Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAP_14/LAP214
Victor de LAPRADE
VARIA
1844-1879
IX
L'HEURE SACRÉE
L'azur étincelant sur les monts se déploie. 6+6 a
Des glaciers enchâssés dans le granit vermeil 6+6 b
Le diamant sourit ; les Alpes sont en joie ; 6+6 a
La forêt lumineuse aspire le soleil. 6+6 b
5 La terre se sent vivre en un calme suprême : 6+6 a
Les vaches aux flancs roux s'étendent sous les ifs ; 6+6 b
Le vent dort, l'herbe est tiède, et le torrent lui-même 6+6 a
Mugit sans menacer comme ces bœufs pensifs. 6+6 b
Pas un nuage au ciel, une ombre sur les choses. 6+6 a
10 Clarté dans le vallon, clarté sur la hauteur ; 6+6 b
Comme une blonde enfant sur un tapis de roses, 6+6 a
La nature se berce aux pieds du Créateur. 6+6 b
Hier grondaient, partout, la foudre et les vents sombres 6+6 a
Les coteaux déchirés roulaient des flots épais ; 6+6 b
15 Et, peut-être, ce soir, dans ses prochaines ombres, 6+6 a
Réserve un autre orage à la montagne en paix. 6+6 b
Mais rien dans la nature heureuse et confiante 6+6 a
Rien ne parle d'hier et ne songe à ce soir ; 6+6 b
Tout jouit du soleil et de l'heure présente. 6+6 a
20 Ce repos n'est mêlé ni de peur ni d'espoir. 6+6 b
Et moi j'en veux ma part de cette heure sacrée : 6+6 a
Qu'importe hier lugubre et demain ténébreux ! 6+6 b
Je prendrai pour conseil la nature adorée 6+6 a
Et forcerai mon cœur à se sentir heureux. 6+6 b
25 Ennuis, doutes, regrets, terreurs faites silence, 6+6 a
Tous les maux à souffrir et tous les maux soufferts ! 6+6 b
Je saurai, s'il le faut, saisir par violence 6+6 a
Cette paix que Dieu donne au docile univers. 6+6 b
J'ai fait en moi l'oubli, j'ai vaincu la chimère. 6+6 a
30 J'ai tué la douleur à force de vouloir ; 6+6 b
Dans mon cœur tout-puissant qui boit cette lumière, 6+6 a
Dieu seul et mes amours auront accès ce soir. 6+6 b
Parfums, rayons, accords, volupté qui ruisselle, 6+6 a
Je m'empare de tout sans craindre et sans choisir ; 6+6 b
35 Sur cette vaste mer de vie universelle, 6+6 a
Comme un cygne indolent, je me berce à loisir. 6+6 b
J'erre à travers ce monde et je m'en crois le maître ; 6+6 a
Chaque pas que j'y fais soulève une beauté ; 6+6 b
L'hôte secret des bois consent à m'apparaître ; 6+6 a
40 Mon rêve obéissant devient réalité. 6+6 b
Voici sur le sentier, légère et souriante, 6+6 a
Des fleurs à son corsage et dans ses blonds cheveux. 6+6 b
Voici la jeune Muse, objet de mon attente 6+6 a
Et qui vient d'elle-même écouter mes aveux. 6+6 b
45 Dans sa robe aux longs plis qui traîne sur la mousse 6+6 a
Comme un lis élégant sous les arbustes verts 6+6 b
Sa taille se balance, et sa voix claire et douce 6+6 a
De son rire argentin réjouit ces déserts. 6+6 b
Elle apporte à mon cœur un émoi que j'ignore, 6+6 a
50 Aux austères sommets un rayon de gaîté, 6+6 b
A l'ombre où j'ai dormi les roses d'une aurore 6+6 a
Et la note joyeuse à l'air que j'ai chanté. 6+6 b
Je reçois une fleur de son sein détachée, 6+6 a
Fleur d'où va me germer tout un jardin charmant : 6+6 b
55 Chaque pas de la belle, à mes côtés penchée, 6+6 a
Fait du moindre caillou jaillir un diamant. 6+6 b
Nous marchons, admirant, consultant toute chose 6+6 a
Du brin d'herbe au sapin, des prés aux vastes cieux. 6+6 b
Je cherche son regard où le mien se repose 6+6 a
60 Et je la vois plus belle encor que ces beaux lieux. 6+6 b
j'oublie à l'écouter la voix grave des heures, 6+6 a
L'esprit de ces déserts dont j'aimais l'entretien, 6+6 b
Ces bois qui m'ont dicté mes chansons les meilleures. 6+6 a
Elle parle… Et mon cœur n'entend plus que le sien. 6+6 b
65 Le mot, le mot sacré qu'elle hésitait à dire 6+6 a
Sa bouche en un baiser sur mon front le finit ; 6+6 b
Le refus expirant s'éteint dans un sourire… 6+6 a
Tous les oiseaux d'amour ont chanté dans leur nid. 6+6 b
Qu'importe si plus tard la colombe s'envole. 6+6 a
70 Si mon rêve effacé disparaît sans retour. 6+6 b
Si de mon pur encens j'honorais une idole, 6+6 a
Si tout était mensonge excepté mon amour ! 6+6 b
Si la Muse insensible a changé de caprice 6+6 a
Et follement demain rit de me voir souffrir… 6+6 b
75 Qu'importe ! je lui dois l'extase créatrice 6+6 a
Et cette heure vivra quand j'en devrais mourir. 6+6 b
Rien ne m'ôtera plus ce que j'ai reçu d'elle ; 6+6 a
J'ai plongé tout mon cœur dans les cieux entr'ouverts 6+6 b
J'ai pris son âme entière et l'ai faite immortelle ; 6+6 a
80 J'ai forcé notre amour à durer dans mes vers. 6+6 b
Vienne l'épaisse nuit, que l'exil recommence, 6+6 a
Que le monde m'étreigne et que j'y sois vaincu, 6+6 b
Que j'y maudisse encor ma solitude immense !… 6+6 a
Un beau jour a suffi, j'ai pleinement vécu. 6+6 b
85 J'ai cueilli le meilleur de tout, la fleur suprême ; 6+6 a
J'ai vu ce lieu charmant par l'amour embelli, 6+6 b
Et j'ai senti mon cœur habité par Dieu même 6+6 a
Grand comme la nature et comme elle rempli. 6+6 b
Et j'attends désormais l'heure douce et terrible 6+6 a
90 Où cet azur, ces bois, mon amour, sa beauté, 6+6 b
Tout ce monde éclipsé par un monde invisible, 6+6 a
Tout s'évanouira devant l'éternité. 6+6 b
J'irai dans l'infini, n'ayant terreur ni doute ; 6+6 a
Aux portes de ce ciel je suis déjà venu ; 6+6 b
95 L'amour vers ces splendeurs m'aura frayé la route 6+6 a
Et j'y trouverai Dieu comme un hôte connu. 6+6 b
Et je ne saurai plus si j'ai souffert encore. 6+6 a
Quel rêve a tourmenté mes lugubres sommeils… 6+6 b
Ce beau soir d'un seul bond rejoindra cette aurore., 6+6 a
100 L'oubli couvrira tout entre ces deux soleils. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université