Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAP_15/LAP240
Victor de LAPRADE
LE LIVRE DES ADIEUX
1874-1880
V
A LA PATRIE
A MON AMI LE Vte CAMILLE DE MEAUX
I
Que t'importe d'entrer dans la terre promise. 6+6 a
Si tu vois sur ses tours nos drapeaux triomphants ; 6+6 b
Si du haut de l'Horeb, tu peux, avec Moïse, 6+6 a
Montrer d'un doigt certain la route à nos enfants ; 6+6 b
5 Si tu sais, dans ta foi, qu'une vertu se fonde. 6+6 a
Que ton dernier combat fut gagné sur le mal. 6+6 b
Que ta race et ton Dieu régneront sur le monde, 6+6 a
Que rien ne prévaudra contre ton idéal ! 6+6 b
Heureux qui meurt un jour de victoire complète. 6+6 a
10 Fier de sa juste cause et sûr de l'avenir ! 6+6 b
Pour le chef d'un grand peuple et pour son moindre athlète, 6+6 a
C'est ainsi qu'il est beau, qu'il est doux de finir ! 6+6 b
Quand nos derniers regards ont vu fuir le barbare, 6+6 a
Le Perse efféminé, l'exécrable Teuton… 6+6 b
15 Trois fois heureux le mort dont la tombe se pare 6+6 a
D'un de ces noms vengeurs : Bouvine ou Marathon ! 6+6 b
Dès que ses yeux sont clos, sa vision commence, 6+6 a
Et déjà dans son cœur dont tout le sang a fui. 6+6 b
Il a senti couler l'âme d'un peuple immense : 6+6 a
20 Les grands siècles futurs se lèvent devant lui. 6+6 b
C'est ainsi, pour nous faire une France immortelle, 6+6 a
Qu'ils tombaient souriant, nos superbes aïeux ; 6+6 b
Qu'ils ont, pendant mille ans, trouvé la mort si belle. 6+6 a
Qu'alors tout cœur de brave était un cœur joyeux. 6+6 b
25 On s'immolait, chacun à sa noble chimère, 6+6 a
A sa gloire, à son Dieu, — deux mots anéantis ! 6+6 b
L'homme ignorait encor la nature, une mère 6+6 a
Qui nous a créés tous serfs de nos appétis. 6+6 b
Il regardait le ciel, enivré d'espérance ; 6+6 a
30 Même en faisant le mal, il adorait le beau. 6+6 b
L'amour de l'invisible a fondé notre France ; 6+6 a
Lui ravir l'idéal, c'est la mettre au tombeau. 6+6 b
Son orgueil a visé plus haut qu'à la richesse ; 6+6 a
Il ne lui suffit pas d'un vulgaire bonheur ; 6+6 b
35 A travers la folie, à travers la sagesse, 6+6 a
Elle a vécu mille ans de ce seul mot : l'honneur ? 6+6 b
L'honneur, c'était la sève et le sang de nos veines, 6+6 a
Animant tous les cœurs égaux malgré les lois, 6+6 b
Montant des pieds de l'arbre à ses branches lointaines 6+6 a
40 Jusqu'au royal sommet du grand chêne gaulois. 6+6 b
S'il tarit, si le Christ, dont la foule se raille, 6+6 a
Des gouttes de son sang ne veut plus le nourrir. 6+6 b
Si ce Dieu perd chez nous sa dernière bataille… 6+6 a
Le matin de ce jour, tâchons de bien mourir. 6+6 b
II
45 Partout l'effroi, partout de sinistres présages ! 6+6 a
On m'enseigne, et j'entends, la rougeur sur le front. 6+6 b
Que l'âme a disparu sous le scalpel des sages. 6+6 a
Que la bête nous reste et que les dieux s'en vont. 6+6 b
Tout est matière en moi, tout meurt ; le ciel est vide ! 6+6 a
50 Un esprit l'habitait, seul principe du bien ; 6+6 b
J'interrogeais, là-haut, un père, un maître, un guide… 6+6 a
Et d'horribles pédants m'ont répondu : « Plus rien ! » 6+6 b
Rien ! c'est ton dernier mot, ô science moderne. 6+6 a
Jouissons, s'il se peut ; rien avant, rien après ! 6+6 b
55 Rien ! l'appétit seul règne et le poignard gouverne : 6+6 a
Tous les rois subiront ses sauvages décrets. 6+6 b
Ni rois, ni dieux ! Là-bas, un espoir luit dans l'ombre ; 6+6 a
Un soleil inconnu se lève à l'horizon : 6+6 b
Saluez humblement le droit sacré du nombre. 6+6 a
60 Il sera la justice, il sera la raison. 6+6 b
On a voté ! La terre a reconnu son maître, 6+6 a
Un roi sans passions, sans erreurs, sans défaut ! 6+6 b
Il fait, défait, refait boussole et baromètre : 6+6 a
Le blanc devient le noir, le vrai devient le faux. 6+6 b
65 De par la liberté supprimons la prière ! 6+6 a
Vos enfants sont à nous, c'est écrit dans la loi : 6+6 b
Sous peine d'ilotisme, un fils de bonne mère 6+6 a
Devra livrer son âme à des cuistres sans foi. 6+6 b
Paris va luire, enfin, dans votre nuit rurale, 6+6 a
70 Paris veut que chacun apprenne, en chaque lieu, 6+6 b
D'un maître patenté d'hygiène et de morale 6+6 a
La culture du ventre et la haine de Dieu. 6+6 b
Vos temples font retour à la chose publique ; 6+6 a
Nous les renverserons… Mais on peut y surseoir : 6+6 b
75 Louons au plus offrant la vieille basilique, 6+6 a
Église le matin et bastringue le soir. 6+6 b
Une religion !… Mais qui donc s'en soucie ? 6+6 a
On veut jouir sans frein, sermonneur importun. 6+6 b
Dieu, c'est un mot gênant pour la démocratie ; 6+6 a
80 Le maître nous l'a dit : « C'est l'ennemi commun. » 6+6 b
Et je songe à demain !… Hier j'ai vu les otages, 6+6 a
On en pourrait revoir, et de pleins tombereaux ; 6+6 b
C'est le terme fatal de ces lâches outrages : 6+6 a
Après les insulteurs nous aurons les bourreaux. 6+6 b
85 Chantez le sang impur, vantez quatre-vingt-treize ! 6+6 a
La sottise, à pas lents, amène les horreurs. 6+6 b
Vous êtes les plus forts, prenez-en à votre aise : 6+6 a
Vous persécuterez… comme des empereurs. 6+6 b
Poursuivez, brisez tout, mettez-nous en poussière. 6+6 a
90 Et du saint Évangile éteignez les flambeaux. 6+6 b
Régnez, régnez longtemps… Sous votre main grossière 6+6 a
La France et la raison s'en iront par lambeaux. 6+6 b
Mais non !… Je ne dois pas finir par l'anathème, 6+6 a
Je fermerai mon cœur à ces haines d'un jour ; 6+6 b
95 J'ai fui leur vain tumulte et je rentre en moi-même : 6+6 a
J'y retrouverai Dieu, la patrie et l'amour. 6+6 b
III
Quand j'épelais ton nom, ô France, et ton histoire, 6+6 a
Je me sentais grandir, écolier triomphant. 6+6 b
Depuis que mon cœur bat, j'ai vécu de la gloire : 6+6 a
100 Le vieillard garde encor les ardeurs de l'enfant. 6+6 b
Ah ! je t'ai bien aimée, et du fond des entrailles ! 6+6 a
Même à travers ces temps où je n'ai pas vécu. 6+6 b
Mon âme était présente à tes grandes batailles, 6+6 a
Et je sais ce que c'est que de mourir vaincu. 6+6 b
105 Mais je sais qu'on revit, après mille défaites, 6+6 a
A force de vertu, pur d'orgueil et de fiel ; 6+6 b
Je sais pour tes soldats ce qu'ont pu tes prophètes, 6+6 a
Rien qu'en tenant leurs cœurs élevés vers le ciel. 6+6 b
Je ne cesserai point d'aiguillonner les âmes, 6+6 a
110 De leur crier, plus haut ! quand tout les pousse en bas, 6+6 b
De prêcher le mépris des vanités infâmes… 6+6 a
C'est ainsi qu'on les dresse à de meilleurs combats. 6+6 b
D'autres, plus mollement, sculptent l'or et l'ivoire ; 6+6 a
Dans cet art je m'incline et j'ai plus d'un vainqueur ; 6+6 b
115 Je prescris le devoir, la lutte méritoire, 6+6 a
Et j'ai tâché d'apprendre à gouverner mon cœur. 6+6 b
Si l'homme encore intact et qui vient de me lire, 6+6 a
Devant le bon chemin hésite un seul moment. 6+6 b
Si quelques sons douteux s'échappent de ma lyre… 6+6 a
120 Je brise et foule aux pieds le perfide instrument. 6+6 b
Peut-être ai-je lancé des rimes trop amères 6+6 a
Et trop d'âpres dédains aux puissances du jour ; 6+6 b
Mais Dieu sait si l'orgueil alluma ces colères : 6+6 a
La vigueur de ma haine attestait mon amour. 6+6 b
125 Je la puis avouer… et l'écarter sans honte ; 6+6 a
Je sais ce que je garde et je vois l'avenir : 6+6 b
Mon cœur sent, de partout, l'éternité qui monte… 6+6 a
C'est une ardeur d'aimer, d'espérer, de bénir ! 6+6 b
Elle me vient dicter mon suprême cantique ; 6+6 a
130 Les présages meilleurs abondent… et je veux, 6+6 b
A l'heure du départ, comme un rapsode antique, 6+6 a
Sur tout ce que j'aimais répandre à (lots mes vœux. 6+6 b
Sur toi d'abord, ô terre, ô plaines, ô montagnes, 6+6 a
Pour que Dieu multiplie, avec le sang gaulois. 6+6 b
135 Les présents du travail dans nos rudes campagnes, 6+6 a
Et les fortes vertus, filles des justes lois ; 6+6 b
Pour qu'un soleil plus pur et vainqueur des orages 6+6 a
Repeuple tes coteaux de leurs ceps généreux ; 6+6 b
Pour que les grands esprits, issus des grands courages. 6+6 a
140 Renaissent de tes flancs et qu'ils s'aiment entre eux ; 6+6 b
Pour que nos fiers printemps aient de sages automnes. 6+6 a
Des fruits qu'après nos fleurs on nous puisse envier, 6+6 b
Et que la paix nous tresse, en solides couronnes. 6+6 a
De l'une à l'autre mer, le chêne et l'olivier ; 6+6 b
145 Sur nos vieilles cités, mères de l'industrie, 6+6 a
Pour que l'âme y grandisse à l'abri des clameurs ; 6+6 b
Sur tout ce que j'adore en ce seul mot : Patrie… 6+6 a
Pour la beauté des arts qui fait celle des mœurs ; 6+6 b
Pour que ta France, ô Christ, en miracles abonde. 6+6 a
150 Que son peuple soit tien, triomphant ou souffrant, 6+6 b
Et qu'on dise à jamais dans l'histoire du monde : 6+6 a
(( L'œuvre de Dieu s'y fait des mains du peuple franc. » 6+6 b
Cher pays, je m'en vais dormir sous tes grands chênes. 6+6 a
D'un inutile amour j'emporte les remords. 6+6 b
155 Pourtant, s'il faut livrer des batailles prochaines, 6+6 a
Parmi tes bons soldats compte aussi tes vieux morts. 6+6 b
Tu le sais mieux que moi, chère âme de la France, 6+6 a
Les amours que Dieu veut survivent au trépas ; 6+6 b
Tous ceux qui dans le Christ ont mis leur espérance, 6+6 a
160 L'immense éternité ne les sépare pas. 6+6 b
Aux œuvres d'ici-bas, fidèles ouvrières. 6+6 a
Les âmes de nos morts ont la meilleure part ; 6+6 b
Il se forme un faisceau d'indomptables prières, 6+6 a
Des légions d'esprits qui vaincront tôt ou tard. 6+6 b
165 Du jour où tu reçus ton illustre baptême, 6+6 a
Où le Christ a dressé tes premiers bataillons, 6+6 b
Du temps des vieux croisés à notre temps lui-même, 6+6 a
Tes soldats dans le ciel comptent par millions. 6+6 b
Revêtus à jamais de l'armure des anges. 6+6 a
170 Ils veillent sur ta gloire, ils veillent sur ta foi ; 6+6 b
Ton plus obscur enfant, admis dans ces phalanges, 6+6 a
Sous d'invincibles chefs y combattra pour toi. 6+6 b
Demeure à ta charrue, oublie un peu ton glaive ; 6+6 a
Garde la patience, et souffre s'il le faut : 6+6 b
175 Mais si des grands combats demain le jour se lève. 6+6 a
Affronte-les sans peur… Ils sont gagnés là-haut. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université