :│c’est l’épouse d’un dieu ? |
6+6 |
b |
45 |
Elle-même, à l’exil│ici-bas condamnée, |
6+6 |
a |
|
Semble avoir oublié│le céleste hyménée. |
6+6 |
a |
|
Son orgueil est vaincu│par de vulgaires soins. |
6+6 |
b |
|
Les hauts désirs sont morts│sous les rudes besoins ; |
6+6 |
b |
|
Les rêves sont muets ;│la faim les a fait taire, |
6+6 |
a |
50 |
La faim sombre, et l’horreur│de ce désert austère. |
6+6 |
a |
|
Quoi ! l’être, hier encor,│par l’amour absorbé, |
6+6 |
b |
|
S’élance, avide ainsi,│vers quelque fruit tombé, |
6+6 |
b |
|
Prêt à vendre sa part│des promesses divines |
6+6 |
a |
|
Pour un filet d’eau pure│et pour quelques racines ! |
6+6 |
a |
55 |
A peine séparé│du dieu qu’il a perdu, |
6+6 |
b |
|
L’homme au rang de la brute│est déjà descendu. |
6+6 |
b |
|
Orgueil, ô triste orgueil,│comme la faim te dompte ! |
6+6 |
a |
|
A rabaisser l’esprit,│ah ! que la chair est prompte ! |
6+6 |
a |
|
|
Marcher dès le matin│sous des cieux incléments ; |
6+6 |
b |
60 |
Tout le jour s’agiter│pour de vils aliments ; |
6+6 |
b |
|
Disputer le breuvage│et la pâture aux bêtes ; |
6+6 |
a |
|
N’avoir, pour s’abriter│des nuits et des tempêtes, |
6+6 |
a |
|
Qu’une caverne humide│où l’on entre en rampant, |
6+6 |
b |
|
Le tronc d’un arbre creux│qu’habite le serpent ; |
6+6 |
b |
65 |
Se traîner à pas lourds│dans la fange ou l’arène : |
6+6 |
a |
|
C’est maintenant le sort│de celle qui fut reine, |
6+6 |
a |
|
Que les êtres vivants,│à ses gestes soumis, |
6+6 |
b |
|
En esclaves servaient│ou suivaient en amis ! |
6+6 |
b |
|
A ses mille besoins│la nature est hostile ; |
6+6 |
a |
70 |
Sa vie est avec tout│une lutte inutile, |
6+6 |
a |
|
Et le jeune univers,│contre elle révolté, |
6+6 |
b |
|
Fait sentir à son tour│son âpre royauté. |
6+6 |
b |
|
Sous les arbres géants,│que seul l’orage émonde, |
6+6 |
a |
|
Croupit la verte fange,│et glisse l’hydre immonde ; |
6+6 |
a |
75 |
Toute sève y jaillit│d’après ses seules lois. |
6+6 |
b |
|
Dans les nids monstrueux,│fourmillant sous les bois |
6+6 |
b |
|
Aux rameaux bourgeonnants,│que nul maître ne plie |
6+6 |
a |
|
La vie, à flots versée,│abonde et multiplie. |
6+6 |
a |
|
Au fond d’un lit marqué│nul flot n’est contenu, |
6+6 |
b |
80 |
Reste-t-il une place│à l’homme faible et nu, |
6+6 |
b |
|
Pour qui le ciel encor│n’a pas forgé des armes, |
6+6 |
a |
|
À l’amante exilée,│et qui n’a que ses larmes ? |
6+6 |
a |
|
Oh ! l’hydre du désert│est rude à terrasser ! |
6+6 |
b |
|
Quels travaux douloureux│tu devras entasser |
6+6 |
b |
85 |
Pour bâtir ta maison│sur cette cendre amère ! |
6+6 |
a |
|
Et ce n’est rien, hélas !│qu’une tente éphémère, |
6+6 |
a |
|
Ô Psyché ! noble reine,│enfant de lieux meilleurs ; |
6+6 |
b |
|
Mais tu dois marcher là│pour arriver ailleurs ! |
6+6 |
b |
|
|
A travers les écueils│où ta course commence, |
6+6 |
a |
90 |
Que peut ton faible corps│sur le désert immense ? |
6+6 |
a |
|
Cette main faite au sceptre,│aux étreintes d’amour, |
6+6 |
b |
|
Te sert moins aujourd’hui│que les pieds du vautour. |
6+6 |
b |
|
Obéis au plus fort,│désormais c’est ta règle ; |
6+6 |
a |
|
Tu n’es plus qu’un sujet│du lion et de l’aigle ; |
6+6 |
a |
95 |
Eux seuls ils sont les rois│de ce globe naissant. |
6+6 |
b |
|
Prince au manteau d’or fauve,│hérissé, rugissant, |
6+6 |
b |
|
Ô lion, pour ravir│sa part de ton domaine, |
6+6 |
a |
|
Que de jours avec toi│lutta la race humaine ! |
6+6 |
a |
|
De sang vif altéré,│quand tu grondes le soir, |
6+6 |
b |
100 |
À l’heure où les troupeaux│encombrent l’abreuvoir, |
6+6 |
b |
|
Tout fuit, tout a subi│la crainte universelle, |
6+6 |
a |
|
Et la panthère tremble│autant que la gazelle. |
6+6 |
a |
|
|
|
Mais que fais-tu là-haut,│jeune époux qui l’aimas ? |
6+6 |
b |
|
Elle a porté ton deuil│de climats en climats ; |
6+6 |
b |
|
Goûtes-tu sans remords│la paix olympienne ? |
6+6 |
a |
|
Cette âme a-t-elle au moins│un dieu qui s’en souvienne, |
6+6 |
a |
115 |
Et tes pleurs de sa coupe│adoucissant le fiel, |
6+6 |
b |
|
Mêlent-ils une grâce│aux justices du ciel ? |
6+6 |
b |
|
Ah ! c’est toi qui, posant│une invisible égide |
6+6 |
a |
|
Entre elle et ses douleurs,│la ranime et la guide. |
6+6 |
a |
|
Le lion qui la suit│meurt sous tes javelots ; |
6+6 |
b |
120 |
Du rocher pour sa soif│tu fais jaillir les flots ; |
6+6 |
b |
|
Du lieu de son sommeil│tu chasses les reptiles, |
6+6 |
a |
|
L’air des marais impurs│et les fièvres subtiles. |
6+6 |
a |
|
Par toi l’arbre à ses pieds│laisse tomber le fruit, |
6+6 |
b |
|
Et la biche amicale,│arrivant à son bruit, |
6+6 |
b |
125 |
La lèche en lui tendant│le bout de sa mamelle, |
6+6 |
a |
|
Dont le faon gracieux│s’est écarté pour elle. |
6+6 |
a |
|
Par toi l’étoile d’or,│au fond de l’antre noir, |
6+6 |
b |
|
Va porter à Psyché│le sourire du soir. |
6+6 |
b |
|
Il est par toi des jours│où, dans sa solitude, |
6+6 |
a |
130 |
Le désert consolé│prend un aspect moins rude. |
6+6 |
a |
|
Par toi vole auprès d’elle,│et chante au bord du nid, |
6+6 |
b |
|
L’oiseau mélodieux│dont la voix la bénit. |
6+6 |
b |
|
Les essaims bourdonnant│lui font un gai cortège, |
6+6 |
a |
|
Et des fleurs ont poussé│du sable ou de la neige. |
6+6 |
a |
135 |
Alors un vent plus calme,│un horizon plus clair, |
6+6 |
b |
|
Le salut d’une branche,│une senteur dans l’air, |
6+6 |
b |
|
Remuant dans son cœur│un souvenir prospère, |
6+6 |
a |
|
La font pleurer pourtant,│mais lui disent : Espère ! |
6+6 |
a |
|
|
II |
|
Les guerriers chevelus,│vêtus de grandes peaux, |
6+6 |
b |
140 |
Armés d’arcs, ont en cercle,│au milieu des troupeaux |
6+6 |
b |
|
Dressé tentes et chars.│Sur l’herbe, aux intervalles, |
6+6 |
a |
|
Errent, libres du frein,│les joyeuses cavales. |
6+6 |
a |
|
Les enfants, les vieillards,│ont traîné les captifs |
6+6 |
b |
|
Sous le dôme sacré│des chênes primitifs, |
6+6 |
b |
145 |
Où s’élève dans l’ombre│une sanglante pierre ; |
6+6 |
a |
|
La sauvage tribu│s’y range tout entière. |
6+6 |
a |
|
C’est le jour d’honorer│les mânes des aïeux, |
6+6 |
b |
|
Et de nourrir de chair│l’horrible faim des dieux. |
6+6 |
b |
|
Aux pièges des chasseurs,│pendant la nuit surprise, |
6+6 |
a |
150 |
Dans l’hécatombe humaine│une femme est assise. |
6+6 |
a |
|
C’est Psyché ! Les autels│de son sang étranger, |
6+6 |
b |
|
D’après l’antique loi│vont bientôt se gorger. |
6+6 |
b |
|
Près d’elle les vaincus│du glaive et de la flèche |
6+6 |
a |
|
Des tombeaux vénérés│rougiront l’herbe sèche. |
6+6 |
a |
155 |
De mille coups déjà│leurs membres ont saigné ; |
6+6 |
b |
|
Leurs yeux ne pleurent pas,│leur front est résigné. |
6+6 |
b |
|
Debout et couronné,│le roi du sacrifice, |
6+6 |
a |
|
Pour fouiller dans leurs flancs,│attend l’heure propice. |
6+6 |
a |
|
Les guerriers en silence│entourent le devin : |
6+6 |
b |
160 |
Lui, cherchant dans le ciel│quelque signe divin, |
6+6 |
b |
|
Interroge le vent,│voit comment l’aigle vole ; |
6+6 |
a |
|
Des charmes sur l’autel│fait couler la parole ; |
6+6 |
a |
|
Les rites sont réglés│par son geste et sa voix, |
6+6 |
b |
|
Et le chant des guerriers│résonne au fond des bois : |
6+6 |
b |
|
|
|
LE PRÊTRE
|
« Quand le sang a coulé│sur l’image du dieu ; |
6+6 |
b |
|
Quand les corps palpitants│se tordent dans le feu ; |
6+6 |
b |
185 |
Quand on frotte de chair│l’idole sur la bouche, |
6+6 |
a |
|
Les dieux sentent au cœur│une ivresse farouche. |
6+6 |
a |
|
Les esprits attisant│le brasier souterrain, |
6+6 |
b |
|
Où se fondent pour nous│l’or, le fer et l’airain ; |
6+6 |
b |
|
Le Cabire accroupi│près des laves brûlantes ; |
6+6 |
a |
190 |
Ceux qui veillent parmi│les racines des plantes, |
6+6 |
a |
|
Et dans l’antre azuré│d’où s’épanchent les eaux ; |
6+6 |
b |
|
Ceux dont l’aile invisible│agite les roseaux ; |
6+6 |
b |
|
Ceux qui, cachés aux troncs│des chênes, des érables, |
6+6 |
a |
|
Vivent dans le profond│des bois impénétrables ; |
6+6 |
a |
195 |
Ceux qui sur les sommets,│rarement éclaircis, |
6+6 |
b |
|
Dormant dans leurs manteaux,│sur les neiges assis, |
6+6 |
b |
|
Alimentent l’été│les rivières accrues ; |
6+6 |
a |
|
Ceux qui, loin des frimas,│guident les pâles grues, |
6+6 |
a |
|
Ou, marchant les premiers│sur les plateaux déserts, |
6+6 |
b |
200 |
Mènent paître les daims│au bord des fleuves verts : |
6+6 |
b |
|
Tous, agiles, pesants,│cachés, profonds, sublimes, |
6+6 |
a |
|
Les dieux ont toujours eu│soif du sang des victimes. |
6+6 |
a |
|
Les captifs les plus beaux,│choisis dans le butin, |
6+6 |
b |
|
Les plus blanches brebis,│seront pour leur festin ; |
6+6 |
b |
205 |
Car les plus sombres dieux,│pour la rançon féconde, |
6+6 |
a |
|
De l’homme et des coursiers│n’acceptent rien d’immonde. |
6+6 |
a |
|
Rassasiés enfin│de la chair des troupeaux |
6+6 |
b |
|
Et du sang étranger,│ils rentrent en repos. |
6+6 |
b |
|
Ils ne parcourent plus│nos forêts et nos tentes, |
6+6 |
a |
210 |
Pour y prendre la nuit│leurs pâtures sanglantes. |
6+6 |
a |
|
La tribu dont le glaive│arrose leurs autels, |
6+6 |
b |
|
De son camp voyageur│chasse les vents mortels. |
6+6 |
b |
|
Ses taureaux, ses brebis,│ses cavales superbes, |
6+6 |
a |
|
Sans toucher aux poisons│broutent les grandes herbes. |
6+6 |
a |
215 |
Mais pour sauver le sang│il faut toujours du sang ; |
6+6 |
b |
|
Car un pouvoir terrible,│éternel, tout-puissant, |
6+6 |
b |
|
Des dieux méchants dont tout│sur terre est le domaine, |
6+6 |
a |
|
Pèsent incessamment│sur cette race humaine. » |
6+6 |
a |
|
Et les prêtres entre eux│disaient des mots secrets. |
6+6 |
b |
220 |
Achevant du bûcher│les magiques apprêts, |
6+6 |
b |
|
Ils rangeaient vers l’autel│les haches et les urnes. |
6+6 |
a |
|
Psyché seule, au milieu│des captifs taciturnes, |
6+6 |
a |
|
Aux lueurs du passé│rêvant des dieux meilleurs, |
6+6 |
b |
|
Résistait à son sort│par l’espoir et les pleurs. |
6+6 |
b |
|
|
PSYCHÉ
225 |
« Près de mourir ainsi,│qu’ai-je vu dans moi-même ? |
6+6 |
a |
|
Des fleurs, un jeune dieu│qui me parle et qui m’aime, |
6+6 |
a |
|
Me dit que je suis belle,│et qu’il est mon époux. |
6+6 |
b |
|
Son haleine est suave│et ses regards sont doux. |
6+6 |
b |
|
Dieu paisible, dieu bon,│oh ! n’es-tu rien qu’un songe ? |
6+6 |
a |
230 |
Avant que dans mon sein│le fer cruel se plonge, |
6+6 |
a |
|
Pourquoi ces frais pensers,│ces paroles d’amour, |
6+6 |
b |
|
Si de chair et de sang│Dieu vit comme un vautour ? |
6+6 |
b |
|
Où donc est ce jardin│qu’un si beau fleuve arrose, |
6+6 |
a |
|
Si l’horrible douleur│règne sur toute chose ! |
6+6 |
a |
235 |
Quel dieu peut accomplir│cet espoir que je sens ? |
6+6 |
b |
|
Les dieux bons sont vaincus│par les dieux plus méchants, |
6+6 |
b |
|
Le mien a succombé,│l’autre est là dans sa joie, |
6+6 |
a |
|
Et le mal éternel│a faim d’une autre proie. |
6+6 |
a |
|
Je te cède ma vie,│et meurs sans murmurer ; |
6+6 |
b |
240 |
En la quittant, hélas !│je n’ai rien à pleurer. |
6+6 |
b |
|
Tous les hommes au front│sont marqués par la haine, |
6+6 |
a |
|
Et le poison entre eux│s’échange avec l’haleine. |
6+6 |
a |
|
C’est la même discorde│entre chaque élément. |
6+6 |
b |
|
Moi, par eux tous, hélas│ je souffre également ; |
6+6 |
b |
245 |
La terre sous mes pas│frémit pour me maudire, |
6+6 |
a |
|
Et je n’ai vu qu’en songe│un être me sourire. |
6+6 |
a |
|
Vienne, vienne la mort !│Mais si tout doit finir, |
6+6 |
b |
|
Que fais-tu dans mon cœur,│ô divin souvenir ? |
6+6 |
b |
|
Rêve par qui j’aimais,│espérance secrète, |
6+6 |
a |
250 |
Sous le couteau sanglant,│c’est toi que je regrette. |
6+6 |
a |
|
Ah ! lorsque du repos│je touche enfin le seuil, |
6+6 |
b |
|
Pourquoi me rappeler│que j’emporte ton deuil ? |
6+6 |
b |
|
Es-tu là pour me suivre│en un lointain royaume ? |
6+6 |
a |
|
Où t’ai-je vu ? Réponds.│Où vas-tu, doux fantôme ?… » |
6+6 |
a |
|
|
|
Mais la forêt frémit.│D’un arc caché dans l’ombre, |
6+6 |
a |
|
Un trait vole, suivi│par des flèches sans nombre. |
6+6 |
a |
|
Le sacrificateur│tombe, le cœur percé, |
6+6 |
b |
|
Dans les flots du sang noir│que sa main a versé. |
6+6 |
b |
265 |
Mille ennemis, couverts│par l’épaisseur des chênes, |
6+6 |
a |
|
Descendent, tout à coup,│des collines prochaines. |
6+6 |
a |
|
Un nuage de dards│pleut sur le camp surpris. |
6+6 |
b |
|
Les chasseurs étrangers,│avec d’horribles cris, |
6+6 |
b |
|
Précipitant leur nombre,│égorgent la peuplade, |
6+6 |
a |
270 |
Comme un troupeau de daims│poussés dans l’embuscade |
6+6 |
a |
|
Les guerriers à genoux,│sur le tertre divin, |
6+6 |
b |
|
La rage dans le cœur,│se relèvent en vain. |
6+6 |
b |
|
Tous ceux de la tribu,│près de son dieu frappée, |
6+6 |
a |
|
Sont emmenés captifs,│ou meurent par l’épée, |
6+6 |
a |
275 |
Et parmi le butin,│les armes et les chars, |
6+6 |
b |
|
Les troupeaux des vaincus│dans la forêt épars, |
6+6 |
b |
|
Psyché sous ses liens│tombe, sans épouvante, |
6+6 |
a |
|
Chez des peuples nouveaux,│esclave mais vivante. |
6+6 |
a |
|
|
|
III |
|
Assis dans la splendeur│au faîte de sa tour, |
6+6 |
b |
280 |
Ce soir, le roi disait :│« Cent peuples, tout le jour, |
6+6 |
b |
|
Ont travaillé là-bas│pour ma ville superbe ; |
6+6 |
a |
|
D’ici je les vois tels│que des fourmis dans l’herbe. |
6+6 |
a |
|
Cent peuples de vaincus,│par mon glaive épargnés, |
6+6 |
b |
|
Là-bas courbent leurs fronts│par la sueur baignés. |
6+6 |
b |
285 |
Les pierres, le ciment,│les briques s’amoncellent ; |
6+6 |
a |
|
Sur les murs des palais,│les marbres étincellent. |
6+6 |
a |
|
Des fleuves suspendus│amènent leurs flots clairs |
6+6 |
b |
|
Aux fleurs de mes jardins│élevés dans les airs. |
6+6 |
b |
|
Trois rochers de granit│de leur cime abattue |
6+6 |
a |
290 |
Forment un piédestal│pour l’or de ma statue. |
6+6 |
a |
|
C’est bien. Je veux qu’on donne│aux immenses troupeaux |
6+6 |
b |
|
Des captifs haletants│cette nuit de repos ; |
6+6 |
b |
|
Dans les flancs creux des monts,│leur asile nocturne, |
6+6 |
a |
|
Je verrai s’enfoncer│ce peuple taciturne. » |
6+6 |
a |
|
|
|
PSYCHÉ
|
315 |
Elle marche, et déjà│sous ses pieds a frémi |
6+6 |
b |
|
Le flot dans les roseaux│et les joncs endormi ; |
6+6 |
b |
|
Et s’avançant toujours :│« Finis mon temps d’épreuve ; |
6+6 |
a |
|
Pour jamais dans ton sein│reçois mon âme, ô fleuve ! |
6+6 |
a |
|
Les sources m’ont fait voir,│en leur limpidité, |
6+6 |
b |
320 |
Mes yeux creux, mon cou hâve,│et mon front sans beauté. |
6+6 |
b |
|
J’ai reculé d’horreur│devant ma propre image, |
6+6 |
a |
|
Sous le masque hideux│qu’y posa l’esclavage ! |
6+6 |
a |
|
Sur mes membres, flétris│de haillons et de coups, |
6+6 |
b |
|
Répands tes flots sacrés ;│ton sable frais et doux |
6+6 |
b |
325 |
Offre un lit ondoyant│qui calme et purifie, |
6+6 |
a |
|
Au corps vil de l’esclave ;│à toi je me confie. |
6+6 |
a |
|
Je ne veux plus souffrir│le froid, le soleil lourd, |
6+6 |
b |
|
Le fouet sanglant du maître│impitoyable et sourd, |
6+6 |
b |
|
Aux sauvages tribus│qui travaillent la pierre, |
6+6 |
a |
330 |
Préparant tous les jours│leur pâture grossière, |
6+6 |
a |
|
Je n’apporterai plus│les aulx et les oignons, |
6+6 |
b |
|
A travers le concert│des malédictions ; |
6+6 |
b |
|
Car la haine au regard│sinistre, au parler rude, |
6+6 |
a |
|
Règne entre les captifs│avec la servitude. |
6+6 |
a |
335 |
J’abandonne ma vie│à tes flots incertains. |
6+6 |
b |
|
Si mes songes sont vrais,│s’il est des bords lointains |
6+6 |
b |
|
Où, comme les oiseaux,│innocente et joyeuse, |
6+6 |
a |
|
Je vécus autrefois│sur une terre heureuse, |
6+6 |
a |
|
Prends-moi. Si tu connais│le chemin du retour, |
6+6 |
b |
340 |
Porte, oh ! porte mon corps│vers ce pays d’amour, |
6+6 |
b |
|
Ou d’un lit éternel│dote-moi sur ta rive. » |
6+6 |
a |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
LES CYGNES
|
« Vois ! tu trouves encor│des amitiés sans nombre. |
6+6 |
a |
|
Fuis, tu peux vivre encor ;│fuis. Peut-être qu’ailleurs, |
6+6 |
b |
400 |
Même chez les humains,│il est des lieux meilleurs. |
6+6 |
b |
|
Essaie au loin ton vol.│Au fil des eaux limpides, |
6+6 |
a |
|
Si tu veux t’élancer,│viens, nous serons tes guides ; |
6+6 |
a |
|
Et vers les îles d’or│que tu vois en rêvant, |
6+6 |
b |
|
Nous voguerons peut-être,│ouvrant notre aile au vent. |
6+6 |
b |
405 |
Si les flots te font peur,│des terres non foulées |
6+6 |
a |
|
Si ton pied doit tenter│les monts et les vallées, |
6+6 |
a |
|
Viens ; au-dessus de toi│les cygnes voleront ; |
6+6 |
b |
|
En lieu sûr pour dormir,│la nuit, ils descendront ; |
6+6 |
b |
|
Et sans doute, à la fin,│du dieu qui nous attire |
6+6 |
a |
410 |
Dans un grand lac d’argent│nous verrons les yeux luire. » |
6+6 |
a |
|
|
|
IV |
|
Loin de Babel où règne│un colosse d’airain, |
6+6 |
b |
|
Où je tournais la meule│en un lieu souterrain, |
6+6 |
b |
|
Du. maître armé du fouet│j’ai bravé la poursuite. |
6+6 |
a |
|
Les astres, les oiseaux│guidèrent seuls ma fuite, |
6+6 |
a |
415 |
Enfin la caravane,│aux cent groupes divers, |
6+6 |
b |
|
Qui de l’Euphrate au Nil│va par les grands déserts, |
6+6 |
b |
|
Dans la foule étrangère│en tumulte campée, |
6+6 |
a |
|
Me reçut une nuit,│moi l’esclave échappée. |
6+6 |
a |
|
« Avant de parvenir│au bord du fleuve-dieu, |
6+6 |
b |
420 |
Nous marchâmes deux mois│sur des sables en feu. |
6+6 |
b |
|
Sur le Nil jaune et lent,│parmi d’autres captives, |
6+6 |
a |
|
Un marchand m’entraîna.│Vingt jours, le long des rives, |
6+6 |
a |
|
Aux efforts des rameurs│rompant le cours de l’eau, |
6+6 |
b |
|
Du côté du soleil│monta notre vaisseau, |
6+6 |
b |
425 |
Le soir nous entendions│crier les crocodiles ; |
6+6 |
a |
|
Des temples, des palais│s’élevaient dans les îles ; |
6+6 |
a |
|
L’obélisque montait│sur une mer d’épis ; |
6+6 |
b |
|
Et les sphinx aux deux bords,│près du fleuve accroupis, |
6+6 |
b |
|
Dressant contre nos yeux│leur front impénétrable, |
6+6 |
a |
430 |
Semblaient venir à nous│sur leur base immuable. |
6+6 |
a |
|
La nature gardait│le silence comme eux, |
6+6 |
b |
|
Et posait sur sa bouche│un doigt mystérieux. |
6+6 |
b |
|
|
« Nous avions dépassé│Memphis, les Pyramides ; |
6+6 |
a |
|
Le navire aborda,│sur des plages arides, |
6+6 |
a |
435 |
Près du grand labyrinthe,│où les dieux desséchés |
6+6 |
b |
|
Sont auprès des rois morts│dans les ombres couchés. |
6+6 |
b |
|
Les signes que les dieux│veulent sur leurs esclaves |
6+6 |
a |
|
Furent trouvés en moi.│Des prêtres aux fronts graves, |
6+6 |
a |
|
Revêtirent Psyché│des mystiques habits. |
6+6 |
b |
440 |
Dans leur temple, c’est moi│qui nourris les ibis ; |
6+6 |
b |
|
Les animaux sacrés│mangent dans mes corbeilles ; |
6+6 |
a |
|
Par moi les anneaux d’or│pendent à leurs oreilles. |
6+6 |
a |
|
Apis a de mes mains│reçu le pur froment. |
6+6 |
b |
|
Je verse les parfums│dans le brasier fumant. |
6+6 |
b |
445 |
Sur les métiers sacrés│tissant de blanches toiles, |
6+6 |
a |
|
À la profonde Isis│j’ai préparé des voiles. |
6+6 |
a |
|
D’encens et de natrum│remplissant les dieux morts, |
6+6 |
b |
|
De bandeaux embaumés│j’enveloppe leurs corps ; |
6+6 |
b |
|
Et, près de leurs cercueils,│le long des noirs dédales, |
6+6 |
a |
450 |
C’est moi qui verse l’huile│aux lampes sépulcrales. |
6+6 |
a |
|
|
« Ces travaux achevés,│je puis m’asseoir souvent, |
6+6 |
b |
|
Et regarder en moi,│soupirant et rêvant. |
6+6 |
b |
|
Pour la première fois│dans l’Égypte divine, |
6+6 |
a |
|
J’ai connu le repos│sans l’horrible famine. |
6+6 |
a |
455 |
L’abondance et le calme,│et des maîtres moins durs, |
6+6 |
b |
|
Ont endormi longtemps│mon âme dans ces murs. |
6+6 |
b |
|
Mais au pied des autels,│quoique ma faim s’apaise, |
6+6 |
a |
|
J’y suis esclave encore,│et la prison me pèse ; |
6+6 |
a |
|
Et je crois sur mon front│y sentir par moment |
6+6 |
b |
460 |
Les plafonds de granit│descendre lentement. |
6+6 |
b |
|
« Je voudrais respirer,│voir les flots et la terre, |
6+6 |
a |
|
Fuir la captivité│du labyrinthe austère ; |
6+6 |
a |
|
Des désirs inconnus│m’y poursuivent partout. |
6+6 |
b |
|
De ces Dieux mugissants│j’approche avec dégoût. |
6+6 |
b |
465 |
Je tremble entre ces morts│rangés en longues files : |
6+6 |
a |
|
Ces sphinx, me regardant│de leurs yeux immobiles, |
6+6 |
a |
|
Ces figures sans voix,│ces monstres me font peur. |
6+6 |
b |
|
|
|
« Mais dans la nuit pourtant│qui m’environne ici, |
6+6 |
b |
480 |
Un obscur souvenir│en moi s’est éclairci, |
6+6 |
b |
|
Et l’ébauche d’un dieu│qui me visite en rêve, |
6+6 |
a |
|
Chaque jour en mon cœur│s’embellit et s’achève. |
6+6 |
a |
|
Dieu jeune, au pied rapide,│aux yeux vifs et luisants, |
6+6 |
b |
|
Serais-tu là voilé│parmi ces dieux pesants ? |
6+6 |
b |
485 |
Quand, parmi les oiseaux,│dans mes songes tu passes |
6+6 |
a |
|
En un jardin peuplé│de fleurs pleines de grâces, |
6+6 |
a |
|
Que mon esprit entend│vos accords merveilleux, |
6+6 |
b |
|
Ce temple où je languis│me parait plus affreux. |
6+6 |
b |
|
Je hais ces mille dieux,│ces simulacres mornes |
6+6 |
a |
490 |
Aux bras sans mouvement,│aux fronts armés de cornes, |
6+6 |
a |
|
Éternellement droits│contre les lourds piliers : |
6+6 |
b |
|
Ces têtes de serpents,│de chiens et de béliers, |
6+6 |
b |
|
Et le glapissement│des tristes crocodiles, |
6+6 |
a |
|
Surchargés par mes mains│d’ornements inutiles. |
6+6 |
a |
495 |
L’aspect de ces dieux laids│assombrit ma prison ; |
6+6 |
b |
|
Leurs prêtres à ces murs│bornent mon horizon. |
6+6 |
b |
|
L’air manque à ma poitrine,│en ce temple enfermée ; |
6+6 |
a |
|
Je veux revoir la vie│et la terre animée ! |
6+6 |
a |
|
|
« Ah ! qui m’apportera│parmi des dieux plus beaux, |
6+6 |
b |
500 |
Des dieux dont les autels│ne soient pas des tombeaux ; |
6+6 |
b |
|
Dont la libre lumière│ait doré les fronts ternes, |
6+6 |
a |
|
Et qui ne dorment pas│assis en des cavernes, |
6+6 |
a |
|
Les pieds enracinés│et des chaînes aux mains, |
6+6 |
b |
|
Immobiles, réglant│d’immobiles humains ! |
6+6 |
b |
505 |
Quand reverrai-je un monde│où l’on marche, où l’on vive, |
6+6 |
a |
|
Où la voix dans les cœurs│ne reste pas captive, |
6+6 |
a |
|
Où l’homme enfin s’agite,│où l’on puisse vouloir, |
6+6 |
b |
|
Où le fleuve ne soit│pas seul à se mouvoir ! |
6+6 |
b |
|
C’est le jeune univers│que mon époux habite ; |
6+6 |
a |
510 |
C’est la terre où tout aime,│où tout chante et palpite ; |
6+6 |
a |
|
Où l’éternel zéphyr│balance les rameaux ; |
6+6 |
b |
|
Où ne se taisent point│le flot et les oiseaux ! |
6+6 |
b |
|
|
« Que ne puis-je, mêlée│au souffle des tempêtes, |
6+6 |
a |
|
Avec le sable ardent│qui passe sur nos têtes, |
6+6 |
a |
515 |
Comme un grain de palmier│vers l’oasis volant, |
6+6 |
b |
|
Dans ce pays sacré│m’enfuir avec le vent ! |
6+6 |
b |
|
Quand du pied de ces murs,│par notre ciel sans nues, |
6+6 |
a |
|
Dans l’azur, j’aperçois│le triangle des grues, |
6+6 |
a |
|
Plus vite que le Nil,│descendant vers la mer, |
6+6 |
b |
520 |
Je m’assieds pour pleurer│mon esclavage amer. |
6+6 |
b |
|
Heureux l’oiseau, les grains│ailés, la feuille morte, |
6+6 |
a |
|
Le sable voyageur│que le simoun emporte ! » |
6+6 |
a |
|
|
|
|
Trente jours un vent frais,│sous d’heureuses étoiles. |
6+6 |
a |
|
De la rouge carène│enfla les blanches voiles. |
6+6 |
a |
535 |
Comme un dauphin léger,│fendant les larges flots, |
6+6 |
b |
|
Le navire berçait│l’espoir des matelots. |
6+6 |
b |
|
Déjà la terre au loin,│comme un bouclier sombre, |
6+6 |
a |
|
Sur l’eau verte élevait│son disque entouré d’ombre. |
6+6 |
a |
|
Mais tout à coup, tombant│des quatre points des cieux, |
6+6 |
b |
540 |
Les vents, gros de la foudre,│effrénés, furieux, |
6+6 |
b |
|
Ballottent les vaisseaux│sur les plaines marines, |
6+6 |
a |
|
Comme en un champ, l’hiver│roule un faisceau d’épines : |
6+6 |
a |
|
Et les flots montueux,│sur leurs flancs assombris, |
6+6 |
b |
|
Des chênes et des pins│dispersent les débris. |
6+6 |
b |
|
545 |
Mais tu suivais, ô dieu !│la blanche naufragée, |
6+6 |
a |
|
Vers le port inconnu│par l’amour dirigée. |
6+6 |
a |
|
Invisible, effleurant│les vagues de tes pieds, |
6+6 |
b |
|
Tu conduis devant toi│le mat ou tu l’assieds ; |
6+6 |
b |
|
Et penché, sur un bras│supportant son corps frêle, |
6+6 |
a |
550 |
Contre le choc des eaux│tu la couvres de l’aile, |
6+6 |
a |
|
Ainsi guidée, un fleuve│au sein tranquille et doux, |
6+6 |
b |
|
Qui verse un azur calme│à ces mers en courroux, |
6+6 |
b |
|
L’accueillit ; et le dieu,│comme un souffle insensible, |
6+6 |
a |
|
L’y poussa lentement│sur la rive paisible |
6+6 |
a |
555 |
D’où les chênes, montant│vers les sommets dorés, |
6+6 |
b |
|
Jusqu’à de blancs parvis│s’élevaient par degrés. |
6+6 |
b |
|
|
V |
|
PSYCHÉ
|
|
|
Des vierges par la main│prennent leur jeune sœur ; |
6+6 |
b |
|
Et l’eau tiède du bain,│les arômes, les huiles, |
6+6 |
a |
|
Et le peigne d’ivoire,│et, sous des doigts habiles, |
6+6 |
a |
|
La perle et les bandeaux│tressés aux blonds cheveux, |
6+6 |
b |
600 |
Et les riches habits│et des dons faits aux dieux |
6+6 |
b |
|
Des ruches, des vergers,│les suaves prémices, |
6+6 |
a |
|
Et les coupes de vin,│et le lait des génisses, |
6+6 |
a |
|
Et sur la toison molle│un long sommeil goûté, |
6+6 |
b |
|
Et l’espoir, sur son corps,│ramènent la beauté. |
6+6 |
b |
605 |
Dans le temple bientôt,│entre toutes insigne, |
6+6 |
a |
|
Comme entre les oiseaux,│sur un lac, un doux cygne, |
6+6 |
a |
|
Par sa voix, par sa forme│égale aux immortels, |
6+6 |
b |
|
Sainte et belle prêtresse,│elle orna leurs autels. |
6+6 |
b |
|
|
|
Mais dans son calme heureux│une image connue, |
6+6 |
a |
|
Comme l’aube au milieu│des étoiles venue, |
6+6 |
a |
615 |
Éclipse par degrés│le monde extérieur, |
6+6 |
b |
|
Aux clartés des rayons│qu’elle jette en son cœur. |
6+6 |
b |
|
Chez elle un souvenir,│qui réveille une attente, |
6+6 |
a |
|
De rêves inquiets│remplit l’heure présente : |
6+6 |
a |
|
Un dieu l’avait aimée,│un dieu fut son époux ! |
6+6 |
b |
620 |
Beau, jeune, tout puissant.│Un écho triste et doux |
6+6 |
b |
|
De la voix de ce dieu│la poursuit sans relâche |
6+6 |
a |
|
Le doit-elle revoir ?│Quel asile le cache ? |
6+6 |
a |
|
Comment de son séjour│retrouver le chemin, |
6+6 |
b |
|
Et renouer l’espoir│de ce céleste hymen ? |
6+6 |
b |
625 |
Vers lui, vers l’avenir,│son cœur se précipite, |
6+6 |
a |
|
Sans donner un regret│aux douceurs qu’elle quitte. |
6+6 |
a |
|
Tel un oiseau captif,│malgré sa cage d’or, |
6+6 |
b |
|
S’il entrevoit le ciel,│cherche à prendre l’essor. |
6+6 |
b |
|
Telle, aspirant au dieu│que son cœur lui révèle, |
6+6 |
a |
630 |
Psyché s’offre à subir│une épreuve nouvelle. |
6+6 |
a |
|
|
|
|
|
|
|
LE PRÊTRE
|
« Non, tu nous resteras !│L’autel garde sa proie ; |
6+6 |
a |
|
Ceux qui veulent nous fuir,│notre dieu les foudroie. |
6+6 |
a |
|
Que cet époux, ton dieu,│si c’est un immortel, |
6+6 |
b |
680 |
Ose ici t’arracher,│esclave, à notre autel. |
6+6 |
b |
|
Tout homme ayant franchi│le seuil des sanctuaires |
6+6 |
a |
|
Et vu, même de loin,│s’accomplir nos mystères, |
6+6 |
a |
|
Dont la lèvre a trempé│dans un vase divin, |
6+6 |
b |
|
De nos libations│bu le miel et le vin, |
6+6 |
b |
685 |
Et goûté, parmi nous,│la chair de l’hécatombe, |
6+6 |
a |
|
N’est libre de l’autel│qu’en passant par la tombe. |
6+6 |
a |
|
Le sceau de la déesse│à ton front est gravé, |
6+6 |
b |
|
Comme au taureau sans tache│au temple réservé ; |
6+6 |
b |
|
Dévouée à jamais,│par amour ou par crainte, |
6+6 |
a |
690 |
Tu ne franchiras pas│notre inflexible enceinte, |
6+6 |
a |
|
Dût le couteau sacré│s’enfoncer dans tes flancs, |
6+6 |
b |
|
Et tes os se briser│sur nos marbres sanglants. » |
6+6 |
b |
|
|
Troublant du dieu nouveau│l’image pressentie, |
6+6 |
a |
|
Le prêtre, ainsi, du temple│entrave la sortie |
6+6 |
a |
695 |
Et, sombre gardien,│par la force et la peur |
6+6 |
b |
|
Conserve aux vieux autels│un jeune serviteur. |
6+6 |
b |
|
Mais quel bras enchaînant│la lumière et la flamme |
6+6 |
a |
|
Au veuvage éternel│peut emprisonner l’âme ? |
6+6 |
a |
|
De la fuite Psyché│méditant l’heureux jour |
6+6 |
b |
700 |
Vers l’époux entrevu│s’élance avec amour. |
6+6 |
b |
|
Son esprit vole errant│vers les choses lointaines ; |
6+6 |
a |
|
Mais le dieu qu’elle fuit│appesantit ses chaînes, |
6+6 |
a |
|
Et le temple jaloux│lui fermant l’horizon, |
6+6 |
b |
|
L’asile nourricier│devient une prison. |
6+6 |
b |
705 |
Car, le prêtre l’a dit,│jamais un dieu ne cède |
6+6 |
a |
|
Et ne livre l’autel│au dieu qui lui succède, |
6+6 |
a |
|
Il veut, pour prix des biens│qu’il apporte en naissant, |
6+6 |
b |
|
Garder jusqu’à la mort│le monde obéissant. |
6+6 |
b |
|
|
PSYCHÉ
|
« D’un miel doux et fécond│ces prêtres m’ont nourrie. |
6+6 |
a |
710 |
Si je n’entrevoyais│ton image chérie, |
6+6 |
a |
|
Ô mon époux, ce front│paisible et résigné |
6+6 |
b |
|
Resterait sous leur joug│aujourd’hui dédaigné ! |
6+6 |
b |
|
Mais j’entendis ta voix,│et bravant les épreuves, |
6+6 |
a |
|
Par les monts et les mers,│les forêts et les fleuves, |
6+6 |
a |
715 |
Je pars, je vais à toi.│S’il le faut, je saurai, |
6+6 |
b |
|
Lentement, chaque nuit,│creuser le mur sacré ; |
6+6 |
b |
|
Ou de ma faible main│que l’amour rend hardie, |
6+6 |
a |
|
Du temple pour ma fuite│allumer l’incendie. |
6+6 |
a |
|
Mais, toi, dieu que j’invoque,│oh ! révèle-toi mieux, |
6+6 |
b |
720 |
Et qu’un signe certain│me guide vers les lieux |
6+6 |
b |
|
Où tu m’attends sans doute,│où je te vois en songe, |
6+6 |
a |
|
Ô roi de l’avenir,│où déjà mon cœur plonge ! » |
6+6 |
a |
|
|
Le prêtre vigilant│par la ruse trompé, |
6+6 |
b |
|
Cherche en vain à l’autel│son esclave échappé. |
6+6 |
b |
725 |
La jeune âme fuyait,│et les brises divines |
6+6 |
a |
|
Faisaient battre son aile│au loin sur les collines. |
6+6 |
a |
|
Nul des vases sacrés│au temple ne manquait, |
6+6 |
b |
|
Ni les coupes d’onyx│de l’austère banquet, |
6+6 |
b |
|
Ni l’argent ciselé,│le bronze où l’encens fume, |
6+6 |
a |
730 |
Les cratères d’airain│où le charbon s’allume, |
6+6 |
a |
|
Les patènes d’agate│et le calice d’or. |
6+6 |
b |
|
Psyché n’emporte rien│du mystique trésor ; |
6+6 |
b |
|
Mais, comme sa beauté,│la lyre l’a suivie, |
6+6 |
a |
|
Attachée à ses flancs│et sur l’autel ravie, |
6+6 |
a |
735 |
Prête à chanter les dieux,│leurs amours, leurs exploits, |
6+6 |
b |
|
Dans une cité libre│et fière de ses lois. |
6+6 |
b |
|
|
|
VI |
|
Ta ceinture d’où pend│une lyre d’écaille, |
6+6 |
a |
|
La lente majesté│du port et de la taille, |
6+6 |
a |
|
Ce front large et serein,│quoique privé des yeux, |
6+6 |
b |
740 |
Tout m’atteste, ô vieillard,│un chantre aimé des dieux. |
6+6 |
b |
|
Dans la sainte Pytho,│nourrice des athlètes, |
6+6 |
a |
|
Du laurier des chansons│tu viens orner les fêtes. |
6+6 |
a |
|
Mais ce chemin est long ;│l’enfant qui te conduit |
6+6 |
b |
|
Va dans les bois sacrés│errer jusqu’à la nuit. |
6+6 |
b |
745 |
Vers ces myrtes épars,│si tu me veux pour guide, |
6+6 |
a |
|
Prenons sur la montagne│un sentier plus rapide, |
6+6 |
a |
|
Et, devant que Phœbus│ne plonge à l’horizon, |
6+6 |
b |
|
Tes pieds auront touché│la ville et ma maison. |
6+6 |
b |
|
Je passai là, souvent,│sur les bruyères sèches, |
6+6 |
a |
750 |
En invoquant Diane,│armé d’arcs et de flèches, |
6+6 |
a |
|
Et mon bras jeune et fort│t’y saura diriger. » |
6+6 |
b |
|
|
|
— « Viens, les jeux seront beaux !│À ta muse indigente |
6+6 |
a |
|
Plus d’un riche vainqueur│d’Argos ou d’Agrigente |
6+6 |
a |
|
Offrira, pour son nom│dans tes hymnes chanté, |
6+6 |
b |
|
Avec dix taureaux blancs│sa coupe d’or sculpté : |
6+6 |
b |
765 |
Car le chantre sonore,│aimé de Mnémosyne, |
6+6 |
a |
|
Donne seul à l’athlète│une gloire divine. |
6+6 |
a |
|
Dis-nous les vieux combats│et les récents travaux ; |
6+6 |
b |
|
Tu seras applaudi│par d’illustres rivaux, |
6+6 |
b |
|
Phémius de Naxos,│Hylas de Sicyone |
6+6 |
a |
770 |
Doivent des vers entre eux│disputer la couronne. |
6+6 |
a |
|
Une femme, on la crut│déesse, et parmi nous |
6+6 |
b |
|
Le peuple en l’écoutant│l’adorait à genoux, |
6+6 |
b |
|
Tant sa voix de sa forme│égale l’harmonie, |
6+6 |
a |
|
Chantera notre dieu│sur le luth d’Ionie. |
6+6 |
a |
775 |
Viens, ô vieillard, franchis│le seuil de mes aïeux ; |
6+6 |
b |
|
Le toit se réjouit│d’un hôte harmonieux. » |
6+6 |
b |
|
|
|
Des monts chers à Phœbus│les flancs étaient chargés |
6+6 |
b |
|
De tous les peuples grecs│près du stade rangés ; |
6+6 |
b |
785 |
Ceux dont la voix garda,│moins sévère et plus tendre, |
6+6 |
a |
|
Le mode ionien│que l’amour aime entendre ; |
6+6 |
a |
|
Et la race d’Hercule│en qui le fier accent |
6+6 |
b |
|
Du héros dorien│survit avec son sang. |
6+6 |
b |
|
Après les grands taureaux│offerts en hécatombes, |
6+6 |
a |
790 |
Et les vins répandus│en mémoire des tombes, |
6+6 |
a |
|
Après le disque et l’arc│par le dieu protégés, |
6+6 |
b |
|
Les lutteurs frottés d’huile│et les coureurs légers ; |
6+6 |
b |
|
Après le javelot,│le pancrace et le ceste, |
6+6 |
a |
|
Et les divers combats│d’origine céleste ; |
6+6 |
a |
795 |
Sur les chanteurs rivaux│tour à tour entendus, |
6+6 |
b |
|
Longtemps les yeux des Grecs│restèrent suspendus. |
6+6 |
b |
|
Ils remplissaient leurs cœurs│du chant aux flots sonores |
6+6 |
a |
|
Comme aux torrents sacrés│l’argile des amphores. |
6+6 |
a |
|
La lyre avait parlé│sous les doigts du vieillard. |
6+6 |
b |
800 |
Après lui, déployant│les récits avec art, |
6+6 |
b |
|
Les autres avaient vu│leurs fraîches mélodies |
6+6 |
a |
|
Par le peuple joyeux│dans l’arène applaudies, |
6+6 |
a |
|
Quand Psyché vers l’autel│à la fin s’avança, |
6+6 |
b |
|
Et c’est par Apollon│que l’hymne commença. |
6+6 |
b |
805 |
Elle chanta Délos,│le palmier de Latone ; |
6+6 |
a |
|
Les premiers cris du dieu│dont l’Olympe s’étonne ; |
6+6 |
a |
|
Il demande sa lyre,│et son arc, et son char ; |
6+6 |
b |
|
Sa bouche au lieu de lait│boit déjà le nectar, |
6+6 |
b |
|
Et ses langes rompus│laissent ses pieds rapides |
6+6 |
a |
810 |
Commencer en naissant│leurs courses intrépides. |
6+6 |
a |
|
Aux chants phocidiens│Python meurt sous ses traits ; |
6+6 |
b |
|
Par lui de l’avenir│Delphes sait les secrets ; |
6+6 |
b |
|
Il traverse en un jour│et la Grèce et ses îles, |
6+6 |
a |
|
Les sillons sous ses pas│nous deviennent fertiles. |
6+6 |
a |
815 |
Il est le roi léger│des chars et des coureurs ; |
6+6 |
b |
|
Ses pieds sans les courber│se posent sur les fleurs. |
6+6 |
b |
|
Le vent de ses coursiers│balaie au loin la neige ; |
6+6 |
a |
|
Les Heures, les Saisons│forment son beau cortège. |
6+6 |
a |
|
Il atteint chaque soir│le bout de l’univers, |
6+6 |
b |
820 |
Et Téthys l’y reçoit│dans ses grands palais verts. |
6+6 |
b |
|
Sur la pourpre changeante│où le dieu se repose, |
6+6 |
a |
|
Les Nymphes de la mer│lavent ses pieds de rose ; |
6+6 |
a |
|
Et la déesse, après│le festin partagé, |
6+6 |
b |
|
L’enivre d’un sommeil│par l’amour prolongé. |
6+6 |
b |
|
|
835 |
Quand, las de visiter│le temple des humains, |
6+6 |
b |
|
L’Olympe te revoit,│les dieux battent des mains : |
6+6 |
b |
|
Latone avec fierté│te donne ses caresses ; |
6+6 |
a |
|
Junon même sourit,│et les jeunes déesses |
6+6 |
a |
|
Rêvent à la douceur│de ton lit embaumé. |
6+6 |
b |
840 |
Mais tu t’assieds auprès│de Jupiter charmé ; |
6+6 |
b |
|
Tu chantes, et les dieux│retenant leurs haleines |
6+6 |
a |
|
Négligent du nectar│les coupes encor pleines, |
6+6 |
a |
|
Et le chœur des heureux,│à ta voix transporté, |
6+6 |
b |
|
Par toi sent mieux le prix│de l’immortalité. |
6+6 |
b |
845 |
Chacun fait aux humains│des présents plus splendides ; |
6+6 |
a |
|
Téthys offre la perle│aux plongeurs intrépides ; |
6+6 |
a |
|
Cérès, du pur froment,│verse à flots le trésor ; |
6+6 |
b |
|
Et la blanche Aphrodite│aux longues tresses d’or, |
6+6 |
b |
|
Rougissant de bonheur,│laisse de sa ceinture |
6+6 |
a |
850 |
Tomber plus de désir│sur toute la nature. |
6+6 |
a |
|
Dieu des chars rayonnant,│dieu de l’arc et du luth, |
6+6 |
b |
|
Dieu rapide, dieu beau,│dieu des chansons, salut ! |
6+6 |
b |
|
|
|
Elle dit les climats,│les lois, les mœurs, les dieux, |
6+6 |
b |
860 |
Les secrètes vertus│des races et des lieux, |
6+6 |
b |
|
Les terres d’Orient,│l’Inde à Bacchus soumise, |
6+6 |
a |
|
L’Atlantide lointaine│aux pilotes promise, |
6+6 |
a |
|
Les navires cherchant│les jardins d’Hespérus, |
6+6 |
b |
|
Des vieilles nations│les berceaux parcourus, |
6+6 |
b |
865 |
Babylone, Memphis│de mystère entourées, |
6+6 |
a |
|
Et du fleuve Égyptus│les sources ignorées. |
6+6 |
a |
|
Puis l’âge d’or, la paix│régnant aux anciens jours, |
6+6 |
b |
|
Et les dieux recherchant│de terrestres amours ; |
6+6 |
b |
|
Et d’un bonheur passé│la merveilleuse histoire |
6+6 |
a |
870 |
Dont chaque peuple encore│a gardé la mémoire ; |
6+6 |
a |
|
L’urne pleine de maux,│présent de Jupiter, |
6+6 |
b |
|
Et la main de Pandore│ouvrant l’âge de fer ; |
6+6 |
b |
|
Les agresseurs du ciel│que le tonnerre écrase, |
6+6 |
a |
|
Et l’inventeur du feu│puni sur le Caucase. |
6+6 |
a |
875 |
Mais dans l’Olympe un jour│le Titan entrera ; |
6+6 |
b |
|
Ta chaîne, ô Prométhée,│à la fin se rompra ; |
6+6 |
b |
|
Un dieu, déjà présent│dans ton cœur prophétique, |
6+6 |
a |
|
Doit percer le vautour│sur le gibet antique. |
6+6 |
a |
|
Pandore a retenu│dans le vase fatal |
6+6 |
b |
880 |
L’espérance, compagne│et remède du mal ; |
6+6 |
b |
|
Elle est là pour panser│la morsure éternelle ; |
6+6 |
a |
|
L’oiseau rongeur sera│plus vite lassé qu’elle ! |
6+6 |
a |
|
Ainsi d’un bien perdu,│d’un retour annoncé, |
6+6 |
b |
|
Le tableau dans son hymne│est souvent retracé. |
6+6 |
b |
885 |
Elle aime à célébrer│les regrets et l’attente, |
6+6 |
a |
|
Au milieu des douleurs│la tendresse constante, |
6+6 |
a |
|
Et le cœur s’élançant│vers un être perdu, |
6+6 |
b |
|
Et d’un trésor cherché│le désir assidu ; |
6+6 |
b |
|
Les courses de Cérès,│Proserpine enlevée, |
6+6 |
a |
890 |
Les pommes d’or, Colchos,│Ithaque retrouvée, |
6+6 |
a |
|
Ariadne, Adonis,│et les enfers jaloux, |
6+6 |
b |
|
Eurydice deux fois│ravie à son époux, |
6+6 |
b |
|
Et la mort éprouvant│les amoureuses flammes, |
6+6 |
a |
|
Et l’Élysée heureux,│ce rendez-vous des âmes. |
6+6 |
a |
|
895 |
D’un cri si triomphal,│après qu’elle eut chanté, |
6+6 |
b |
|
La foule salua│sa voix et sa beauté, |
6+6 |
b |
|
Qu’on eût dit les clameurs│des forêts et de l’onde, |
6+6 |
a |
|
Le bruit des pins penchés│sur un gouffre qui gronde, |
6+6 |
a |
|
Se heurtant par le faîte,│et brisant leurs rameaux, |
6+6 |
b |
900 |
Et répondant la nuit│au bruit des grandes eaux, |
6+6 |
b |
|
Quand Borée ou Notus,│de leurs fortes poitrines, |
6+6 |
a |
|
Ont soufflé sur les bois│et les plaines marines. |
6+6 |
a |
|
Et le peuple unanime│a proclamé son nom |
6+6 |
b |
|
Pour le prix des chanteurs│que décerne Apollon. |
6+6 |
b |
|
905 |
La couronne à l’autel│attendait la victoire. |
6+6 |
a |
|
Le roi des jeux sacrés,│de son siège d’ivoire |
6+6 |
a |
|
Se levant, la saisit,│et debout vers Psyché, |
6+6 |
b |
|
Du rameau verdoyant│ceignit son front penché. |
6+6 |
b |
|
Mais elle : « Ô Grecs divins,│à ce vieillard auguste |
6+6 |
a |
910 |
Le laurier d’Apollon│serait un don plus juste. » |
6+6 |
a |
|
Et marchant vers l’aveugle :│« Oh ! si tu n’es pas dieu, |
6+6 |
b |
|
Et si tu n’as pas droit│à nos autels en feu, |
6+6 |
b |
|
Laisse : que pour ton chant,│inspiré des Charites, |
6+6 |
a |
|
Je te rende, ô vieillard !│le prix que tu mérites. » |
6+6 |
a |
915 |
Et le laurier orna│l’aveugle aux cheveux blancs. |
6+6 |
b |
|
Et le peuple admirait.│ |
|
|
|
Et le peuple admirait. La chanteuse à pas lents |
6+6 |
b |
|
S’éloigne, et, près des eaux│de l’antique Telphuse, |
6+6 |
a |
|
Grande, et de blanc vêtue,│et semblable à la Muse, |
6+6 |
a |
|
Sous les cyprès touffus│s’enfonçant par degrés, |
6+6 |
b |
920 |
On la voit disparaître│au sein des bois sacrés. |
6+6 |
b |
|
|
PSYCHÉ
|
|
« Je connais leurs forêts,│leurs antres merveilleux. |
6+6 |
b |
|
J’ai vu les dieux errant│dans l’ombre épaisse, et ceux |
6+6 |
b |
|
Qui couchés gravement│au sommet des montagnes, |
6+6 |
a |
|
La tête dans leurs main,│regardent les campagnes |
6+6 |
a |
935 |
Et ceux qu’en pleine mer│aperçoit le pêcheur, |
6+6 |
b |
|
De leurs flancs sur l’eau bleue│étalant la blancheur ; |
6+6 |
b |
|
Et ceux, au pied léger,│qui mènent sur les pentes |
6+6 |
a |
|
À la piste du cerf│les meutes haletantes ; |
6+6 |
a |
|
Ceux qui forment en rond│la danse sur les prés ; |
6+6 |
b |
940 |
Ceux qui, debout et fiers,│dans les frontons sacrés, |
6+6 |
b |
|
Règnent sur les cités│du haut des acropoles : |
6+6 |
a |
|
Ceux dont l’onde et le vent│nous jettent les paroles. |
6+6 |
a |
|
Du sol hellénien,│saintement parcouru, |
6+6 |
b |
|
Devant moi tour à tour│les dieux ont comparu ; |
6+6 |
b |
945 |
Celui seul dont mon cœur│implorait la venue |
6+6 |
a |
|
A trompé jusqu’ici│ma recherche assidue. |
6+6 |
a |
|
|
|
« Ah ! quand je vois glisser,│au fond de ma pensée, |
6+6 |
a |
|
Ton ombre seule en moi│vaguement retracée, |
6+6 |
a |
|
Toi qu’un rêve éternel│me prédit pour amant, |
6+6 |
b |
960 |
J’en goûte plus d’extase│et de ravissement |
6+6 |
b |
|
Que devant tous ces dieux,│quand, aux clartés du temple, |
6+6 |
a |
|
Dans toute leur grandeur,│mon esprit les contemple ! |
6+6 |
a |
|
Dois-je à l’espoir d’hymen│renoncer pour toujours, |
6+6 |
b |
|
Ô Dieu ! dont mon enfance│a goûté les amours ? |
6+6 |
b |
965 |
Où faut-il que Psyché│s’élance et te devine, |
6+6 |
a |
|
Toi qu’elle cherche en vain│dans la Grèce divine ! |
6+6 |
a |
|
|
« Du désir qui m’entraîne,│ah ! tu n’éprouves rien ; |
6+6 |
b |
|
Ton cœur ne bondit pas│pour s’approcher du mien ! |
6+6 |
b |
|
Si tu vois sans gémir│l’exil qui nous sépare, |
6+6 |
a |
970 |
Pourquoi ce nom d’époux│dont mon âme te pare ? |
6+6 |
a |
|
Sans un foyer divin│je n’ai pu m’enflammer ; |
6+6 |
b |
|
Si tu ne m’aimes pas,│qui m’enseigne à t’aimer, |
6+6 |
b |
|
Et, m’offrant une image│à jamais poursuivie, |
6+6 |
a |
|
Au fil de ta pensée│a dirigé ma vie ? |
6+6 |
a |
975 |
Mais un dieu, je le sens,│a souffert comme moi ; |
6+6 |
b |
|
Il a souffert d’amour,│et je comprends pourquoi, |
6+6 |
b |
|
Grave et des dieux joyeux│fuyant le ciel frivole, |
6+6 |
a |
|
Son front de la tristesse│a fait son auréole. |
6+6 |
a |
|
Ah ! ta douleur m’est douce !│et c’est aux jours meilleurs |
6+6 |
b |
980 |
Que mon rêve aperçoit│tes yeux baignés de pleurs ! » |
6+6 |
b |
|
|
|
VII |
|
|
|
|
|
|
LE VIEILLARD
|
|
|
« Garde aussi le trésor│aux temples dérobé, |
6+6 |
b |
|
Et des trépieds divins│l’enseignement tombé. |
6+6 |
b |
|
Mais reviens des autels│t’asseoir sous les portiques ; |
6+6 |
a |
1030 |
Pèse en de sages mains│les oracles antiques. |
6+6 |
a |
|
Écoute les discours│que se disent entre eux |
6+6 |
b |
|
Ces vieillards encor verts│de la muse amoureux ; |
6+6 |
b |
|
Leur âme est un creuset│d’où coulent épurées |
6+6 |
a |
|
Les choses des vieux jours│et les fables sacrées. |
6+6 |
a |
1035 |
Ils tiennent le fil d’or│de l’écheveau des temps, |
6+6 |
b |
|
Et, par le seul amour│et les désirs constants, |
6+6 |
b |
|
Chacun d’eux, sans trépieds│et sans mystiques fièvres, |
6+6 |
a |
|
Sait contraindre les dieux│à parler par ses lèvres. |
6+6 |
a |
|
L’active intelligence│errant à l’horizon, |
6+6 |
b |
1040 |
Dans le cœur habité│par l’auguste raison |
6+6 |
b |
|
Revient, et, pour chaque homme,│élabore sans cesse |
6+6 |
a |
|
De fleurs prises partout│le miel de la sagesse. |
6+6 |
a |
|
|
|
|
LE VIEILLARD
|
« Chacun se fait sa vie│agitée ou paisible. |
6+6 |
a |
|
Nous avons tous les deux│la soif de l’invisible, |
6+6 |
a |
|
Mais, dans mon cœur, peut-être,│apportant plus de foi, |
6+6 |
b |
|
La mémoire a parlé│plus vive que chez toi. |
6+6 |
b |
1065 |
Car, avant de descendre│aux terrestres demeures, |
6+6 |
a |
|
J’ai connu, comme toi,│des régions meilleures, |
6+6 |
a |
|
Et cet hymen sacré│commencé dans l’éther |
6+6 |
b |
|
Qui doit se renouer│au sein de Jupiter. |
6+6 |
b |
|
« L’àme avant de traîner│ce corps qui l’embarrasse, |
6+6 |
a |
1070 |
A la suite d’un dieu│voyageait dans l’espace ; |
6+6 |
a |
|
Chacun de nous alors,│ayant Dieu pour flambeau |
6+6 |
b |
|
Dans sa plus pure essence│à contemplé le beau, |
6+6 |
b |
|
Et vu, pour un moment,│dans sa sphère étoilée |
6+6 |
a |
|
L’éternelle sagesse│à la bonté mêlée. |
6+6 |
a |
1075 |
Pour remonter vers elle│et pour s’y fondre un jour, |
6+6 |
b |
|
L’âme a deux ailes d’or :│la raison et l’amour ! |
6+6 |
b |
|
Comme elles ont des dieux│tiré leur origine, |
6+6 |
a |
|
Il faut pour les nourrir│une essence divine ; |
6+6 |
a |
|
Quelque chose d’en haut│sur la terre apporté. |
6+6 |
b |
1080 |
Et c’est pourquoi chaque homme│entrevoit la beauté, |
6+6 |
b |
|
La plus douce à la fois│et la plus manifeste |
6+6 |
a |
|
Des trois perfections│de l’unité céleste, |
6+6 |
a |
|
Et que l’esprit tombé│qui dans la chair renaît |
6+6 |
b |
|
Même des yeux du corps│sans peine reconnaît. |
6+6 |
b |
1085 |
L’âme en qui se réveille│et brille cette idée |
6+6 |
a |
|
Se rend libre du mal,│et, par l’amour guidée, |
6+6 |
a |
|
Réglant l’essor du cœur│par les sens combattu, |
6+6 |
b |
|
Au rang des immortels│monte par la vertu. |
6+6 |
b |
|
|
« L’époux t’attend là-haut…│C’est là-haut que j’aspire ! |
6+6 |
a |
1090 |
Et, préparant le vol│qui doit nous y conduire, |
6+6 |
a |
|
J’aide ceux que vers moi│l’attente fait venir |
6+6 |
b |
|
À retrouver l’idée│au fond du souvenir. |
6+6 |
b |
|
D’amis jeunes et beaux│souvent dans la campagne, |
6+6 |
a |
|
Alternant le discours,│un groupe m’accompagne. |
6+6 |
a |
1095 |
Assis sous le platane│ou sous l’agnus-castus, |
6+6 |
b |
|
Auprès de quelque source,│au bord de l’Ilissus, |
6+6 |
b |
|
Ou dans une palestre,│ou sur ce promontoire, |
6+6 |
a |
|
Ou de fleurs couronné│sur un siège d’ivoire |
6+6 |
a |
|
En un banquet riant│par la muse enchanté, |
6+6 |
b |
1100 |
Je leur parle d’amour│et d’immortalité. |
6+6 |
b |
|
Ensemble nous cherchons│le bien et la sagesse, |
6+6 |
a |
|
Et les Grâces parfois│visitent ma vieillesse. |
6+6 |
a |
|
Le réveil du tombeau│sourit à mon espoir ; |
6+6 |
b |
|
Ainsi, d’un jour serein│j’atteignis le beau soir. » |
6+6 |
b |
|
|
PSYCHÉ
1105 |
« Que la force et la joie│en mon sein répandues |
6+6 |
a |
|
À ton âme, ô vieillard,│par les dieux soient rendues : |
6+6 |
a |
|
Qu’à ce front large et calme,│abrité des douleurs, |
6+6 |
b |
|
Les bois versent longtemps│le murmure et les fleurs : |
6+6 |
b |
|
Que les songes dorés│voltigent sur ta couche. |
6+6 |
a |
1110 |
Que d’un rayon de miel│chaque soir à ta bouche |
6+6 |
a |
|
Les abeilles d’Hymette│apportent le présent ; |
6+6 |
b |
|
Qu’un dieu parle à ton cœur│et te soit complaisant, |
6+6 |
b |
|
Et qu’avec tes amis,│à jamais, sur tes traces, |
6+6 |
a |
|
Marche le chœur joyeux│des Muses et des Grâces. |
6+6 |
a |
1115 |
Et moi je pars, fidèle│à l’invisible amant, |
6+6 |
b |
|
J’emporte le flambeau│de ton enseignement, |
6+6 |
b |
|
Le plus pur dont un homme│illuminant mon doute |
6+6 |
a |
|
Vers l’être que je cherche│ait éclairé ma route, |
6+6 |
a |
|
Me faisant voir, sans trouble│et sans obscurité, |
6+6 |
b |
1120 |
Le bien et la sagesse│au fond de la beauté. » |
6+6 |
b |
|
Je sais tout ce qu’à l’âme│enseigne la souffrance. |
6+6 |
a |
|
À ses rameaux divers│j’ai cueilli la science. |
6+6 |
a |
|
J’ai grossi mon trésor,│chez toutes nations, |
6+6 |
b |
|
De l’or accumulé│des générations. |
6+6 |
b |
1125 |
J’ai des temples obscurs│approfondi les rites, |
6+6 |
a |
|
Et les vertus des dieux│dans leurs œuvres écrites |
6+6 |
a |
|
La mer et le désert│m’ont livré leurs secrets, |
6+6 |
b |
|
J’interprète aux mortels│la langue des forêts, |
6+6 |
b |
|
Et le vol des oiseaux│et le pouvoir des plantes. |
6+6 |
a |
1130 |
Je sais guider la sève│et les laves brûlantes. |
6+6 |
a |
|
De la terre à ma voix│jaillissent les métaux, |
6+6 |
b |
|
Et mes enchantements│fécondent les troupeaux. |
6+6 |
b |
|
Les rebelles saisons│par mon art conjurées |
6+6 |
a |
|
Versent dans nos greniers│des moissons assurées : |
6+6 |
a |
1135 |
La corne d’or se ferme│et s’ouvre à mon vouloir. |
6+6 |
b |
|
Et, des rudes travaux│libre par le savoir, |
6+6 |
b |
|
Dans un empire heureux│réglé par ma prudence, |
6+6 |
a |
|
L’homme s’est asservi│la déesse Abondance. |
6+6 |
a |
|
|
« Les peuples m’ont fait reine ;│aux fins que je prévois, |
6+6 |
b |
1140 |
Soumis avec amour│ils marchent à ma voix ; |
6+6 |
b |
|
Ils accourent de loin│sous mon sceptre propice. |
6+6 |
a |
|
Je reçois comme un dieu│l’encens du sacrifice. |
6+6 |
a |
|
La mer avec respect│berce mes pavillons |
6+6 |
b |
|
Et le désert vaincu│conserve mes sillons. |
6+6 |
b |
1145 |
Quand je veux parcourir│mon empire sans bornes, |
6+6 |
a |
|
Les grands chevaux marins,│les tritons, les licornes, |
6+6 |
a |
|
Les monstres écailleux,│hôtes des grandes eaux, |
6+6 |
b |
|
Vites comme un regard│entraînent mes vaisseaux. |
6+6 |
b |
|
Les aigles, les griffons│me portent dans les nues, |
6+6 |
a |
1150 |
Cueillir les rares fleurs│des cimes inconnues ; |
6+6 |
a |
|
Et l’épaisseur des bois│s’ouvre devant mes chars |
6+6 |
b |
|
Traînés par des lions│et par des léopards. |
6+6 |
b |
|
Ma sagesse a conquis│la royauté des êtres, |
6+6 |
a |
|
Et mes désirs partout│se promènent en maîtres. |
6+6 |
a |
1155 |
Tout objet qu’ici-bas│ont aperçu mes yeux |
6+6 |
b |
|
Vient s’offrir à mes mains,│quand j’ai dit : Je le veux. |
6+6 |
b |
|
|
|
|
|
PSYCHÉ
|
« Habite-t-il là-haut│vos palais sans limites ? |
6+6 |
a |
|
S’est-il posé sur vous,│blanches étoiles, dites ? |
6+6 |
a |
1195 |
Vous brillez avec calme│et sans feux éclatants, |
6+6 |
b |
|
Sous un front sans désirs│comme des yeux contents, |
6+6 |
b |
|
Une si douce paix│vous berce et vous décore, |
6+6 |
a |
|
Que votre âme, ô clartés !│le possède… ou l’ignore. |
6+6 |
a |
|
« Et toi, fier Océan,│tu ne demandes rien ; |
6+6 |
b |
1200 |
Tes flots n’ont pas la paix│du flot aérien : |
6+6 |
b |
|
Mais ce qui trouble ainsi│ta face révérée, |
6+6 |
a |
|
Ce n’est pas le désir,│c’est Notus ou Borée ! |
6+6 |
a |
|
Et vous qui sur mon front│versez l’ombre et l’odeur, |
6+6 |
b |
|
Grands cèdres, du désir│connaissez-vous l’ardeur, |
6+6 |
b |
1205 |
L’ardeur de l’infini│dont j’ai l’âme embrasée ! |
6+6 |
a |
|
L’été, vous invoquez│la pluie et la rosée ; |
6+6 |
a |
|
Mais le tour du soleil│ne s’achève jamais |
6+6 |
b |
|
Sans que l’aube, de pleurs│inondant vos sommets, |
6+6 |
b |
|
Ne calme en vous les soifs│que je garde éternelles. |
6+6 |
a |
|
|
|
|
|
|
|
LES ETOILES
|
« Il a posé sur nous│ses pieds ambrosiens, |
6+6 |
b |
|
Et souvent nos rayons│s’allument dans les siens ; |
6+6 |
b |
|
Sur l’éther lumineux,│il nage d’île en île, |
6+6 |
a |
|
Et, sur nos flancs assis,│voit flotter ton asile. |
6+6 |
a |
1275 |
Tu vantes de nos fronts│la tranquille clarté, |
6+6 |
b |
|
C’est un pale reflet│de sa sérénité ; |
6+6 |
b |
|
Car ton époux sacré│nous cultive et nous aime. |
6+6 |
a |
|
Mais son plus doux attrait,│mais son amour suprême, |
6+6 |
a |
|
C’est toi, jeune Psyché,│toi qu’à travers les pleurs, |
6+6 |
b |
1280 |
Il attire vers lui│jusqu’aux mondes meilleurs ; |
6+6 |
b |
|
A toi son être entier,│toi l’amante et l’épouse ! |
6+6 |
a |
|
Chaque étoile de vous,│belle reine, est jalouse ! |
6+6 |
a |
|
Mais dans l’heureux hymen│qui doit fleurir toujours, |
6+6 |
b |
|
Ah ! nous serons au moins│le lit de vos amours. » |
6+6 |
b |
|
|
CHŒUR
|
|
1295 |
« Les fontaines de miel│et les ruisseaux de lait |
6+6 |
b |
|
Suffisaient en ce monde│où le cœur seul parlait. |
6+6 |
b |
|
La terre encore enfant,│de sa sève enivrée, |
6+6 |
a |
|
Des flots de l’inconnu│n’était pas altérée ; |
6+6 |
a |
|
Nul n’y rêvait encore│excepté toi, Psyché, |
6+6 |
b |
1300 |
Par delà le bonheur│un plus grand bien caché. |
6+6 |
b |
|
Le désir dans le monde│est entré par ton âme ; |
6+6 |
a |
|
La douleur a germé│dans les flancs de la femme ; |
6+6 |
a |
|
Tes mains ont dérobé│pour nous le feu fatal, |
6+6 |
b |
|
Et depuis ce moment│nous souffrons de ton mal. |
6+6 |
b |
1305 |
« Tu crois que ce beau front│qu’au ciel ainsi tu lèves |
6+6 |
a |
|
A seul l’ambition│et le tourment des rêves ; |
6+6 |
a |
|
Que tes yeux, Ô Psyché !│connaissent seuls les pleurs, |
6+6 |
b |
|
Que toi seule as le don│des sublimes douleurs !… |
6+6 |
b |
|
Tes larmes en tombant│se mêlent à bien d’autres. |
6+6 |
a |
1310 |
Tes soupirs n’ont-ils pas│leur écho dans les nôtres, |
6+6 |
a |
|
Et n’échanges-tu pas,│en mille accords divers, |
6+6 |
b |
|
La tristesse et la joie│avec tout l’univers ? |
6+6 |
b |
|
|
|
|
|
|
PSYCHÉ
1335 |
« Viens, c’est le jour ; plus tard,│tu m’auras vu mourir. |
6+6 |
b |
|
Verse en moi ton haleine,│ou mon sang va tarir ; |
6+6 |
b |
|
Viens arracher mon âme│à sa prison brûlante. |
6+6 |
a |
|
Oh ! pour un fiancé│que ta venue est lente ! |
6+6 |
a |
|
Ce trône, ce pouvoir,│ces trésors tant prisés, |
6+6 |
b |
1340 |
Toute la terre, enfin,│pour un de tes baisers ! |
6+6 |
b |
|
Qu’y ferais-je sans toi│d’une vie inféconde ! |
6+6 |
a |
|
C’était pour te chercher│que j’ai conquis ce monde. |
6+6 |
a |
|
J’y manque d’air, Ô dieu !│viens et délivre-moi : |
6+6 |
b |
|
Viens, amour, il me faut│ou le néant ou toi ! » |
6+6 |
b |
|
1345 |
Elle dit, et son front│vaincu par le pensée |
6+6 |
a |
|
S’incline, et se revêt│d’une pâleur glacée. |
6+6 |
a |
|
Son corps, de ses désirs│trop fragile instrument, |
6+6 |
b |
|
S’affaisse sous son poids,│privé de sentiment ; |
6+6 |
b |
|
Et, telle on voit d’albâtre│une frêle statue |
6+6 |
a |
1350 |
Dans les épais gazons│par l’orage abattue, |
6+6 |
a |
|
Ou tel un cygne atteint│d’une flèche en son vol, |
6+6 |
b |
|
Telle, à travers les fleurs,│elle gît sur le sol. |
6+6 |
b |
|
|
|
ÉPILOGUE |
|
|
|
|
Oui, malgré nos douleurs,│nos ténèbres, nos crimes, |
6+6 |
a |
|
Malgré la pesanteur│des passions infimes, |
6+6 |
a |
|
Et les temples détruits,│et le mal triomphant, |
6+6 |
b |
1380 |
Et l’ironie allant│du vieillard à l’enfant, |
6+6 |
b |
|
Et la haine qui gronde│au fond de nos poitrines, |
6+6 |
a |
|
Et le monde ébranlé│par le vent des doctrines, |
6+6 |
a |
|
Et le Sphinx maître encor│du secret redouté, |
6+6 |
b |
|
Du mot de l’univers,│je n’ai jamais douté ! |
6+6 |
b |
|
|
|
|
|
|
mètre |
profil métrique : 6+6
|
|