Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LAP_13/LAP203
Victor de LAPRADE
LE LIVRE D'UN PÈRE
1877
XLV
L’ESCALADE
I
Du sommet, vierge encor,but de notre journée, 6+6 a
Et d’ la plaine immenseest au loin dominée, 6+6 a
Un taillis nous sépare,ardu, planté de houx, 6+6 b
Hérissé de bruyèreentre de noirs cailloux. 6+6 b
5 Las de gravir, assissur un roc de basalte, 6+6 a
Avant l’heure, aux trois quartsdu chemin je fais halte. 6+6 a
Tourné vers ces hauts lieuxd’ je me sens banni, 6+6 b
J’étanche la sueurde mon front dégarni. 6+6 b
Mais eux ! comme enivrésd’être seuls et sans guide, 6+6 a
10 Dressant vers l’inconnuleur jeune tête avide, 6+6 a
Et par de joyeux crisl’un l’autre s’animant, 6+6 b
Les deux vaillants gaonsgrimpent allègrement. 6+6 b
Moi, je les suis du cœur,et, comme dans un rêve, 6+6 a
Je crois que mon désirles porte et les soulève ; 6+6 a
15 Quand mon regard les perdsous le taillis plus noir, 6+6 b
Je les devine encoreen cessant de les voir. 6+6 b
Voici qu’un vent rapideécarte un peu les branches : 6+6 a
Le vert sombre des houxtrahit leurs vestes blanches. 6+6 a
Un rocher, par moment,me les cache, et soudain 6+6 b
20 J’ai revu, bondissants,le chevreuil et le daim. 6+6 b
On s’arrête ; et vers moi,durant la courte étape, 6+6 a
Prompt à me rassurer,un long hourra s’échappe. 6+6 a
Et j’applaudis, heureuxtémoin de leur essor ; 6+6 b
Et du fond de mon cœurje les exhorte encor. 6+6 b
II
25 Courage ! enfants, montez je ne puis atteindre ! 6+6 a
J’ai fait ce que j’ai pu,j’ai montré le chemin ; 6+6 b
Je suis las, l’heure approche mon feu va s’éteindre ; 6+6 a
C’est à vous de me tendreune vaillante main. 6+6 b
C’est à vous d’emportermon âme sur vos ailes, 6+6 a
30 D’annoncer une auroreau soir qui va finir ; 6+6 b
C’est par vous, par vos yeux,ô mes oiseaux fidèles, 6+6 a
Que mes yeux et mon cœurplongent dans l’avenir. 6+6 b
À vous voir sur ces monts,souples, joyeux, alertes, 6+6 a
Altérés d’inconnu,fuir à travers les bois, 6+6 b
35 Je sens, avec l’air vifde ces cimes désertes, 6+6 a
Courir dans mon vieux sangles ardeurs d’autrefois. 6+6 b
Ma jeunesse revient,mais sereine, apaisée ; 6+6 a
C’est la même chaleuravec un jour plus pur, 6+6 b
C’est un ciel à midi,s’humectant de rosée, 6+6 a
40 C’est l’arbre encore en fleurcouronné de fruit mûr. 6+6 b
Un flot de vie en moide partout s’insinue, 6+6 a
Comme un présent du cielet comme un don de vous ; 6+6 b
Je sens, de ma saisontout à coup revenue, 6+6 a
La verdure aussi frcheet le parfum plus doux. 6+6 b
45 Quand le chêne au tronc creuxn’a d’entier que l’écorce, 6+6 a
Ainsi l’abeille y faitsa divine liqueur ; 6+6 b
Il sera consoléd’avoir perdu sa force 6+6 a
Le chêne, au lieu de sève,a du miel dans le cœur. 6+6 b
Volez donc, posez-voussur toutes ces merveilles, 6+6 a
50 Sur ces fleurs des hauts lieuxqui vous restent ouverts, 6+6 b
C’est de vous que j’attends,ô mes chères abeilles, 6+6 a
La sève de mon âmeet le miel de mes vers. 6+6 b
Allez sur les sommetsd’ la clarté ruisselle, 6+6 a
Cueillir plus haut que moivotre part d’idéal ; 6+6 b
55 Emportez de ces boisquelque vertu nouvelle, 6+6 a
Pour en faire aux aïeuxun tribut filial. 6+6 b
Chantez, jeunes oiseaux,le chêne va se taire ! 6+6 a
Ce qu’ébauchait ma vie,à vous de le finir. 6+6 b
Puisse grandir en vousnotre âme héréditaire, 6+6 a
60 Et mon père, attendri,par vos mains me bénir. 6+6 b
Que m’importent mes jourssi près de dispartre, 6+6 a
Enfants, mes seuls objetsd’espérance ou d’effroi ! 6+6 b
J’aime en vous l’avenir,tous ceux qui doivent ntre 6+6 a
Et tous ces morts sacrésque je sens vivre en moi. 6+6 b
65 De ma mère aux doux yeuxvous êtes le sourire, 6+6 a
À travers nos soucis,la grâce et le bonheur ; 6+6 b
Sang de l’auguste aïeulqui se plut à m’instruire, 6+6 a
Vous êtes le devoiret vous serez l’honneur. 6+6 b
Marchez donc vaillammentpour que je me repose, 6+6 a
70 Et partis de la pierre lassé je m’assieds, 6+6 b
Parvenus sur ce picbaigné de vapeur rose, 6+6 a
Voyez-moi de bien hautet dans l’ombre à vos pieds. 6+6 b
Que cet âpre sentiersourie à votre audace ! 6+6 a
Prenez pour but ces lieuxd’un difficile accès, 6+6 b
75 les intérêts vilsn’ont pas marqué leur trace. 6+6 a
La gloire est dans l’effort.Qu’importe le succès ! 6+6 b
Le pèlerin d’en hautsouvent tombe ou chancelle ; 6+6 a
Il se heurte, il se briseà l’obstacle maudit ; 6+6 b
Mais, tandis que son corpss’use à la rude échelle, 6+6 a
80 Son esprit la dépasseet son âme grandit. 6+6 b
Montez dans la douleur,sûrs de la récompense ; 6+6 a
Quand le but invoqués’enfuirait devant vous, 6+6 b
Vers le fte entrevude tout homme qui pense, 6+6 a
Montez d’un pas plus fermeet plus hardi que nous. 6+6 b
85 Saisissez donc, enfants,ce flambeau de la vie ; 6+6 a
Tandis que les vieillardsse querellent entre eux, 6+6 b
Partez, jeunes coureurs,purs de crainte et d’envie, 6+6 a
Éclairant sous vos pasl’avenir ténébreux. 6+6 b
Montez jusqu’ visaitle rêve de vos pères ; 6+6 a
90 Et sans rien accepterdans ce temps odieux, 6+6 b
Tâchez, dans vos combats,sous des astres prospères, 6+6 a
De venger notre injureet d’absoudre nos dieux. 6+6 b
Prenez la voie étroite,et pour prix de vos peines, 6+6 a
En plein azur, assissur ce rocher vermeil, 6+6 b
95 Attirez de vos mains,vers ces hauteurs sereines, 6+6 a
Mon âme qui vous suitdu côté du soleil. 6+6 b
III
Encor quelques degrésfranchis de ce pas ferme, 6+6 a
Et de l’âpre escaladeils atteindront le terme. 6+6 a
Le sommet désiréva leur livrer ses fleurs. 6+6 b
100 Des cieux mélangés d’ombreet de sombres couleurs 6+6 b
Le soleil plus rapideembrasse au loin la vte : 6+6 a
Il s’abaisse ; on diraitqu’il veut, las de sa route, 6+6 a
Choisir, pour s’y poserdans le calme du soir, 6+6 b
Ce fte deux enfantsont rêvé de s’asseoir. 6+6 b
105 Du rocher qui flamboieaux deux coureurs que j’aime, 6+6 a
Mesuré par mes yeux,l’intervalle est le même 6+6 a
Qu’entre ce trône ardentet les pieds d’or du Dieu 6+6 b
Le terme de la courseappart au milieu. 6+6 b
Or, songeant au duelde Jacob et de l’ange, 6+6 a
110 Moi j’assistais d’en basà cette lutte étrange. 6+6 a
Cependant les troupeaux,les hommes de labour, 6+6 a
Se hâtent vers la plaineavant la fin du jour. 6+6 a
À travers la bruyèreet les taillis en pente, 6+6 b
Sur la roche inégale le sentier serpente, 6+6 b
115 Les chèvres, les brebis,les vaches au poil roux, 6+6 a
Passent en longue fileen contournant les houx. 6+6 a
Des rebords du plateaujusque vers la colline 6+6 b
Tinte à chaque détourla clochette argentine. 6+6 b
Voici, tout près de moi,le chien et le berger. 6+6 a
120 Je ne suis plus pour euxun bizarre étranger. 6+6 a
Le vieux pâtre interromptsa ballade ingénue ; 6+6 b
Il s’approche, il m’adresseun mot de bienvenue. 6+6 b
Il sait de quoi je songe,et, d’un geste joyeux, 6+6 a
Lève un bras vers la cime se tournent mes yeux. 6+6 a
125 Il sourit, et, flattantl’orgueil qui me travaille, 6+6 b
Il vante de mes garsla souplesse et la taille ; 6+6 b
Et jamais à mon cœur,jamais si douce voix 6+6 a
Ne vaut ce mâle élogeen son rude patois. 6+6 a
Mais le soleil déjàtouche à l’ardente roche, 6+6 b
130 Et le basalte aigus’enflamme à son approche. 6+6 b
Tout à coup, s’affaissantsur le sombre plateau, 6+6 a
— Comme un bloc de fer rougeécrasé du marteau 6+6 a
S’éparpille en éclairscontre la noire enclume, — 6+6 b
L’astre en feu rejaillit,et tout l’azur s’allume. 6+6 b
135 Or, du même coup d’œilqui saisit dans les airs 6+6 a
Les jets de l’incendieet le vol des éclairs, 6+6 a
J’apeois, dessinésen silhouette noire, 6+6 b
Mes gars, les bras levésen signe de victoire. 6+6 b
Voilà le globe d’ordescendu derrière eux. 6+6 a
140 Un trait rouge a bordéle profil ténébreux 6+6 a
Du rocher dominantla montagne aux flancs sombres. 6+6 b
Dans le ciel bleu je voiss’agrandir les deux ombres ; 6+6 b
Et, de là-haut, deux crisserrés et triomphants 6+6 a
M’apportent le salutet l’orgueil des enfants. 6+6 a
145 Alors, bénissant Dieude mon œuvre achevée, 6+6 b
Heureux d’ouvrir l’espaceà ma chère couvée, 6+6 b
Je songe que le jourdu combat va venir 6+6 a
Pour eux, et qu’il s’agitpour moi de bien finir ; 6+6 a
Et je me réjouispar-dessus toute chose, 6+6 b
150 De laisser après moides soldats à ma cause, 6+6 b
Au droit, à l’idéal,à tout ce que je crois ; 6+6 a
Des fidèles, enfin,au Dieu mort sur la croix. 6+6 a
Le passé dispartdans ce rêve suprême, 6+6 b
Et je sens tout mon cœur,détaché de moi-même, 6+6 b
155 S’envoler vers mes filsdans ces champs lumineux, 6+6 a
Pour vivre de leur vieet s’absorber en eux. 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
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