Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAP_14/LAP215
Victor de LAPRADE
VARIA
1844-1879
X
LE FAUNE
POÈME
I
Le chêne est vieux ; les ans, les vents et le tonnerre 6+6 a
Ont fait brèche à son front quatre fois centenaire. 6+6 a
Squelette immense, au loin, dans la brume des soirs, 6+6 b
Il tord sous un ciel gris sas bras noueux et noirs. 6+6 b
5 Sur ses minces rameaux tremble un feuillage rare. 6+6 a
Le prodigue printemps pour lui s'est fait avare ! 6+6 a
Dans le concert de juin il se tait, il est seul. 6+6 b
La mousse étend sur l'arbre un bleuâtre linceul ; 6+6 b
Sur ses branches le gui, sur ses pieds la fougère 6+6 a
10 Tout ce qu'il a de vert est de sève étrangère. 6+6 a
Les oiseaux de l'amour ne s'y posent jamais : 6+6 b
De sinistres bavards fréquentent ses sommets ; 6+6 b
Chargeant de leurs nids lourds ses tiges les plus hautes, 6+6 a
La pie et le corbeau font fuir de plus doux hôtes. 6+6 a
15 En bas le sol est nu ; pas une fleur autour 6+6 b
De ce tronc caverneux, large comme une tour. 6+6 b
Fine et rare aux abords, l'herbe se montre à peine 6+6 a
La terre s'épuisa pour former ce grand chêne. 6+6 a
Mais le temps a miné le cœur du vieux géant ; 6+6 b
20 Sous l'écorce de fer s'ouvre un antre béant, 6+6 b
Profond, sombre, attestant mort ou décrépitude.. 6+6 a
En lui le vide, autour de lui la solitude. 6+6 a
II
Voici qu'une lueur se meut dans cette nuit ; 6+6 b
Une forme s'éclaire au fond du noir réduit. 6+6 b
25 Comme une vague aurore au sein de l'ombre éclose 6+6 a
Monte en s'illuminant, je ne sais quoi de rose ; 6+6 a
Et sur le seuil de l'antre inondé de soleil 6+6 b
Un faune adolescent s'assied blond et vermeil ; 6+6 b
Non tel qu'un dieu d'airain dans sa niche de marbre 6+6 a
30 Mais vif, riant, bercé comme une fleur sur l'arbre 6+6 a
A sa lèvre appliquant sa flûte de roseaux, 6+6 b
Mollement il en tire un air, un chant d'oiseaux, 6+6 b
Un chant simple et profond qui saisit et pénètre 6+6 a
Un air inattendu que l'on croit reconnaître, 6+6 a
35 Tant il sait, en accords justes et merveilleux, 6+6 b
Fondre le cri de l'âme avec la voix des lieux. 6+6 b
Or du premier roseau le son s'envole à peine. 6+6 a
Le dieu n'en est encor qu'à sa première haleine, 6+6 a
Et déjà près de lui, sur le sol maigre et nu, 6+6 b
40 Le printemps d'autrefois est partout revenu. 6+6 b
Le gazon clairsemé s'épaissit ; mille plantes 6+6 a
Enlacent le vieux tronc de leurs tiges grimpantes ; 6+6 a
Brodant de pourpre et d'or le velours du sainfoin, 6+6 b
Mille naissantes fleurs s'entremêlent au loin ; 6+6 b
45 Un frais parfum épanche avec les mélodies 6+6 a
L'insinuante odeur des feuilles reverdies ; 6+6 a
Et sur les vents chargés d'un invisible miel, 6+6 b
Un murmure infini vole entre terre et ciel. 6+6 b
L'hymne imprévu, joué par l'hôte du vieux chêne. 6+6 a
50 Ondule et se répand vers la forêt prochaine ; 6+6 a
Tout arbre en a frémi du mélèze au tilleul ; 6+6 b
Les jeunes rejetons parlent au sombre aïeul, 6+6 b
Et tous, comme un tribut joyeux et volontaire. 6+6 a
Font de leur peuple ailé sa part au solitaire. 6+6 a
55 Les nids les plus lointains, ou fauvette ou pinson, 6+6 b
Laissent fuir vers le chêne un hôte, une chanson ; 6+6 b
D'insectes et d'oiseaux chaque branche fourmille ; 6+6 a
Chaque haleine du vent y porte une famille ; 6+6 a
Et jusqu'aux blancs ramiers, ces modèles d'amour, 6+6 b
60 Tous les fils du printemps y tiennent une cour. 6+6 b
Mais le Faune joufflu, sur son trône d'écorce. 6+6 a
Dans la flûte de Pan souffle avec plus de force, 6+6 a
Et l'agile chanson court, par mille chemins. 6+6 b
Au renouveau du chêne invitant les humains : 6+6 b
65 Et des couples heureux sortis des métairies 6+6 a
Accourus en dansant à travers les prairies, 6+6 a
Fêtent, peuple innombrable et par l'amour uni. 6+6 b
L'arbre de Jupiter tout à coup rajeuni. 6+6 b
Dans son feuillage ému par le roseau sonore 6+6 a
70 Les voix de l'avenir savent parler encore ; 6+6 a
Son ombre à l'homme encor verse l'oubli des maux ; 6+6 b
Des lyres et des fleurs pendent à ses rameaux ; 6+6 b
Sur ses pieds tapissés de mousse et de pervenches 6+6 a
Il voit en souriant glisser les robes blanches ; 6+6 a
75 Sur le front du vieux roi la couronne a relui 6+6 b
Et l'hymne de la via éclate autour de lui. 6+6 b
III
Or le musicien vermeil, aux pieds de chèvre, 6+6 a
Du syrinx aux sept trous a retiré sa lèvre ; 6+6 a
Les roseaux inspirés ne rendent plus de son. 6+6 b
80 Lui, sans plus de souci, quitte de sa chanson. 6+6 b
Gai, tranquille et sans croire avoir fait ce miracle, 6+6 a
Sans donner un regard à tout ce grand spectacle, 6+6 a
Rustique, et comme on voit un gardeur de troupeaux, 6+6 b
Secouant par trois fois ses humides pipeaux 6+6 b
85 Franchit le seuil d'écorce, et dans l'arbre au creux sombre 6+6 a
I ! rentre et sans mot dire, il disparaît dans l'ombre. 6+6 a
Tout disparaît aussi, les oiseaux et les fleurs, 6+6 b
Les vierges aux doux yeux et les mille couleurs ; 6+6 b
Des prés, des cieux, des bois, la lumière elle-même ; 6+6 a
90 Tout meurt avec le bruit de la note suprême, 6+6 a
Avec le divin souffle emporté par le vent… 6+6 b
Le chêne est resté nu, noir seul comme devant. 6+6 b
IV
Mais de ses larges flancs où s'émousse la hache 6+6 a
Surgira mille fois l'hôte obscur qui s'y cache ; 6+6 a
95 Et le Faune immortel, réveillant les amours, 6+6 b
Si vieux que soit le chêne y chantera toujours. 6+6 b
Le monde encor verra de sa sombre demeure 6+6 a
L'adolescent sacré s'élancer à son heure, 6+6 a
Jouant de ses pipeaux, éternels comme lui, 6+6 b
100 Et, d'un souffle léger chassant le lourd ennui. 6+6 b
Sitôt qu'il reparaît, sitôt qu'il fait entendre 6+6 a
Sur les roseaux de Pan sa chanson vive et tendre. 6+6 a
Le prodige adoré s'accomplit dans les bois : 6+6 b
L'arbre est peuplé d'oiseaux, de fleurs, comme autrefois, 6+6 b
105 Égayé de festins et de rondes champêtres ; 6+6 a
Un frisson printanier fait bondir tous les êtres, 6+6 a
Et l'homme, enfin, connaît à des signes divers 6+6 b
Qu'un dieu jeune a souri dans le vieil univers. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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