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F = "e" féminin
| = césure
LAP_13/LAP167
Victor de LAPRADE
LE LIVRE D'UN PÈRE
1877
IX
INQUIÉTUDES
Vous dont je devrai compte à l’âme de mon père, 6+6 a
Enfants par qui je crains tour à tour et j’espère, 6+6 a
J’ai tenté bien des fois de percer l’avenir 6+6 b
Pour vous y suivre encore et vous y soutenir ; 6+6 b
5 Je songe avec terreur à ce juge suprême 6+6 a
Qui doit vous voir à l’œuvre et me juger moi-même. 6+6 a
Comme j’accepterais mon fardeau redoublé 6+6 b
Si moi seul, moi tout seul, j’en étais accablé ! 6+6 b
Comme énergiquement j’achèverais ma tâche, 6+6 a
10 Certain, sous mes douleurs, de n’être jamais lâche, 6+6 a
Si vous m’étiez montrés, après ces temps mauvais, 6+6 b
Dignes de votre aïeul, tels que je vous rêvais : 6+6 b
Si vous aviez atteint le seul but où je vise, 6+6 a
Et plus haut que mes vers inscrit notre devise ; 6+6 a
15 Et si Dieu, dès ce monde, en surcroît de l’honneur, 6+6 b
Voulait vous accorder quelque peu de bonheur ! 6+6 b
Qu’importe que ma fin soit souriante ou triste ! 6+6 a
C’est pour ces jeunes fleurs que le vieil arbre existe, 6+6 a
Que la fleur soit donc belle et le fruit généreux : 6+6 b
20 L’arbre qui les portait sera jugé sur eux. 6+6 b
C’est ainsi, chers enfants, dont l’aspect me rassure, 6+6 a
Que vous serez ma gloire ou bien ma flétrissure. 6+6 a
Étant sortis de moi, vous me devez au moins 6+6 b
D’attester tout mon cœur et d’être mes témoins. 6+6 b
25 Exerçant sur mon nom la censure et l’envie, 6+6 a
Bien des gens ne sauront de moi que votre vie, 6+6 a
Et si vous n’êtes bons, je serai cru pervers ; 6+6 b
De mensonge et d’orgueil on taxera mes vers, 6+6 b
Et, les effaçant tous, d’un seul coup de faiblesse, 6+6 a
30 Vous ferez un plomb vil de l’or que je vous laisse. 6+6 a
Ne me démentez pas ! l’honneur est à ce prix. 6+6 b
Tâchez de valoir mieux que mes meilleurs écrits ; 6+6 b
Et que l’on reconnaisse, en vous regardant vivre, 6+6 a
Que mon cœur sentait bien ce que disait mon livre ; 6+6 a
35 Que j’avais dans le sang, que j’observai toujours 6+6 b
La fière loyau qui règne en mes discours ; 6+6 b
Que, si vous marchez droit, c’est en suivant ma trace, 6+6 a
Que ce n’est point hasard, mais vertu de ma race. 6+6 a
Ayez donc devant vous, comme image du bien, 6+6 b
40 Votre père, toujours, ainsi que j’eus le mien ; 6+6 b
Qu’il soit mort ou proscrit, vivez en sa présence : 6+6 a
L’aïeul vous parlera dans votre conscience. 6+6 a
Avant de vous fier à ce qui semble d’or, 6+6 b
Consultez son honneur, comme je fais encor. 6+6 b
45 Ce n’est pas moi, c’est lui que je pose en modèle ! 6+6 a
J’ai tâché seulement d’être une ombre fidèle, 6+6 a
De marcher sur sa voie et vers son but sacré ; 6+6 b
Je ne l’atteindrai point, mais j’en approcherai ! 6+6 b
Au mépris du succès, du bien-être éphémère, 6+6 a
50 J’écris d’après mon cœur et le cœur de ma mère. 6+6 a
Mes modestes héros ne sont pas pris ailleurs. 6+6 b
Si mon poème est bon, vos aïeux sont meilleurs. 6+6 b
Heureux quand, par moments, réchauffé de leurs flammes, 6+6 a
J’ai su parer mes vers des beautés de leurs âmes. 6+6 a
55 Du tronc qui nous porta soyez les dignes fruits ; 6+6 b
Qu’on me retrouve en vous plus pur que je ne suis, 6+6 b
Que, dans vos actions, mon âme reparaisse 6+6 a
Libre enfin de toute ombre et de toute faiblesse. 6+6 a
Polissez nuit et jour sous la main du devoir 6+6 b
60 L’acier de votre vie où je veux me revoir, 6+6 b
Afin qu’à tous les yeux la clarté dont il brille 6+6 a
Illumine mon œuvre, honneur de la famille. 6+6 a
Ah ! comme avec douceur aux trois quarts du chemin 6+6 b
Mon vieux corps fatigué se coucherait demain ; 6+6 b
65 Que l’éternel repos aurait pour moi de charmes, 6+6 a
Si je vous laissais tous vaillants et tous en armes ! 6+6 a
Si, de là-bas, dans l’ombre où dorment les aïeux, 6+6 b
Je vous savais aimés, purs, honorés, joyeux ! 6+6 b
Si je voyais dé poindre vos desties 6+6 a
70 Dans ce feuillage obscur des premières années ; 6+6 a
Si les fruits grossissants, peints de vives couleurs, 6+6 b
Étaient prêts à tenir les promesses des fleurs ! 6+6 b
Mais je pars, le cœur plein de doute et de murmures, 6+6 a
Avant que la vendange et la moisson soient mûres ! 6+6 a
75 Le triste laboureur, loin du champ bien aimé, 6+6 b
Ne récoltera pas ce qu’il avait semé. 6+6 b
Et qui sait, après lui, si la foudre et la grêle, 6+6 a
Si les chasseurs, foulant ses blés, sa vigne frêle, 6+6 a
Laisseront sur le sol, dans les greniers en feu, 6+6 b
80 Quelque chose à cueillir ou pour l’homme ou pour Dieu ! 6+6 b
Puisse, un jour, récoltant l’or de ces jeunes plantes, 6+6 a
Au gré du vieux semeur bien douces mais trop lentes, 6+6 a
La patrie hériter de ma chère moisson ! 6+6 b
Amis, si vous gardez ma suprême leçon, 6+6 b
85 Si je vous vois, comblant ma plus haute espérance, 6+6 a
Chérir, comme je fais, notre mère la France, 6+6 a
Prêts à la bien servir en temps calme ou troublé, 6+6 b
Je puis vivre ou mourir, mais fier, mais consolé. 6+6 b
Pourquoi douter ? pourquoi, rassasié d’orages, 6+6 a
90 Ne pas forcer ton âme à de meilleurs présages ? 6+6 a
La vie est sombre, ayons un radieux trépas ! 6+6 b
Croyons à de beaux jours que nous ne verrons pas, 6+6 b
Et qui feront mûrir, dans l’héritage en fête, 6+6 a
Cette verte moisson qui si fort t’inquiète ! 6+6 a
95 Fions-nous au bon sol, au bon grain, au soleil… 6+6 b
Et dans les bras de Dieu dormons notre sommeil. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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