Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAP_3/LAP3
Victor de LAPRADE
PSYCHÉ
1841
INVOCATION
Il est une vallée | où l’harmonie habite ; 6+6 a
Un dieu veille à sa porte | aux mortels interdite : 6+6 a
L’esprit seul, dans son vol, | emporté loin du temps, 6+6 b
Aux clartés de l’amour | l’entrevoit par instants : 6+6 b
5 Quel que soit le doux nom | dont chaque âge la nomme ; 6+6 a
Sa pensée est vivante | au fond du cœur de l’homme, 6+6 a
Mais nul, en l’écoutant, | ne saurait définir 6+6 b
Si c’est une espérance | ou bien un souvenir, 6+6 b
Tant l’âme, balancée | en sa plainte secrète, 6+6 a
10 Flotte entre ces deux mots : | j’attends, et je regrette. 6+6 a
Chaque peuple a rêvé | ce merveilleux jardin, 6+6 b
Soit qu’avec Jéhovah | il ait connu l’Éden, 6+6 b
Soit qu’Homère ait pour lui, | sur la lyre sacrée, 6+6 a
Fait chanter l’âge d’or | de Saturne et de Rhée, 6+6 a
15 Soit qu’enfant, sous la tente, | il aime à s’endormir 6+6 b
Bercé par les Péris | des songes de Kashmir. 6+6 b
Là, fleurissent toujours | sur l’arbre de science, 6+6 a
Le vrai, le beau, le bien, | unique et triple essence ; 6+6 a
Et, dans l’or du feuillage, | aux Grâces réunis, 6+6 b
20 Là des blanches vertus | les essaims font leurs nids 6+6 b
Avant d’aller chanter | leur mélodie auguste 6+6 a
Sur le front de la vierge | et dans l’âme du juste. 6+6 a
C’est là qu’avant le jour | de leurs aveux charmants 6+6 b
S’étaient choisis déjà | les couples des amants : 6+6 b
25 C’est de là qu’à la voix | du poète ou du sage 6+6 a
Descendent dans nos nuits | la pensée et l’image ; 6+6 a
Là que toute harmonie | a résonné d’abord 6+6 b
Avant qu’un luth mortel | en répétât l’accord. 6+6 b
Les graines de nos fleurs | ont mûri dans ce monde ; 6+6 a
30 L’art est un rameau né | de sa sève féconde. 6+6 a
Là-haut furent cueillis, | sur les prés en émail, 6+6 b
Le mystique rosier | qui flamboie au vitrail, 6+6 b
L’acanthe et le lotus | qu’en légères couronnes 6+6 a
L’Ionie a tressés | aux faites des colonnes. 6+6 a
35 Avant qu’un ciseau grec | et qu’un pinceau romain 6+6 b
Les fixât pour toujours | sous l’œil du genre humain, 6+6 b
Les vierges au long voile | et les nymphes rivales 6+6 a
La-haut menaient en chœurs | les danses idéales ; 6+6 a
Et, suspendant leurs jeux, | là, ces filles du ciel, 6+6 b
40 Ont posé devant vous, | Phidias, Raphaël ! 6+6 b
Là, ton âme, ô Platon, | par le vrai beau guidée, 6+6 a
Remontait d’un coup d’aile | au séjour de l’Idée. 6+6 a
C’est là qu’à son amant | Béatrice a souri ; 6+6 b
Et là son regard d’aigle, | ô Dante Alighieri ! 6+6 b
45 T’emportant dans sa flamme | à travers les dix sphères, 6+6 a
T’a du monde divin | révélé les mystères. 6+6 a
C’est là qu’enfin Psyché | vécut son premier jour 6+6 b
Tant qu’avec l’innocence | elle garda l’amour. 6+6 b
Comme en un lit joyeux | de fleurs et de rosée, 6+6 a
50 Par le souffle divin | l’âme y fut déposée, 6+6 a
Et, près d’elle, éveillés | dans l’herbe de ce sol, 6+6 b
Du bord de son berceau | mes chants prendront leur vol. 6+6 b
Mais au seuil de ton œuvre | inscris donc la prière, 6+6 a
Et dis, en commençant, | d’où te vient la lumière, 6+6 a
55 Ô poète ! malheur | aux hymnes qui naîtront 6+6 b
Sans que le nom d’un Dieu | soit gravé sur leur front ! 6+6 b
Je sais, au Ciel, trois sœurs | qui, les mains enlacées, 6+6 a
Font jaillir sous leurs pas | l’or des bonnes pensées ; 6+6 a
La Grèce en adora | les corps chastes et nus, 6+6 b
60 Beaux vases qui cachaient | des parfums inconnus. 6+6 b
C’est vous ! entre vos bras | je m’abandonne, ô Grâces ! 6+6 a
C’est vous qui vers le but | portez les âmes lasses ; 6+6 a
Vous par qui les présents | de Dieu nous sont comptés, 6+6 b
Vous qu’on appelle mieux | du nom de Charités. 6+6 b
65 Par vous, de l’homme au Ciel | et du Ciel à la terre, 6+6 a
Se fait d’un double amour | l’échange salutaire ; 6+6 a
Le cœur vous doit son aile, | et l’esprit son flambeau ; 6+6 b
Sans vous tout homme hésite | incapable du beau. 6+6 b
La Sagesse avec vous | n’a jamais le front triste ; 6+6 a
70 L’œuvre abonde et sourit | sous les doigts de l’artiste. 6+6 a
Grâces, en qui j’ai foi, | saintes filles de Dieu, 6+6 b
Touchez, touchez mon front | de vos lèvres de feu. 6+6 b
Ah ! l’inspiration | n’appartient à personne, 6+6 a
Pas plus qu’à ce rameau, | dont la feuille résonne, 6+6 a
75 Le vent qui le caresse | et qui le fait chanter ; 6+6 b
Et le dieu qui la donne | est libre de l’ôter. 6+6 b
Nul ne peut devancer | l’heure par vous choisie, 6+6 a
Ô Grâces ! pour verser | en lui la poésie. 6+6 a
Mais l’artiste pieux, | au cœur pur et sans fiel, 6+6 b
80 Peut, à force d’amour, | vous arracher au Ciel. 6+6 b
Venez donc ! vous savez | si l’art m’est chose sainte, 6+6 a
Si j’ai touché jamais | à la lyre sans crainte, 6+6 a
Si j’attends rien de moi, | si l’orgueil me nourrit… 6+6 b
Et dans quel tremblement | j’invoque ici l’esprit. 6+6 b
85 Ô Grâces ! descendez, | belles vierges antiques, 6+6 a
Formez autour de moi | vos cadences mystiques, 6+6 a
Et qu’en un juste accord, | sur trois modes divers, 6+6 b
La douceur de vos voix | coule à flots dans mes vers. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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