Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LAP_15/LAP244
Victor de LAPRADE
LE LIVRE DES ADIEUX
1874-1880
IX
ADIEU A LA MUSE
I
Pars et remporte au cielle meilleur de mon âme, 6+6 a
O souffle inspirateurqui réglais tout en moi ; 6+6 b
Quitte ce corps vieilli,ce cœur triste et sans flamme, 6+6 a
Muse ! il n'y reste rienqui soit digne de toi. 6+6 b
5 Muse, je te dois tout,mes courts instants de joie. 6+6 a
Ma sereine vigueurà porter les ennuis, 6+6 b
La clarté qui m'attireet m'a montré ma voie. 6+6 a
Ce que j'ai rêvé d'êtreet le peu que je suis. 6+6 b
Toi seule, à travers l'âmeet la nature entière, 6+6 a
10 As porté devant moil'infaillible flambeau, 6+6 b
O Muse ! Et c'est par toi,ma force et ma lumière, 6+6 a
Que j'essayai le bien,que j'entrevis le beau. 6+6 b
Tu m'as fait adorerdes splendeurs invisibles 6+6 a
Dans la morne épaisseurdes ombres d'ici-bas ; 6+6 b
15 Tu m'as fait parcourir,aux seuls endroits paisibles. 6+6 a
Ce globe ensanglantépar tant d'affreux combats. 6+6 b
J'ai passé, plein de toi,sur les monts, sur les pentes. 6+6 a
Dans les halliers impurs,au bord d'infectes eaux 6+6 b
Prodigues de poisonset de bêtes rampantes… 6+6 a
20 Je n'ai vu que le ciel,ouï que les oiseaux. 6+6 b
Sur l'ortie et l'ajonctu me cueillais des roses, 6+6 a
De douces pommes d'orsur les hideux buissons ; 6+6 b
Des funèbres soupirssortant de toutes choses 6+6 a
Tu m'aidais à formerde joyeuses chansons. 6+6 b
25 Dans la ville, au milieudes haines, des souillures, 6+6 a
Tu peuplais de tes fleursmes austères chemins ; 6+6 b
Par toi, sourd aux clameurs,à l'envie, aux injures, 6+6 a
Je bénissais la terreet j'aimais les humains. 6+6 b
Soigneuse de mon cœur,comme une chaste mère, 6+6 a
30 Sous tes voiles d'azurlu me cachais le mal ; 6+6 b
J'ai marché sans rien voirde bas et d'éphémère, 6+6 a
Ne quittant pas des yeuxl'éternel idéal. 6+6 b
Dans ce siècle haineux l'on s'entre-dévore, 6+6 a
Croyant de la beauté,j'ignorais nos laideurs ; 6+6 b
35 Tu dirigeais ma foivers la future aurore, 6+6 a
Et j'y nageais d'avanceen des flots de splendeurs. 6+6 b
Tu me gardais, ô Muse,enfant parmi les hommes : 6+6 a
Hier encore, en pleurantdes forfaits odieux, 6+6 b
Je nous voyais meilleurs,hélas ! que nous ne sommes, 6+6 a
40 Et la seule vieillessea dessillé mes yeux. 6+6 b
Alors tu m'as sauvédu doute et du blasphème, 6+6 a
Grâce au noble avenirqu'il est bon d'entrevoir ; 6+6 b
Tu m'emportas sans cesseau-dessus de moi-même ; 6+6 a
J'y trouve et j'y conserveune vertu, l'Espoir. 6+6 b
II
45 Muse, as-tu bien connula ferveur de mon culte ? 6+6 a
Sais-tu ce que j'ai faitdans l'ombre, à chaque pas, 6+6 b
Pour qu'un grain de poussièreet l'ombre d'une insulte 6+6 a
Sur tes pieds adorésne rejaillissent pas ? 6+6 b
Je te portais en moicomme on porte un calice, 6+6 a
50 Et tenant haut mon cœurdépouillé de mes sens, 6+6 b
Tel qu'un prêtre à l'auteldurant le sacrifice. 6+6 a
Je te cachais aux yeuxsous des voiles d'encens. 6+6 b
Je ne t'enseignai pointl'ivresse et le délire : 6+6 a
L'esprit pur dans mes versdomptait la passion. 6+6 b
55 Et je n'ajoutai pasune corde à ta lyre 6+6 a
Pour la mollesse infâmeou l'âpre ambition. 6+6 b
Je n'ai point détrempétes fibres sous mes larmes : 6+6 a
Rebelle aux vains plaisirscomme aux lâches douleurs, 6+6 b
Je n'ai pleuré qu'au tempsdes civiques alarmes, 6+6 a
60 Et je portais du fersous tes myrtes en fleurs. 6+6 b
Je ne t'ai jamais faitencenser le vulgaire ; 6+6 a
Jamais pour des bravos,ou pour des gains plus sûrs, 6+6 b
Mon vers ne courtisa,pâle thuriféraire, 6+6 a
L'obscène multitudeou les pouvoirs impurs. 6+6 b
65 Ami des laboureurs,du peuple qui travaille, 6+6 a
J'ai dit sa vertu simpleet soutenu ses droits ; 6+6 b
Mais je n'ai pas hurléd'hymnes à la canaille 6+6 a
Après avoir chantéles naissances des rois. 6+6 b
Je sais en quel mépris,reine de l'harmonie, 6+6 a
70 Tu tiens les vils railleurset leur rire hébété ; 6+6 b
L'amour et le respectsont l'âme du génie ; 6+6 a
Il combat et s'indigneavec sérénité. 6+6 b
Tes saints courroux n'ont riendes fureurs populaires. 6+6 a
Quand Dieu t'appelle à l'œuvreet qu'il faut obéir, 6+6 b
75 Le pur enthousiasmeéclate en tes colères, 6+6 a
Et, terrible aux méchants,tu frappes sans haïr. 6+6 b
Ainsi, lorsque alarméde sinistres augures, 6+6 a
J'ai suscité ton fouetsous un règne fatal, 6+6 b
Je ne t'abaissais pasà venger mes injures, 6+6 a
80 Et je n'eus, comme loi,d'ennemi que le mal. 6+6 b
Soldat de l'idéal,vengeur des droits de l'âme, 6+6 a
Je ne t'ai point soumiseaux tribuns insensés, 6+6 b
Et de sa gaine d'orje n'ai tiré ta lame 6+6 a
Qu'au nom de la pudeuret des dieux offensés. 6+6 b
85 Un seul jour, l'œil sanglantet l'écume à la bouche, 6+6 a
J'ai voulu de ma haineembraser tous les cœurs, 6+6 b
Je t'ai de Némésisprêté l'accent farouche 6+6 a
La France agonisaitsous d'horribles vainqueurs. 6+6 b
Toi qui sondas mes reins,ma poitrine meurtrie. 6+6 a
90 Muse, et seule as comptétous les pleurs de mes yeux. 6+6 b
Tu sais si je frémisà ce mot : la Patrie, 6+6 a
Tu sais l'ardent amourque je porte aux aïeux ! 6+6 b
Muse ! avant que je rentreen l'éternel silence. 6+6 a
Témoignons devant tousde notre ferme foi : 6+6 b
95 Répétons-le, tous deux,ce nom sacré de France 6+6 a
Tu le feras redireà de meilleurs que moi. 6+6 b
J'ai fait ce que j'ai pu !languissante et fragile, 6+6 a
Ma fibre a sous tes doigtsfaiblement résonné : 6+6 b
J'ai confessé, du moins,la France et l'Évangile, 6+6 a
100 J'ai fait ce que j'ai puje serai pardonné ! 6+6 b
Qu'importe si la fouleignore mes ouvrages ! 6+6 a
Tu ne m'as rien dictéqui me laisse un remords. 6+6 b
Et nul fantôme impurévoqué de mes pages 6+6 a
Ne troublera mon âmeà l'heure de la mort. 6+6 b
III
105 Mais si je t'abritaides souillures humaines, 6+6 a
Si mon vers pur et fiergarda tes chastes lois, 6+6 b
Muse, ô mon seul recours,ma force dans mes peines, 6+6 a
Connais ma vie entièreet ce que je te dois. 6+6 b
Prêtresse des hauts lieux,sérénité suprême, 6+6 a
110 L'amour que j'ai pour toi,tu me l'as bien rendu 6+6 b
Contre les noirs destins,les hommes et moi-même, 6+6 a
Sur mes âpres sentierstu m'as bien défendu. 6+6 b
Par toi, sans m'arracherune note plaintive. 6+6 a
Le mal sur moi s'épuiseet j'en reste vainqueur ; 6+6 b
115 Sous l'ongle du vautourqui ronge ma chair vive 6+6 a
Mes vers calmes et fortsjaillissent de mon cœur. 6+6 b
Qu'est-ce que la douleur ?Effroyable mystère 6+6 a
Qui torture l'espritaussi bien que le corps ! 6+6 b
Mais ces cris de mes os,ta voix les a fait taire, 6+6 a
120 Et tu forces mon âmeà rendre des accords. 6+6 b
Pour arriver à toitout m'était un obstacle. 6+6 a
Les besoins du présent,l'effroi de l'avenir… 6+6 b
Mais j'avais entr'ouvert,un soir, ton tabernacle, 6+6 a
Et dès qu'on t'apeoiton veut t'appartenir. 6+6 b
125 Je l'ai voulu ! poussé,forcé sur d'autres routes. 6+6 a
Mais vers ce but toujoursdirigeant mon sillon ! 6+6 b
Je l'ai voulu ! j'osai,malgré mes propres doutes ; 6+6 a
Les sarcasmes des sotsm'étaient un aiguillon. 6+6 b
Jamais, sur tes autels,les sombres destinées 6+6 a
130 Ne laissaient ma ferveurs'épandre un jour entier ; 6+6 b
Mais je te retrouvaisen mes nuits obstinées 6+6 a
Et j'oubliais dans l'artles soucis du métier. 6+6 b
La vie est un combat,telle est la loi commune : 6+6 a
Et l'amant du vrai beau,le poète insoumis, 6+6 b
135 L'homme qui tient son cœurplus haut que sa fortune 6+6 a
Lui qui ne veut qu'aimern'a que des ennemis. 6+6 b
Au vol de l'esprit pur,ici-bas, tout s'oppose ; 6+6 a
Les biens comme les mauxretardent son essor, 6+6 b
Mille obstacles chéristiennent la route close, 6+6 a
140 A chaque heure qui sonneil en survient encor ; 6+6 b
Je les connus bien peu,ces obstacles qu'on aime ! 6+6 a
Mille ennemis plus fortsnous tenaient séparés, 6+6 b
O Muse, et pour l'honneur,pour la vie elle-même. 6+6 a
Ce sont de vrais combatsque nous avons livrés. 6+6 b
145 Grâce à loi j'ai vaincu !mon œuvre est achevée, 6+6 a
Mais tu sais à quel prixet sous quelles clameurs. 6+6 b
Mon œuvre ! elle n'est pascelle que j'ai rêvée ; 6+6 a
Merci pourtant, ô Muse,elle est faite et j'en meurs ! 6+6 b
Jamais la paix, un jourcertain, un travail libre ! 6+6 a
150 Sur toutes mes ardeurssoufflait un froid mauvais. 6+6 b
Un ongle dans mes flancsdéchirait quelque fibre, 6+6 a
Mais je prenais ta mainet tu me relevais. 6+6 b
Aux heures de l'espritheurtant ma faible porte 6+6 a
Et de son poing grossierbrisant tous les verroux, 6+6 b
155 La prose, chaque jourplus altière et plus forte, 6+6 a
Faisait tonner chez moises stupides courroux. 6+6 b
Mon sang se révoltaitdans ma chair frémissante, 6+6 a
Je tombais éperdu,Muse, de ta hauteur ; 6+6 b
Mais toi, tu ravivaisl'âme toute-puissante 6+6 a
160 Et reprenais ton œuvre,ô souffle créateur ! 6+6 b
Ainsi le vil caillou,lancé dans l'eau profonde, 6+6 a
La ride à la surfaceet l'agite un moment ; 6+6 b
Il ne saurait troublerpas plus qu'arrêter l'onde 6+6 a
Qu'une pente amoureuseentrne doucement. 6+6 b
165 Après un court frisson,je rentrais sur ma voie 6+6 a
Marchant vers les devoirsqui m'attendaient ailleurs, 6+6 b
Vers d'autres ennemisaffrontés avec joie. 6+6 a
Et je me reposaisdans ces combats meilleurs. 6+6 b
Oublions tout ! hormistes dons. Muse immortelle. 6+6 a
170 Qui me tiens libre et fortau sein de la douleur ; 6+6 b
Toi par qui chaque jourl'esprit se renouvelle, 6+6 a
Réchauffant mes vieux osde sa jeune chaleur. 6+6 b
Jusqu'ici, pas à pas,tu voulus bien me suivre. 6+6 a
Mais, pars, laisse-moi seul,je n'ai plus qu'à souffrir. 6+6 b
175 Porte à d'autres tes soins,j'ai fait mon dernier livre, 6+6 a
Va-t'en !… Tu reviendraspour m'aider à mourir ! 6+6 b
Tous ceux par qui je fushonnête homme et poète, 6+6 a
Et le père et la mèreet les braves aïeux, 6+6 b
Évoques avec toiseront à cette fête, 6+6 a
180 Lorsque ta douce mainme fermera les yeux. 6+6 b
Et je les rouvriraidans la lumière ardente 6+6 a
Dont le doute à jamaisfuit les rayons vainqueurs 6+6 b
Dans ces concerts ouïspar Virgile et par Dante, 6+6 a
, sans nuls désaccords,chanteront tous les cœurs. 6+6 b
185 Là, tu ne seras plusune autre que moi-même. 6+6 a
Ton esprit et le miense fondront sans retour ; 6+6 b
Et je m'enivrerai,dans notre hymen suprême. 6+6 a
D'éternelle raisonet d'éternel amour. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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