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LAP_11/LAP148
Victor de LAPRADE
POÈMES CIVIQUES
1873
LIVRE DEUXIÈME
X
AUX SOLDATS
ET AUX POÈTES BRETONS
A MON AMI ÉMILE GRIMAUD
I
Ne me réveille pas de ma stupeur mortelle ; 6+6 a
Ami, ne me dis plus : « Ta Muse, où donc est-elle ? 6+6 a
L'écho des bois sanglants, témoins de nos revers, 6+6 b
Appelle un autre bruit que le bruit de mes vers ; 6+6 b
5 Et, condamné par l'âge à déposer les armes, 6+6 a
Je dois à nos douleurs le silence et des larmes. 6+6 a
Ah ! si j'étais encor, chez les pâtres gaulois, 6+6 b
Un alerte chasseur, souple comme autrefois, 6+6 b
D'un œil sûr dirigeant le plomb des carabines, 6+6 a
10 Et d'un jarret d'acier franchissant nos ravines, 6+6 a
Je bondirais alors sur ces infâmes loups. 6+6 b
Et mes cris s'entendraient d'aussi loin que mes coups ! 6+6 b
Alors, ne rêvant plus que vengeance et victoire. 6+6 a
Sur les coteaux lorrains, ou sur tes bords, ô Loire ! 6+6 a
15 L'essaim des francs-tireurs me verrait accourir, 6+6 b
Et j'oserais chanter, étant prêt à mourir. 6+6 b
Mais, débile, impuissant, courbé sous la défaite. 6+6 a
Je n'ai plus qu'à m'asseoir et qu'à voiler ma tête 6+6 a
Et dans l'ombre, envieux de vos vaillantes morts, 6+6 b
20 Je n'ai plus qu'à finir, étouffant de remords. 6+6 b
Peut-être, malgré l'âge et le froid qui me gagne, 6+6 a
Si j'étais parmi vous, ô fils de la Bretagne, 6+6 a
O Celtes vendéens, revêtus de la croix. 6+6 b
Et qui du barde encore aimez la rude voix, 6+6 b
25 Peut-être à vos côtés, paysans invincibles, 6+6 a
Mon cœur retrouverait quelques hymnes terribles. 6+6 a
Et ma rage, enivrant vos sacrés bataillons, 6+6 b
Soulèverait, là-bas, les pierres des sillons. 6+6 b
Mes vers, sonnant la charge et jamais la retraite, 6+6 a
30 Seraient votre clairon, Cathelineau ! Charette ! 6+6 a
Pour qu'un même boulet, fauchant le premier rang. 6+6 b
Mêlât mon sang obscur à votre illustre sang. 6+6 b
Mais, dans les tristes murs où j'achevais de vivre, 6+6 a
Pas une âme à guider, pas un exemple à suivre ! 6+6 a
35 Pas un rayon sacré ne vient me rajeunir, 6+6 b
Et le présent hideux me salit l'avenir. 6+6 b
Quand l'affreux Allemand viole notre terre, 6+6 a
Quand, vous tous, vous marchez au même cri de guerre. 6+6 a
Ici, notre ennemi, qu'on pourchasse en tout lieu. 6+6 b
40 Ce n'est pas l'étranger, c'est le prêtre, c'est Dieu. 6+6 b
Héroïques soldats, républicains austères, 6+6 a
Nous allons vaillamment piller des monastères 6+6 a
Et jeter en prison, de par la liberté, 6+6 b
L'homme de la prière et de la charité. 6+6 b
45 Armés jusques aux dents, nos braves, sans obstacle. 6+6 a
Vont des vases sacrés vider le tabernacle ; 6+6 a
Étendus par troupeaux sur le parvis divin, 6+6 b
Ils y cuvent en paix le blasphème et le vin. 6+6 b
Ils ont dans les tombeaux, du bout des baïonnettes. 6+6 a
50 Ignobles chercheurs d'or, remué les squelettes. 6+6 a
Pour sauver la patrie et pour fonder les lois, 6+6 b
Voilà, jusqu'à ce jour, nos plus dignes exploits ! 6+6 b
Sur l'hôte ! communal, comme du haut d'un bouge, 6+6 a
Flotte un sanglant torchon, le hideux drapeau rouge, 6+6 a
55 Pour dire à tous les yeux, attestant nos excès. 6+6 b
Que les gens et le sol n'ont plus rien de français. 6+6 b
Maudits et supportés par le bourgeois tranquille, 6+6 a
Cinquante jacobins tyrannisent la ville. 6+6 a
Et tout homme de bien qui veut parler raison 6+6 b
60 Risque, en attendant mieux, de coucher en prison. 6+6 b
Ami, comment veux-tu que le poète chante 6+6 a
Chez cette horde inepte encor plus que méchante ? 6+6 a
Qui donc m'écouterait ? qui pourrais-je émouvoir. 6+6 b
Nommant ici la France et prêchant le devoir ? 6+6 b
65 Le maître fléchirait dans une œuvre pareille : 6+6 c
Marat ôte chez nous la parole à Corneille. 6+6 c
II
Mais pour vous, ô Bretons ! ô Celtes de l'Arvor ! 6+6 a
Pour vous, ô Vendéens ! je suis poète encor ! 6+6 a
Mon ardeur qui s'éteint, mon humble voix qui tombe, 6+6 b
70 Sauront vous saluer même au seuil de la tombe ; 6+6 b
Et Dieu m'accordera, pour la suprême fois, 6+6 c
De sonner la bataille à nos vieux clans gaulois. 6+6 c
Allez donc, ô géants, ô Bretagne, ô Vene ! 6+6 a
Allez, Saints de l'Anjou ! 6 b
75 De sauvages impurs la France est inone ; 6+6 a
Peuple chrétien, debout ! 6 b
C'est notre Dieu sanglant qui vous appelle aux armes, 6+6 a
Qui vous commande ici. 6 b
Saint Louis, Jeanne d'Arc, les yeux baignés de larmes. 6+6 a
80 Vous adjurent aussi. 6 b
Il s'agit de leur France et de son âme entière ; 6+6 a
Car le Teuton vainqueur 6 b
Veut moins, dans son orgueil, rogner noire frontière 6+6 a
Qu'égorger notre honneur ! 6 b
85 Il rêve d'effacer la France de l'histoire, 6+6 a
Par le fer, par le feu, 6 b
Et de faire servir son infâme victoire 6+6 a
A nier notre Dieu. 6 b
Il rêve de fonder un droit contraire au nôtre, 6+6 a
90 D'affirmer hautement 6 b
Que le peuple français n'est plus le peuple apôtre, 6+6 a
Que la liberté ment. 6 b
Aux armes, fiers Bretons, fils de libres ancêtres, 6+6 a
Qui, Seuls dans l'univers, 6 b
95 N'avez jamais fléchi sous Rome et sous des maîtres. 6+6 a
Jamais porté de fers ! 6 b
Aux armes, Vendéens, dont la race héroïque 6+6 a
De paysans-soldats. 6 b
Quand l'Europe tremblait devant la République, 6+6 a
100 Seule ne tremblait pas ! 6 b
Bretons et Vendéens, famille encor meurtrie 6+6 a
De nos injustes coups, 6 b
Vengez-vous, ô martyrs, en sauvant la patrie : 6+6 a
Les Bleus comptent sur vous. 6 b
105 Invoquant tousses fils, la France exténuée 6+6 a
Les voit tous accourir ; 6 b
Que du même étendard elle soit saluée 6+6 a
Par ceux qui vont mourir. 6 b
Vendéens et Bretons, la France vous contemple ; 6+6 a
110 Montrez-nous le chemin ! 6 b
Notre scandale hier, aujourd'hui notre exemple, 6+6 a
Paris vous tend la main. 6 b
Paris ! c'est avec vous la suprême espérance ; 6+6 a
Il va reconquérir 6 b
115 Le droit de se nommer la tête de la France : 6+6 a
Ses fils savent mourir. 6 b
Notre Athène a, d'un coup, monté plus haut que Sparte 6+6 a
Et lavé son affront ; 6 b
Elle a poussé du pied l'infâme Bonaparte : 6+6 a
120 Les dieux lui reviendront. 6 b
Républicains, chouans, nous n'avons plus qu'une âme : 6+6 a
Arrière les Césars ! 6 b
Trochu, l'ardent Breton que tout Paris acclame. 6+6 a
Veille sur nos remparts. 6 b
125 C'est à vous, paysans, d'achever l'œuvre sainte ; 6+6 a
Debout les vieux Gaulois ! 6 b
Et fauchons l'étranger sous cette ferme enceinte 6+6 a
Du temple de nos lois. 6 b
Lutèce vous attend, l'Europe vous regarde, 6+6 a
130 O guerriers de l'Arvor ! 6 b
Que Dieu, pour vous guider, suscite un puissant barde 6+6 a
Dont la harpe soit d'or ; 6 b
Qu'il réveille vos morts au fond de leurs cavernes, 6+6 a
Vos aïeux en courroux ! 6 b
135 Je vous jette ce cri du pied des monts arvernes, 6+6 a
Moi, Celte comme vous. 6 b
mètre profils métriques : 6, 6+6
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