Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAM_9/LAM159
Alphonse de LAMARTINE
LA CHUTE D’UN ANGE
1838
NEUVIÈME VISION
────
Cependant, descendu sur l’horrible tempête, 6+6 a
L’esquif des hautes tours rasait le sombre faîte. 6+6 a
On eût dit à leur foule, à leurs sommets pressés, 6+6 b
En aiguilles, en arcs, en minarets dressés, 6+6 b
5 Une forêt de pierre où les granits, les marbres, 6+6 a
Auraient germé d’eux-même et végétaient en arbres : 6+6 a
Pyramides, palais bâtis pour des géants, 6+6 b
Ponts immenses montant sur leurs cintres béants, 6+6 b
Arcs sur arcs élevant de larges plates-formes 6+6 a
10 Servant de piédestal à des monstres énormes, 6+6 a
Obélisques taillés dans un bloc seulement, 6+6 b
Arrachés de la terre ainsi qu’un ossement, 6+6 b
Et sans rien supporter s’amincissant en glaive, 6+6 a
Dans le ciel étonné se perdant comme un rêve ! 6+6 a
15 Aqueducs où grondait le fleuve aux grandes eaux, 6+6 b
Jardins aériens portés sur mille arceaux, 6+6 b
Dont les arbres géants, plus hauts que nos ies, 6+6 a
Jetaient sur les palais l’ombre de cent coues ! 6+6 a
Colonnades suivant, comme un serpent d’airain, 6+6 b
20 Des coteaux aux vallons les grands plis de terrain, 6+6 b
Où des troncs de métal, prodigieuses plantes, 6+6 a
Portaient à leurs sommets des feuillages d’acanthes ; 6+6 a
Des vases où fumaient des bûchers d’aloès 6+6 b
Pour embaumer, la nuit, la brise des palais, 6+6 b
25 Ou d’éclatants foyers, flammes pyramidales, 6+6 a
Ondoyant sous les vents, reluisaient sur les dalles. 6+6 a
Le navire, voguant sur ces mouvants réseaux, 6+6 b
Comme un aigle au milieu de cent mâts de vaisseaux, 6+6 b
Craignait à chaque instant de déchirer sa quille 6+6 a
30 Contre une pyramide, une tour, une aiguille. 6+6 a
A travers ce dédale il dirigeait son vol, 6+6 b
Aux mille cris d’effroi qui s’élevaient du sol, 6+6 b
Vers le centre éclatant des dieux, forte demeure, 6+6 a
Qui dominait de haut la ville inférieure. 6+6 a
35 Là, planant de plus bas sur le sacré séjour 6+6 b
Où les chefs s’enfermaient dans leur jalouse cour, 6+6 b
Ils virent, aux clartés de cent torches errantes, 6+6 a
Dans un jardin cou de sources murmurantes, 6+6 a
Aux brises sans repos d’accords mélodieux, 6+6 b
40 Un innombrable essaim de déesses, de dieux, 6+6 b
Les regardant tomber comme file une étoile, 6+6 a
Et d’un immense cri faisant trembler leur voile. 6+6 a
Mais avant que l’esquif, un moment suspendu, 6+6 b
Fût au niveau des murs de marbre descendu, 6+6 b
45 Celui qui paraissait régner sur cette foule 6+6 a
Fit un geste : aussitôt, comme la feuille roule 6+6 a
Quand le vent du midi qui vient la balayer 6+6 b
L’amoncelle en courant et la fait ondoyer, 6+6 b
Par le geste écartés, ces hommes et ces femmes, 6+6 a
50 Montrant dans leur pâleur tout l’effroi de leurs âmes, 6+6 a
Sans oser vers le ciel détourner un regard, 6+6 b
Du jardin interdit s’enfuirent au hasard. 6+6 b
Le roi seul, entou par un groupe céleste 6+6 a
De femmes, de géants, indique par un geste 6+6 a
55 Au pilote attentif le sommet d’une tour 6+6 b
Dont les créneaux d’ivoire enfermaient le contour ; 6+6 b
Il y monte à pas lents d’étages en étages, 6+6 a
Et le navire enfin y descend des nuages ! 6+6 a
Sitôt qu’il eut touché terre comme un oiseau, 6+6 b
60 La voile s’abaissa sur son mât de roseau, 6+6 b
Et des flancs affaissés de l’obscure nacelle, 6+6 a
Comme des bords penchés d’un vaisseau qui chancelle, 6+6 a
Les géants descendus saluèrent leur roi ; 6+6 b
Débarquant les captifs immobiles d’effroi. 6+6 b
65 Comme des chiens dressés traînent, souillé d’écume, 6+6 a
Blessé, sanglant, l’oiseau dont ils mordent la plume, 6+6 a
Ils portèrent meurtris, dans leurs bras triomphants, 6+6 b
Aux pieds du roi des dieux le couple et les enfants. 6+6 b
L’aspect inattendu de cette jeune proie 6+6 a
70 Arrache à tous un cri de surprise et de joie ; 6+6 a
Un silence succède à ce ravissement. 6+6 b
Aux clartés d’un flambeau promené lentement, 6+6 b
Qui dans l’obscuri frappant chaque visage 6+6 a
Semblait faire sortir un ange d’un nuage, 6+6 a
75 Les deux bras soulevés par l’admiration, 6+6 b
Les géants l’exhalaient en exclamation. 6+6 b
Ils dévoraient des yeux, dans leur amour sans âme, 6+6 a
Le torse aérien de cette jeune femme, 6+6 a
Ces membres qu’ombrageaient, de sa tête à ses piés, 6+6 b
80 Par l’haleine des nuits ses cheveux dépliés ; 6+6 b
Ces épaules de marbre, où des frissons de crainte 6+6 a
De ses sensations faisaient courir l’empreinte ; 6+6 a
Ces bras qui se tordaient d’horreur sur les carreaux, 6+6 b
Et d’un geste impuissant repoussaient les bourreaux ; 6+6 b
85 Ce cou dont la tristesse alanguissait la courbe, 6+6 a
Comme un palmier pliant sous le fruit qui le courbe ; 6+6 a
Cette bouche entrouverte, aux deux bords de vermeil, 6+6 b
Grenade de damas éclatée au soleil, 6+6 b
Et d’où semblait sortir, avec sa faible haleine, 6+6 a
90 De souffrance et de doute une âme toute pleine ; 6+6 a
Ce pli de la douleur entre ses deux sourcils, 6+6 b
Ces perles qui brillaient sur le bord de ses cils ; 6+6 b
La pâleur de l’effroi, la rougeur de la honte, 6+6 a
Répondant sur sa joue au regard qui l’affronte ; 6+6 a
95 Vers Cédar ench ces soupirs étouffants ; 6+6 b
Ce sourire de mère à ses pauvres enfants ; 6+6 b
Et ces yeux où l’éclat de cette torche errante 6+6 a
Brillait comme un reflet de feu dans l’eau courante, 6+6 a
Et laissait voir au fond de leur morne splendeur 6+6 b
100 Comme un monde infini d’amour et de candeur ! 6+6 b
Ensuite s’arrachant à la céleste image, 6+6 a
Et portant la clarté sur un autre visage, 6+6 a
Ils contemplaient Cédar immobile à leurs piés, 6+6 b
Entourant des deux bras ses genoux repliés, 6+6 b
105 Et, comme pour cacher l’âme sur sa figure, 6+6 a
Laissant pendre en flots courts sa noire chevelure. 6+6 a
Sous le fer, en anneaux sur ses membres rivé, 6+6 b
Son beau corps s’affaissait ; mais s’il s’était levé, 6+6 b
On voyait que sa haute et robuste stature 6+6 a
110 Eût dépassé les dieux de toute la ceinture. 6+6 a
Les lourds anneaux de fer tordus par ses efforts 6+6 b
De quelque tache bleue avaient souillé son corps ; 6+6 b
Mais de ce corps charmant la forte adolescence, 6+6 a
Dont la grâce partout relevait la puissance, 6+6 a
115 De ses muscles naissants les palpitations 6+6 b
Dont le regard suivait les ondulations, 6+6 b
Dans un jeune olivier comme on suit sous l’écorce 6+6 a
Les membrures du tronc qui révèlent sa force ; 6+6 a
La blancheur de sa peau qu’un frissonnant duvet, 6+6 b
120 Comme une ombre ondoyante, à peine relevait ; 6+6 b
De son front foudro la beauté tendre et mâle, 6+6 a
La jeunesse et la mort luttant sur son teint pâle ; 6+6 a
Son corps qui semblait là du ciel précipité, 6+6 b
Sa taille, sa splendeur, son immobilité, 6+6 b
125 Le faisaient ressembler à la pâle statue 6+6 a
De quelque dieu de marbre à nos pieds abattue, 6+6 a
Dont les lézards rampants craignent de s’approcher, 6+6 b
Et qu’en la mesurant la main n’ose toucher. 6+6 b
Insensible au regard qui tombait sur lui-même, 6+6 a
130 Quand le géant orné du divin diadème, 6+6 a
Jetant sur Daïdha un coup d’œil de trop près, 6+6 b
D’un avide regard profanait ses attraits, 6+6 b
Il relevait soudain son front mélancolique, 6+6 a
Contractait son sourcil sur son regard oblique ; 6+6 a
135 On voyait dans son œil son esprit flamboyer : 6+6 b
Cet éclair contenu paraissait foudroyer, 6+6 b
Et ses fers, secoués d’un bond involontaire, 6+6 a
Sonnaient comme un faisceau que le vent jette à terre ; 6+6 a
Les reines pâlissaient de frisson, et le roi 6+6 b
140 Laissait tomber la torche et reculait d’effroi ! 6+6 b
Tel quand un bûcheron dans un chêne encor tendre, 6+6 a
Après l’avoir coupé, met le coin pour le fendre, 6+6 a
Dans le tronc entr’ouvert s’il enfonce les doigts 6+6 b
Pour voir saigner la séve et se tordre le bois, 6+6 b
145 Les deux bords rapprochés de la profonde entaille 6+6 a
Saisissent tout à coup l’homme dans leur tenaille ; 6+6 a
Vainement il secoue un bras désespéré ; 6+6 b
L’arbre emporte la main qui l’avait déchiré. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
logo du CRISCO logo de l'université