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12 longueur métrique
6-6 mètre
LAP_3/LAP5
Victor de LAPRADE
PSYCHÉ
1841
LIVRE DEUXIÈME
ARGUMENT
LA VIE TERRESTRE OU L’EXPIATION.
LA SÉRIE DES ÉPREUVES.
LES DIVERS ÂGES DE L’HISTOIRE.

I. Psyché au désert. — Après la faute d’Ève, Dieu maudit la terre, dit la Bible. La nature est devenue l’ennemie de l’homme, qui dans ces premiers temps est vaincu par elle. — En proie aux douleurs de la faim, exposée à la rage des bêtes fauves au milieu des sables torrides ou des forêts glaciales, la veuve de l’idéal, Psyché, rejetée du sein de l’Amour, perd presque entièrement dans les souffrances du corps le souvenir de l’époux mystique. — Après la chute, l’obscurcissement de la vérité est presque complet. — État sauvage ; les premiers arts matériels ne sont pas encore inventés. — Dieu ne cesse pas néanmoins de veiller sur l’âme. Éros, resté invisible, garantit Psyché des dangers de ce voyage à travers la nature vierge et la barbarie primitive. II. Psyché, victime humaine. — Les premières sociétés barbares. — Les religions de sang et de ténèbres. — Le souvenir des révélations de l’Éden s’est effacé. L’humanité déchue reçoit ses premiers dieux de la terreur ; elle se prosterne devant des idoles monstrueuses. — Prise par une tribu de chasseurs, Psyché est réservée comme la plus précieuse victime d’une hécatombe humaine ; elle va monter sur le bûcher, lorsqu’elle est délivrée à la suite d’un combat des peuples nomades. — Les nationalités commencent à se former sous ces dieux exclusifs et sanguinaires ; tout étranger est ennemi, tout ennemi doit mourir. III. Psyché esclave. — Premières sociétés régulières ; premières villes. — L’étranger n’est plus condamné à mourir ; la vie lui est conservée, mais il est esclave ; il est exclu du temple et de la cité. — Psyché prépare la nourriture grossière des captifs qui construisent Babylone. — Chant des esclaves bénissant la Nuit, divinité de l’oubli et du repos. — Un souvenir du bonheur antique et de l’apparition de l’idéal s’est réveillé dans l’âme de Psyché. — Écrasée par la servitude, elle veut chercher un refuge dans la mort. — Ses lamentations au bord du fleuve. — Mais la nature, par toutes ses voix, lui conseille de vivre. — L’humanité commence à recevoir de la nature une révélation meilleure, à y puiser le sentiment du bien. IV. Psyché en Égypte. — Commencement des temps historiques. — Fin des religions de la nature ; renaissance de la tradition spiritualiste. — Invention des arts et des sciences. — Commencement de la domination de l’homme sur la nature et de l’exploitation régulière du globe. — Satisfaction des besoins du corps. — Servitude religieuse. — Dans ce premier apaisement des besoins physiques, et sous l’empire d’une théocratie dépositaire d’une grande tradition, le sentiment de l’idéal se réveille et se manifeste plus clairement. — L’Égypte initiatrice de l’Occident. Psyché, employée au service des temples, retrouve dans son cœur le souvenir d’Éros ; l’époux mystique lui apparaît dans ses rêves avec un divin sourire. — Elle fuit les dieux monstrueux de l’Égypte pour chercher ce dieu plus jeune, plus libre et plus beau. V. La Grèce orphique et sacerdotale. — Psyché, dans sa fuite d’Égypte, a fait naufrage ; elle est recueillie dans un temple de la haute Grèce. — Consacrée à la déesse, elle connaît une divinité plus élevée et plus douce, une divinité à forme humaine. — vivant de posséder l’idéal, l’humanité est obligée de traverser plusieurs religions où la vérité divine se dégage de plus en plus. Les voiles sont arrachés l’un après l’autre ; les symboles deviennent plus transparents. — Psyché, qui aperçoit chaque jour plus clairement dans sa pensée la radieuse figure de l’époux, s’enfuit pour jamais du temple malgré l’effort du prêtre pour la retenir violemment. — L’anathème des vieilles religions idolâtriques impuissant devant l’appel de l’idéal. — Psyché, disciple émancipée du sacerdoce, a emporté la lyre sacrée. VI. Les temps héroïques et la Grèce d’Homère. — Émancipation de la poésie et des arts. — Psyché aux jeux Pythiques ; elle y remporte le prix du chant. — Son hymne, en célébrant Apollon, chante à travers les symboles helléniques, l’évolution de l’âme humaine et ses destinées célestes. — Psyché cède la couronne au chanteur aveugle. — Hommage de l’esprit humain au génie de la Grèce. — Psyché ne sera plus enfermée dans un temple ; elle poursuivra librement la recherche de l’époux divin. VII. Psyché à Sunium. — La Grèce philosophique. — Liberté complète de la pensée humaine ; l’homme choisit entre les traditions, et les interprète selon la lumière intérieure. — Dialogue de la veuve d’Éros avec le sage des sages. — Le beau, splendeur du vrai et souverain mobile de l’âme ; par lui elle est emportée vers l’idéal et remonte jusqu’au dieu qu’elle a perdu. VIII. Psyché, reine. — Accomplissement des destinées terrestres de l’humanité. — La nature extérieure domptée par la science, mais par une science mêlée d’inspiration et d’amour analogue à la science intuitive des premiers âges. — La charrue de l’homme a labouré dans tous les sens le double domaine terrestre et intellectuel. L’âme a obtenu et épuisé tout ce que ce monde peut lui donner de bonheur et de lumière. — C’est alors que le désir d’idéal et d’infini se réveille plus dévorant que jamais. — Tristesse divine de Psyché à travers son existence royale. — Ardente invocation à l’époux mystique. Cri de l’âme saturée des biens de la terre vers Dieu et les biens infinis. — Toute la création s’associe aux immenses aspirations de Psyché. Déchue avec l’âme, la nature pressent aujourd’hui comme elle la réhabilitation prochaine. — Tous les êtres ont connu le besoin d’union avec Dieu ; l’attente de l’infini les fait tous tressaillir. — L’océan palpite ; les forêts tressaillent ; les lions vont atteindre la proie inconnue qu’ils poursuivent éternellement sur la montagne. Le Sphinx du désert va révéler l’énigme qu’il garde depuis le commencement sur ses lèvres fermées. — Mais ce n’est pas dans cette vie et sur ce globe que l’ineffable union peut s’accomplir. Brisée par le désir de l’infini, Psyché, dans un élan d’amour surhumain, expire en appelant Éros. Le cercle de l’épreuve est parcouru ; l’expiation est consommée.
I
Ce n’est plus le jardin,asile de délice, 6+6 a
l’âme dans les fleursbuvait à plein calice, 6+6 a
Le joyeux sanctuaire,à l’amour préparé, 6+6 b
Que dorait un soleilégal et tempéré, 6+6 b
5 De miel et de beaux fruitsle sol inépuisable. 6+6 a
tout sentier étaitde mousse et de fin sable ; 6+6 a
C’est le désert vainqueur,libre du joug humain, 6+6 b
L’exil errant, l’exilsans tente et sans chemin ; 6+6 b
C’est une terre arideou des marais sans bornes, 6+6 a
10 Et des bois hérissésque glacent des eaux mornes ! 6+6 a
Horribles premiers-nésde ce royaume affreux, 6+6 b
Mille monstres sanglantss’y déchirent entre eux : 6+6 b
Les tigres, les lionsrugissent ; les reptiles 6+6 a
Exhalent en poisonsleurs haleines subtiles. 6+6 a
15 Dans chaque antre, dans l’air,dans les flots insoumis, 6+6 b
Dans l’arbre et dans la fleurl’homme a des ennemis. 6+6 b
De l’amour offenséla haine a pris la place ; 6+6 a
Car le monde est sans dieuxquand notre âme les chasse. 6+6 a
Du séjour pacifiqueavec leur reine exclus, 6+6 b
20 Tes sujets, ô Psyché !ne t’obéiront plus. 6+6 b
Cette vallée en fleur,si frche avant ta chute, 6+6 a
La terre n’est qu’un champpréparé pour la lutte, 6+6 a
ton cœur va saignerà toute heure, en tout lieu, 6+6 b
Mais qu’il faut traverserpour atteindre ton dieu. 6+6 b
25 Maintenant la nature,inféconde et rebelle, 6+6 a
D’elle-même à ta soifn’offre plus sa mamelle ; 6+6 a
Tes yeux ne liront plusdans ses yeux obscurcis. 6+6 b
C’est le Sphinx éternelsur la montagne assis : 6+6 b
Sa bouche à flot répandl’ironie et le doute, 6+6 a
30 Et son corps immobileintercepte la route ; 6+6 a
De lui nul voyageurne peut se détourner ; 6+6 b
Devant l’énigme, il fautmourir ou deviner. 6+6 b
Quoi ! ce corps affaissé,cette ombre qui chancelle, 6+6 a
Ce fantôme tremblant,c’est Psyché ? C’est bien elle ! 6+6 a
35 Le vent mêle du sableà ses cheveux épars ; 6+6 b
Son front pur s’est ridé ;l’eau de ses yeux hagards 6+6 b
En sillons inégauxcreuse sa pâle joue ; 6+6 a
Ses pieds nus sont rougisde sang et noirs de boue ; 6+6 a
Ses habits en lambeaux,sur ses flancs amaigris, 6+6 b
40 Cachent mal sa poitrineet ses membres flétris ; 6+6 b
À peine si debout,sous la chair affaissée, 6+6 a
Dans ses yeux par instantsse trahit la pensée. 6+6 a
Qui dirait en voyant,sur ces plaines en feu, 6+6 b
Ce fantôme sans voix :c’est l’épouse d’un dieu ? 6+6 b
45 Elle-même, à l’exilici-bas condamnée, 6+6 a
Semble avoir oubliéle céleste hyménée. 6+6 a
Son orgueil est vaincupar de vulgaires soins. 6+6 b
Les hauts désirs sont mortssous les rudes besoins ; 6+6 b
Les rêves sont muets ;la faim les a fait taire, 6+6 a
50 La faim sombre, et l’horreurde ce désert austère. 6+6 a
Quoi ! l’être, hier encor,par l’amour absorbé, 6+6 b
S’élance, avide ainsi,vers quelque fruit tombé, 6+6 b
Prêt à vendre sa partdes promesses divines 6+6 a
Pour un filet d’eau pureet pour quelques racines ! 6+6 a
55 A peine séparédu dieu qu’il a perdu, 6+6 b
L’homme au rang de la bruteest déjà descendu. 6+6 b
Orgueil, ô triste orgueil,comme la faim te dompte ! 6+6 a
A rabaisser l’esprit,ah ! que la chair est prompte ! 6+6 a
Marcher dès le matinsous des cieux incléments ; 6+6 b
60 Tout le jour s’agiterpour de vils aliments ; 6+6 b
Disputer le breuvageet la pâture aux bêtes ; 6+6 a
N’avoir, pour s’abriterdes nuits et des tempêtes, 6+6 a
Qu’une caverne humide l’on entre en rampant, 6+6 b
Le tronc d’un arbre creuxqu’habite le serpent ; 6+6 b
65 Se trner à pas lourdsdans la fange ou l’arène : 6+6 a
C’est maintenant le sortde celle qui fut reine, 6+6 a
Que les êtres vivants,à ses gestes soumis, 6+6 b
En esclaves servaientou suivaient en amis ! 6+6 b
A ses mille besoinsla nature est hostile ; 6+6 a
70 Sa vie est avec toutune lutte inutile, 6+6 a
Et le jeune univers,contre elle révolté, 6+6 b
Fait sentir à son tourson âpre royauté. 6+6 b
Sous les arbres géants,que seul l’orage émonde, 6+6 a
Croupit la verte fange,et glisse l’hydre immonde ; 6+6 a
75 Toute sève y jaillitd’après ses seules lois. 6+6 b
Dans les nids monstrueux,fourmillant sous les bois 6+6 b
Aux rameaux bourgeonnants,que nul mtre ne plie 6+6 a
La vie, à flots versée,abonde et multiplie. 6+6 a
Au fond d’un lit marquénul flot n’est contenu, 6+6 b
80 Reste-t-il une placeà l’homme faible et nu, 6+6 b
Pour qui le ciel encorn’a pas forgé des armes, 6+6 a
À l’amante exilée,et qui n’a que ses larmes ? 6+6 a
Oh ! l’hydre du désertest rude à terrasser ! 6+6 b
Quels travaux douloureuxtu devras entasser 6+6 b
85 Pour bâtir ta maisonsur cette cendre amère ! 6+6 a
Et ce n’est rien, hélas !qu’une tente éphémère, 6+6 a
Ô Psyché ! noble reine,enfant de lieux meilleurs ; 6+6 b
Mais tu dois marcher làpour arriver ailleurs ! 6+6 b
A travers les écueils ta course commence, 6+6 a
90 Que peut ton faible corpssur le désert immense ? 6+6 a
Cette main faite au sceptre,aux étreintes d’amour, 6+6 b
Te sert moins aujourd’huique les pieds du vautour. 6+6 b
Obéis au plus fort,désormais c’est ta règle ; 6+6 a
Tu n’es plus qu’un sujetdu lion et de l’aigle ; 6+6 a
95 Eux seuls ils sont les roisde ce globe naissant. 6+6 b
Prince au manteau d’or fauve,hérissé, rugissant, 6+6 b
Ô lion, pour ravirsa part de ton domaine, 6+6 a
Que de jours avec toilutta la race humaine ! 6+6 a
De sang vif altéré,quand tu grondes le soir, 6+6 b
100 À l’heure les troupeauxencombrent l’abreuvoir, 6+6 b
Tout fuit, tout a subila crainte universelle, 6+6 a
Et la panthère trembleautant que la gazelle. 6+6 a
Qui sauvera Psyché ?Son corps n’obéit pas : 6+6 b
La fatigue et la peuront enchné ses pas. 6+6 b
105 Sur ses genoux meurtris,plus faible à chaque haleine, 6+6 a
Vers un chêne au tronc creux,dans l’herbe elle se trne. 6+6 a
Mais le roi du désert,à son large festin, 6+6 b
Destine une autre proie,et la cherche au lointain ; 6+6 b
Tu peux, en attendantune nouvelle épreuve, 6+6 a
110 T’asseoir et t’endormirune heure, ô triste veuve ! 6+6 a
Mais que fais-tu là-haut,jeune époux qui l’aimas ? 6+6 b
Elle a porté ton deuilde climats en climats ; 6+6 b
Gtes-tu sans remordsla paix olympienne ? 6+6 a
Cette âme a-t-elle au moinsun dieu qui s’en souvienne, 6+6 a
115 Et tes pleurs de sa coupeadoucissant le fiel, 6+6 b
Mêlent-ils une grâceaux justices du ciel ? 6+6 b
Ah ! c’est toi qui, posantune invisible égide 6+6 a
Entre elle et ses douleurs,la ranime et la guide. 6+6 a
Le lion qui la suitmeurt sous tes javelots ; 6+6 b
120 Du rocher pour sa soiftu fais jaillir les flots ; 6+6 b
Du lieu de son sommeiltu chasses les reptiles, 6+6 a
L’air des marais impurset les fièvres subtiles. 6+6 a
Par toi l’arbre à ses piedslaisse tomber le fruit, 6+6 b
Et la biche amicale,arrivant à son bruit, 6+6 b
125 La lèche en lui tendantle bout de sa mamelle, 6+6 a
Dont le faon gracieuxs’est écarté pour elle. 6+6 a
Par toi l’étoile d’or,au fond de l’antre noir, 6+6 b
Va porter à Psychéle sourire du soir. 6+6 b
Il est par toi des jours, dans sa solitude, 6+6 a
130 Le désert consoléprend un aspect moins rude. 6+6 a
Par toi vole auprès d’elle,et chante au bord du nid, 6+6 b
L’oiseau mélodieuxdont la voix la bénit. 6+6 b
Les essaims bourdonnantlui font un gai cortège, 6+6 a
Et des fleurs ont poussédu sable ou de la neige. 6+6 a
135 Alors un vent plus calme,un horizon plus clair, 6+6 b
Le salut d’une branche,une senteur dans l’air, 6+6 b
Remuant dans son cœurun souvenir prospère, 6+6 a
La font pleurer pourtant,mais lui disent : Espère ! 6+6 a
II
Les guerriers chevelus,vêtus de grandes peaux, 6+6 b
140 Armés d’arcs, ont en cercle,au milieu des troupeaux 6+6 b
Dressé tentes et chars.Sur l’herbe, aux intervalles, 6+6 a
Errent, libres du frein,les joyeuses cavales. 6+6 a
Les enfants, les vieillards,ont trné les captifs 6+6 b
Sous le dôme sacrédes chênes primitifs, 6+6 b
145 s’élève dans l’ombreune sanglante pierre ; 6+6 a
La sauvage tribus’y range tout entière. 6+6 a
C’est le jour d’honorerles mânes des aïeux, 6+6 b
Et de nourrir de chairl’horrible faim des dieux. 6+6 b
Aux pièges des chasseurs,pendant la nuit surprise, 6+6 a
150 Dans l’hécatombe humaineune femme est assise. 6+6 a
C’est Psyché ! Les autelsde son sang étranger, 6+6 b
D’après l’antique loivont bientôt se gorger. 6+6 b
Près d’elle les vaincusdu glaive et de la flèche 6+6 a
Des tombeaux vénérésrougiront l’herbe sèche. 6+6 a
155 De mille coups déjàleurs membres ont saigné ; 6+6 b
Leurs yeux ne pleurent pas,leur front est résigné. 6+6 b
Debout et couronné,le roi du sacrifice, 6+6 a
Pour fouiller dans leurs flancs,attend l’heure propice. 6+6 a
Les guerriers en silenceentourent le devin : 6+6 b
160 Lui, cherchant dans le cielquelque signe divin, 6+6 b
Interroge le vent,voit comment l’aigle vole ; 6+6 a
Des charmes sur l’autelfait couler la parole ; 6+6 a
Les rites sont régléspar son geste et sa voix, 6+6 b
Et le chant des guerriersrésonne au fond des bois : 6+6 b
165 « Le dieu dans les forêtsque notre peuple habite, 6+6 a
Domine par son arcsur tout ce qui palpite ; 6+6 a
Les grands cerfs et les daimss’engraissent là pour nous, 6+6 b
Fils du dieu qui courbonsdevant lui les genoux. 6+6 b
L’heureux chasseur au dieufait une belle offrande 6+6 a
170 Et remplit jusqu’au bordla coupe la plus grande. 6+6 a
Le dieu reçoit sa partdes brebis et des bœufs, 6+6 b
Pour que ses traits mortelsne pleuvent pas sur eux. 6+6 b
Il donna cette terreà notre race élue ; 6+6 a
Par ses puissantes mainstoute autre en est exclue. 6+6 a
175 Par lui nos javelotspercent les daims légers, 6+6 b
Et s’abreuvent au cœurdes hommes étrangers, 6+6 b
De ceux qui n’ont chez nousdes dieux, ni des ancêtres. 6+6 a
Il est de noirs espritsrégnant sur tous les êtres ; 6+6 a
Pour sauver de leur faimnos fils adolescents, 6+6 b
180 La hache doit frapperles captifs gémissants ; 6+6 b
Les dieux partagerontleur chair expiatoire : 6+6 a
Le sang paie à l’autelle prix de la victoire. » 6+6 a
LE PRÊTRE
« Quand le sang a coulésur l’image du dieu ; 6+6 b
Quand les corps palpitantsse tordent dans le feu ; 6+6 b
185 Quand on frotte de chairl’idole sur la bouche, 6+6 a
Les dieux sentent au cœurune ivresse farouche. 6+6 a
Les esprits attisantle brasier souterrain, 6+6 b
se fondent pour nousl’or, le fer et l’airain ; 6+6 b
Le Cabire accroupiprès des laves brûlantes ; 6+6 a
190 Ceux qui veillent parmiles racines des plantes, 6+6 a
Et dans l’antre azuréd’ s’épanchent les eaux ; 6+6 b
Ceux dont l’aile invisibleagite les roseaux ; 6+6 b
Ceux qui, cachés aux troncsdes chênes, des érables, 6+6 a
Vivent dans le profonddes bois impénétrables ; 6+6 a
195 Ceux qui sur les sommets,rarement éclaircis, 6+6 b
Dormant dans leurs manteaux,sur les neiges assis, 6+6 b
Alimentent l’étéles rivières accrues ; 6+6 a
Ceux qui, loin des frimas,guident les pâles grues, 6+6 a
Ou, marchant les premierssur les plateaux déserts, 6+6 b
200 Mènent ptre les daimsau bord des fleuves verts : 6+6 b
Tous, agiles, pesants,cachés, profonds, sublimes, 6+6 a
Les dieux ont toujours eusoif du sang des victimes. 6+6 a
Les captifs les plus beaux,choisis dans le butin, 6+6 b
Les plus blanches brebis,seront pour leur festin ; 6+6 b
205 Car les plus sombres dieux,pour la rançon féconde, 6+6 a
De l’homme et des coursiersn’acceptent rien d’immonde. 6+6 a
Rassasiés enfinde la chair des troupeaux 6+6 b
Et du sang étranger,ils rentrent en repos. 6+6 b
Ils ne parcourent plusnos forêts et nos tentes, 6+6 a
210 Pour y prendre la nuitleurs pâtures sanglantes. 6+6 a
La tribu dont le glaivearrose leurs autels, 6+6 b
De son camp voyageurchasse les vents mortels. 6+6 b
Ses taureaux, ses brebis,ses cavales superbes, 6+6 a
Sans toucher aux poisonsbroutent les grandes herbes. 6+6 a
215 Mais pour sauver le sangil faut toujours du sang ; 6+6 b
Car un pouvoir terrible,éternel, tout-puissant, 6+6 b
Des dieux méchants dont toutsur terre est le domaine, 6+6 a
Pèsent incessammentsur cette race humaine. » 6+6 a
Et les prêtres entre euxdisaient des mots secrets. 6+6 b
220 Achevant du bûcherles magiques apprêts, 6+6 b
Ils rangeaient vers l’autelles haches et les urnes. 6+6 a
Psyché seule, au milieudes captifs taciturnes, 6+6 a
Aux lueurs du passérêvant des dieux meilleurs, 6+6 b
Résistait à son sortpar l’espoir et les pleurs. 6+6 b
PSYCHÉ
225 « Près de mourir ainsi,qu’ai-je vu dans moi-même ? 6+6 a
Des fleurs, un jeune dieuqui me parle et qui m’aime, 6+6 a
Me dit que je suis belle,et qu’il est mon époux. 6+6 b
Son haleine est suaveet ses regards sont doux. 6+6 b
Dieu paisible, dieu bon,oh ! n’es-tu rien qu’un songe ? 6+6 a
230 Avant que dans mon seinle fer cruel se plonge, 6+6 a
Pourquoi ces frais pensers,ces paroles d’amour, 6+6 b
Si de chair et de sangDieu vit comme un vautour ? 6+6 b
donc est ce jardinqu’un si beau fleuve arrose, 6+6 a
Si l’horrible douleurrègne sur toute chose ! 6+6 a
235 Quel dieu peut accomplircet espoir que je sens ? 6+6 b
Les dieux bons sont vaincuspar les dieux plus méchants, 6+6 b
Le mien a succombé,l’autre est là dans sa joie, 6+6 a
Et le mal éternela faim d’une autre proie. 6+6 a
Je te cède ma vie,et meurs sans murmurer ; 6+6 b
240 En la quittant, hélas !je n’ai rien à pleurer. 6+6 b
Tous les hommes au frontsont marqués par la haine, 6+6 a
Et le poison entre euxs’échange avec l’haleine. 6+6 a
C’est la même discordeentre chaque élément. 6+6 b
Moi, par eux tous, hélas je souffre également ; 6+6 b
245 La terre sous mes pasfrémit pour me maudire, 6+6 a
Et je n’ai vu qu’en songeun être me sourire. 6+6 a
Vienne, vienne la mort !Mais si tout doit finir, 6+6 b
Que fais-tu dans mon cœur,ô divin souvenir ? 6+6 b
Rêve par qui j’aimais,espérance secrète, 6+6 a
250 Sous le couteau sanglant,c’est toi que je regrette. 6+6 a
Ah ! lorsque du reposje touche enfin le seuil, 6+6 b
Pourquoi me rappelerque j’emporte ton deuil ? 6+6 b
Es-tu là pour me suivreen un lointain royaume ? 6+6 a
t’ai-je vu ? Réponds. vas-tu, doux fantôme ?… » 6+6 a
255 Les génisses, les bœufsau front de fleurs paré, 6+6 b
Et les captifs tombaientsous le couteau sacré. 6+6 b
La terre boit le sang.Les membres qui ruissellent, 6+6 a
Sur les pins odorantsdu bûcher s’amoncellent. 6+6 a
Deux victimes encoreet ce sera ton tour, 6+6 b
260 Ô toi par qui la terreest veuve de l’amour ! 6+6 b
Mais la forêt frémit.D’un arc caché dans l’ombre, 6+6 a
Un trait vole, suivipar des flèches sans nombre. 6+6 a
Le sacrificateurtombe, le cœur percé, 6+6 b
Dans les flots du sang noirque sa main a versé. 6+6 b
265 Mille ennemis, couvertspar l’épaisseur des chênes, 6+6 a
Descendent, tout à coup,des collines prochaines. 6+6 a
Un nuage de dardspleut sur le camp surpris. 6+6 b
Les chasseurs étrangers,avec d’horribles cris, 6+6 b
Précipitant leur nombre,égorgent la peuplade, 6+6 a
270 Comme un troupeau de daimspoussés dans l’embuscade 6+6 a
Les guerriers à genoux,sur le tertre divin, 6+6 b
La rage dans le cœur,se relèvent en vain. 6+6 b
Tous ceux de la tribu,près de son dieu frappée, 6+6 a
Sont emmenés captifs,ou meurent par l’épée, 6+6 a
275 Et parmi le butin,les armes et les chars, 6+6 b
Les troupeaux des vaincusdans la forêt épars, 6+6 b
Psyché sous ses lienstombe, sans épouvante, 6+6 a
Chez des peuples nouveaux,esclave mais vivante. 6+6 a
III
Assis dans la splendeurau fte de sa tour, 6+6 b
280 Ce soir, le roi disait :« Cent peuples, tout le jour, 6+6 b
Ont travaillé là-baspour ma ville superbe ; 6+6 a
D’ici je les vois telsque des fourmis dans l’herbe. 6+6 a
Cent peuples de vaincus,par mon glaive épargnés, 6+6 b
Là-bas courbent leurs frontspar la sueur baignés. 6+6 b
285 Les pierres, le ciment,les briques s’amoncellent ; 6+6 a
Sur les murs des palais,les marbres étincellent. 6+6 a
Des fleuves suspendusamènent leurs flots clairs 6+6 b
Aux fleurs de mes jardinsélevés dans les airs. 6+6 b
Trois rochers de granitde leur cime abattue 6+6 a
290 Forment un piédestalpour l’or de ma statue. 6+6 a
C’est bien. Je veux qu’on donneaux immenses troupeaux 6+6 b
Des captifs haletantscette nuit de repos ; 6+6 b
Dans les flancs creux des monts,leur asile nocturne, 6+6 a
Je verrai s’enfoncerce peuple taciturne. » 6+6 a
LES ESCLAVES
295 « Voici la nuit propiceà l’esclave, la nuit 6+6 b
Douce au corps fatigué,douce à l’homme qui fuit : 6+6 b
La nuit qui du travaildélivre tous les êtres, 6+6 a
Et qui vient à son heure,et qui brave les mtres. 6+6 a
Son pied, jusqu’au matin,se pose comme un sceau 6+6 b
300 Sur les rudes outilsétalés en monceau. 6+6 b
Quand aux plis de sa robeun esclave se cache, 6+6 a
Il demeure invisibleet nul ne l’en arrache. 6+6 a
Les rêves sur ses pasmontrent leurs fronts aimés : 6+6 b
Elle arrête un momentles bras de fouets armés. 6+6 b
305 Ô ténèbres ! l’esclaveen son cœur vous implore, 6+6 a
Retardez bien longtemps !oh ! retardez l’aurore ! » 6+6 a
PSYCHÉ
« Les esclaves, rentrésdans les antres profonds, 6+6 b
Avec les gardiens,dorment dans leurs prisons. 6+6 b
L’ombre a couvert mes pas ;ma trace est inconnue. 6+6 a
310 Près du fleuve cherchéme voilà parvenue. 6+6 a
C’est assez de douleurs.Je ne tenterai pas 6+6 b
La fuite et le désert ;la faim suivrait mes pas, 6+6 b
L’horrible faim. La mort,qu’à mon aide j’appelle, 6+6 a
S’offre à moi sur ces bordsplus prompte et moins cruelle. » 6+6 a
315 Elle marche, et déjàsous ses pieds a frémi 6+6 b
Le flot dans les roseauxet les joncs endormi ; 6+6 b
Et s’avançant toujours :« Finis mon temps d’épreuve ; 6+6 a
Pour jamais dans ton seinreçois mon âme, ô fleuve ! 6+6 a
Les sources m’ont fait voir,en leur limpidité, 6+6 b
320 Mes yeux creux, mon cou hâve,et mon front sans beauté. 6+6 b
J’ai reculé d’horreurdevant ma propre image, 6+6 a
Sous le masque hideuxqu’y posa l’esclavage ! 6+6 a
Sur mes membres, flétrisde haillons et de coups, 6+6 b
Répands tes flots sacrés ;ton sable frais et doux 6+6 b
325 Offre un lit ondoyantqui calme et purifie, 6+6 a
Au corps vil de l’esclave ;à toi je me confie. 6+6 a
Je ne veux plus souffrirle froid, le soleil lourd, 6+6 b
Le fouet sanglant du mtreimpitoyable et sourd, 6+6 b
Aux sauvages tribusqui travaillent la pierre, 6+6 a
330 Préparant tous les joursleur pâture grossière, 6+6 a
Je n’apporterai plusles aulx et les oignons, 6+6 b
A travers le concertdes malédictions ; 6+6 b
Car la haine au regardsinistre, au parler rude, 6+6 a
Règne entre les captifsavec la servitude. 6+6 a
335 J’abandonne ma vieà tes flots incertains. 6+6 b
Si mes songes sont vrais,s’il est des bords lointains 6+6 b
, comme les oiseaux,innocente et joyeuse, 6+6 a
Je vécus autrefoissur une terre heureuse, 6+6 a
Prends-moi. Si tu connaisle chemin du retour, 6+6 b
340 Porte, oh ! porte mon corpsvers ce pays d’amour, 6+6 b
Ou d’un lit éterneldote-moi sur ta rive. » 6+6 a
Déjà l’onde atteignaitsa ceinture, et plus vive 6+6 a
Déjà la soulevait.Les joncs et les roseaux 6+6 b
Plus rares annonçaientla profondeur des eaux ; 6+6 b
345 Mais la voix du courant,de plus près entendue, 6+6 a
L’arrête, et sur le bordla rejette éperdue. 6+6 a
LE FLEUVE
« Ne souille point mes flotsdu crime de ta mort ; 6+6 b
Le grand fleuve est sacré,car toute vie en sort. 6+6 b
Souvent l’esprit des dieux,pour visiter le monde, 6+6 a
350 S’étend sur mon azuret flotte sur mon onde. 6+6 a
Si tu viens pour mourir,et si malgré le ciel 6+6 b
Ton âme en moi s’exhale,un orage éternel 6+6 b
Tourmentera mon sein.Vers l’ile bienheureuse 6+6 a
Je ne porterai pasta dépouille odieuse : 6+6 a
355 Mais sur ce sol funesteà qui je la rendrai, 6+6 b
Aux serres des vautourston corps sera livré. » 6+6 b
LES SAULES
« Quand tombe au cours de l’onde,une fleur, une feuille 6+6 a
C’est qu’un oiseau les briseou qu’une main les cueille 6+6 a
Ou que, mûres, le ventles sème dans le jonc : 6+6 b
360 Nul rameau de son gréne s’arrache du tronc. » 6+6 b
LES CYGNES
« Un pêcheur a détruitl’espoir de la couvée : 6+6 a
Les roseaux la cachaient,mais rien ne l’a sauvée 6+6 a
Deux petits empluméstentaient le vol joyeux, 6+6 b
La flèche du chasseurles a percés tous deux. 6+6 b
365 Le fleuve a retentides plaintes maternelles ; 6+6 a
Et pourtant sur l’eau bleueet dans les fleurs nouvelles 6+6 a
Nous vivons, attendantle chasseur incertain, 6+6 b
Dont la flèche pour nous,est l’ordre du destin. » 6+6 b
LES ROSEAUX
« Les roseaux inclinés,que l’orage tourmente, 6+6 a
370 Font glisser sur les flotsleur voix qui se lamente. 6+6 a
Tu peux comme eux gémirau souffle des douleurs : 6+6 b
Les saules, les roseaux,les cieux, tout a des pleurs. 6+6 b
Mais quand luit le soleil,et que le vent fait trêve, 6+6 a
Que ton front consolécomme nous se relève ! » 6+6 a
LE FLEUVE
375 « Plonge-toi dans mon sein,mais non pour y mourir. 6+6 b
Viens, et fuis cette terre l’on te fait souffrir. 6+6 b
Moi-même te beantsur mes flots, si tu nages, 6+6 a
Je te dirigeraivers de meilleurs rivages. 6+6 a
Pour que de l’esclavageun dieu t’aide à sortir, 6+6 b
380 Au travail de la vieil te faut consentir. 6+6 b
Espère en nous. Les eauxet les plantes sont bonnes. 6+6 a
Mais que faire pour toi,si toi tu t’abandonnes ? 6+6 a
Viens, enfant, nous t’aimons ;un esprit jeune et doux 6+6 b
Nous invite vers toiSouvent il parle en nous ! 6+6 b
LES ROSEAUX
385 « Entre l’œil du chasseuret les oiseaux leurs hôtes, 6+6 a
Joncs, roseaux et glaïeulslèvent leurs tiges hautes, 6+6 a
Viens, si l’on te poursuit,viens dans nos verts remparts 6+6 b
Épaissis sur ton front,à l’abri des regards. » 6+6 b
LES SAULES
« Marche et nage à nos pieds ;les longs rameaux des saules 6+6 a
390 Des rayons de mididéfendront tes épaules. 6+6 a
Près de nous l’herbe est molle,et tu pourras, le soir, 6+6 b
Tout danger disparu,dans le sommeil t’asseoir. 6+6 b
Pour ta faim le miel viergeen nos troncs creux abonde ; 6+6 a
Le lotus à côtépenche ses fruits sur l’onde. 6+6 a
395 Pour ta soif de grands lis,dans l’ivoire et dans l’or, 6+6 b
De la pure roséeont gardé le trésor. 6+6 b
Viens ; nous avons pour toila nourriture et l’ombre. » 6+6 a
LES CYGNES
« Vois ! tu trouves encordes amitiés sans nombre. 6+6 a
Fuis, tu peux vivre encor ;fuis. Peut-être qu’ailleurs, 6+6 b
400 Même chez les humains,il est des lieux meilleurs. 6+6 b
Essaie au loin ton vol.Au fil des eaux limpides, 6+6 a
Si tu veux t’élancer,viens, nous serons tes guides ; 6+6 a
Et vers les îles d’orque tu vois en rêvant, 6+6 b
Nous voguerons peut-être,ouvrant notre aile au vent. 6+6 b
405 Si les flots te font peur,des terres non foulées 6+6 a
Si ton pied doit tenterles monts et les vallées, 6+6 a
Viens ; au-dessus de toiles cygnes voleront ; 6+6 b
En lieu sûr pour dormir,la nuit, ils descendront ; 6+6 b
Et sans doute, à la fin,du dieu qui nous attire 6+6 a
410 Dans un grand lac d’argentnous verrons les yeux luire. » 6+6 a
IV
Loin de Babel règneun colosse d’airain, 6+6 b
je tournais la meuleen un lieu souterrain, 6+6 b
Du. mtre armé du fouetj’ai bravé la poursuite. 6+6 a
Les astres, les oiseauxguidèrent seuls ma fuite, 6+6 a
415 Enfin la caravane,aux cent groupes divers, 6+6 b
Qui de l’Euphrate au Nilva par les grands déserts, 6+6 b
Dans la foule étrangèreen tumulte campée, 6+6 a
Me reçut une nuit,moi l’esclave échappée. 6+6 a
« Avant de parvenirau bord du fleuve-dieu, 6+6 b
420 Nous marchâmes deux moissur des sables en feu. 6+6 b
Sur le Nil jaune et lent,parmi d’autres captives, 6+6 a
Un marchand m’entrna.Vingt jours, le long des rives, 6+6 a
Aux efforts des rameursrompant le cours de l’eau, 6+6 b
Du côté du soleilmonta notre vaisseau, 6+6 b
425 Le soir nous entendionscrier les crocodiles ; 6+6 a
Des temples, des palaiss’élevaient dans les îles ; 6+6 a
L’obélisque montaitsur une mer d’épis ; 6+6 b
Et les sphinx aux deux bords,près du fleuve accroupis, 6+6 b
Dressant contre nos yeuxleur front impénétrable, 6+6 a
430 Semblaient venir à noussur leur base immuable. 6+6 a
La nature gardaitle silence comme eux, 6+6 b
Et posait sur sa boucheun doigt mystérieux. 6+6 b
« Nous avions dépasséMemphis, les Pyramides ; 6+6 a
Le navire aborda,sur des plages arides, 6+6 a
435 Près du grand labyrinthe, les dieux desséchés 6+6 b
Sont auprès des rois mortsdans les ombres couchés. 6+6 b
Les signes que les dieuxveulent sur leurs esclaves 6+6 a
Furent trouvés en moi.Des prêtres aux fronts graves, 6+6 a
Revêtirent Psychédes mystiques habits. 6+6 b
440 Dans leur temple, c’est moiqui nourris les ibis ; 6+6 b
Les animaux sacrésmangent dans mes corbeilles ; 6+6 a
Par moi les anneaux d’orpendent à leurs oreilles. 6+6 a
Apis a de mes mainsreçu le pur froment. 6+6 b
Je verse les parfumsdans le brasier fumant. 6+6 b
445 Sur les métiers sacréstissant de blanches toiles, 6+6 a
À la profonde Isisj’ai préparé des voiles. 6+6 a
D’encens et de natrumremplissant les dieux morts, 6+6 b
De bandeaux embaumésj’enveloppe leurs corps ; 6+6 b
Et, près de leurs cercueils,le long des noirs dédales, 6+6 a
450 C’est moi qui verse l’huileaux lampes sépulcrales. 6+6 a
« Ces travaux achevés,je puis m’asseoir souvent, 6+6 b
Et regarder en moi,soupirant et rêvant. 6+6 b
Pour la première foisdans l’Égypte divine, 6+6 a
J’ai connu le repossans l’horrible famine. 6+6 a
455 L’abondance et le calme,et des mtres moins durs, 6+6 b
Ont endormi longtempsmon âme dans ces murs. 6+6 b
Mais au pied des autels,quoique ma faim s’apaise, 6+6 a
J’y suis esclave encore,et la prison me pèse ; 6+6 a
Et je crois sur mon fronty sentir par moment 6+6 b
460 Les plafonds de granitdescendre lentement. 6+6 b
« Je voudrais respirer,voir les flots et la terre, 6+6 a
Fuir la captivitédu labyrinthe austère ; 6+6 a
Des désirs inconnusm’y poursuivent partout. 6+6 b
De ces Dieux mugissantsj’approche avec dégt. 6+6 b
465 Je tremble entre ces mortsrangés en longues files : 6+6 a
Ces sphinx, me regardantde leurs yeux immobiles, 6+6 a
Ces figures sans voix,ces monstres me font peur. 6+6 b
« J’avais cru là d’abordtrouver un dieu meilleur, 6+6 b
Moins altéré de sang,plus doux pour tous les êtres ; 6+6 a
470 Et j’admirais de loinles voix sages des prêtres. 6+6 a
À chaque enseignementau temple dérobé, 6+6 b
Je sentais un rayond’espoir en moi tombé. 6+6 b
Mais en vain j’ai tentéles intimes retraites 6+6 a
s’arrache le voileaux images secrètes ; 6+6 a
475 Dans ce vaste tombeau,le grand mort adoré. 6+6 b
Le dieu que j’ai servi,de moi reste ignoré. 6+6 b
Je n’y vois que des frontsmuets, un peuple horrible, 6+6 a
Et qui semble garderquelque énigme terrible. 6+6 a
« Mais dans la nuit pourtantqui m’environne ici, 6+6 b
480 Un obscur souveniren moi s’est éclairci, 6+6 b
Et l’ébauche d’un dieuqui me visite en rêve, 6+6 a
Chaque jour en mon cœurs’embellit et s’achève. 6+6 a
Dieu jeune, au pied rapide,aux yeux vifs et luisants, 6+6 b
Serais-tu là voiléparmi ces dieux pesants ? 6+6 b
485 Quand, parmi les oiseaux,dans mes songes tu passes 6+6 a
En un jardin peupléde fleurs pleines de grâces, 6+6 a
Que mon esprit entendvos accords merveilleux, 6+6 b
Ce temple je languisme parait plus affreux. 6+6 b
Je hais ces mille dieux,ces simulacres mornes 6+6 a
490 Aux bras sans mouvement,aux fronts armés de cornes, 6+6 a
Éternellement droitscontre les lourds piliers : 6+6 b
Ces têtes de serpents,de chiens et de béliers, 6+6 b
Et le glapissementdes tristes crocodiles, 6+6 a
Surchargés par mes mainsd’ornements inutiles. 6+6 a
495 L’aspect de ces dieux laidsassombrit ma prison ; 6+6 b
Leurs prêtres à ces mursbornent mon horizon. 6+6 b
L’air manque à ma poitrine,en ce temple enfermée ; 6+6 a
Je veux revoir la vieet la terre animée ! 6+6 a
« Ah ! qui m’apporteraparmi des dieux plus beaux, 6+6 b
500 Des dieux dont les autelsne soient pas des tombeaux ; 6+6 b
Dont la libre lumièreait doré les fronts ternes, 6+6 a
Et qui ne dorment pasassis en des cavernes, 6+6 a
Les pieds enracinéset des chnes aux mains, 6+6 b
Immobiles, réglantd’immobiles humains ! 6+6 b
505 Quand reverrai-je un monde l’on marche, l’on vive, 6+6 a
la voix dans les cœursne reste pas captive, 6+6 a
l’homme enfin s’agite, l’on puisse vouloir, 6+6 b
le fleuve ne soitpas seul à se mouvoir ! 6+6 b
C’est le jeune universque mon époux habite ; 6+6 a
510 C’est la terre tout aime, tout chante et palpite ; 6+6 a
l’éternel zéphyrbalance les rameaux ; 6+6 b
ne se taisent pointle flot et les oiseaux ! 6+6 b
« Que ne puis-je, mêléeau souffle des tempêtes, 6+6 a
Avec le sable ardentqui passe sur nos têtes, 6+6 a
515 Comme un grain de palmiervers l’oasis volant, 6+6 b
Dans ce pays sacrém’enfuir avec le vent ! 6+6 b
Quand du pied de ces murs,par notre ciel sans nues, 6+6 a
Dans l’azur, j’apeoisle triangle des grues, 6+6 a
Plus vite que le Nil,descendant vers la mer, 6+6 b
520 Je m’assieds pour pleurermon esclavage amer. 6+6 b
Heureux l’oiseau, les grainsailés, la feuille morte, 6+6 a
Le sable voyageurque le simoun emporte ! » 6+6 a
Ainsi Psyché mauditles palais odieux 6+6 b
l’Égypte la gardeesclave de ses dieux ; 6+6 b
525 Et sonde tristement,sous le joug révoltée, 6+6 a
La prison de granitpar ses ailes heurtée. 6+6 a
Or la guerre propice,avec ses bras d’airain, 6+6 b
Fit une brèche aux mursdu temple souterrain. 6+6 b
Tout un peuple envahitles mystiques enceintes ; 6+6 a
530 Et, non sans dérobersa part des choses saintes, 6+6 a
Psyché, libre en sa fuite,et gagnant les vaisseaux, 6+6 b
Partit au cours du fleuve,et vit les grandes eaux. 6+6 b
Trente jours un vent frais,sous d’heureuses étoiles. 6+6 a
De la rouge carèneenfla les blanches voiles. 6+6 a
535 Comme un dauphin léger,fendant les larges flots, 6+6 b
Le navire beaitl’espoir des matelots. 6+6 b
Déjà la terre au loin,comme un bouclier sombre, 6+6 a
Sur l’eau verte élevaitson disque entouré d’ombre. 6+6 a
Mais tout à coup, tombantdes quatre points des cieux, 6+6 b
540 Les vents, gros de la foudre,effrénés, furieux, 6+6 b
Ballottent les vaisseauxsur les plaines marines, 6+6 a
Comme en un champ, l’hiverroule un faisceau d’épines : 6+6 a
Et les flots montueux,sur leurs flancs assombris, 6+6 b
Des chênes et des pinsdispersent les débris. 6+6 b
545 Mais tu suivais, ô dieu !la blanche naufragée, 6+6 a
Vers le port inconnupar l’amour dirigée. 6+6 a
Invisible, effleurantles vagues de tes pieds, 6+6 b
Tu conduis devant toile mat ou tu l’assieds ; 6+6 b
Et penché, sur un brassupportant son corps frêle, 6+6 a
550 Contre le choc des eauxtu la couvres de l’aile, 6+6 a
Ainsi guidée, un fleuveau sein tranquille et doux, 6+6 b
Qui verse un azur calmeà ces mers en courroux, 6+6 b
L’accueillit ; et le dieu,comme un souffle insensible, 6+6 a
L’y poussa lentementsur la rive paisible 6+6 a
555 D’ les chênes, montantvers les sommets dorés, 6+6 b
Jusqu’à de blancs parviss’élevaient par degrés. 6+6 b
V
LE PRÊTRE
Le temple s’enrichitdes présents du naufrage ; 6+6 a
A l’antique déesseils sont dus sans partage ; 6+6 a
C’est le tribut des mers,du fleuve obéissant. 6+6 b
560 Mais la déesse est bonne,et ne veut pas ton sang. 6+6 b
Notre autel à sa voixcessa d’être homicide ; 6+6 a
De captifs égorgésil fut jadis avide : 6+6 a
Elle y donne à présentasile à l’inconnu 6+6 b
Que le flot écumantnous jette pâle et nu. 6+6 b
565 Elle-même, autrefois,chez de barbares hôtes, 6+6 a
Un vaisseau d’Orientl’amena sur ces côtes ; 6+6 a
Elle y bâtit son temple ;à leurs peuples épars, 6+6 b
Sa parole donnales lois, les mœurs, les arts. 6+6 b
« Le fleuve en t’apportant,t’a vouée à son culte. 6+6 a
570 Viens à l’autel. Ici,nul homme qui t’insulte ; 6+6 a
Nul mtre, te courbantaux serviles travaux, 6+6 b
N’a droit de t’imposerl’amphore ou les fuseaux. 6+6 b
Viens. Instruite par nousaux divines cadences, 6+6 a
A former les chansonset le réseau des danses, 6+6 a
575 Tu guideras le chœuraux autels embellis 6+6 b
De rameaux par tes mainstressés avec les lis. 6+6 b
« La déesse t’invite.Aux pieds de sa statue, 6+6 a
De fine laine et d’ortu seras revêtue. 6+6 a
La pourpre des bandeauxbrillera sur ton front : 6+6 b
580 Et dans les lieux secrets,qui pour toi s’ouvriront, 6+6 b
Des mystères, peut-être,en clartés variées, 6+6 a
Les images luirontà tes yeux déployées. » 6+6 a
PSYCHÉ
« Que ce pays est doux !Quel est le jeune dieu 6+6 b
Dont le doigt créateurfait son œuvre en ce lieu ? 6+6 b
585 Ces cimes, ces coteaux,toute cette nature, 6+6 a
Revêtent sous ses pasla forme la plus pure. 6+6 a
La terre est dans sa grâceet dans sa floraison ; 6+6 b
Un parfum de beautémonte à chaque horizon. 6+6 b
Sur le sommet touffuque ce temple couronne, 6+6 a
590 Sous un faisceau d’acantheà voir chaque colonne, 6+6 a
On dirait une nymphe,au front de fleurs couvert, 6+6 b
Nue, et blanche, et deboutderrière un myrte vert. 6+6 b
« Un chœur léger vers moidescend, et les zéphyres 6+6 a
M’apportent des parfumsavec la voix des lyres. 6+6 a
595 Ô terre ! que mon piedte touche avec bonheur ! » 6+6 b
Des vierges par la mainprennent leur jeune sœur ; 6+6 b
Et l’eau tiède du bain,les arômes, les huiles, 6+6 a
Et le peigne d’ivoire,et, sous des doigts habiles, 6+6 a
La perle et les bandeauxtressés aux blonds cheveux, 6+6 b
600 Et les riches habitset des dons faits aux dieux 6+6 b
Des ruches, des vergers,les suaves prémices, 6+6 a
Et les coupes de vin,et le lait des génisses, 6+6 a
Et sur la toison molleun long sommeil gté, 6+6 b
Et l’espoir, sur son corps,ramènent la beauté. 6+6 b
605 Dans le temple bientôt,entre toutes insigne, 6+6 a
Comme entre les oiseaux,sur un lac, un doux cygne, 6+6 a
Par sa voix, par sa formeégale aux immortels, 6+6 b
Sainte et belle prêtresse,elle orna leurs autels. 6+6 b
Lorsqu’au bord des forêtselle guidait les fêtes, 6+6 a
610 Les Nymphes pour la voirsortaient de leurs retraites ; 6+6 a
Et les travaux sacrés,les ombrages épais, 6+6 b
Les Muses lui donnaientl’oubli des jours mauvais. 6+6 b
Mais dans son calme heureuxune image connue, 6+6 a
Comme l’aube au milieudes étoiles venue, 6+6 a
615 Éclipse par degrésle monde extérieur, 6+6 b
Aux clartés des rayonsqu’elle jette en son cœur. 6+6 b
Chez elle un souvenir,qui réveille une attente, 6+6 a
De rêves inquietsremplit l’heure présente : 6+6 a
Un dieu l’avait aimée,un dieu fut son époux ! 6+6 b
620 Beau, jeune, tout puissant.Un écho triste et doux 6+6 b
De la voix de ce dieula poursuit sans relâche 6+6 a
Le doit-elle revoir ?Quel asile le cache ? 6+6 a
Comment de son séjourretrouver le chemin, 6+6 b
Et renouer l’espoirde ce céleste hymen ? 6+6 b
625 Vers lui, vers l’avenir,son cœur se précipite, 6+6 a
Sans donner un regretaux douceurs qu’elle quitte. 6+6 a
Tel un oiseau captif,malgré sa cage d’or, 6+6 b
S’il entrevoit le ciel,cherche à prendre l’essor. 6+6 b
Telle, aspirant au dieuque son cœur lui révèle, 6+6 a
630 Psyché s’offre à subirune épreuve nouvelle. 6+6 a
PSYCHÉ
« Ô prêtre ! à l’horizonune voix me dit ; Viens. 6+6 b
C’est l’époux qui m’a fui,mais dont je me souviens. 6+6 b
Mon âme lui répond,et m’invite à le suivre. 6+6 a
Depuis que je respire,et que je me sens vivre, 6+6 a
635 Fiancée avec luijadis en un doux lieu, 6+6 b
Comme un flot à la merj’appartiens à ce dieu. 6+6 b
Je veux chercher partoutses traces incertaines, 6+6 a
Et demander son templeaux nations lointaines. » 6+6 a
LE PRÊTRE
Ô race humaine, ingrateenvers les immortels ! 6+6 b
640 Quel démon inconnut’arrache à nos autels ? 6+6 b
Toi que je ramassaimourante sur la grève ; 6+6 a
Toi que revendiquaientle bûcher et le glaive, 6+6 a
Et qui reçus pourtantla vie et la beauté ; 6+6 b
Âme en qui notre mainsema la vérité ; 6+6 b
645 Toi qu’aime la déesse,et qu’elle daigne instruire 6+6 a
Du secret des accordset des lois de la lyre ; 6+6 a
Toi, des vases sacrésméditant le larcin, 6+6 b
De fuir vers d’autres dieux,tu formes le dessein ! » 6+6 b
PSYCHÉ
« Je ne quitterai pointla déesse propice, 6+6 a
650 Sans qu’un hymne suprêmeet sans qu’un sacrifice 6+6 a
N’offrent à ses autelsmon cœur reconnaissant. 6+6 b
Son bras me recueillitsur le flot mugissant, 6+6 b
Son temple m’a nourrie,et la beauté perdue 6+6 a
A fleuri sur mon frontpar sa main répandue. 6+6 a
655 Par elle aux rites saintsmes yeux se sont ouverts, 6+6 b
Et j’ai connu la lyreet ses modes divers. 6+6 b
« Reprends donc ces bandeaux,ces urnes que je laisse, 6+6 a
Et ces robes de lin,tes présents, ô déesse ! 6+6 a
Et la pourpre du voileà mon front attaché ; 6+6 b
660 Prends cette douce larmeet l’adieu de Psyché. 6+6 b
Laisse-moi jusqu’au boutsuivre ma destinée, 6+6 a
Et le dieu qui m’appelleet la loi d’hyménée. » 6+6 a
LE PRETRE
« Quel est ce dieu plus grandet cet autel plus beau, 6+6 b
Plus entouré de peuple,et ce culte nouveau 6+6 b
665 Devant qui pâliral’or de nos tabernacles ? 6+6 a
Femme, dis-nous son nomet ses sages oracles !… 6+6 a
Tremble ! ton cœur entendla sombre voix du mal ; 6+6 b
Le dieu que nous servonsest un dieu sans rival ; 6+6 b
Quand l’âme ose chercher,tout penser est un piège, 6+6 a
670 Et la mort puniraitta fuite sacrilège. » 6+6 a
PSYCHÉ
« D’un époux merveilleuxl’image flotte en moi, 6+6 b
Comme un souvenir tendre,un espoir plein d’émoi ; 6+6 b
De quel nom l’universle salue et l’adore, 6+6 a
Quel pays voit surgirson temple, je l’ignore ; 6+6 a
675 Mais je l’aime, et, souvent,un songe à mon côté 6+6 b
Me le montre ; il est dieu,j’en crois à sa beauté ! » 6+6 b
LE PRÊTRE
« Non, tu nous resteras !L’autel garde sa proie ; 6+6 a
Ceux qui veulent nous fuir,notre dieu les foudroie. 6+6 a
Que cet époux, ton dieu,si c’est un immortel, 6+6 b
680 Ose ici t’arracher,esclave, à notre autel. 6+6 b
Tout homme ayant franchile seuil des sanctuaires 6+6 a
Et vu, même de loin,s’accomplir nos mystères, 6+6 a
Dont la lèvre a trempédans un vase divin, 6+6 b
De nos libationsbu le miel et le vin, 6+6 b
685 Et gté, parmi nous,la chair de l’hécatombe, 6+6 a
N’est libre de l’autelqu’en passant par la tombe. 6+6 a
Le sceau de la déesseà ton front est gravé, 6+6 b
Comme au taureau sans tacheau temple réservé ; 6+6 b
Dévouée à jamais,par amour ou par crainte, 6+6 a
690 Tu ne franchiras pasnotre inflexible enceinte, 6+6 a
Dût le couteau sacrés’enfoncer dans tes flancs, 6+6 b
Et tes os se brisersur nos marbres sanglants. » 6+6 b
Troublant du dieu nouveaul’image pressentie, 6+6 a
Le prêtre, ainsi, du templeentrave la sortie 6+6 a
695 Et, sombre gardien,par la force et la peur 6+6 b
Conserve aux vieux autelsun jeune serviteur. 6+6 b
Mais quel bras enchnantla lumière et la flamme 6+6 a
Au veuvage éternelpeut emprisonner l’âme ? 6+6 a
De la fuite Psychéméditant l’heureux jour 6+6 b
700 Vers l’époux entrevus’élance avec amour. 6+6 b
Son esprit vole errantvers les choses lointaines ; 6+6 a
Mais le dieu qu’elle fuitappesantit ses chnes, 6+6 a
Et le temple jalouxlui fermant l’horizon, 6+6 b
L’asile nourricierdevient une prison. 6+6 b
705 Car, le prêtre l’a dit,jamais un dieu ne cède 6+6 a
Et ne livre l’autelau dieu qui lui succède, 6+6 a
Il veut, pour prix des biensqu’il apporte en naissant, 6+6 b
Garder jusqu’à la mortle monde obéissant. 6+6 b
PSYCHÉ
« D’un miel doux et fécondces prêtres m’ont nourrie. 6+6 a
710 Si je n’entrevoyaiston image chérie, 6+6 a
Ô mon époux, ce frontpaisible et résigné 6+6 b
Resterait sous leur jougaujourd’hui dédaigné ! 6+6 b
Mais j’entendis ta voix,et bravant les épreuves, 6+6 a
Par les monts et les mers,les forêts et les fleuves, 6+6 a
715 Je pars, je vais à toi.S’il le faut, je saurai, 6+6 b
Lentement, chaque nuit,creuser le mur sacré ; 6+6 b
Ou de ma faible mainque l’amour rend hardie, 6+6 a
Du temple pour ma fuiteallumer l’incendie. 6+6 a
Mais, toi, dieu que j’invoque,oh ! révèle-toi mieux, 6+6 b
720 Et qu’un signe certainme guide vers les lieux 6+6 b
tu m’attends sans doute, je te vois en songe, 6+6 a
Ô roi de l’avenir, déjà mon cœur plonge ! » 6+6 a
Le prêtre vigilantpar la ruse trompé, 6+6 b
Cherche en vain à l’autelson esclave échappé. 6+6 b
725 La jeune âme fuyait,et les brises divines 6+6 a
Faisaient battre son aileau loin sur les collines. 6+6 a
Nul des vases sacrésau temple ne manquait, 6+6 b
Ni les coupes d’onyxde l’austère banquet, 6+6 b
Ni l’argent ciselé,le bronze l’encens fume, 6+6 a
730 Les cratères d’airain le charbon s’allume, 6+6 a
Les patènes d’agateet le calice d’or. 6+6 b
Psyché n’emporte riendu mystique trésor ; 6+6 b
Mais, comme sa beauté,la lyre l’a suivie, 6+6 a
Attachée à ses flancset sur l’autel ravie, 6+6 a
735 Prête à chanter les dieux,leurs amours, leurs exploits, 6+6 b
Dans une cité libreet fière de ses lois. 6+6 b
VI
Ta ceinture d’ pendune lyre d’écaille, 6+6 a
La lente majestédu port et de la taille, 6+6 a
Ce front large et serein,quoique privé des yeux, 6+6 b
740 Tout m’atteste, ô vieillard,un chantre aimé des dieux. 6+6 b
Dans la sainte Pytho,nourrice des athlètes, 6+6 a
Du laurier des chansonstu viens orner les fêtes. 6+6 a
Mais ce chemin est long ;l’enfant qui te conduit 6+6 b
Va dans les bois sacréserrer jusqu’à la nuit. 6+6 b
745 Vers ces myrtes épars,si tu me veux pour guide, 6+6 a
Prenons sur la montagneun sentier plus rapide, 6+6 a
Et, devant que Phœbusne plonge à l’horizon, 6+6 b
Tes pieds auront touchéla ville et ma maison. 6+6 b
Je passai là, souvent,sur les bruyères sèches, 6+6 a
750 En invoquant Diane,armé d’arcs et de flèches, 6+6 a
Et mon bras jeune et fortt’y saura diriger. » 6+6 b
— « C’est un dieu qui t’amène,ô pieux étranger ! 6+6 b
Ainsi que tu l’as dit,les dieux que je vénère 6+6 a
M’ont accordé la voix,en m’ôtant la lumière. 6+6 a
755 Mon âme ne saisitqu’à travers le passé 6+6 b
Le doux tableau du mondeà mes yeux effacé. 6+6 b
Je ne vois plus fleurirles roses de l’aurore ; 6+6 a
Mais du miel des chansonsmon urne est pleine encore, 6+6 a
Et devant tous les Grecsde mes fables épris, 6+6 b
760 En louant Apollon,je veux gagner le prix. » 6+6 b
— « Viens, les jeux seront beaux !À ta muse indigente 6+6 a
Plus d’un riche vainqueurd’Argos ou d’Agrigente 6+6 a
Offrira, pour son nomdans tes hymnes chanté, 6+6 b
Avec dix taureaux blancssa coupe d’or sculpté : 6+6 b
765 Car le chantre sonore,aimé de Mnémosyne, 6+6 a
Donne seul à l’athlèteune gloire divine. 6+6 a
Dis-nous les vieux combatset les récents travaux ; 6+6 b
Tu seras applaudipar d’illustres rivaux, 6+6 b
Phémius de Naxos,Hylas de Sicyone 6+6 a
770 Doivent des vers entre euxdisputer la couronne. 6+6 a
Une femme, on la crutdéesse, et parmi nous 6+6 b
Le peuple en l’écoutantl’adorait à genoux, 6+6 b
Tant sa voix de sa formeégale l’harmonie, 6+6 a
Chantera notre dieusur le luth d’Ionie. 6+6 a
775 Viens, ô vieillard, franchisle seuil de mes aïeux ; 6+6 b
Le toit se réjouitd’un hôte harmonieux. » 6+6 b
— « Qu’Apollon Pythienqui protège ta ville 6+6 a
T’accorde une vieillesseopulente et tranquille. 6+6 a
Un dieu toujours sourità l’homme hospitalier ; 6+6 b
780 Et le chanteur aveugleassis à ton foyer, 6+6 b
Apportant son offrandeà tes dieux domestiques, 6+6 a
Fera vivre ton nomdans les récits antiques. » — 6+6 a
Des monts chers à Phœbusles flancs étaient chargés 6+6 b
De tous les peuples grecsprès du stade rangés ; 6+6 b
785 Ceux dont la voix garda,moins sévère et plus tendre, 6+6 a
Le mode ionienque l’amour aime entendre ; 6+6 a
Et la race d’Herculeen qui le fier accent 6+6 b
Du héros doriensurvit avec son sang. 6+6 b
Après les grands taureauxofferts en hécatombes, 6+6 a
790 Et les vins répandusen mémoire des tombes, 6+6 a
Après le disque et l’arcpar le dieu protégés, 6+6 b
Les lutteurs frottés d’huileet les coureurs légers ; 6+6 b
Après le javelot,le pancrace et le ceste, 6+6 a
Et les divers combatsd’origine céleste ; 6+6 a
795 Sur les chanteurs rivauxtour à tour entendus, 6+6 b
Longtemps les yeux des Grecsrestèrent suspendus. 6+6 b
Ils remplissaient leurs cœursdu chant aux flots sonores 6+6 a
Comme aux torrents sacrésl’argile des amphores. 6+6 a
La lyre avait parlésous les doigts du vieillard. 6+6 b
800 Après lui, déployantles récits avec art, 6+6 b
Les autres avaient vuleurs frches mélodies 6+6 a
Par le peuple joyeuxdans l’arène applaudies, 6+6 a
Quand Psyché vers l’autelà la fin s’avança, 6+6 b
Et c’est par Apollonque l’hymne commença. 6+6 b
805 Elle chanta Délos,le palmier de Latone ; 6+6 a
Les premiers cris du dieudont l’Olympe s’étonne ; 6+6 a
Il demande sa lyre,et son arc, et son char ; 6+6 b
Sa bouche au lieu de laitboit déjà le nectar, 6+6 b
Et ses langes rompuslaissent ses pieds rapides 6+6 a
810 Commencer en naissantleurs courses intrépides. 6+6 a
Aux chants phocidiensPython meurt sous ses traits ; 6+6 b
Par lui de l’avenirDelphes sait les secrets ; 6+6 b
Il traverse en un jouret la Grèce et ses îles, 6+6 a
Les sillons sous ses pasnous deviennent fertiles. 6+6 a
815 Il est le roi légerdes chars et des coureurs ; 6+6 b
Ses pieds sans les courberse posent sur les fleurs. 6+6 b
Le vent de ses coursiersbalaie au loin la neige ; 6+6 a
Les Heures, les Saisonsforment son beau cortège. 6+6 a
Il atteint chaque soirle bout de l’univers, 6+6 b
820 Et Téthys l’y reçoitdans ses grands palais verts. 6+6 b
Sur la pourpre changeante le dieu se repose, 6+6 a
Les Nymphes de la merlavent ses pieds de rose ; 6+6 a
Et la déesse, aprèsle festin partagé, 6+6 b
L’enivre d’un sommeilpar l’amour prolongé. 6+6 b
825 Le méchant, ô Phcebus,craint tes flèches hardies ! 6+6 a
Sonore et lumineux,les saintes mélodies 6+6 a
Et les rayons à flotss’épanchent sous tes doigts. 6+6 b
Le temps ne peut tarirton luth ni ton carquois. 6+6 b
Les Nymphes, les Sylvains,les Muses et les Grâces, 6+6 a
830 La forêt et les ventsse meuvent sur tes traces ; 6+6 a
Tous les pas cadencéssont réglés par tes chants ; 6+6 b
Le cygne et la cigaleet l’onde aux pleurs touchants, 6+6 b
Tout être harmonieuxqui danse ou qui murmure 6+6 a
A connu par toi seulle mode et la mesure. 6+6 a
835 Quand, las de visiterle temple des humains, 6+6 b
L’Olympe te revoit,les dieux battent des mains : 6+6 b
Latone avec fiertéte donne ses caresses ; 6+6 a
Junon même sourit,et les jeunes déesses 6+6 a
Rêvent à la douceurde ton lit embaumé. 6+6 b
840 Mais tu t’assieds auprèsde Jupiter charmé ; 6+6 b
Tu chantes, et les dieuxretenant leurs haleines 6+6 a
Négligent du nectarles coupes encor pleines, 6+6 a
Et le chœur des heureux,à ta voix transporté, 6+6 b
Par toi sent mieux le prixde l’immortalité. 6+6 b
845 Chacun fait aux humainsdes présents plus splendides ; 6+6 a
Téthys offre la perleaux plongeurs intrépides ; 6+6 a
Cérès, du pur froment,verse à flots le trésor ; 6+6 b
Et la blanche Aphroditeaux longues tresses d’or, 6+6 b
Rougissant de bonheur,laisse de sa ceinture 6+6 a
850 Tomber plus de désirsur toute la nature. 6+6 a
Dieu des chars rayonnant,dieu de l’arc et du luth, 6+6 b
Dieu rapide, dieu beau,dieu des chansons, salut ! 6+6 b
Après Phœbus chanté,l’hymne agile et sonore 6+6 a
De la terre à l’Olympeerra longtemps encore, 6+6 a
855 Cueillant les grands accords,les tableaux éclatants 6+6 b
Dans les mille contoursde l’espace et du temps, 6+6 b
Et venant, sa vendangeune fois réunie, 6+6 a
Des choses sous ses doigtsexprimer l’harmonie. 6+6 a
Elle dit les climats,les lois, les mœurs, les dieux, 6+6 b
860 Les secrètes vertusdes races et des lieux, 6+6 b
Les terres d’Orient,l’Inde à Bacchus soumise, 6+6 a
L’Atlantide lointaineaux pilotes promise, 6+6 a
Les navires cherchantles jardins d’Hespérus, 6+6 b
Des vieilles nationsles berceaux parcourus, 6+6 b
865 Babylone, Memphisde mystère entourées, 6+6 a
Et du fleuve Égyptusles sources ignorées. 6+6 a
Puis l’âge d’or, la paixrégnant aux anciens jours, 6+6 b
Et les dieux recherchantde terrestres amours ; 6+6 b
Et d’un bonheur passéla merveilleuse histoire 6+6 a
870 Dont chaque peuple encorea gardé la mémoire ; 6+6 a
L’urne pleine de maux,présent de Jupiter, 6+6 b
Et la main de Pandoreouvrant l’âge de fer ; 6+6 b
Les agresseurs du cielque le tonnerre écrase, 6+6 a
Et l’inventeur du feupuni sur le Caucase. 6+6 a
875 Mais dans l’Olympe un jourle Titan entrera ; 6+6 b
Ta chne, ô Prométhée,à la fin se rompra ; 6+6 b
Un dieu, déjà présentdans ton cœur prophétique, 6+6 a
Doit percer le vautoursur le gibet antique. 6+6 a
Pandore a retenudans le vase fatal 6+6 b
880 L’espérance, compagneet remède du mal ; 6+6 b
Elle est là pour panserla morsure éternelle ; 6+6 a
L’oiseau rongeur seraplus vite lassé qu’elle ! 6+6 a
Ainsi d’un bien perdu,d’un retour annoncé, 6+6 b
Le tableau dans son hymneest souvent retracé. 6+6 b
885 Elle aime à célébrerles regrets et l’attente, 6+6 a
Au milieu des douleursla tendresse constante, 6+6 a
Et le cœur s’élançantvers un être perdu, 6+6 b
Et d’un trésor cherchéle désir assidu ; 6+6 b
Les courses de Cérès,Proserpine enlevée, 6+6 a
890 Les pommes d’or, Colchos,Ithaque retrouvée, 6+6 a
Ariadne, Adonis,et les enfers jaloux, 6+6 b
Eurydice deux foisravie à son époux, 6+6 b
Et la mort éprouvantles amoureuses flammes, 6+6 a
Et l’Élysée heureux,ce rendez-vous des âmes. 6+6 a
895 D’un cri si triomphal,après qu’elle eut chanté, 6+6 b
La foule saluasa voix et sa beauté, 6+6 b
Qu’on t dit les clameursdes forêts et de l’onde, 6+6 a
Le bruit des pins penchéssur un gouffre qui gronde, 6+6 a
Se heurtant par le fte,et brisant leurs rameaux, 6+6 b
900 Et répondant la nuitau bruit des grandes eaux, 6+6 b
Quand Borée ou Notus,de leurs fortes poitrines, 6+6 a
Ont soufflé sur les boiset les plaines marines. 6+6 a
Et le peuple unanimea proclamé son nom 6+6 b
Pour le prix des chanteursque décerne Apollon. 6+6 b
905 La couronne à l’autelattendait la victoire. 6+6 a
Le roi des jeux sacrés,de son siège d’ivoire 6+6 a
Se levant, la saisit,et debout vers Psyché, 6+6 b
Du rameau verdoyantceignit son front penché. 6+6 b
Mais elle : « Ô Grecs divins,à ce vieillard auguste 6+6 a
910 Le laurier d’Apollonserait un don plus juste. » 6+6 a
Et marchant vers l’aveugle :« Oh ! si tu n’es pas dieu, 6+6 b
Et si tu n’as pas droità nos autels en feu, 6+6 b
Laisse : que pour ton chant,inspiré des Charites, 6+6 a
Je te rende, ô vieillard !le prix que tu mérites. » 6+6 a
915 Et le laurier ornal’aveugle aux cheveux blancs. 6+6 b
Et le peuple admirait.
La chanteuse à pas lents 6+6 b
S’éloigne, et, près des eauxde l’antique Telphuse, 6+6 a
Grande, et de blanc vêtue,et semblable à la Muse, 6+6 a
Sous les cyprès touffuss’enfonçant par degrés, 6+6 b
920 On la voit dispartreau sein des bois sacrés. 6+6 b
PSYCHÉ
« se cache l’époux ?J’ai vu toute la Grèce, 6+6 a
Les promontoires d’orqu’un flot d’azur caresse, 6+6 a
Et les coteaux mûrispar ce soleil divin 6+6 b
Oui parfume l’oliveet le miel et le vin ; 6+6 b
925 Les bois de Thessalie,et les rives du fleuve 6+6 a
des chevaux guerriersle noir troupeau s’abreuve ; 6+6 a
J’ai vu les mille dieuxsur cette terre épars ; 6+6 b
Les temples sur les montsassis de toutes parts. 6+6 b
Et, pour y découvrirmon idole secrète, 6+6 a
930 J’ai suivi chacun d’euxau fond de sa retraite. 6+6 a
« Je connais leurs forêts,leurs antres merveilleux. 6+6 b
J’ai vu les dieux errantdans l’ombre épaisse, et ceux 6+6 b
Qui couchés gravementau sommet des montagnes, 6+6 a
La tête dans leurs main,regardent les campagnes 6+6 a
935 Et ceux qu’en pleine merapeoit le pêcheur, 6+6 b
De leurs flancs sur l’eau bleueétalant la blancheur ; 6+6 b
Et ceux, au pied léger,qui mènent sur les pentes 6+6 a
À la piste du cerfles meutes haletantes ; 6+6 a
Ceux qui forment en rondla danse sur les prés ; 6+6 b
940 Ceux qui, debout et fiers,dans les frontons sacrés, 6+6 b
Règnent sur les citésdu haut des acropoles : 6+6 a
Ceux dont l’onde et le ventnous jettent les paroles. 6+6 a
Du sol hellénien,saintement parcouru, 6+6 b
Devant moi tour à tourles dieux ont comparu ; 6+6 b
945 Celui seul dont mon cœurimplorait la venue 6+6 a
A trompé jusqu’icima recherche assidue. 6+6 a
« Dieux de l’antique Olympe,oh ? gardez mon encens ; 6+6 b
Les œuvres de vos filsvous révèlent puissants, 6+6 b
Et la Grèce par vousde la beauté fut mère. 6+6 a
950 Vous méritez de moiplus qu’un culte éphémère ; 6+6 a
Mais le destin m’entrneau-devant de l’époux 6+6 b
Rayonnant d’un attraitqu’en vain je cherche en vous. 6+6 b
Nul de vous ne réveille,au fond de l’âme émue, 6+6 a
Tout le monde d’amourque cet autre y remue. 6+6 a
955 Triste, il a cependantdes éclairs souverains : 6+6 b
Et ce regard profondmanque à vos yeux sereins. 6+6 b
« Ah ! quand je vois glisser,au fond de ma pensée, 6+6 a
Ton ombre seule en moivaguement retracée, 6+6 a
Toi qu’un rêve éternelme prédit pour amant, 6+6 b
960 J’en gte plus d’extaseet de ravissement 6+6 b
Que devant tous ces dieux,quand, aux clartés du temple, 6+6 a
Dans toute leur grandeur,mon esprit les contemple ! 6+6 a
Dois-je à l’espoir d’hymenrenoncer pour toujours, 6+6 b
Ô Dieu ! dont mon enfancea gté les amours ? 6+6 b
965 faut-il que Psychés’élance et te devine, 6+6 a
Toi qu’elle cherche en vaindans la Grèce divine ! 6+6 a
« Du désir qui m’entrne,ah ! tu n’éprouves rien ; 6+6 b
Ton cœur ne bondit paspour s’approcher du mien ! 6+6 b
Si tu vois sans gémirl’exil qui nous sépare, 6+6 a
970 Pourquoi ce nom d’épouxdont mon âme te pare ? 6+6 a
Sans un foyer divinje n’ai pu m’enflammer ; 6+6 b
Si tu ne m’aimes pas,qui m’enseigne à t’aimer, 6+6 b
Et, m’offrant une imageà jamais poursuivie, 6+6 a
Au fil de ta penséea dirigé ma vie ? 6+6 a
975 Mais un dieu, je le sens,a souffert comme moi ; 6+6 b
Il a souffert d’amour,et je comprends pourquoi, 6+6 b
Grave et des dieux joyeuxfuyant le ciel frivole, 6+6 a
Son front de la tristessea fait son auréole. 6+6 a
Ah ! ta douleur m’est douce !et c’est aux jours meilleurs 6+6 b
980 Que mon rêve apeoittes yeux baignés de pleurs ! » 6+6 b
VII
Assis sur le penchantdu promontoire Attique 6+6 a
Pallas Suniadea sa demeure antique, 6+6 a
Parle un vieillard divin.Étendus à ses pieds, 6+6 b
De beaux adolescents,sur le coude appuyés, 6+6 b
985 Reçoivent dans leur cœurses paroles fécondes, 6+6 a
Dont l’avide Psychésollicite les ondes. 6+6 a
PSYCHÉ
« Ô sage ! réponds-moi :ce dieu que je t’ai dit, 6+6 b
L’époux dont chaque jourl’image en moi grandit, 6+6 b
Et qu’en vain je demandeaux flots, aux monts, aux grèves, 6+6 a
990 N’existe-t-il donc pasailleurs que dans mes rêves ? » 6+6 a
LE VIEILLARD
« Tout rêve de l’amoura sa réalité 6+6 b
Dans un monde immuable règne la beauté. 6+6 b
Notre âme y va revoir,sitôt qu’ont crû ses ailes, 6+6 a
Des choses d’ici-basles célestes modèles. 6+6 a
995 D’un dieu l’idée en toine germe pas en vain, 6+6 b
Car l’espoir est issud’un souvenir divin. 6+6 b
Crois-en ton propre cœur ;tout ce qu’il cherche existe 6+6 a
PSYCHÉ
« Ta parole, ô vieillard !est douce à ce cœur triste. 6+6 a
Un dieu dans mon regarda donc gravé ses traits ! 6+6 b
1000 Il existe, il est beau ;tous mes rêves sont vrais ! 6+6 b
Mais il oublie, hélas !une épouse mortelle. » 6+6 a
LE VIEILLARD
« Il t’aime ; il veut te faireà jamais jeune et belle ; 6+6 a
Ta faute vous sépare,et non sa volonté. 6+6 b
Mais tu dois accomplirla loi de la beauté : 6+6 b
1005 Pour enfanter le bien,les dieux l’ont mise au monde, 6+6 a
Et l’amour est celuiqui la rendra féconde. » 6+6 a
PSYCHÉ
« Je t’ai dit mes destins,mêlés de tant de maux, 6+6 b
Et, pour chercher l’époux,mes courses, mes travaux, 6+6 b
Quels chemins à tenterme garde encor la terre ? » 6+6 a
LE VIEILLARD
1010 « N’a-t-elle plus pour toinulle part de mystère ? 6+6 a
Ton cœur a-t-il tout vu,tout compris, tout aimé ? 6+6 b
Contre l’illusionest-il assez armé ? 6+6 b
« Scrute encor les grands bois,, des épaisses vtes, 6+6 a
La lumière à nos piedsne pleut qu’à rares gouttes. 6+6 a
1015 Écarte les rameauxles plus mélodieux, 6+6 b
Et les touffes de fleursqui t’embaument le mieux. 6+6 b
Cherche au fond de l’azurdes plus pures fontaines ; 6+6 a
Remonte jusqu’au niddes brises incertaines ; 6+6 a
Jusqu’à la grande mersuis la chute des eaux ; 6+6 b
1020 Vers l’éternel printempssuis le vol des oiseaux. 6+6 b
Marche sans te lasservers toute chose belle ; 6+6 a
La beauté, de l’amourc’est la forme éternelle ! 6+6 a
C’est ici-bas le voileau contour radieux 6+6 b
Qui nous laisse arriverle sourire des dieux ; 6+6 b
1025 Et, sur nous descendu,ce rayon de leur flamme 6+6 a
Fait crtre en l’échauffantles ailes de notre âme. 6+6 a
« Garde aussi le trésoraux temples dérobé, 6+6 b
Et des trépieds divinsl’enseignement tombé. 6+6 b
Mais reviens des autelst’asseoir sous les portiques ; 6+6 a
1030 Pèse en de sages mainsles oracles antiques. 6+6 a
Écoute les discoursque se disent entre eux 6+6 b
Ces vieillards encor vertsde la muse amoureux ; 6+6 b
Leur âme est un creusetd’ coulent épurées 6+6 a
Les choses des vieux jourset les fables sacrées. 6+6 a
1035 Ils tiennent le fil d’orde l’écheveau des temps, 6+6 b
Et, par le seul amouret les désirs constants, 6+6 b
Chacun d’eux, sans trépiedset sans mystiques fièvres, 6+6 a
Sait contraindre les dieuxà parler par ses lèvres. 6+6 a
L’active intelligenceerrant à l’horizon, 6+6 b
1040 Dans le cœur habitépar l’auguste raison 6+6 b
Revient, et, pour chaque homme,élabore sans cesse 6+6 a
De fleurs prises partoutle miel de la sagesse. 6+6 a
« À la nature, au temple,aux plus sages humains, 6+6 b
Ainsi, de ton seul butdemande les chemins. 6+6 b
1045 Dans tout notre universremué sans relâche 6+6 a
Poursuis avec amourcet être qui se cache ; 6+6 a
Garde ton désir purdans la joie et l’ennui ; 6+6 b
Dieu volera vers toisi tu marches vers lui. 6+6 b
Mais pour trouver ce dieudans son gite suprême. 6+6 a
1050 Avant tout, ô Psyché !cherche-le dans toi-même, 6+6 a
Visite tes pensersde ses traces remplis, 6+6 b
Et de ton propre cœurconnais tous les replis. » 6+6 b
PSYCHÉ
« Puissent les immortelsaccueillir tes présages, 6+6 a
Comme moi, tes leçons,ô sage entre les sages ! 6+6 a
1055 La lumière et la paixcoulent de tes discours. 6+6 b
Mais parle-nous de toi !que fais-tu de tes jours ? 6+6 b
Dis-nous, pour être encorlimpide à faire envie, 6+6 a
Quelle pente a suivile beau flot de ta vie ? 6+6 a
Ton œil est jeune et pursous ton front argenté : 6+6 b
1060 D’ vient sa profondeuret sa sérénité ? 6+6 b
LE VIEILLARD
« Chacun se fait sa vieagitée ou paisible. 6+6 a
Nous avons tous les deuxla soif de l’invisible, 6+6 a
Mais, dans mon cœur, peut-être,apportant plus de foi, 6+6 b
La mémoire a parléplus vive que chez toi. 6+6 b
1065 Car, avant de descendreaux terrestres demeures, 6+6 a
J’ai connu, comme toi,des régions meilleures, 6+6 a
Et cet hymen sacrécommencé dans l’éther 6+6 b
Qui doit se renouerau sein de Jupiter. 6+6 b
« L’àme avant de trnerce corps qui l’embarrasse, 6+6 a
1070 A la suite d’un dieuvoyageait dans l’espace ; 6+6 a
Chacun de nous alors,ayant Dieu pour flambeau 6+6 b
Dans sa plus pure essenceà contemplé le beau, 6+6 b
Et vu, pour un moment,dans sa sphère étoilée 6+6 a
L’éternelle sagesseà la bonté mêlée. 6+6 a
1075 Pour remonter vers elleet pour s’y fondre un jour, 6+6 b
L’âme a deux ailes d’or :la raison et l’amour ! 6+6 b
Comme elles ont des dieuxtiré leur origine, 6+6 a
Il faut pour les nourrirune essence divine ; 6+6 a
Quelque chose d’en hautsur la terre apporté. 6+6 b
1080 Et c’est pourquoi chaque hommeentrevoit la beauté, 6+6 b
La plus douce à la foiset la plus manifeste 6+6 a
Des trois perfectionsde l’unité céleste, 6+6 a
Et que l’esprit tombéqui dans la chair rent 6+6 b
Même des yeux du corpssans peine reconnt. 6+6 b
1085 L’âme en qui se réveilleet brille cette idée 6+6 a
Se rend libre du mal,et, par l’amour guidée, 6+6 a
Réglant l’essor du cœurpar les sens combattu, 6+6 b
Au rang des immortelsmonte par la vertu. 6+6 b
« L’époux t’attend là-haut…C’est là-haut que j’aspire ! 6+6 a
1090 Et, préparant le volqui doit nous y conduire, 6+6 a
J’aide ceux que vers moil’attente fait venir 6+6 b
À retrouver l’idéeau fond du souvenir. 6+6 b
D’amis jeunes et beauxsouvent dans la campagne, 6+6 a
Alternant le discours,un groupe m’accompagne. 6+6 a
1095 Assis sous le plataneou sous l’agnus-castus, 6+6 b
Auprès de quelque source,au bord de l’Ilissus, 6+6 b
Ou dans une palestre,ou sur ce promontoire, 6+6 a
Ou de fleurs couronnésur un siège d’ivoire 6+6 a
En un banquet riantpar la muse enchanté, 6+6 b
1100 Je leur parle d’amouret d’immortalité. 6+6 b
Ensemble nous cherchonsle bien et la sagesse, 6+6 a
Et les Grâces parfoisvisitent ma vieillesse. 6+6 a
Le réveil du tombeausourit à mon espoir ; 6+6 b
Ainsi, d’un jour sereinj’atteignis le beau soir. » 6+6 b
PSYCHÉ
1105 « Que la force et la joieen mon sein répandues 6+6 a
À ton âme, ô vieillard,par les dieux soient rendues : 6+6 a
Qu’à ce front large et calme,abrité des douleurs, 6+6 b
Les bois versent longtempsle murmure et les fleurs : 6+6 b
Que les songes dorésvoltigent sur ta couche. 6+6 a
1110 Que d’un rayon de mielchaque soir à ta bouche 6+6 a
Les abeilles d’Hymetteapportent le présent ; 6+6 b
Qu’un dieu parle à ton cœuret te soit complaisant, 6+6 b
Et qu’avec tes amis,à jamais, sur tes traces, 6+6 a
Marche le chœur joyeuxdes Muses et des Grâces. 6+6 a
1115 Et moi je pars, fidèleà l’invisible amant, 6+6 b
J’emporte le flambeaude ton enseignement, 6+6 b
Le plus pur dont un hommeilluminant mon doute 6+6 a
Vers l’être que je chercheait éclairé ma route, 6+6 a
Me faisant voir, sans troubleet sans obscurité, 6+6 b
1120 Le bien et la sagesseau fond de la beauté. » 6+6 b
Je sais tout ce qu’à l’âmeenseigne la souffrance. 6+6 a
À ses rameaux diversj’ai cueilli la science. 6+6 a
J’ai grossi mon trésor,chez toutes nations, 6+6 b
De l’or accumulédes générations. 6+6 b
1125 J’ai des temples obscursapprofondi les rites, 6+6 a
Et les vertus des dieuxdans leurs œuvres écrites 6+6 a
La mer et le désertm’ont livré leurs secrets, 6+6 b
J’interprète aux mortelsla langue des forêts, 6+6 b
Et le vol des oiseauxet le pouvoir des plantes. 6+6 a
1130 Je sais guider la sèveet les laves brûlantes. 6+6 a
De la terre à ma voixjaillissent les métaux, 6+6 b
Et mes enchantementsfécondent les troupeaux. 6+6 b
Les rebelles saisonspar mon art conjurées 6+6 a
Versent dans nos greniersdes moissons assurées : 6+6 a
1135 La corne d’or se fermeet s’ouvre à mon vouloir. 6+6 b
Et, des rudes travauxlibre par le savoir, 6+6 b
Dans un empire heureuxréglé par ma prudence, 6+6 a
L’homme s’est asservila déesse Abondance. 6+6 a
« Les peuples m’ont fait reine ;aux fins que je prévois, 6+6 b
1140 Soumis avec amourils marchent à ma voix ; 6+6 b
Ils accourent de loinsous mon sceptre propice. 6+6 a
Je reçois comme un dieul’encens du sacrifice. 6+6 a
La mer avec respectberce mes pavillons 6+6 b
Et le désert vaincuconserve mes sillons. 6+6 b
1145 Quand je veux parcourirmon empire sans bornes, 6+6 a
Les grands chevaux marins,les tritons, les licornes, 6+6 a
Les monstres écailleux,hôtes des grandes eaux, 6+6 b
Vites comme un regardentrnent mes vaisseaux. 6+6 b
Les aigles, les griffonsme portent dans les nues, 6+6 a
1150 Cueillir les rares fleursdes cimes inconnues ; 6+6 a
Et l’épaisseur des boiss’ouvre devant mes chars 6+6 b
Trnés par des lionset par des léopards. 6+6 b
Ma sagesse a conquisla royauté des êtres, 6+6 a
Et mes désirs partoutse promènent en mtres. 6+6 a
1155 Tout objet qu’ici-basont apeu mes yeux 6+6 b
Vient s’offrir à mes mains,quand j’ai dit : Je le veux. 6+6 b
« Reine du monde, hélas !d’esclaves entourée. 6+6 a
Je porte avec douleurma pauvreté dorée. 6+6 a
Dans la satiététous mes désirs sont morts ; 6+6 b
1160 Une autre faim me rongeau sein de mes trésors… 6+6 b
Le vide est dans mon âmeà la place l’on aime ; 6+6 a
Et je sens qu’il me manqueune part de moi-même. 6+6 a
C’est l’invisible époux,c’est le jardin natal, 6+6 b
Les intimes douceursdu baiser nuptial, 6+6 b
1165 Avec dieu de ma flammeun rayonnant échange, 6+6 a
De nos amours sans finl’extatique mélange ! 6+6 a
Oh ! viens, époux sacré,dieu recelé partout, 6+6 b
Dieu qui reste à trouveraprès que l’on a tout ! 6+6 b
Oh ! viens me délivrerd’un bonheur qui me pèse ; 6+6 a
1170 Viens assouvir d’amourmon cœur que rien n’apaise ! 6+6 a
Viens ! toute soif humaineest un pâle désir 6+6 b
Près des tourments du cœurqui cherche à te saisir. » 6+6 b
Comme des flots rongeursqui tourmentent leurs grèves, 6+6 a
Psyché dans son espritsentait gronder ces rêves. 6+6 a
1175 Elle marche à pas lentsdans ses vastes jardins, 6+6 b
Qui du bord de la merélèvent par gradins 6+6 b
Jusqu’aux neiges des montsleur haut amphithéâtre ; 6+6 a
Ils dominent au loinsur la plaine bleuâtre, 6+6 a
le frais clair de luneen nappes surnageant, 6+6 b
1180 Tombe de cime en cimeen cascade d’argent, 6+6 b
Et verse avec ses flotssur les vagues prochaines 6+6 a
L’ombrage projetédes cèdres et des chênes. 6+6 a
Les aigles, les chevaux,les lions familiers, 6+6 b
Sous l’abri du sommeilsont rentrés par milliers ; 6+6 b
1185 Et le chœur des oiseauxs’endort entre les branches 6+6 a
D’ sa voix saluaitla nuit aux clartés blanches. 6+6 a
Le flot demi-gonflébat doucement ses bords. 6+6 b
Au marbre d’un balustreappuyant son beau corps, 6+6 b
La reine se pencha :ses yeux, plongeant sur l’onde 6+6 a
1190 Et montant tour à tourvers la vte profonde 6+6 a
des astres charmantsluit la sérénité, 6+6 b
Visitaient l’azur calmeet l’azur agité. 6+6 b
PSYCHÉ
« Habite-t-il là-hautvos palais sans limites ? 6+6 a
S’est-il posé sur vous,blanches étoiles, dites ? 6+6 a
1195 Vous brillez avec calmeet sans feux éclatants, 6+6 b
Sous un front sans désirscomme des yeux contents, 6+6 b
Une si douce paixvous berce et vous décore, 6+6 a
Que votre âme, ô clartés !le possèdeou l’ignore. 6+6 a
« Et toi, fier Océan,tu ne demandes rien ; 6+6 b
1200 Tes flots n’ont pas la paixdu flot aérien : 6+6 b
Mais ce qui trouble ainsita face révérée, 6+6 a
Ce n’est pas le désir,c’est Notus ou Borée ! 6+6 a
Et vous qui sur mon frontversez l’ombre et l’odeur, 6+6 b
Grands cèdres, du désirconnaissez-vous l’ardeur, 6+6 b
1205 L’ardeur de l’infinidont j’ai l’âme embrasée ! 6+6 a
L’été, vous invoquezla pluie et la rosée ; 6+6 a
Mais le tour du soleilne s’achève jamais 6+6 b
Sans que l’aube, de pleursinondant vos sommets, 6+6 b
Ne calme en vous les soifsque je garde éternelles. 6+6 a
1210 « Quand, repu de la chairdes faons et des gazelles, 6+6 a
A l’ombre des palmierstu t’étends, ô lion ! 6+6 b
Nulle faim dans ton cœurne met plus l’aiguillon. 6+6 b
Dans la saison d’hymen,quand ta fauve compagne 6+6 a
A tes rugissementsdescend de la montagne, 6+6 a
1215 Nul désir ne survità vos amours brûlants ; 6+6 b
Sur le sable mobile,affaissé sous tes flancs, 6+6 b
Tu croises tes grands pieds,et tu t’endors sans rêve. 6+6 a
« Partout mon regardsur ta face se lève, 6+6 a
Ô nature ! partoutdes êtres satisfaits ! 6+6 b
1220 Moi seule, consuméeen d’impuissants souhaits, 6+6 b
Poursuivant de travauxet de douleurs sans nombre 6+6 a
Un hymen impossible,un dieu, peut-être une ombre ! 6+6 a
Oh ! que je porte envieà ta sérénité ! 6+6 b
Donne-moi l’ignorance,et prends ma royauté. 6+6 b
1225 Car tu ne connais pas,ô nature paisible, 6+6 a
Mon supplice éternel,l’amour de l’invisible ! » 6+6 a
LES CÈDRES
« Notre ombre qui t’embaume,ô belle reine en pleurs ! 6+6 b
Nos fronts chargés d’oiseaux,nos pieds couverts de fleurs, 6+6 b
Des vents en nos rameauxla mélodie errante, 6+6 a
1230 La calme ascensionde la sève odorante, 6+6 a
Et l’aurore couvrantnos feuilles de saphirs, 6+6 b
Nous échangerions toutcontre un de ces désirs ! 6+6 b
« Il est donc quelque partun dieu, puisque tu l’aimes, 6+6 a
Qui dépasse, ô Psyché !tes beautés elles-mêmes ; 6+6 a
1235 Un être plus puissantqui verse autour de soi 6+6 b
Plus de grâce et de vieet plus d’amour que toi ! 6+6 b
« La terre t’appartient,et chaque homme t’adore ; 6+6 a
Toi qui peux concevoirplus de bonheur encore ; 6+6 a
Qui rêves d’un soleilà nous autres voilé, 6+6 b
1240 Tu te plains du désirqui te l’a révélé ! 6+6 b
LES LIONS
« Il est des jours, la proieétant grasse et nombreuse, 6+6 a
La lionne à nos piedsrugissant amoureuse, 6+6 a
Et nous devant un antreassis, l’œil grand ouvert, 6+6 b
Un vertige nous vientsur le vent du désert ; 6+6 b
1245 Et comme pour y suivreune chasse inconnue, 6+6 a
Sur la montagne ombreuseou sur la plaine nue, 6+6 a
Nous courons, inquiets,hérissés et tremblants ; 6+6 b
Un aiguillon secrets’enfonce dans nos flancs ; 6+6 b
Comme si l’horizonqui brille et qui flamboie 6+6 a
1250 De son immensiténous destinait la proie. » 6+6 a
L’OCÉAN
« Le chœur universel,de l’astre à la fourmi, 6+6 b
Ô reine ! à tes regardspart donc endormi ; 6+6 b
Nul espoir ne l’émeut,et la torpeur enchne 6+6 a
Cet aveugle troupeausans désir et sans haine !… 6+6 a
1255 « Ah ! tu ne vois donc pasvers un but ignoré, 6+6 b
Mais qu’il aime pourtant,chaque flot attiré ? 6+6 b
La flamme du désirdans les flots même habite. 6+6 a
Tu n’as donc pas comprismon grand sein qui palpite, 6+6 a
Et tordus de douleurs,mes bras ambitieux 6+6 b
1260 Comme ceux des Titansse dressant vers les cieux ? 6+6 b
« Le désir, le désirest au fond de chaque être, 6+6 a
De la créationl’amour est le seul mtre, 6+6 a
L’amour qui nous défendde l’immobilité ! 6+6 b
Le plus voisin du butest le plus agité. 6+6 b
1265 Après sa chute, ainsi,plus la terre est prochaine, 6+6 a
Plus rapide y descendle gland tombé du chêne. 6+6 a
L’époux vient, il est proche,ô reine ! et c’est pourquoi 6+6 b
Le désir qu’il allumeest si brûlant chez toi. 6+6 b
D’un dieu, d’un dieu puissant,ô l’amante ! ô l’élue ! 6+6 a
1270 Pour ton bonheur certain,reine, je te salue ! » 6+6 a
LES ETOILES
« Il a posé sur nousses pieds ambrosiens, 6+6 b
Et souvent nos rayonss’allument dans les siens ; 6+6 b
Sur l’éther lumineux,il nage d’île en île, 6+6 a
Et, sur nos flancs assis,voit flotter ton asile. 6+6 a
1275 Tu vantes de nos frontsla tranquille clarté, 6+6 b
C’est un pale refletde sa sérénité ; 6+6 b
Car ton époux sacrénous cultive et nous aime. 6+6 a
Mais son plus doux attrait,mais son amour suprême, 6+6 a
C’est toi, jeune Psyché,toi qu’à travers les pleurs, 6+6 b
1280 Il attire vers luijusqu’aux mondes meilleurs ; 6+6 b
A toi son être entier,toi l’amante et l’épouse ! 6+6 a
Chaque étoile de vous,belle reine, est jalouse ! 6+6 a
Mais dans l’heureux hymenqui doit fleurir toujours, 6+6 b
Ah ! nous serons au moinsle lit de vos amours. » 6+6 b
CHŒUR
1285 « Sur le seuil nuptialla nature est assise ; 6+6 a
Elle attend comme toil’heure encore indécise ; 6+6 a
Franchissant sur tes pasle suprême degré, 6+6 b
Elle posséderacar elle a désiré ! 6+6 b
« La vie aux premiers jourscoulait heureuse et lente ; 6+6 a
1290 L’air ne dévorait pasla sève dans la plante ; 6+6 a
L’Océan reposaitpaisible comme toi. 6+6 b
Sans poursuivre l’amourchacun l’avait en soi ; 6+6 b
Et tout être, endormidans sa frche innocence, 6+6 a
De l’aspirationignorait la souffrance. 6+6 a
1295 « Les fontaines de mielet les ruisseaux de lait 6+6 b
Suffisaient en ce monde le cœur seul parlait. 6+6 b
La terre encore enfant,de sa sève enivrée, 6+6 a
Des flots de l’inconnun’était pas altérée ; 6+6 a
Nul n’y rêvait encoreexcepté toi, Psyché, 6+6 b
1300 Par delà le bonheurun plus grand bien caché. 6+6 b
Le désir dans le mondeest entré par ton âme ; 6+6 a
La douleur a germédans les flancs de la femme ; 6+6 a
Tes mains ont dérobépour nous le feu fatal, 6+6 b
Et depuis ce momentnous souffrons de ton mal. 6+6 b
1305 « Tu crois que ce beau frontqu’au ciel ainsi tu lèves 6+6 a
A seul l’ambitionet le tourment des rêves ; 6+6 a
Que tes yeux, Ô Psyché !connaissent seuls les pleurs, 6+6 b
Que toi seule as le dondes sublimes douleurs !… 6+6 b
Tes larmes en tombantse mêlent à bien d’autres. 6+6 a
1310 Tes soupirs n’ont-ils pasleur écho dans les nôtres, 6+6 a
Et n’échanges-tu pas,en mille accords divers, 6+6 b
La tristesse et la joieavec tout l’univers ? 6+6 b
« D’ viennent l’ennui vagueet les plaintes sans causes 6+6 a
Qui naissent dans ton seindu seul aspect des choses, 6+6 a
1315 Reine ? en tes plus beaux joursla brise a bien des fois 6+6 b
Séché des pleurs amersqui coulaient à sa voix ; 6+6 b
Et nos vieilles forêtsont répété sans nombre 6+6 a
Tes longs gémissementséclos sous leur grande ombre. 6+6 a
Si ce monde est lui-mêmeinsensible, oh ! comment 6+6 b
1320 A-t-il pu de ton cœurhâter le battement ? 6+6 b
« Mais l’univers visibleest un frère qui t’aime ; 6+6 a
Il gravite tu vas,votre source est la même ; 6+6 a
Ta voix l’a réveilléde son sommeil ancien, 6+6 b
Par ton propre désiril a connu le sien. 6+6 b
1325 De toi lui vient le mal,mais aussi la lumière. 6+6 a
Toi par qui nous souffrons,c’est par toi qu’il espère ; 6+6 a
Ce qu’a fait ton orgueil,ton amour le guérit, 6+6 b
Et c’est pour ta beautéque l’époux nous sourit. » 6+6 b
Les grands lions, ainsi,la forêt solennelle, 6+6 a
1330 Et le sage Océanrêvant d’un dieu, comme elle, 6+6 a
Et les autres disaient :L’être n’est que désir ! 6+6 b
Mais la reine à leur chantrépond par un soupir ; 6+6 b
En elle avec l’espoirl’impatience augmente. 6+6 a
Elle accuse l’époux,et prie, et se lamente. 6+6 a
PSYCHÉ
1335 « Viens, c’est le jour ; plus tard,tu m’auras vu mourir. 6+6 b
Verse en moi ton haleine,ou mon sang va tarir ; 6+6 b
Viens arracher mon âmeà sa prison brûlante. 6+6 a
Oh ! pour un fiancéque ta venue est lente ! 6+6 a
Ce trône, ce pouvoir,ces trésors tant prisés, 6+6 b
1340 Toute la terre, enfin,pour un de tes baisers ! 6+6 b
Qu’y ferais-je sans toid’une vie inféconde ! 6+6 a
C’était pour te chercherque j’ai conquis ce monde. 6+6 a
J’y manque d’air, Ô dieu !viens et délivre-moi : 6+6 b
Viens, amour, il me fautou le néant ou toi ! » 6+6 b
1345 Elle dit, et son frontvaincu par le pensée 6+6 a
S’incline, et se revêtd’une pâleur glacée. 6+6 a
Son corps, de ses désirstrop fragile instrument, 6+6 b
S’affaisse sous son poids,privé de sentiment ; 6+6 b
Et, telle on voit d’albâtreune frêle statue 6+6 a
1350 Dans les épais gazonspar l’orage abattue, 6+6 a
Ou tel un cygne atteintd’une flèche en son vol, 6+6 b
Telle, à travers les fleurs,elle gît sur le sol. 6+6 b
ÉPILOGUE
Quel sentier, unissantles sphères l’une à l’autre, 6+6 a
Jusqu’au monde idéalmène au sortir du nôtre ? 6+6 a
1355 Quel vent souffle du cielpour aider notre essor 6+6 b
Sur les degrés diversde cette échelle d’or ? 6+6 b
Comment, sans se confondre,atteignant jusqu’au mtre, 6+6 a
Se touchent les anneauxde la chne de l’être ?… 6+6 a
Je ne sais ! Qui diracomment l’être est éclos, 6+6 b
1360 Comment au sein du videa germé le chaos ?… 6+6 b
Qui sait d’ tu venaisquand la jeune nature, 6+6 a
Déployant sous tes piedssa robe de verdure, 6+6 a
Amena ses enfantsrangés autour de toi, 6+6 b
Te saluer en chœurcomme on salue un roi ? 6+6 b
1365 Loin de ce dieu qui t’aimeet qui te frappe encore, 6+6 a
Que fais-tu sur la terre,ô Psyché ?… je l’ignore. 6+6 a
Mais j’en crois le concertdes peuples et des temps 6+6 b
Par qui Dieu se révèleen signes éclatants ; 6+6 b
J’en crois aussi la voixde ce verbe suprême 6+6 a
1370 Qui parle irrésistibleau dedans de moi-même ; 6+6 a
Qui siège au fond des cœurscomme dans sa maison, 6+6 b
Illuminant tout hommeà travers la Raison. 6+6 b
Il est dans l’avenirdes régions meilleures 6+6 a
l’amour à Psychéprépare des demeures ; 6+6 a
1375 Pour m’attirer à luice dieu me tend la main. 6+6 b
Un asile de paixattend le genre humain. 6+6 b
Oui, malgré nos douleurs,nos ténèbres, nos crimes, 6+6 a
Malgré la pesanteurdes passions infimes, 6+6 a
Et les temples détruits,et le mal triomphant, 6+6 b
1380 Et l’ironie allantdu vieillard à l’enfant, 6+6 b
Et la haine qui grondeau fond de nos poitrines, 6+6 a
Et le monde ébranlépar le vent des doctrines, 6+6 a
Et le Sphinx mtre encordu secret redouté, 6+6 b
Du mot de l’univers,je n’ai jamais douté ! 6+6 b
1385 Les âmes et les eauxprennent diverses routes, 6+6 a
Mais au même océanelles arrivent toutes ; 6+6 a
Leur cours est lent parfois,mais il ne s’en perd rien ; 6+6 b
En traversant le mal,nous marchons vers le bien. 6+6 b
Le bien de toute choseest la source et le terme. 6+6 a
1390 Chaque homme du bonheuren soi porte le germe. 6+6 a
Oui, l’éternel principeà qui tout fait retour, 6+6 b
La cause de la vieet sa fin, c’est l’amour ! 6+6 b
Repose-toi, Psyché !Le dieu que tu supplies 6+6 a
A compté le trésordes œuvres accomplies ; 6+6 a
1395 C’est à lui de descendreet de te consoler. 6+6 b
Le désir t’a conduitjusqu’ tu peux voler. 6+6 b
Nul du monde tu vasne peut franchir la porte 6+6 a
Sans qu’une main d’en hautle saisisse et l’emporte ; 6+6 a
Gte enfin le repos !Laisse, oubliant l’effort, 6+6 b
1400 Ton âme s’inclinersur les bras de la mort. 6+6 b
Déjà pour t’enleverau sein des harmonies, 6+6 a
L’époux a déployéses ailes infinies. 6+6 a
L’invisible s’avanceet t’ouvre son séjour. 6+6 b
Le ciel que tu perdist’est rendu dès ce jour ; 6+6 b
1405 Car ton cœur, ô Psyché !sut bien remplir sa tache 6+6 a
De souffrir sans blasphèmeet d’aimer sans relâche. 6+6 a
Prends courage, ô mon âme !et marche jusqu’au soir ; 6+6 b
Pour atteindre le but,il suffit de vouloir. 6+6 b
Le désir, le désirsurvivant à la tombe, 6+6 a
1410 Continue à monterquand notre corps y tombe. 6+6 a
Va donc comme Psychévers l’éternel amant ; 6+6 b
Cours au-devant de Dieujusqu’à l’épuisement. 6+6 b
Au seuil d’un autre monde la route s’achève, 6+6 a
Dieu fait souffler sur nousun vent qui nous enlève, 6+6 a
1415 Et l’homme, enfin tiréde la nuit et du mal, 6+6 b
Joyeux et pur s’éveilleau sein de l’idéal. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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