Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
LAP_14/LAP209
Victor de LAPRADE
VARIA
1844-1879
IV
UTOPIE
A MON AMI ALFRED DE VIGNY.
I
Quand la lumière eut percé l'ombre 8 a
Des éléments tumultueux, 8 b
Quand l'homme apparut dans le nombre 8 a
De tes habitants monstrueux, 8 b
5 O Terre, ô puissante nature, 8 a
Dans cette infime créature 8 a
Qui te contemple avec effroi, 8 a
Dans ce dernier né de la fange, 8 b
Sous la brute as-tu senti l'ange, 8 b
10 O Terre, as-tu connu ton roi ? 8 a
Perdu dans son terrible empire, 8 a
Vois-le, seul en sa nudité ; 8 b
Tout le menace, et tout conspire 8 a
Contre sa frêle royauté : 8 b
15 Sous ses pas le sol tremble et fume, 8 a
Un mont croule, un volcan s'allume, 8 a
La mer vomit les grandes eaux ; 8 a
Impur géant des premiers âges, 8 b
L'hydre, autour des longs marécages, 8 b
20 Souffle la mort de ses naseaux. 8 a
Un arbuste, un fruit sans défense, 8 a
Un insecte au venin subtil. 8 b
Tout cache à sa débile enfance 8 a
Quelque mystérieux péril ; 8 b
25 Que pourra sa main désarmée ? 8 a
D'ennemis la terre est semée ; 8 a
Vivra-t-il même une saison ? 8 a
Pour lutter avec la matière, 8 b
Pour vaincre la nature entière, 8 b
30 Quelle est sa force ? la raison. 8 a
II
Il pense, la nature | est dès lors sa vassale ; 6+6 a
L'âme agite la masse | inerte et colossale. 6+6 a
va pensée asservit | le granit et l'airain, 6+6 a
L'esprit fait circuler | la sève dans la plante, 6+6 b
35 Il déchaîne la neige | ou la lave brillante ; 6+6 b
Des éléments discords | l'esprit est souverain. 6+6 a
Pensée, esprit, raison, | c'est la force qui crée ; 6+6 a
C'est, après les six jours, | la parole sacrée 6+6 a
Qui dit : c'est bien ! devant | son ouvrage accompli, 6+6 a
40 La raison, c'est l'essieu | sur qui tourne le globe, 6+6 b
C'est le germe des fleurs | dont l'été peint sa robe, 6+6 b
Le souffle lumineux | dont l'espace est rempli. 6+6 a
Dans l'univers, à flots | elle s'est élancée ; 6+6 a
Et, sur la terre, elle a | son siège en ta pensée, 6+6 a
45 Homme, sa voix te parle | à toute heure, en tout lieu ; 6+6 a
Toi seul peux librement | l'aimer et t'y soumettre. 6+6 b
De l'aveugle matière | elle te rend le maître ; 6+6 b
La nature obéit, | car la raison : c'est Dieu. 6+6 a
III
Va donc, esprit humain, | dans cette arène immense ; 6+6 a
50 Dieu même en toi soutient | la lutte qui commence. 6+6 a
A ton tour, imitant | l'œuvre de ton auteur, 6+6 a
O fils semblable à lui, | tu seras créateur ! 6+6 a
Mais lui seul est sans borne | en sa toute-puissance ; 6+6 a
Tu n'enfanteras rien | qu'à force de souffrance, 6+6 a
55 Tu devras lentement | prendre à Dieu ses secrets. 6+6 a
Patience et douleur, | c'est la loi du progrès. 6+6 a
Ah ! que la terre a bu | de sueurs et de larmes, 6+6 a
Depuis l'heure où contre elle | un homme a pris les armes 6+6 a
Où ses chênes, vaincus | pour la première fois, 6+6 a
60 Ont fait place aux cités | qui germaient sous les bois ; 6+6 a
Où, du fer tout récent | chargeant nos mains craintives 6+6 a
La hache a fait trembler | les forêts primitives, 6+6 a
Et de leur temple obscur | crevé l'épais rideau ; 6+6 a
Où les leviers ont pu | mouvoir le lourd fardeau 6+6 a
65 Des blocs cyclopéens | redressés en murailles ; 6+6 a
Où la bêche a des champs | entamé les entrailles ! 6+6 a
Déjà les animaux | servent l'homme, contraints 6+6 a
De prêter à nos bras | la vigueur de leurs reins. 6+6 a
Bientôt tous tes pouvoirs, | soumis l'un après l'autre, 6+6 a
70 Nature, contre toi, | viendront en aide au nôtre. 6+6 a
Chaque jour, au travail | l'homme courbe à son gré 6+6 a
Un être qu'en naissant | il avait adoré. 6+6 a
C'étaient ses jeux d'enfants ! | les nations adultes, 6+6 a
O nature, ont compris | tes puissances occultes, 6+6 a
75 Et, jusque dans tes flancs | déchirés et meurtris, 6+6 a
Des fluides secrets | le travail est surpris. 6+6 a
L'homme sait évoquer | et copier la vie ; 6+6 a
Il enferme en des corps | la force ainsi ravie, 6+6 a
Et désormais sans crainte, | avec le feu fatal, 6+6 a
80 La main de Prométhée | anime le métal. 6+6 a
IV
De quelle ambition plus haute 8 a
Peux-tu donc t'enivrer encor. 8 b
Homme, infatigable Argonaute 8 a
De l'éternelle toison d'or ? 8 b
85 Tes pères, sur leurs nefs rapides, 8 a
Ont déjà dans les Hespérides, 8 a
Dans les mystiques Atlandides, 8 a
Cueilli le fruit de l'inconnu ; 8 a
Ton cœur, que nul effort n'épuise, 8 b
90 Rêve un autre monde et méprise 8 b
Tous ceux dont il est revenu. 8 a
Le volcan rentre en sa caverne ; 8 a
L'hydre expire en son lit fangeux : 8 b
Ton bras emprisonne et gouverne 8 a
95 Le cours des fleuves orageux. 8 b
Depuis les monstres d'Érymanthe, 8 a
Le lion, la louve écumante, 8 a
En vain la nature fermente ; 8 a
Tu n'as point d'ennemis nouveaux ; 8 a
100 Et cependant, pour ton Hercule, 8 b
Un désir infini recule 8 b
La borne des douze travaux. 8 a
Les vallons, la plaine assainie, 8 a
Roulent des flots d'épis pour toi. 8 b
105 Des caps lointains le vieux génie 8 a
Te voit passer avec effroi. 8 b
Les bois, ces voiles de la terre, 8 a
Les antres n'ont plus de mystère. 8 a
Ta maison couvre le cratère ; 8 a
110 Et la colline au flanc divin, 8 a
Au lieu de cendre et de fumée, 8 b
Des prés, de la vigne embaumée, 8 b
Fait couler le lait et le vin. 8 a
Avec des monts que tu déplaces, 8 a
115 Sur d'autres sommets, tous les jours, 8 b
Tes mains, qui ne sont jamais lasses. 8 a
Dressent les villes et les tours ; 8 b
Sur leur cime démesurée 8 a
Tu lèves ta tête assurée ; 8 a
120 Des astres la plaine azurée 8 a
S'abaisse au niveau de tes yeux ; 8 a
Et si, pour te réduire en poudre, 8 b
Un dieu, là-haut, cherchait sa foudre, 8 b
Tu sais la dérober aux cieux. 8 a
125 Tu sais fabriquer un tonnerre ; 8 a
A ton caprice, il frappe ou dort, 8 b
Et caché, du fond de ton aire, 8 a
Au loin tu promènes la mort ; 8 b
Le salpêtre que tu déchaînes 8 a
130 Fait, sur les montagnes prochaines, 8 a
Partir le granit et les chênes, 8 a
Voler Pélion sur Ossa ; 8 a
Au ciel, qui garde le silence. 8 b
C'est un nouveau Titan qui lance 8 b
135 Les rochers que l'autre entassa. 8 a
Sous terre, dans les lacs de soufre. 8 a
Tu plonges ton avide main ; 8 b
Les grandes mers n'ont pas un gouffre 8 a
Qui puisse barrer ton chemin ; 8 b
140 Au bout d'un horizon sans borne, 8 a
Où la nuit voile, en un ciel morne, 8 a
L'Ours, la Vierge et le Capricorne, 8 a
Ton vaisseau sait trouver le port. 8 a
Et lu vois ces nouvelles grèves 8 b
145 Vers qui se tournaient tes longs rêves. 8 b
Comme l'aimant se tourne au nord. 8 a
Plus haut que l'aigle et le nuage, 8 a
L'air léger que tu rends captif, 8 b
Comme une étoile qui voyage, 8 a
150 Berce dans les cieux ton esquif. 8 b
Tu perces d'une agile sonde 8 a
Du globe l'écorce profonde, 8 a
Et des premiers âges du monde 8 a
Tu ressuscites les débris ; 8 a
155 Jusqu'à la centrale fournaise 8 b
Tous les secrets de sa genèse, 8 b
Ta sagesse les a surpris. 8 a
V
Laisse enfin reposer | ta pensée inquiète, 6+6 a
Homme, que manque-t-il | encore à ta conquête ? 6+6 a
160 Tu perçois le tribut | des éléments soumis. 6+6 a
Qu'exiges-tu de plus | de ces vieux ennemis ? 6+6 a
VI
« Je veux, prompt comme un dieu, | sillonnant mon domaine, 6+6 a
Qu'un flamboyant coursier | sans trêve m'y promène 6+6 a
Des sables du Tropique | au glacier boréal. 6+6 a
165 Je veux, le même jour, | suivre à ma fantaisie, 6+6 b
Sous le chêne d'Europe | ou le palmier d'Asie, 6+6 b
Mon rêve où j'entrevois | le soleil idéal. 6+6 a
« Je me veux affranchir | de tous travaux serviles ; 6+6 a
Je veux pour ouvriers, | dans mes champs, dans mes villes, 6+6 a
170 Animer des métaux | le peuple souterrain. 6+6 a
Avec mes lourds taureaux, | mes chevaux, mes molosses. 6+6 b
Je veux à m'obéir | dresser d'ardents colosses 6+6 b
Au cœur de flamme, aux bras d'airain. 8 a
« Puisque ici-bas mes jours, | dont nul ne doit renaître. 6+6 a
175 Sont si courts pour aimer, | pour agir, pour connaître, 6+6 a
Que l'œuvre plus rapide | allonge les instants ! 6+6 a
Je veux faire tenir | dans une heure de vie 6+6 b
Un siècle tout entier | du bonheur que j'envie, 6+6 b
Anéantir l'espace, | éterniser le temps ! » 6+6 a
VII
180 Tel est notre âge, épris | de superbes pensées ; 6+6 a
Qui donc ose sourire | et les dire insensées ? 6+6 a
Dieu seul peut mesurer | la carrière à nos pas ; 6+6 a
L'Océan a son lit, | notre âme ne l'a pas. 6+6 a
Prométhée a trouvé | dans sa forge profonde 6+6 a
185 L'inflexible levier | qui doit mouvoir le monde. 6+6 a
Et qui, par le secours | de quelques gouttes d'eau, 6+6 a
Peut d'Atlas fatigué | soutenir le fardeau. 6+6 a
Quel pouvoir, tout à coup, | donne à cette eau paisible 6+6 a
Des poumons du volcan | le souffle irrésistible ? 6+6 a
190 Ce n'est qu'un charbon vil, | mais touché par le feu, 6+6 a
Et le feu c'est l'agent | du soleil et de Dieu. 6+6 a
VIII
Le feu, le vrai nom, le symbole 8 a
De l'amour souverain moteur ! 8 b
Il s'élance avec la parole 8 a
195 De la lèvre du Créateur. 8 b
Verbe qui rayonne et pénètre, 8 a
Dans l'espace à flots sème l'être. 8 a
Il est l'éternelle action. 8 a
Le feu, père de toute force, 8 b
200 Qui de ce globe ouvre l'écorce, 8 b
Élément de l'expansion ! 8 a
La vie en flammes jaillissantes 8 a
Court sur la terre et dans les cieux. 8 b
Des sphères d'or retentissantes 8 a
205 Le feu fait tourner les essieux ; 8 b
C'est l'amour du Dieu qui nous aime ; 8 a
Il est sorti de son sein même, 8 a
Il a fécondé le chaos ; 8 a
Il tira les cieux et la terre 8 b
210 Du fond de l'être solitaire 8 b
Dont l'esprit flottait sur les eaux. 8 a
Dès qu'à l'homme enfant le révèle 8 a
Du génie un heureux larcin, 8 b
Les arts dans la cité nouvelle 8 a
215 Arrivent en joyeux essaim. 8 b
C'est le feu qui métamorphose ; 8 a
Il fait obéir toute chose, 8 a
Il donne une âme au corps grossier ; 8 a
Du vase, à son toucher magique. 8 b
220 L'eau fuit d'un essor énergique 8 b
Et meut une forêt d'acier. 8 a
IX
Voyez ! un homme encore, | un ouvrier fragile 6+6 a
A fait vivre le fer | comme autrefois l'argile. 6+6 a
Le ciel cède, à la fin, | ses secrets au Titan. 6+6 a
225 De l'antre créateur | la machine animée 6+6 b
Sort plus rapide et mieux armée 8 b
Que Mammouth et Léviathan. 8 a
Regardez, sans terreur, | sous ses noires écailles. 6+6 a
Du monstre obéissant | palpiter les entrailles ; 6+6 a
230 Son cœur est un brasier | béant comme l'enfer. 6+6 a
Et l'onde, qui l'abreuve | en vapeurs dilatée. 6+6 b
D'une haleine précipitée 8 b
Soulève ses poumons de fer. 8 a
Quel coursier chimérique | et dévorant l'espace, 6+6 a
235 Quel dragon dans son vol, | quel aigle le dépasse ? 6+6 a
Soit que des longs railways | il suive les réseaux, 6+6 a
Ou qu'ébréchant les flancs | des larges promontoires, 6+6 b
Il fosse, au coup de ses nageoires, 8 b
Une tempête sur les eaux. 8 a
240 Quand l'hydre aux mille anneaux | dans les plaines rampantes 6+6 a
Roule d'énormes chars | un convoi qui serpente, 6+6 a
Lorsqu'au loin dans le ciel | sa crête rouge a lui, 6+6 a
A sa masse, à son bruit | de lave souterraine, 6+6 b
On dirait un volcan qui traîne 8 b
245 La chaîne des monts après lui. 8 a
Et le monstre, docile | aux caprices de l'homme. 6+6 a
Se plie aux vils travaux | de la bête de somme ; 6+6 a
Naguère il poursuivait | le mobile horizon. 6+6 a
Il va bientôt, aveugle | et le mors dans la gueule. 6+6 b
250 Tourner une incessante meule 8 b
Dans l'atelier, morne prison. 8 a
Ou bien, près du cratère | où la fonte s'allume, 6+6 a
De son bras de cyclope | il fait sur une enclume 6+6 a
Bondir, à temps égal, | les noirs et lourds marteaux ; 6+6 a
255 Ou, puisant au milieu | de la lave qui coule. 6+6 b
Il sait dans les contours du moule 8 b
Pétrir du doigt les durs métaux. 8 a
Il a tourné la roue | et mû l'agile rame ; 6+6 a
Sur le métier soyeux | où l'écharpe se trame 6+6 a
260 Il conduit la navette ; | et des fibres du lin, 6+6 a
La vierge aux doigts légers, | qu'à sa lèvre elle mouille, 6+6 b
Sur le fuseau de sa quenouille 8 b
Forme un fil moins souple et moins fin. 8 a
Avec Dieu même ainsi | l'art humain rivalise ; 6+6 a
265 De l'homme et du destin | la lutte s'égalise ; 6+6 a
Notre science engendre | un être et le nourrit ; 6+6 a
Dans son creuset magique, | au feu qui les amorce, 6+6 b
Les charbons se changent en force, 8 b
La matière devient esprit. 8 a
X
270 Quel penseur radieux, | à l'aube de ses veilles, 6+6 a
Vit poindre le premier | ces fécondes merveilles ? 6+6 a
Quel nom de demi-dieu | l'homme reconnaissant 6+6 a
Donnera-t-il au siècle | à ces clartés naissant, 6+6 a
Et, pour un Panthéon | où peu doivent descendre. 6+6 a
275 Quel peuple avec orgueil | peut réclamer sa cendre ? 6+6 a
Italie, est-ce toi, | prêtresse du vrai beau, 6+6 a
Dont le soleil de Grèce | alluma le flambeau ; 6+6 a
Sibylle aux longs regards | qui des déserts de l'onde 6+6 a
Par les yeux de Colomb | as vu surgir un monde ? 6+6 a
280 Allemagne ! ou bien toi, | qui, dans les champs du ciel, 6+6 a
Cueilles la pure idée | aux confins du réel. 6+6 a
Et dont le doigt profond | creuse avec patience 6+6 a
Les puits mystérieux | d'où jaillit la science ? 6+6 a
Ou loi, dont les métiers, | prompts comme tes vaisseaux 6+6 a
285 Travaillent jour et nuit | défendus par les eaux, 6+6 a
Angleterre ? ou bien toi, | dont le nom à ma bouche 6+6 a
Semble un souffle du ciel | embrasant ce qu'il touche, 6+6 a
Toi, France, dont mes vers, | en disant les grandeurs, 6+6 a
D'une lave sans fin | verseraient les ardeurs ? 6+6 a
XI
290 Mais, dans la pacifique arène 8 a
Ouverte aux sages curieux, 8 b
Où l'humanité devient reine 8 a
De ces pouvoirs mystérieux, 8 b
Il faut que des mains différentes 8 a
295 A ces luttes persévérantes 8 a
Viennent s'appliquer tour à tour ; 8 a
Il faut, pour enrichir ce globe 8 b
Des secrets qu'au ciel on dérobe, 8 b
Plus d'un seul peuple et d'un seul jour. 8 a
300 Ce hardi avisseur qui dompte 8 a
L'onde et le feu comme un coursier. 8 b
Qui donne une âme souple et prompte 8 a
A ce monstre aux muscles d'acier, 8 b
Il n'est pas fils de l'Allemagne, 8 a
305 De la France ou de la Bretagne ; 8 a
Pour lui le temps n'est pas compté ; 8 a
Il est plus vieux que notre histoire, 8 b
De son vaste laboratoire 8 b
L'horizon est illimité. 8 a
310 Nul penseur, nul divin artiste 8 a
De l'âge qui naît aujourd'hui 8 b
Ne peut, dans sa gloire égoïste. 8 a
Revendiquer le nom pour lui. 8 b
Ce sage, à la foi longue et ferme, 8 a
315 Qui découvrait hier le germe 8 a
Pour le faire éclore demain, 8 a
Il habite, en sa longue étude. 8 b
De l'une à l'autre latitude, 8 b
Il se nomme l'esprit humain ! 8 a
XII
320 Fils de l'homme, c'est bien ! | la nature est soumise ; 6+6 a
Ta liberté grandit | des forces qu'elle y puise. 6+6 a
Un nouveau serviteur, | docile et tout-puissant, 6+6 a
Fait passer sous ton joug | l'univers frémissant ; 6+6 a
Et l'inerte matière, | en te livrant sa flamme, 6+6 a
325 Augmente à ses dépens | le domaine de l'âme. 6+6 a
Quand ton coursier s'élance | à ton signal, ô roi. 6+6 a
L'espace t'appartient | et le temps est à toi ; 6+6 a
Tu vas, et des rochers | ton front perce les bases. 6+6 a
Tu remplis les vallons | des sommets que tu rases, 6+6 a
330 L'éclair traîne ton char, | la foudre est dans tes mains ; 6+6 a
Homme, que feras-tu | de ces dons surhumains ? 6+6 a
XIII
Dans le fer des leviers | quand l'âme semble entrée. 6+6 a
De ton cœur endurci | s'est-elle retirée ; 6+6 a
Faut-il voiler la lyre | et les autels en deuil ? 6+6 a
335 Ces ouvriers d'airain, | qu'un feu pur a fait naître, 6+6 b
Ne vont-ils préparer | des loisirs à leur maître 6+6 b
Que pour remplir ses jours | de luxure et d'orgueil ? 6+6 a
Des éléments vaincus | as-tu fait tes complices, 6+6 a
Pour mettre leur armée | aux ordres de tes vices ? 6+6 a
340 Sous le joug de la chair, | à ton tour, tu descends. 6+6 a
Dieu ne t'a-t-il donné | la ferme de sa vigne. 6+6 b
Que pour t'y voir cueillir, | ô serviteur indigne ! 6+6 b
La vendange impure des sens ? 8 a
XIV
La richesse, à flots entassée, 8 a
345 S'accroît dans tes mains chaque jour ; 8 b
Mais sera-t-elle dispensée 8 a
Par l'égoïsme ou par l'amour ? 8 b
Verrons-nous, les croyant bannies, 8 a
L'injustice et les tyrannies 8 a
350 Dans nos foyers rentrer plus tard ; 8 a
Des fruits de la terre promise 8 b
Que tant de douleurs ont conquise 8 b
Le pauvre obtiendra-t-il sa part ? 8 a
Verrons-nous une ère avilie, 8 a
355 Un siècle avare et sans essor. 8 b
Où toute grandeur s'humilie 8 a
Sous la main qui possède l'or ? 8 b
La science a trouvé des mondes, 8 a
Aplani les monts et les ondes, 8 a
360 Dompté leurs fauves habitants ; 8 a
Vers un autre Éden elle aspire ; 8 b
Est-ce pour en livrer l'empire 8 b
Aux sordides mains des traitants ? 8 a
Nos travaux rapprochent les villes. 8 a
365 Unissent les deux océans ; 8 b
Verrons-nous des haines civiles 8 a
Les abîmes toujours béants ? 8 b
Toujours l'un à l'autre contraires, 8 a
Ferons-nous du mal de nos frères 8 a
370 Le but de nos ambitions ? 8 a
Abjurons enfin nos discordes ; 8 b
Comme une lyre a plusieurs cordes, 8 b
La terre a plusieurs nations. 8 a
Tous enfin, la famille entière. 8 a
375 Riches, pauvres, grands et petits, 8 b
Avons-nous dompté la matière 8 a
Pour en garder les appétits ? 8 b
L'âge d'or vu par nos prophètes. 8 a
N'est-ce que du pain et des fêtes ? 8 a
380 Le cœur n'a-t-il donc pas ses maux ? 8 a
L'homme veut-il dans la nature 8 b
Ne rien chercher que la pâture 8 b
Qu'y trouvent de vils animaux ? 8 a
XV
O poète, ô pasteur | des humaines pensées, 6+6 a
385 Qui leur montres du doigt | les haltes avancées ; 6+6 a
Qui, suivant de l'amour | le flambeau toujours sûr, 6+6 a
Sais, loin du sable aride | et du marais impur, 6+6 a
A la flûte entraînant | les jeunes rêveries, 6+6 a
Les attirer aux fleurs | des divines prairies ; 6+6 a
390 Toi, dont le pas enseigne | au troupeau rallié 6+6 a
Du céleste bercail | le chemin oublié ; 6+6 a
Toi, dont la voix s'élève, | entre les voix charnelles. 6+6 a
Chaste et docile écho | des lyres éternelles ; 6+6 a
Toi, qui portes, dans l'or | de ton cœur filial, 6+6 a
395 Un rayon toujours chaud | du soleil idéal ; 6+6 a
Gardien du feu pur, | non, tu n'as pas à craindre 6+6 a
Qu'un souffle épais des sens | ne vienne à nous l'éteindre ; 6+6 a
Tu le sais mieux que nous : | un dieu nous tend la main ; 6+6 a
Chaque siècle vers lui | pousse le genre humain. 6+6 a
400 Donc, malgré cette nuit | qui l'obscurcit encore. 6+6 a
De l'âge industrieux | salue aussi l'aurore ; 6+6 a
Dis-nous l'Antée impur | par Hercule étouffé ; 6+6 a
Chante le dieu du jour | dont l'arc a triomphé ; 6+6 a
Vois Python expirant | dans sa fange se tordre, 6+6 a
405 Et des siècles meilleurs | naître le nouvel ordre. 6+6 a
Du haut des monts sacrés, | dominant nos combats. 6+6 a
Montre-nous cette terre | où tu n'entreras pas ; 6+6 a
Fais-nous voir, embrassant | l'un et l'autre hémisphère 6+6 a
Du champ donné par Dieu | ce que l'homme a su faire. 6+6 a
410 C'était peu de dompter | les taureaux écumants, 6+6 a
Il a mis sous le joug | même les éléments ; 6+6 a
Comme un dieu, désormais, | il crée à son image, 6+6 a
Et des êtres nouveaux | viennent lui rendre hommage ; 6+6 a
Un peuple industrieux | façonné de sa main 6+6 a
415 Des plus rudes labeurs | l'affranchira demain. 6+6 a
La terre, cultivée | avec art et prudence, 6+6 a
De moissons et de fruits | se couvre en abondance ; 6+6 a
Dans les vastes cités | qui n'ont plus de remparts, 6+6 a
La joyeuse concorde | en fait de justes parts, 6+6 a
420 Comme entre ses enfants | la mère de famille ; 6+6 a
Car d'un sourire égal | la loi pour chacun brille, 6+6 a
Et l'amour, plus divin, | fait, dans un but commun, 6+6 a
Que chacun vit pour tous, | comme tous pour chacun. 6+6 a
Le temps a renversé | les jalouses frontières 6+6 a
425 Qui séparaient les cœurs | des nations altières. 6+6 a
Les ennemis lointains, | réunis et charmés, 6+6 a
En se voyant de près | bientôt se sont aimés, 6+6 a
Et foulant tous aux pieds | leurs idoles contraires, 6+6 a
Les fils du même Dieu | se sont connus pour frères. 6+6 a
430 Délivré de la glèbe | et des plus durs besoins. 6+6 a
Aux champs intérieurs | l'homme apporte ses soins. 6+6 a
Le plus humble a sa part | du pain delà science, 6+6 a
Un soleil plus serein | luit dans sa conscience. 6+6 a
Son esprit s'initia | à de nobles plaisirs, 6+6 a
435 Et bénit l'art divin | qui lui fait ces loisirs. 6+6 a
XVI
Une voix d'en haut vient conduire 8 a
L'hymne par cent peuples chanté ; 8 b
Toute âme a des sons pour la lyre, 8 a
Tout front a sa part de beauté. 8 b
440 Écartant ses voiles austères, 8 a
La nature a moins de mystères, 8 a
Chaque homme y peut lire à son tour ; 8 a
Avec le cœur on l'étudie. 8 b
La science vole, agrandie, 8 b
445 Sur l'aile sainte de l'amour. 8 a
L'esprit, souverain plus paisible, 8 a
Des sens perce mieux la prison ; 8 b
Devant lui, du monde invisible 8 a
Il voit s'élargir l'horizon. 8 b
450 Le jour luit sur chaque problème. 8 a
L'homme écoute mieux dans lui-même 8 a
Ce verbe à notre chair uni ; 8 a
Son regard, que l'amour épure. 8 b
En Dieu contemplant la nature 8 b
455 Va plus avant dans l'infini. 8 a
Plus haut vers le ciel il s'élève, 8 a
Plus il descend au fond de soi, 8 b
Dans son étude et dans son rêve 8 a
Il retrouve la même loi ; 8 b
460 L'art la grave dans ses symboles, 8 a
Dans les actes et les paroles 8 a
Elle vil et règne en tout lieu ; 8 a
Un souffle envoyé sur la terre, 8 b
Renouvelant sa face entière, 8 b
465 Fait tout à l'image de Dieu. 8 a
Car l'avenir qui s'édifie, 8 a
L'espoir de nos travaux puissants. 8 b
Notre but que tout sanctifie, 8 a
Ce n'est pas l'âge d'or des sens. 8 b
470 Oui, le seul progrès véritable 8 a
Est dans la loi plus équitable, 8 a
Est dans l'idéal mieux compris ; 8 a
Dans la paix chère à la sagesse. 8 b
Qui distribue avec largesse 8 b
475 La lumière à tous les esprits. 8 a
Les bruits du siècle en vain t'effraient. 8 a
Poète qui vis par le cœur ; 8 b
Sur tous ces chemins qui se fraient 8 a
C'est Dieu qui passera vainqueur. 8 b
480 Ceux qui travaillent à ces voies 8 a
Ne rêvent que charnelles joies, 8 a
Ivresse, orgueil et vils plaisirs ; 8 a
Pour eux la nature asservie 8 b
N'est qu'une table mieux servie. 8 b
485 Un lit pour leurs prochains loisirs. 8 a
Répandez cet impur présage. 8 a
Vous que flatte un tel avenir ; 8 b
Et vous qui dévorez notre âge, 8 a
Rêvez qu'il ne doit pas finir ! 8 b
490 Un bras plus puissant vous gouverne ; 8 a
Passez, ô race subalterne, 8 a
Malgré vous l'œuvre se fera, 8 a
Et vous y travaillez vous-même ; 8 b
Travaillez ! c'est la chair qui sème, 8 b
495 C'est l'esprit qui récoltera. 8 a
Préparons sa moisson féconde 8 a
De justice et de charité ; 8 b
Mais n'espérons pas en ce monde 8 a
Bâtir l'éternelle cité. 8 b
500 La vie est un voyage austère : 8 a
L'homme embellit en vain la terre, 8 a
Il n'en fera jamais le ciel ! 8 a
Pourtant, quand la vague est moins forte. 8 b
Parons cette nef qui nous porte 8 b
505 Vers le monde immatériel. 8 a
Sous les plus riantes étoiles. 8 a
Le pilote encor soucieux, 8 b
Qu'il déploie ou serre ses voiles, 8 a
A l'esprit tendu vers les cieux. 8 b
510 Il peut, lorsqu'un bon vent s'y joue. 8 a
D'or et de fleurs orner sa proue, 8 a
Y dormir comme en un berceau ; 8 a
Mais il n'aura de paix certaine 8 b
Qu'au bout de cette mer lointaine, 8 b
515 En quittant son frêle vaisseau. 8 a
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