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| = césure
LAP_11/LAP123
Victor de LAPRADE
POÈMES CIVIQUES
1873
DÉDICACE
A MON AMI PAUL DE MAGNAN.
Vous m'écoutez penser et vous me voyez vivre, 6+6 a
Ami ! vous savez bien qui m'a dicté ce livre : 6+6 a
C'est l'œuvre d'un croyant, et non d' un froid moqueur 6+6 b
Ce livre ! il vient de ceux de qui me vient mon cœur ; 6+6 b
5 De ceux que j'interroge et que je vois en songe, 6+6 a
De ceux qui m'ont transmis la haine du mensonge. 6+6 a
De ceux à qui je dois un symbole, un drapeau, 6+6 b
Tout ce qui fait un homme au milieu d'un troupeau : 6+6 b
De ma mère d'abord, de ma mère, humble sainte 6+6 a
10 Qui vécut à genoux dans l'amour et la crainte, 6+6 a
M'enseignant à courber mon front devant la croix, 6+6 b
Et forçant ma raison à répéter : Je crois ; 6+6 b
De mon père, un penseur à la franche parole, 6+6 a
Qui jamais n'a fléchi devant aucune idole ; 6+6 a
15 Qui vécut libre et fier et lutta jusqu'au bout. 6+6 b
Qui m'instruisit d'exemple à me tenir debout ; 6+6 b
Qui, sur le vil succès ne jugeant point des causes, 6+6 a
M'apprit, hormis l'honneur, à priser peu de choses. 6+6 a
Mon père ! il n'est plus là pour me dire : En avant ! 6+6 b
20 Pour censurer mes vers, et les dicter souvent ; 6+6 b
Mon père ! il m'a donné,'pour couronner mon livre, 6+6 a
La suprême leçon : — que Dieu m' aide à la suivre ! — 6+6 a
— Ma mère, hélas ! dé me l'avait enseigné — 6+6 b
Il m'apprit comme on meurt paisible et résigné. 6+6 b
25 Ami, vous assistiez à ce moment auguste. 6+6 a
Bien plus que le témoin de cette fin d'un juste. 6+6 a
Vous étiez, pour nous tous, le vigilant secours 6+6 b
Qui gagne sur la mort des heures et des jours, 6+6 b
L'infatigable espoir par qui l'on peut encore 6+6 a
30 Vivre, agir, au chevet du mourant qu'on adore. 6+6 a
Vous étiez ce sourire étendu sur les pleurs 6+6 b
Qui, versant un soleil sur les lits de douleurs. 6+6 b
Fait pénétrer au fond des âmes qu'il rassure 6+6 a
Le baume que la main répand sur la blessure. 6+6 a
35 Indomptable et serein dans cet affreux émoi, 6+6 b
Vous étiez là son aide et son fils mieux que moi. 6+6 b
C'est vous, ô mon ami, déjà plus que mon frère. 6+6 a
Qui l'avez revêtu de son drap funéraire ; 6+6 a
Vous n'avez pas voulu — m'écartant de ce seuil — 6+6 b
40 Qu'une main d'étranger le mit dans son cercueil. 6+6 b
Votre main, de ce jour, porte une auguste empreinte, 6+6 a
Je l'avais pour très chère et je l'ai pour très sainte. 6+6 a
Ce grand cœur véné dont j'ai perdu l'appui, 6+6 b
C'est en vous qu'il me parle et m'assiste aujourd'hui. 6+6 b
45 Lorsqu'au bout de ma tâche ici-bas terminée. 6+6 a
J'irai me reposer de ma triste journée, 6+6 a
Quand du poids de mon corps et du poids de mon cœur 6+6 b
Je serai libre enfin, et peut-être vainqueur ; 6+6 b
Dans le sein de ce Dieu que je crains, que j'espère, 6+6 a
50 Lorsque j'aurai rejoint et ma mère et mon père ; 6+6 a
Qu'en ce monde, ait je fus un si frêle soutien. 6+6 b
Pour mes chers délaissés je ne pourrai plus rien… 6+6 b
Je veux de mes soucis transmettre l'héritage 6+6 a
A cet ami vaillant qui déjà les partage. 6+6 a
55 C'est vous, alors, c'est vous, qui serez, à vous seul, 6+6 b
Qui serez pour les miens et le père et l'aïeul ; 6+6 b
C'est vous qu'ici je lègue à mes fils, à mes filles. 6+6 a
Pour leur montrer la route où marchaient nos familles, 6+6 a
Et parfaire avec eux ce siècle d'amitié 6+6 b
60 Dont nos pères ont vu la plus longue moitié. 6+6 b
Celte amitié, déjà, date d'un ancien monde ; 6+6 a
Elle assista bien jeune à sa chute profonde. 6+6 a
Après que leurs autels croulaient de toutes parts, 6+6 b
La foi des deux enfants fut celle des vieillards ; 6+6 b
65 Tous les deux, nous offrant d'inflexibles modèles, 6+6 a
A tout ce qui tombait sont demeurés fidèles. 6+6 a
Nous, tristes héritiers de leurs pressentiments, 6+6 b
Nous n'assistons encor qu'à des écroulements. 6+6 b
Dans ce ciel indécis voyez-vous, sur nos têtes. 6+6 a
70 Poindre cet âge d'or des modernes prophètes ? 6+6 a
Dans les faits, dans les cœurs je cherche à l'horizon 6+6 b
Par quel côté grandit notre humaine raison ; 6+6 b
Je vois autour de nous, pendant qu'on prophétise, 6+6 a
Pulluler la bassesse et croître la bêtise. 6+6 a
75 L'infâme hypocrisie, et sous des noms divers, 6+6 b
La morne servitude aplatir, l'univers. 6+6 b
Vous n'avez pas voulu, sous ce ciel qui menace, 6+6 a
A ce lâche avenir confier votre race ; 6+6 a
La chaîne d'or en vous eut son dernier chnon : 6+6 b
80 Mes enfants n'auront pas d'amis de votre nom. 6+6 b
Je les plains, je les plains ! ils vivront dans un âge 6+6 a
En amitié plus pauvre et plus pauvre en courage. 6+6 a
Mais pour vous, pour ce nom, pour votre vieille foi, 6+6 b
Je vous en applaudis ! vous files mieux que moi. 6+6 b
85 Emportant avec vous votre race et vos armes, 6+6 a
Vous pourrez au tombeau vous coucher sans alarmes. 6+6 a
Heureux de voir en vous finir votre maison, 6+6 b
De rendre à vos aïeux un intègre blason. 6+6 b
D'épargner à leur nom fier de Malte et de Rhode 6+6 a
90 L'affront d'être porté sous un futur Commode. 6+6 a
Moi, de ce nom fidèle aux dieux que je défends. 6+6 b
Je veux orner ce livre écrit pour mes enfants. 6+6 b
Ce nom leur donnera des conseils de noblesse. 6+6 a
Quand vos mains cesseront d'étayer leur faiblesse, 6+6 a
95 Quand vous m'aurez rejoint, quand plus rien de nous deux, 6+6 b
Hors mes vers, et ce nom ne veillera près d'eux. 6+6 b
Laissons-leur à chacun, contre la foule impure, 6+6 a
Ce double souvenir comme une double armure ; 6+6 a
Et pour ceindre les flancs d'un athlète affermi, 6+6 b
100 Tressons l'honneur du père à l'honneur de l'ami. 6+6 b
V. DE LAPRADE.
mètre profil métrique : 6+6
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