Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAP_11/LAP126
Victor de LAPRADE
POÈMES CIVIQUES
1873
LIVRE PREMIER
III
UNE STATUE A MACHIAVEL1
Tout peuple, en renaissant, s'adore dans un homme ; 6+6 a
Il prend de son héros le nom dont il se nomme ; 6+6 a
Comme sa propre image, il assied sur l'autel 6+6 b
Ou son Léonidas ou son Guillaume Tell : 6+6 b
5 Sous les traits de l'idole il sent qu'il va revivre. 6+6 a
Or ce bronze le juge et le peint mieux qu'un livre ; 6+6 a
Son arrêt est gra dans l'œuvre du sculpteur : 6+6 b
Sa liberté ressemble à son libérateur. 6+6 b
Chez nous. Français, les fils de la chevalerie, 6+6 a
10 Une femme, une vierge a fondé la patrie ; 6+6 a
Son âme y ressuscite à l'heure du danger, 6+6 b
Son nom est le défi qu'on lance à l'étranger ; 6+6 b
Car la race des Francs, que tout Calvaire attire. 6+6 a
S'aime et se reconnaît dans Jeanne la martyre. 6+6 a
15 Toi, tu choisis pour Dieu le fourbe florentin. 6+6 b
Tu l'assieds sur le seuil d'un empire latin, 6+6 b
Italie ! Et voi qu'à peine indépendante. 6+6 a
Au mépris de Colomb, de Raphaël, de Dante 6+6 a
Quand tu peux évoquer un visiteur du ciel, 6+6 b
20 Ta jeune liberté s'éprend de Machiavel ! 6+6 b
Et c'est nous, peuple franc de cœur et de parole, 6+6 a
Qui fournissons le bronze à cette infâme idole ! 6+6 a
Soldats ! donnons encor du sang et du métal ; 6+6 b
Il faut à la statue un digne piédestal ; 6+6 b
25 Il faut qu'avec l'image inaugurant le culte, 6+6 a
Chacun des bas-reliefs nous jette son insulte : 6+6 a
Sculpteur, écrivez là, d'un doigt reconnaissant. 6+6 b
Et Castelfidardo trempé de notre sang, 6+6 b
Et, pour payer d'un coup ses sauveurs débonnaires, 6+6 a
30 L'Italie appelant des Français : mercenaires ! 6+6 a
Donnez du bronze encore ! afin qu'en plein soleil 6+6 b
L'autre face du socle ait son tableau pareil : 6+6 b
Aux pieds du même dieu, c'est une ville en fête, 6+6 a
Naples, de tout venant la docile conquête. 6+6 a
35 Qui prodigue les fleurs et dépouille son sein. 6+6 b
Pour parer le tombeau d'un immonde assassin. 6+6 b
Voilà donc le grand homme et les grandes histoires 6+6 a
Qu'ils gravent sur ce bronze issu de nos victoires ! 6+6 a
Nos fils, tombés pour vous, des Français par milliers. 6+6 b
40 Engraissent vos guérets du sang des chevaliers, 6+6 b
Pour qu'au premier soleil, votre terre agrandie 6+6 a
En épaisses moissons germe la perfidie. 6+6 a
Et nous montre au parjure emmanchant le poignard 6+6 b
Machiavel… du tombeau retiré par Bayard ! 6+6 b
45 Souffrirez-vous qu'on dise, aux pieds d'un tel ancêtre : 6+6 a
« L'Italie est fidèle aux leçons de ce maître ! » 6+6 a
Et qu'effrayant l'honneur, sous ce masque pervers, 6+6 b
Sa jeune indépendance attriste l'univers ? 6+6 b
Non ! la liberté, même en ses jours de délire, 6+6 a
50 Dans le livre du Prince a refusé de lire. 6+6 a
L'astuce et le mensonge et tous ces vils moyens 6+6 b
Engendrent des Césars, jamais des citoyens. 6+6 b
Cache, Italie, un front qui conseille le crime ! 6+6 a
Cet art impur forgea la chaîne qui t'opprime. 6+6 a
55 Montre tes Raphaël et les Alighiéris ! 6+6 b
Va, va ! ce n'est pas trop de tous ces noms chéris 6+6 b
Pour effacer des cœurs, où la colère abonde, 6+6 a
La liste des tyrans que tu donnas au monde. 6+6 a
Cache le Machiavel ! alors nous oublierons 6+6 b
60 Que les flancs de ta louve ont porté les Nérons. 6+6 b
Ne nous rappelle pas, vieille injure impunie. 6+6 a
Que notre sol saigna sous ton affreux génie ; 6+6 a
Qu'à nous, Gaulois broyés sous ce pied malfaisant, 6+6 b
Tu nous fis de César l'exécrable présent. 6+6 b
65 A tes libérateurs, — quitte d'ingratitude, — 6+6 a
Tu donnas, par avance, assez de servitude ; 6+6 a
Assez d'impures mains auront appris chez toi 6+6 b
Le jeu des faux serments et le bris de la loi. 6+6 b
Ce bronze où Machiavel par tes soins doit revivre 6+6 a
70 Invitera les rois à pratiquer son livre ; 6+6 a
Tu vas, ainsi, funeste à nos derniers parents, 6+6 b
Tenir de siècle en siècle école de tyrans. 6+6 b
Et tu veux que la France aux fils de cette école 6+6 a
Avec son propre glaive ouvre le Capitole ? 6+6 a
75 Tu veux que nous allions, le Celte et le Germain, 6+6 b
A tes œufs de vautour rendre leur nid romain ? 6+6 b
Ah ! dans l'eau du baptême,au nom du Dieu fait homme, 6+6 a
L'Europe a pu noyer ses haines contre Rome ; 6+6 a
L'univers, affranchi des préteurs arrogants, 6+6 b
80 Laissa debout ces murs fondés par des brigands. 6+6 b
Mais le Gaulois vainqueur, le Saxon et l'Ibère, 6+6 a
N'y souffriront pas plus Auguste que Tibère. 6+6 a
L'honneur, qui ne veut plus courir de tels hasards, 6+6 b
A donné Rome au Christ pour la prendre aux Césars. 6+6 b
85 Laissez sur les Sept-Monts, dans l'orage qui gronde, 6+6 a
La croix qui vous sauva des vengeances du monde ; 6+6 a
Rome n'est plus à vous ; — respectez le saint lieu ! 6+6 b
Par un don de la France elle appartient à Dieu. 6+6 b
Jamais au Vatican, abrité de nos glaives, 6+6 a
90 On ne verra trôner le Prince ou ses élèves ; 6+6 a
Tant qu'à travers nos deuils et nos destins errants 6+6 b
Nous garderons au moins notre vieux nom de Francs. 6+6 b
En vain tout s'assombrit et le doute nous ronge ; 6+6 a
Nous avons en horreur l'astuce et le mensonge. 6+6 a
95 Et les fourbes, chez nous, dans leurs trames surpris, 6+6 b
Succombent écrasés sous le poids du mépris ; 6+6 b
Machiavel y verrait, debout sur une place, 6+6 a
Nos enfants de sept ans lui cracher à la face. 6+6 a
La ruse ôte, chez nous, leur prestige aux vainqueurs ; 6+6 b
100 Le succès éblouit, mais ne prend pas les cœurs. 6+6 b
Nos cœurs sont avec ceux qu'on trompe ou qu'on opprime ; 6+6 a
Tu le sais, l'oublier, Italie, est un crime ! 6+6 a
Tu sais qui releva tes blessés à genoux. 6+6 b
Les vaincus de Novare, où seraient-ils sans nous ? 6+6 b
105 D'autres vaincus plus chers, d'autres plus nobles armes, 6+6 a
Appellent, aujourd'hui, nos lauriers et nos larmes. 6+6 a
De sombres Machiavels, qui frappaient à coup sûr, 6+6 b
Ont versé par vos mains notre sang le plus pur ; 6+6 b
Et, si l'antique honneur n'est pas sourd dans notre âme, 6+6 a
110 Ce sang crie à jamais contre l'idole infâme 6+6 a
Dressez-la cependant ! Nous, d'une ferme voix. 6+6 b
Rendons gloire à nos morts couchés sur leurs pavois. 6+6 b
Dans l'or et dans l'airain gravons, d'une main fière, 6+6 a
Ton nom, ô PIMODAN ! le tien, LAMORICIÈRE ! 6+6 a
115 Toi qui, fait à juger ces hasards d'un coup d'œil, 6+6 b
Offrais plus que ta vie à ce Pontife en deuil. 6+6 b
Va ! plus d'un noble émule, arrivé jusqu'au faîte, 6+6 a
T'envie, au fond du cœur, cette illustre défaite. 6+6 a
Tu peux croire une voix qui n'a jamais flatté, 6+6 b
120 O chef ! c'est avec toi qu'était la liberté ; 6+6 b
Tirais comme on la sert, toi qui souffris pour elle ; 6+6 a
Dieu sera de moitié dans sa dette nouvelle, 6+6 a
Et leur double étendard, entre tes mains remis, 6+6 b
Montre, à qui veut bien voir, où sont leurs ennemis. 6+6 b
125 Pour moi, poète, errant sur mes Alpes hautaines, 6+6 a
Ignoré des tribuns, des rois, des capitaines, 6+6 a
Mais fièrement épris de tout noble revers. 6+6 b
J'offre à de tels vaincus l'encens pur de mes vers. 6+6 b
Dans mon livre, jamais, peu soucieux de plaire, 6+6 a
130 Je n'inscrivis un nom puissant ou populaire ; 6+6 a
Si les heureux du jour ont entendu ma voix. 6+6 b
Ils savent quel mépris m'exilait dans mes bois. 6+6 b
Mais j'en saurai sortir, portant haut le visage, 6+6 a
Si le Dieu que je sers demande un témoignage ; 6+6 a
135 Si je puis, un seul jour, à l'œuvre qu'il bénit. 6+6 b
Porter mon grain de sable ou mon bloc de granit. 6+6 b
Ah ! tandis qu'à nos yeux, dressé comme une injure, 6+6 a
Ce bronze italien fait un dieu du parjure, 6+6 a
Que des vieux droits l'Europe éteint le clair fanal, 6+6 b
140 Qu'on s'appuie à tâtons sur le bien ou le mal, 6+6 b
Que le monde passif, comme en un mauvais songe, 6+6 a
Laisse trôner si haut la fourbe et le mensonge. 6+6 a
Nous, les soldats du Christ, nous, les Francs, maintenons 6+6 b
Ces vertus et ces droits qui nous doivent leurs noms : 6+6 b
145 La fierté d'une libre, et loyale parole, 6+6 a
La foi, prompte à signer de sang un cher symbole, 6+6 a
Et l'audace d'un cœur, sans reproche et sans fiel, 6+6 b
Qui no craint, ici-bas, que la chute du ciel. 6+6 b
Dans nos chastes maisons, comme le feu des temples, 6+6 a
150 De nos aïeux éteints rallumons les exemples ; 6+6 a
Leur flamme en chassera mille intérêts rampants, 6+6 b
Prompts à nous enlacer comme de vils serpents ; 6+6 b
Et les saines clartés du foyer domestique 6+6 a
Rayonneront, alors, sur la chose publique. 6+6 a
155 Le luxe et l'avarice et les sordides peurs 6+6 b
N'iront plus, à genoux, au-devant des trompeurs ; 6+6 b
La lumière entrera dans ces impurs dédales 6+6 a
De noires trahisons et d'ignobles scandales. 6+6 a
Sur l'art de Machiavel et sa divini 6+6 b
160 Qu'il tombe un seul rayon d'ardente probité, 6+6 b
L'éclair d'un franc regard, sans plus de sortilège.. 6+6 a
Et ce bronze hideux fondra comme la neige ; 6+6 a
Et nous rendrons, enfin, éprouvés par ce feu. 6+6 b
L'autel où fut l'idole au véritable Dieu. 6+6 b
165 Dans nos âmes d'abord, et de là dans nos villes, 6+6 a
Posons pour fondement à nos vertus civiles 6+6 a
Un culte qui résiste à ce temps suborneur. 6+6 b
Et sachons l'appeler de son vieux nom : l'HONNEUR. 6+6 b
 On se souvient que la Toscane, en s'unissant au Piémont, a voté l'érection de deux statues, l'une à Machiavel, l'autre à Napoléon III.
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université