Métrique en Ligne
LAP_14/LAP206
Victor de LAPRADE
VARIA
1844-1879
I
FAUSTA
POÈME
A MON AMI JOSEPH AUTRAN.
I
Dans l'écho des ravins, ton nom, par intervalles. 6+6 a
Liberté ! vient répondre au sifflement des balles ; 6+6 a
C'est le cri des vaincus qui vont mourir pour toi, 6+6 b
Et leur dernier soupir atteste encor leur foi. 6+6 b
5 Vas-tu, dans leur tombeau, dormir ensevelie. 6+6 a
Seule beauté que Dieu refuse à l'Italie, 6+6 a
Muse qui pourrais seule, en un digne réveil, 6+6 b
Achever sur son front l'œuvre de son soleil, 6+6 b
Liberté ? Le Teuton, dans sa morne insolence, 6+6 a
10 Sur la terre des arts plante à nos yeux sa lance, 6+6 a
Et nous, ici, tout près d'absoudre le destin, 6+6 b
Ne sentons pas frémir notre vieux sang latin ! 6+6 b
Italie, oh ! pardon ; le poète est sans arme, 6+6 a
Mais il t'aima d'enfance et l'offre cette larme. 6+6 a
15 Il se doit aux vaincus ; à tes nobles revers 6+6 b
Laisse-moi consacrer l'obole de mes vers. 6+6 b
Près de ce lac heureux d'où l'œil charmé regarde 6+6 a
Fuir jusqu'à l'Apennin la campagne lombarde, 6+6 a
lis tombent vaillamment, tous ces fiers insurgés ; 6+6 b
20 Leur dernière cartouche, au moins, les a vengés. 6+6 b
Maintenant, viens, ô Mort ! et sois leur prompt refuge ; 6+6 a
Viens des mains du soldat, moins cruel que le juge ; 6+6 a
Viens ! épargne au vaincu les lenteurs du bourreau 6+6 b
Ou l'infernale nuit du « carcere duro ». 6+6 b
25 Vers les flots, à travers le taillis qui surplombe. 6+6 a
Sanglant, Marco se traîne ; il veut cacher sa tombe. 6+6 a
Moins fier, pour mourir libre et tromper le chasseur, 6+6 b
Le loup, blessé, des bois sait gagner l'épaisseur ; 6+6 b
Les chiens flairent en vain l'herbe que son sang mouille. 6+6 a
30 L'homme avide et cruel n'aura pas sa dépouille. 6+6 a
Mais ton corps s'affaissant tombe, et bien loin du bord. 6+6 b
Est-ce enfin, ô proscrit, le repos de la mort ? 6+6 b
Ah ! son sein brûle encor du feu de la pensée, 6+6 a
Plus rongeur que la balle en sa chair enfoncée. 6+6 a
35 Il souffre tous les maux si longuement soufferts ; 6+6 b
Il voit sa mère en deuil et sa patrie aux fers. 6+6 b
Le délire lui rend toute sa sombre histoire. 6+6 a
Tous ses efforts trompés, tous ses travaux sans gloire. 6+6 a
Et ressuscite au cœur du soldat, de l'amant. 6+6 b
40 Les douleurs qu'on avoue… et le secret tourment. 6+6 b
Car à tous les amours, sous ce ciel, à cet âge, 6+6 a
L'âme, sans s'appauvrir, se donne et se partage ; 6+6 a
Et parfois un sourire, y réveillant l'honneur, 6+6 b
Jette à la liberté son plus fier défenseur. 6+6 b
45 Mais tandis que la mort, qu'il espère et qu'il presse, 6+6 a
Dans les flancs du proscrit lutte avec la jeunesse, 6+6 a
La nuit descend, la nuit d'un beau jour de l'été ; 6+6 b
Elle éclaire le lac d'un reflet argenté ; 6+6 b
Près des flots étoilés, dans la forêt plus sombre, 6+6 a
50 Elle étend sur Marco le voile de son ombre. 6+6 a
Et verse avec l'air pur, soufflant des monts Alpins, 6+6 b
Dans le sang du blessé la saine odeur des pins. 6+6 b
II
En son fort, dont le lac a verdi la muraille, 6+6 a
Herman, le pâle chef, vainqueur dans la bataille, 6+6 a
55 Rentre, et dans la grand'salle aux ténébreux arceaux 6+6 b
A la hâte il suspend son épée aux faisceaux. 6+6 b
Son épouse, au métier assise à sa fenêtre, 6+6 a
N'a pas jeté sa laine en le voyant paraître ; 6+6 a
Son bras au cou d'Herman ne s'est pas attaché ; 6+6 b
60 A peine sur son front, qu'elle garde penché, 6+6 b
Laisse-t-elle poser, sans émoi, sans attente. 6+6 a
Le baiser qu'elle glace à la lèvre hésitante. 6+6 a
Debout devant Fausta, le chef aux cheveux blonds 6+6 b
Sur ce marbre sans voix fixe des yeux profonds ; 6+6 b
65 Et, retenant l'essor d'un amour qui le tue, 6+6 a
Contemple avec douleur l'orgueilleuse statue. 6+6 a
Ce front dont le dédain soumis cruellement 6+6 b
S'offre en docile esclave à sa lèvre d'amant. 6+6 b
Pour arracher un père à sa prison germaine, 6+6 a
70 D'un hymen sans amour Fausta subit la chaîne ; 6+6 a
Sauvant le cher captif, qu'elle n'a pu venger, 6+6 b
Elle accepta le nom de ce chef étranger. 6+6 b
Mais, dès que cette main voulut serrer la tienne, 6+6 a
Le remords souleva ton âme italienne ; 6+6 a
75 L'époux est à tes pieds amoureux et craintif : 6+6 b
L'Allemand n'a rien fait que changer de captif ! 6+6 b
Ses soins n'ont pu fléchir la fille ardente et forte 6+6 a
Dont le cœur s'est livré comme une rançon morte. 6+6 a
Bientôt le noir soupçon, vainement repoussé. 6+6 b
80 Fait au maître un tourment des ombres du passé. 6+6 b
Fausta, dans cet exil qui cache leurs blessures. 6+6 a
Emportant sa froideur, suit l'époux sans murmures ; 6+6 a
Docile avec orgueil, elle a bientôt quitté 6+6 b
Milan et les splendeurs de la belle cité. 6+6 b
85 Qu'importe à ce cœur fier un plaisir qui s'envole ?… 6+6 a
Mais peut-être qu'il garde une secrète idole ? 6+6 a
Dès lors en ces vieux murs, durant les longues nuits, 6+6 b
La sombre vois du lac a berce leurs ennuis. 6+6 b
Or, depuis que le chef a tiré son épée. 6+6 a
90 Qu'au sang italien cette main s'est trempée, 6+6 a
Attestant de deux cœurs le morne désespoir. 6+6 b
Un plus mortel silence a glacé le manoir. 6+6 b
Car, plus haut que l'amour et tes rêves de femme, 6+6 a
Fausta, ton cher pays règne sur ta grande âme. 6+6 a
95 Résignée aux douleurs de ce fatal hymen, 6+6 b
Quand tu vois dans l'époux l'usurpateur germain, 6+6 b
Tes yeux lancent la flamme, ô noble enfant du Dante ; 6+6 a
Et ton indifférence éclate en haine ardente. 6+6 a
III
Une barque apparaît sur le lac rougissant ; 6+6 b
100 On croirait voir glisser, aux feux du jour naissant, 6+6 b
La conque où se balance une vierge marine 6+6 a
Sur l'écume des flots moins blancs que sa poitrine, 6+6 a
La rame dans son vol trahit un bras nerveux ; 6+6 b
Des aiguilles d'argent parmi de noirs cheveux, 6+6 b
105 Le tissu transparent du voile noir qui flotte. 6+6 a
Annoncent qu'une femme en est l'adroit pilote. 6+6 a
C'est Fausta : sur les flots, au fond des bois amis, 6+6 b
Des rêves non troublés lui sont au moins permis. 6+6 b
L'époux, loyal et fier, respecte ces retraites ; 6+6 a
110 Elle y va s'enivrer de ses peines secrètes. 6+6 a
Ou sur d'âpres sentiers cherche, en sa sombre ardeur, 6+6 b
A fatiguer son corps pour endormir son cœur. 6+6 b
Elle choisit le bord des périlleux abîmes. 6+6 a
A l'ombre des sapins, sur la neige des cimes. 6+6 a
115 Souffle un air froid et pur qu'elle aime à respirer ; 6+6 b
Sa lèvre y puise en vain sans s'y désaltérer. 6+6 b
Car, ô vents, ô forêts, ô musique profonde, 6+6 a
O parfums du désert, ô frais soupirs de l'onde. 6+6 a
Nature où l'infini flotte de toute part, 6+6 b
120 Vous ne sauriez remplir l'âme autant qu'un regard ! 6+6 b
La barque au tronc d'un saule est, là-bas, attachée. 6+6 a
Dans les taillis, Fausta monte à demi cachée ; 6+6 a
Sans choisir un sentier entre les chênes verts, 6+6 b
Elle marche au hasard. Tout à coup, à travers 6+6 b
125 Les branches dont ses mains écartent la barrière, 6+6 a
Un homme est aperçu, sanglant, sur la bruyère. 6+6 a
Des cheveux noirs, un simple et sombre vêtement 6+6 b
C'est un frère tombé sous le fer allemand ! 6+6 b
Son souffle gémissant atteste encor la vie ; 6+6 a
130 Dieu ! sauvez ce soldat, ce fils de l'Italie ! 6+6 a
Sur lui Fausta s'incline à genoux. Mais pourquoi. 6+6 b
Pâle, écarter ainsi les mains avec effroi ? 6+6 b
On dirait, à la voir s'appuyant à cet arbre, 6+6 a
Sur le gazon des morts une vierge de marbre. 6+6 a
135 Un soupir de Marco la réveille et lui rend, 6+6 b
Dans un rayon d'espoir, son courage expirant ; 6+6 b
Elle se lève et court. Là-bas, sous ces vieux aunes, 6+6 a
La maison du pêcheur a connu ses aumônes ; 6+6 a
Elle y vole ; elle a su, chez ces hommes obscurs, 6+6 b
140 Se créer des amis aux bras forts, aux cœurs sûrs. 6+6 b
Sa voix a fait bondir des serviteurs alertes ; 6+6 a
Ils montent, et bientôt un lit de branches vertes 6+6 a
A franchi l'humble seuil, et la flamme, au foyer. 6+6 b
Pour l'hôte au pied de glace, est prompte à flamboyer ; 6+6 b
145 Il a repris ses sens après un court délire. 6+6 a
Et le réveil de l'âme en ses yeux peut se lire. 6+6 a
IV
D'où vient cette pâleur cachant un vague effroi, 6+6 b
Ce regard concentré, jeune femme, et pourquoi 6+6 b
Saisir la rame ainsi, d'une main convulsive. 6+6 a
150 Quand tu pars les matins, providence attentive. 6+6 a
Portant la guérison au proscrit ? L'on dirait 6+6 b
Que ton pieux devoir n'est rempli qu'à regret. 6+6 b
Et que l'humble cabane où la pitié t'amène 6+6 a
Te garde un hôte, objet de terreur ou de haine. 6+6 a
155 Et cependant, Fausta, c'est un éclair joyeux 6+6 b
Qui colore ta joue et fait briller tes yeux. 6+6 b
Dès qu'au loin la maison du pêcheur, sous les branches, 6+6 a
Montre son toit de chaume et ses murailles blanches. 6+6 a
Et Marco, quand tu viens, ne te semble-t-il pas 6+6 b
160 Contre un péril tout proche invoquer le trépas ? 6+6 b
Il boit, comme un poison qu'on redoute et qu'on aime, 6+6 a
Les sucs réparateurs préparés par toi-même ; 6+6 a
Il tremble à ton aspect, à ton nom il pâlit ; 6+6 b
Pourtant, si tu parais au chevet de son lit, 6+6 b
165 Parlant, à ton insu, de ta voix la plus douce, 6+6 a
Ce fier désir de mort en son esprit s'émousse. 6+6 a
Bientôt sur le rivage, aidé par le pêcheur. 6+6 b
Il put venir des flots respirer la fraîcheur, 6+6 b
Et voir à l'horizon, où la vague étincelle, 6+6 a
170 Poindre en un sillon d'or la rapide nacelle ; 6+6 a
Puis, dans l'ombreux sentier, et chaque jour plus loin, 6+6 b
Il marche avec Fausta sans guide et sans témoin. 6+6 b
Mais, comme s'ils portaient quelque chaîne secrète, 6+6 a
Sur le bord des aveux chacun tremble et s'arrête. 6+6 a
175 Souvent l'un d'eux hésite en parlant du passé, 6+6 b
Et refoule en son cœur, subitement glacé. 6+6 b
Cette étrange terreur dès l'abord ressentie ; 6+6 a
Ils se taisent ; Fausta sans retour est partie ; 6+6 a
Elle se l'est juré, c'est leur adieu ! Pourtant, 6+6 b
180 Le lendemain l'amène à Marco, qui l'attend. 6+6 b
« Si faible encor ! Sa vie est à peine sauvée ; 6+6 a
Fuir ainsi lâchement cette œuvre inachevée ? 6+6 a
Non ! C'est moi qui, veillant aux abords du chemin, 6+6 b
Dois remettre à Marco son glaive dans la main. » 6+6 b
185 Et d'un pas moins timide, enfin, les causeries 6+6 a
Entraînent le blessé jusqu'au bout des prairies ; 6+6 a
Chaque jour l'attirant pour un plus long repos, 6+6 b
Un arbre plus lointain entend plus doux propos. 6+6 b
« Vous sembliez, disait-il, l'ange de la patrie 6+6 a
190 Posant un bras sauveur sur ma tête flétrie. 6+6 a
Vous m'apportiez la vie et je n'en voulais pas ; 6+6 b
Mais je la garderai pour de meilleurs combats. 6+6 b
Je le sais, la pitié que votre cœur s'impose 6+6 a
N'a vu dans le blessé que notre sainte cause ; 6+6 a
195 Bien heureux qui tiendrait de la douce amitié 6+6 b
Cette vie et ces soins dus à votre pitié ! » 6+6 b
Et Fausta : « Dans ce temps fait pour des cœurs austères, 6+6 a
Occupés sans faiblir d'héroïques mystères, 6+6 a
Nous n'avons qu'un devoir, venger le sol natal. 6+6 b
200 Étouffons dans nos cœurs tout sentiment rival. 6+6 b
Non ! je ne voudrais pas amollir sous mes larmes 6+6 a
La main italienne à qui j'offre des armes. » 6+6 a
Ainsi vont leurs discours ; et l'ombre des forêts 6+6 b
Les couvre au bord du lac de ses voiles discrets ; 6+6 b
205 Ainsi fuit, goutte à goutte et d'une âme oppressée, 6+6 a
Leur parole, disant bien peu de leur pensée. 6+6 a
Et la rame tardive, aux murs du vieux château, 6+6 b
Plus lente chaque jour, ramène le bateau. 6+6 b
Debout, Herman l'attend. Le sombre capitaine 6+6 a
210 Rapporte son ennui de la chasse lointaine. 6+6 a
Le repas est distrait, bref et silencieux ; 6+6 b
L'époux timide et fier, sans rayon dans les yeux, 6+6 b
Porte en un cœur profond cet amour qui le ronge ; 6+6 a
Il souffre sans se plaindre et paraît vivre en songe. 6+6 a
215 Un peu d'ardent soleil manque à ce noble sang 6+6 b
Pour le faire éclater en un cri tout-puissant ; 6+6 b
Peut-être il eût parlé sous un regard plus tendre, 6+6 a
Et la céleste voix s'y serait fait entendre ; 6+6 a
Mais ce regard sur lui jamais ne s'arrêta. 6+6 b
220 Qu'importent les secrets de cette âme à Fausta ! 6+6 b
Qu'importe au prisonnier le trésor que recèle 6+6 a
Le mur sombre où se rive une chaîne éternelle ! 6+6 a
V
Oh ! l'instant des aveux ! ce cri, ce mot furtif 6+6 b
Qu'éternise un écho dans le ciel attentif ! 6+6 b
225 Mot qui tout bas murmure en tremblant sur la lèvre, 6+6 a
Ou gronde avec l'éclair et jaillit dans la fièvre ; 6+6 a
Triomphe de l'amour par un mot attesté ; 6+6 b
Pouvoir d'une syllabe où tient l'immensité ! 6+6 b
Le lac d'azur et d'or, quand le vent se repose, 6+6 a
230 Reflète au loin des monts chargés de neige rose. 6+6 a
Fausta, Marco sont là, dans cette paix du soir ; 6+6 b
Baignés dans la nature, ils parlent sans la voir. 6+6 b
Et quel vague récit des songes de leur vie, 6+6 a
Quel rayon d'une flamme à ce beau ciel ravie 6+6 a
235 Emporta leur secret après tant de combats ? 6+6 b
Quel espoir les enivre ? Ils ne le savaient pas. 6+6 b
Leur âme a laissé fuir quelque rapide image ; 6+6 a
Un accent plus ému vibre dans leur langage ; 6+6 a
Enfin, l'aveu sacré part, et la chaîne d'or 6+6 b
240 A lié ces grands cœurs qui résistaient encor ; 6+6 b
Et jamais ni le temps, ni l'homme, ni Dieu même, 6+6 a
N'en briseront l'anneau fait d'un Seul mot : Je t'aime ! 6+6 a
Ainsi ce joug d'amour, qu'on méprisait hier, 6+6 b
S'impose, au gré du sort, à l'esprit le plus fier ! 6+6 b
245 Si le dieu vous choisit, ou funeste ou propice. 6+6 a
Il faut que son mystère entre vous s'accomplisse. 6+6 a
Armez-vous de rudesse et bravez le péril. 6+6 b
Demandez vos vertus au plus lointain exil 6+6 b
Le sort au but fixé tous les deux vous ramène. 6+6 a
250 Partis de la tendresse, et souvent de la haine, 6+6 a
On se trouve au chemin par où l'on crut se fuir. 6+6 b
Pour aimer quelquefois, mais toujours pour souffrir ; 6+6 b
VI
« Tu partiras, Marco, je t'ai donné mon âme. 6+6 a
Mais ta vie est ailleurs qu'aux genoux d'une femme. 6+6 a
255 Je cède à mon pays ton cœur qui m'appartient. 6+6 b
Honte, en ces jours de guerre, à celle qui retient 6+6 b
Sur les coussins oisifs le fer de bonne trempe, 6+6 a
Et souffre qu'à ses pieds le lion dorme ou rampe ! 6+6 a
Tu partiras sans moi ; soyons forts, effaçons 6+6 b
260 De notre fier sentier l'ombre des vils soupçons. 6+6 b
Entre de pures mains une cause est plus belle ; 6+6 a
Fils de la liberté, gardons-nous dignes d'elle. 6+6 a
Pars ! mon cœur te suivra ; rien n'a pu l'enchaîner ! 6+6 b
Il reste, en sa prison, libre de se donner. 6+6 b
265 Mais pars ! Fais au devoir une sublime offrande ; 6+6 a
Du sacrifice obscur notre âme sort plus grande. 6+6 a
L'amour choisit nos cœurs dans ses nobles desseins. 6+6 b
Non pour les rendre heureux, mais pour les rendre saints. 6+6 b
Pars ! Du joug étranger qu'une femme tolère, 6+6 a
270 Laisse-moi la douleur, gardes-en la colère. 6+6 a
Pars ! Une autre maîtresse, en tes heures d'ennuis, 6+6 b
Seule a droit d'approcher de tes austères nuits, 6+6 b
De vivre aux yeux de tous, avec toi, sous la lente, 6+6 a
De briller à ton flanc comme une arme éclatante : 6+6 a
275 C'est la haine, ô Marco, la dernière vertu 6+6 b
Qu'il faille au moins sauver chez ce peuple abattu ; 6+6 b
La haine, qu'on délaisse en ce temps misérable ; 6+6 a
La haine, de l'amour compagne inséparable, 6+6 a
La haine qu'à ses fils, de son sein chaste et fier, 6+6 b
280 Doit verser l'Italie en aiguisant le fer ! 6+6 b
J'accepte dans ton cœur ma place à côté d'elle ; 6+6 a
Que notre double voix à ton œuvre t'appelle. 6+6 a
Pars ! Mais cette blessure, hélas ! qui saigne encor ; 6+6 b
L'aigle voudrait en vain reprendre son essor. 6+6 b
285 Eh bien, pour quelques jours qu'il ferme encor les aile : 6+6 a
Qu'il dorme sous l'abri de ces rameaux fidèles. 6+6 a
Reste au bord de ce lac, qui doit garder toujours 6+6 b
Le reflet triste et pur de nos saintes amours. 6+6 b
Tu me verras encor ; je veux encor répandre 6+6 a
290 Dans ton sein douloureux mon souci le plus tendre, 6+6 a
Et goûter à tes pieds, ô mon noble vaincu, 6+6 b
Ces courts instants, les seuls où mon âme ait vécu. 6+6 b
Je suis sûre de nous ; j'aime, et je me confie 6+6 a
Aux forces de l'amour, ce feu qui purifie ; 6+6 a
295 Non, tu ne voudras pas me ravir la splendeur 6+6 b
Que l'image adorée emprunte à la pudeur. 6+6 b
Tu ne veux pas me rendre à moi-même avilie ; 6+6 a
Moi qui suis pour ton cœur comme une autre Italie ! » 6+6 a
VII
Un rocher qui surplombe, à quelques pas des eaux, 6+6 b
300 Et penche un front touffu couronné d'arbrisseaux, 6+6 b
Répand la clématite et la vigne sauvage 6+6 a
En un large rideau traînant jusqu'au rivage. 6+6 a
Des soupirs, des sanglots, sous cet abri charmant, 6+6 b
Aux douces voix du lac répondent par moment ; 6+6 b
305 Sous l'ombrage entr'ouvert que les zéphyrs balancent 6+6 a
Des syllabes de feu se croisent et s'élancent ; 6+6 a
L'un à l'autre jetés et se faisant écho, 6+6 b
Volent, dans l'air ému, deux noms : Fausta ! Marco ! 6+6 b
Perfides vents d'été ! parfum des fleurs qui brûle. 6+6 a
310 Où le poison d'amour en poudres d'or circule. 6+6 a
Lit de mousse enivrant sous l'ombrage attiédi, 6+6 b
Plainte du flot plus tendre à l'heure de midi, 6+6 b
Murmures de la feuille et de l'aile affaissées, 6+6 a
Qui, réveillant les sens, endormez les pensées ; 6+6 a
315 Doux climat, si fatal aux desseins des grands cœurs. 6+6 b
Pourquoi répandez-vous ces divines langueurs ? 6+6 b
Hier encor, cette voix, qui s'éteint dans les larmes, 6+6 a
Vibrait d'un accent fier comme celui des armes ; 6+6 a
Tous les deux s'excitant aux plus mâles vertus. 6+6 b
320 D'un invincible acier se croyaient revêtus ; 6+6 b
Et voilà que tous deux, sous le trait qui les blesse. 6+6 a
Ont trop bien reconnu leur humaine faiblesse ; 6+6 a
Et, s'avouant vaincus dus le premier effort, 6+6 b
Maudissent le devoir plus cruel que la mort. 6+6 b
325 C'est vous qui du martyre aviez rêvé naguère, 6+6 a
Et vous iriez tomber d'une chute vulgaire ; 6+6 a
C'est vous, nobles enfants ! mais sur cet abandon, 6+6 b
Votre âge et le soleil jetteraient le pardon. 6+6 b
Ah ! si la passion, toujours froide et sensée. 6+6 a
330 N'exaltait pas chez vous le sang et la pensée, 6+6 a
Quel autre enthousiasme, en des cœurs de vingt ans. 6+6 b
Ferait ce que n'ont pu l'amour et le printemps ? 6+6 b
Et quel autre soleil, ouvrant des âmes closes. 6+6 a
Eût fait germer en vous l'ardeur des grandes choses ? 6+6 a
335 Mais puisqu'un noble essor vous fit apercevoir 6+6 b
Les hautes régions où plane le devoir, 6+6 b
Votre amour, y montant par un élan suprême, 6+6 a
Trouvera la vertu de se dompter lui-même. 6+6 a
Ombres des vieux héros qu'ils admiraient tous deux. 6+6 b
340 Descendez, ô martyrs, et veillez autour d'eux ; 6+6 b
A leur lèvre égarée arrachez ce calice ; 6+6 a
Faites parler bien haut la voix du sacrifice ; 6+6 a
Dans cette heure d'oubli, venez leur rappeler 6+6 b
Vos exemples fameux, qu'ils devaient égaler. 6+6 b
345 Et toi, qu'ils adoraient dans la blancheur des cimes, 6+6 a
Tu sais ce qu'ils ont dit à tes Alpes sublimes, 6+6 a
Et s'ils ont aspiré, libres du poids des sens, 6+6 b
Vers ce monde d'en haut. Esprit d'où tu descends ! 6+6 b
Des lâches voluptés écarte d'eux les pièges, 6+6 a
350 Et sur leurs fronts brillants verse tes chastes neiges. 6+6 a
Soyez bénis ! Fausta, dans un effort vainqueur, 6+6 b
A repris tout l'empire exercé sur son cœur, 6+6 b
Et, fuyant le péril où sa vertu chancelle, 6+6 a
Elle s'arrache et court vers l'agile nacelle, 6+6 a
355 Repousse d'un seul coup la grève, et déjà fuit 6+6 b
Dans un sillon rapide où le soleil reluit, 6+6 b
Debout encore, agite une main convulsive. 6+6 a
Et jette avec un cri son adieu vers la rive. 6+6 a
VIII
Quels assauts de désirs l'un de l'autre ennemis 6+6 b
360 Dans ton grand cœur naguère au devoir si soumis ! 6+6 b
Désormais, indocile à la tâche prescrite, 6+6 a
Contre un sang révolté ton âme en vain s'irrite ; 6+6 a
Tu frémis de sentir, Marco, tes yeux en pleurs. 6+6 b
Ton front rouge ou glacé de soudaines pâleurs. 6+6 b
365 Tes flancs brûlés de feux dont l'esprit n'est plus maître, 6+6 a
Et que ta sainte haine, hélas ! n'y fait pas naître. 6+6 a
Toute la nuit, sans trêve, exaspérant son mal. 6+6 b
Il sentit dans son cœur gronder l'adieu fatal. 6+6 b
Le matin, comme un homme égaré dans ses rêves. 6+6 a
370 Il part, il court sans but, dans les bois, sur les grèves ; 6+6 a
Il cherche avec l'espace à dévorer le temps ; 6+6 b
Mais l'oubli pourrait seul abréger les instants. 6+6 b
Voici l'heure, à la fin, l'heure où la barque aimée 6+6 a
Apparaît, chaque jour, sur l'onde accoutumée ; 6+6 a
375 Il interroge en vain cet horizon connu. 6+6 b
Le soleil s'est éteint sans que rien soit venu. 6+6 b
Et l'attente, plus longue au milieu des ténèbres, 6+6 a
Mêle aux cuisants désirs des images funèbres. 6+6 a
Pour la première fois, tout un jour sans la voir ! 6+6 b
380 D'un retour, d'un pardon faut-il perdre l'espoir ? 6+6 b
Mais peut-être un danger la retient ? Il s'élance, 6+6 a
Le bateau du pêcheur le conduit en silence ; 6+6 a
Et, pour montrer la route allumant ses fanaux, 6+6 b
Au loin le clair de lune a blanchi les créneaux. 6+6 b
385 Aux vitres du donjon des feux luisent dans l'ombre. 6+6 a
Marco s'approche, observe, arrêté sur l'eau sombre ; 6+6 a
Pour mieux se dérober au soldat attentif. 6+6 b
Immobile il se couche en son étroit esquif. 6+6 b
Les fenêtres, bientôt, perdant leurs vives teintes, 6+6 a
390 Attestent le sommeil et les lampes éteintes ; 6+6 a
Mais, veillant seule aux flancs du manoir endormi. 6+6 b
Une chambre s'éclaire et l'amant a frémi 6+6 b
C'est elle ! pour la joindre et lui parler encore. 6+6 a
Pour cet adieu plus doux que ton exil implore, 6+6 a
395 Quels rêves, quels projets, hélas ! sans horizon. 6+6 b
N'as-tu pas faits, Marco, sous sa morne prison ! 6+6 b
Le jour seul, éteignant cette lampe qui veille, 6+6 a
Effaça l'ombre errante à la vitre vermeille ; 6+6 a
Et le flot, jusqu'à l'aube, avec un long soupir, 6+6 b
400 Berça ton désespoir et ne put l'assoupir ! 6+6 b
Tes fureurs, ô Marco, sous ces murs enchaînées. 6+6 a
Usèrent, cette nuit, le sang de dix années. 6+6 a
Mais le soleil levé rend le péril certain 6+6 b
Pour l'amant, le proscrit, ennemis du matin. 6+6 b
405 Marco fuit en longeant les sinueuses côtes ; 6+6 a
Un cap offrait l'abri de ses roches plus hautes ; 6+6 a
Il s'arrête, il y tient son esquif attaché ; 6+6 b
Et lui, sur le sommet, dans les genêts caché. 6+6 b
Mettant dans son regard son âme tout entière, 6+6 a
410 Du château plus lointain cherche à percer la pierre. 6+6 a
Quelque espoir lui revient ; car, c'est trop le punir ; 6+6 b
Pour un adieu suprême elle doit revenir ! 6+6 b
Il attend ; c'est ici la moitié de la route 6+6 a
Jusqu'au toit du pêcheur. Il va la voir sans doute ; 6+6 a
415 Ce ciel joyeux le dit ; ces parfums, cet air pur 6+6 b
Pénètrent dans son cœur comme un présage sûr. 6+6 b
Mais au pied des remparts une barque… oh ! c'est elle ! 6+6 a
Sur son blanc vêtement le soleil étincelle. 6+6 a
Beau lac, brise si douce et si lente à souffler, 6+6 b
420 Ah ! portez-la plus vite où son cœur veut aller ! 6+6 b
Déjà du promontoire elle a doublé la ligne ; 6+6 a
Là, parmi les rochers, bassin fait pour un cygne, 6+6 a
S'arrondit une baie au lit profond et pur 6+6 b
Dont les bords verdoyants assombrissent l'azur. 6+6 b
425 La barque détournée à ce port se dirige. 6+6 a
T'a-t-elle deviné, Marco ? par quel prodige, 6+6 a
De si loin, en ce lieu ! ton cœur bat ; mais pourquoi 6+6 b
Lâcher ainsi la rame encor trop loin de toi, 6+6 b
Au milieu de cette anse ; et, dans la barque étroite. 6+6 a
430 Tout à coup se lever et rester ainsi droite ? 6+6 a
Elle écoute peut-être, à l'heure du réveil. 6+6 b
Elle invoque le dieu dont elle prend conseil, 6+6 b
Le dieu des profondeurs de cette eau pure et vaste, 6+6 a
Cet invisible amant qui la conserve chaste. 6+6 a
435 On voit qu'elle interroge un hôte habituel ; 6+6 b
Nui effroi ne la trouble en son muet appel ; 6+6 b
L'azur du flot est clair moins que ses yeux limpides, 6+6 a
Moins uni que son front sans ombres et sans rides ; 6+6 a
Sa lèvre est de corail, et du frais Orient 6+6 b
440 Le ciel n'est pas plus rose et pas plus souriant. 6+6 b
A peine soulevé, son sein paisible exhale 6+6 a
Le facile courant de son haleine égale ; 6+6 a
Blanche, immobile, avec un marbre on la confond. 6+6 b
Quel repos ! en est-il un autre plus profond ? 6+6 b
445 Un seul, et c'est celui que, d'un élan sublime, 6+6 a
Elle va demander, ô lac, à ton abîme ! 6+6 a
Et la nappe d'azur, oscillant jusqu'aux bords, 6+6 b
D'un tombeau diaphane enveloppe son corps. 6+6 b
Brisant des flots émus la tremblante surface, 6+6 a
450 Un rapide plongeur fend l'onde sur sa trace. 6+6 a
Sous les plis orageux de leur vivant linceul 6+6 b
Deux hôtes dormiront, ô lac, ou pas un seul ! 6+6 b
Veux-tu, les unissant dans ta demeure avare. 6+6 a
Les y garder, afin que rien ne les sépare ? 6+6 a
455 Pour un plus long hymen as-tu donc convié 6+6 b
Sur tes algues ce couple à nos fleurs envié ? 6+6 b
Non ! tu veux nous les rendre, ô lac, et tu secondes 6+6 a
Les forces de l'amant qui lutte sous tes ondes. 6+6 a
Marco la reprendra ! l'amour est aussi fort 6+6 b
460 Pour aider à mourir que pour vaincre la mort. 6+6 b
Plus prompt que l'alcyon, sur la vague écumante 6+6 a
Le plongeur reparaît rapportant son amante ; 6+6 a
Par les cheveux noués à son bras triomphant 6+6 b
I ! la tient élevée hors de l'onde qu'il fend. 6+6 b
465 S'élance, et, d'un effort suprême, en deux coups d'aile 6+6 a
Sur le sable prochain retombe à côté d'elle. 6+6 a
Est-ce elle, est-ce un cadavre, ô lac, qu'il te ravit ? 6+6 b
L'oreille sur son cœur, Marco tremble… Elle vit ! 6+6 b
IX
« Oui, Marco, cet abîme où j'ai voulu descendre, 6+6 a
470 Du bonheur d'être à toi pouvait seul me défendre ; 6+6 a
La vie est plus facile à fuir que tes baisers. 6+6 b
Un Dieu veille aujourd'hui sur nos cœurs apaisés. 6+6 b
Enlevée au tombeau, je dois te rester sainte. 6+6 a
Désormais je te parle et tiens ta main sans crainte ; 6+6 a
475 Et, si je faiblissais après de tels aveux. 6+6 b
J'attends de toi l'effort qui nous sauve tous deux. 6+6 b
Oui, j'ai voulu mourir pour la vertu que j'aime, 6+6 a
Nais non pour m'en parer et triompher moi-même. 6+6 a
Tout est à toi, Marco, ma vertu, mon devoir ; 6+6 b
480 Prends-les, si tu le peux à tes yeux sans déchoir. 6+6 b
L'honneur, c'est toi ! Sois grand, et je suis assez pure. 6+6 a
C'est toi qu'il faut garder sans chaîne et sans souillure. 6+6 a
D'un remords, d'un regret, dans la lutte où tu cours. 6+6 b
Je ne veux pas charger tes destins déjà lourds. 6+6 b
485 J'aime mieux de ma mort te laisser la souffrance ; 6+6 a
Car elle peut au moins se changer en vengeance, 6+6 a
Et servir l'Italie et tes complots sacrés. 6+6 b
Il faut un chef austère à nos fiers conjurés. 6+6 b
Je te connais, Marco ; ta pensée est trop haute 6+6 a
490 Pour qu'un furtif amour soit bien longtemps son hôte. 6+6 a
Je t'aime ainsi ! pour toi, pour ta mâle grandeur. 6+6 b
Et veux servir ta gloire au prix de mon bonheur. 6+6 b
Tu m'aimes, je le sais ; tes larmes sont loyales ; 6+6 a
Mais tu m'aimes en homme, et j'ai bien des rivales. 6+6 a
495 L'honneur et la patrie et cette ardeur d'exploits, 6+6 b
Tu les portes plus haut que l'amour… tu le dois ! 6+6 b
Mais moi, qui garde aussi la haine héréditaire, 6+6 a
Moi qui sais que l'amour aujourd'hui doit se taire, 6+6 a
Moi fille d'un soldat martyr de l'étranger, 6+6 b
500 Moi qui place avant tout l'Italie à venger, 6+6 b
Moi qui t'ai dit : Va, meurs, la liberté t'appelle ! 6+6 a
Je ne puis partager ton cœur même avec elle ! 6+6 a
Pour ma vie et mon sang dépensés à t'aimer. 6+6 b
Il me faudrait tes jours, ton âme à consumer. 6+6 b
505 Ne crains rien ; cette ivresse où s'éteindrait ta gloire. 6+6 a
Aux lèvres de Fausta n'espère pas la boire. 6+6 a
Je vivrai loin de toi ; cependant je vivrai ; 6+6 b
Ton repos le commande et je te l'ai juré. 6+6 b
Pars donc ! sans redouter qu'un tombeau volontaire 6+6 a
510 Enchaîne ta pensée avec moi sous la terre. 6+6 a
Tu ne laisses, ici, ni spectre ni remords ; 6+6 b
Mais un cœur désormais au-dessus de la mort, 6+6 b
Qui vivra de ta vie, et, dans sa foi plus ferme. 6+6 a
Des douleurs, sans les fuir, veut attendre le terme ; 6+6 a
515 Qui te suit dans la lutte où vous allez rentrer, 6+6 b
Et qui, demeuré pur, a le droit d'espérer. » 6+6 b
Tels furent leurs adieux, ou plutôt leurs paroles. 6+6 a
Celles qu'on peut traduire avec des sons frivoles. 6+6 a
Quels mots reproduiraient l'éloquence des yeux, 6+6 b
520 Et sauraient de l'amour peindre les vrais adieux ? 6+6 b
Il partit ; ce qu'en lui de vertu mieux trempée. 6+6 a
De vaillance à porter sa haine et son épée. 6+6 a
D'ardeur plus invincible à servir son pays 6+6 b
Mettra l'orgueil sacré des devoirs obéis 6+6 b
525 Tu le sais, et toi seule, ô mère de la Force, 6+6 a
Toi qui des voluptés foules aux pieds l'amorce, 6+6 a
Et, gardant un sang pur aux générations, 6+6 b
Fais croître et fais fleurir les grandes nations ; 6+6 b
Toi par qui la jeunesse est longue au cœur de l'homme. 6+6 a
530 Toi, Pudeur, qui veillais aux grands siècles de Rome, 6+6 a
Qui des lits nuptiaux, sous tes yeux restés saints, 6+6 b
De ses héros de bronze as tiré les essaims ; 6+6 b
Toi qui des bras guerriers durcis les nobles fibres. 6+6 a
Toi qui seule maintiens ou fais les peuples libres, 6+6 a
535 Vertu des vieux Latins dans leurs jours triomphants, 6+6 b
Tu lésais ; viens l'apprendre à leurs derniers enfants ! 6+6 b
X
L'ombre d'un bois, tombant du coteau sur la grève, 6+6 a
Abrita des adieux l'heure cruelle et brève. 6+6 a
Après qu'ils sont partis, et l'amante et l'amant. 6+6 b
540 Un homme du taillis s'éloigne lentement. 6+6 b
Sous ses longs cheveux blonds pâle, un orage interne 6+6 a
Trouble l'azur vitreux de son œil fixe et terne ; 6+6 a
Il semble ne pas voir et marcher dans la nuit ; 6+6 b
A son morne flambeau quel rêve le conduit ? 6+6 b
545 C'est Herman. Dans cette ombre, à midi rare et douce, 6+6 a
Le chasseur s'endormait affaissé sur la mousse. 6+6 a
Mais une voix connue a fait fuir la sommeil. 6+6 b
Quelle affreuse lumière a glacé son réveil, 6+6 b
Quand le fatal secret, qu'il ne veut pas entendre, 6+6 a
550 Dans la paix de son doute est venu le surprendre ! 6+6 a
Lui qui rêvait encor de la fléchir un jour ! 6+6 b
Pure, mais à jamais brûlant d'un autre amour ! 6+6 b
Plus d'espoir ! c'est bien là sa fierté surhumaine, 6+6 a
Fidèle à sa pudeur, mais fidèle à sa haine ! 6+6 a
555 Quel penser de pardon, de vengeance ou d'oubli, 6+6 b
Demeure au cœur d'Herman sourdement établi ? 6+6 b
Nul n'attendra le son de cette âme incomplète 6+6 a
Qui tient comme l'amour la colère muette. 6+6 a
A peine une pâleur sur son front, dans ses yeux. 6+6 b
560 Trahit des passions le choc silencieux ; 6+6 b
Et, quand la foudre au fond peut-être le ravage, 6+6 a
Jamais l'éclair n'a lui pour révéler l'orage. 6+6 a
XI
Le sang de tes enfants, encore infructueux, 6+6 b
Va tremper de nouveau la terre des aïeux ; 6+6 b
565 Ceins ton front de lauriers pour cette auguste fête, 6+6 a
Et rends gloire, Italie, à leur noble défaite ! 6+6 a
Sur ton vieux Capitole avant de remonter, 6+6 b
Par plus d'un jour pareil il faut le mériter. 6+6 b
Et ne pas te lasser, patiente nourrice, 6+6 a
570 D'enfanter des martyrs aux honneurs du supplice. 6+6 a
Oui, vous mourrez vaincus, dans l'exil, dans les fers ; 6+6 b
Le gibet vous attend, frères, soyez-en fiers ! 6+6 b
Votre sang généreux, que l'étranger prodigue. 6+6 a
Doit couler sous ses mains jusqu'à rompre la digue. 6+6 a
575 Donnez, donnez toujours de ce sang pur et fort ! 6+6 b
La liberté naîtra de quelque illustre mort. 6+6 b
Dans le pays lombard, près de ces eaux si belles, 6+6 a
Où l'on rêve de paix, de fêtes éternelles, 6+6 a
Où l'âge d'or naîtrait avec la liberté. 6+6 b
580 Près de ce lac riant par l'amour habité, 6+6 b
D'un sacrifice humain se prépare l'offrande. 6+6 a
Des glorieux vaincus voici la noble bande, 6+6 a
Calmes et le front haut, tels qu'on aime à les voir, 6+6 b
Les stoïques martyrs du droit et du devoir. 6+6 b
585 Autour d'eux les soldats, stupide multitude, 6+6 a
Marchent à rangs pressés et font la solitude. 6+6 a
Pour contenir les flots d'un grand peuple insoumis, 6+6 b
Un rempart s'est dressé d'escadrons ennemis : 6+6 b
Herman en est le chef. Toujours pensif et triste. 6+6 a
590 Il semble absent de l'œuvre à laquelle il assiste, 6+6 a
Et son regard errant, ou vaguement fixé. 6+6 b
Sur ceux qui vont mourir s'est à peins abaissé. 6+6 b
Son corps abandonné se balance et se ploie 6+6 a
Aux pas lents du cheval, et son panache ondoie 6+6 a
595 Sur son cou fléchissant. Le long convoi de mort, 6+6 b
Dirigé vers le lac, s'arrête près du bord 6+6 b
Où s'étend une plaine à la pente adoucie. 6+6 a
Là, sur un fin limon, meurt la vague amincie ; 6+6 a
Et, quelques pas plus loin, sort du milieu des eaux 6+6 b
600 Une épaisse forêt de grands joncs, de roseaux. 6+6 b
Le groupe des martyrs, soldats au fier visage, 6+6 a
Docile et méprisant s'est rangé sur la plage. 6+6 a
Ils sont jeunes et beaux, hélas ! ceux qui mourront ; 6+6 b
Au milieu d'eux, Marco les dépasse du front. 6+6 b
605 La plaine exhale au loin des odeurs printanières ; 6+6 a
Son doux pays lui fait ses caresses dernières ; 6+6 a
Avec l'ardent regard du ciel italien, 6+6 b
Son œil plein de rayons semble échanger le sien. 6+6 b
Salut, Marco ! les chefs ont éloigné la foule ; 6+6 a
610 Ils étouffent ta voix sous le tambour qui roule ; 6+6 a
Mais, parlant par tes yeux en cet instant sacré, 6+6 b
Ton cœur sur ton visage en éclairs s'est montré. 6+6 b
Pour rallumer l'honneur aux âmes languissantes. 6+6 a
Un rayon suffirait de tes flammes puissantes. 6+6 a
615 N'est-ce pas, de ce monde il est doux de partir, 6+6 b
Sûr qu'on est aimé d'elle et fier d'être martyr ; 6+6 b
A tous les dieux du cœur gardant sa foi certaine, 6+6 a
Et doublement vivant par l'amour et la haine ! 6+6 a
Heureux qui, plein d'espoir, fort et jeune lutteur, 6+6 b
620 Apporte une âme intacte au fer libérateur, 6+6 b
Et meurt, même vaincu, même en butte à l'insulte. 6+6 a
Mais sans avoir douté des objets de son culte ! 6+6 a
Son sang, quoique ignoré, ne sera pas perdu ; 6+6 b
Il ne voit pas, avant le triomphe attendu. 6+6 b
625 Des générations dans la fange accroupies 6+6 a
Renier ou salir ses saintes utopies ; 6+6 a
Et, dans son propre cœur, avant la fin du jour. 6+6 b
Il ne sent pas tarir la pensée et l'amour. 6+6 b
Son temps d'épreuve est court : quand la balle le frappe. 6+6 a
630 Prompte ainsi qu'elle, au but l'âme en un vol s'échappe. 6+6 a
Là-haut sur son pays, il voit, dès ce moment, 6+6 b
Briller le jour lointain de l'affranchissement, 6+6 b
Et sourire en ses bras, fraîche comme une aurore. 6+6 a
Sa fiancée en deuil, qui, chez nous, pleure encore. 6+6 a
635 Voilà ce que la mort a d'extase à donner 6+6 b
Au martyr dont le front commence à rayonner. 6+6 b
Mais si tu crois qu'au seuil d'une tombe héroïque 6+6 a
Une larme en coulant ternisse un nom stoïque, 6+6 a
Si tu veux, ô Marco, retenir par orgueil 6+6 b
640 Cette perle du ciel qui tremble dans ton œil 6+6 b
Il fallait de ta mère écarter la pensée. 6+6 a
Oublier ton amante à sa prison laissée, 6+6 a
Et, près de ton cercueil, ne pas les voir du cœur 6+6 b
S'éteindre et longuement mourir de leur douleur. 6+6 b
645 Le fer a retenti des armes qu'on apprête, 6+6 a
Et, distrait de son rêve, Herman lève la tête ; 6+6 a
L'indifférent regard que son œil promenait, 6+6 b
Sur le front de Marco tombe ; il le reconnaît 6+6 b
De quel pli de son cœur sort cet éclair rapide, 6+6 a
650 Le premier dont rougit ce front terne et livide ? 6+6 a
Ce sursaut, que le mors imprime à ton cheval, 6+6 b
O chef, est-ce d'un lâche ou d'un noble rival ? 6+6 b
Est-ce un bouillonnement du sang ou de la boue ? 6+6 a
Le fusil des soldats déjà touche leur joue ; 6+6 a
655 Toi, tu couves Marco sous le même regard ; 6+6 b
Ta lèvre étrangement se plisse… le feu part ! 6+6 b
Et, pour s'offrir à lui soudainement dressée, 6+6 a
Dans les touffes de joncs où sa barque est glissée, 6+6 a
Comme un oiseau plongeur qui lève enfin le cou. 6+6 b
660 Grande et blanche, Fausta se montra tout à coup. 6+6 b
Et, sur son large sein qu'un noble orgueil enivre. 6+6 a
Elle a reçu sa part du plomb qui les délivre. 6+6 a
Elle est encor debout dans sa robe de lis, 6+6 b
Tandis qu'an flot de pourpre en inonde les plis. 6+6 b
665 Avec son premier sang et sa suprême flamme, 6+6 a
Marco ! ce nom jaillit et précède son âme. 6+6 a
Tombant sur les genoux et les bras étendus, 6+6 b
Elle a vécu pour voir ses adieux entendus, 6+6 b
Et son amant couché sur la fatale grève ; 6+6 a
670 Et cette chère main, qui vers elle se lève, 6+6 a
Semble chercher la sienne, et sur l'étroit canal. 6+6 b
Se balance et s'affaisse en un dernier signal. 6+6 b
Mais entre ces deux cœurs tout obstacle s'efface 6+6 a
Car la mort vient entre eux d'anéantir l'espace ; 6+6 a
675 Et, loin d'un monde esclave, unis selon leur vœu, 6+6 b
Ils s'aiment librement dans les jardins de Dieu. 6+6 b
Quelle terre a gardé leur cendre et leur mémoire ? 6+6 a
Qu'importe, ô jeunes gens oublieux de la gloire ! 6+6 a
Laissez leurs noms, leur cendre au vent se disperser. 6+6 b
680 Si vous n'avez pour eux que des pleurs à verser. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 340((aa))
logo du CRISCO logo de l'université