Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LAM_9/LAM154
Alphonse de LAMARTINE
LA CHUTE D’UN ANGE
1838
QUATRIÈME VISION
────
Depuis le jour mauditde la fatale épreuve, 6+6 a
Les jours avaient coulécomme les flots du fleuve ; 6+6 a
Insensibles et purs,et rapides pour tous, 6+6 b
Au désert, exceptépour l’épouse et l’époux. 6+6 b
5 Cédant avec douleurà Selma qui le brave, 6+6 a
Et pour sauver du moinsles jours de son esclave, 6+6 a
Le vieux chef, vainementregrettant son trésor, 6+6 b
Avait livré Cédarpour esclave à Zebdor : 6+6 b
Zebdor, le plus puissantdes enfants de sa race, 6+6 a
10 Qui convoitait sa mortpour régner à sa place. 6+6 a
Pour arracher ce traitdu cœur de Daïdha, 6+6 b
Sous ses yeux vigilantsle vieillard la garda ; 6+6 b
Il sépara Cédarde la tribu jalouse, 6+6 a
L’éloigna pour jamaisde l’ombre de l’épouse ; 6+6 a
15 Pour ptre sur les montsles plus maigres troupeaux, 6+6 b
On le relégua seulsur de mornes coteaux 6+6 b
Dévorés du soleil,et séparés du monde 6+6 a
Par des rocs escarpéset par le lit de l’onde ; 6+6 a
Et de peur que l’esclaveen ces lieux oublié 6+6 b
20 Ne rompît les trois jougsdont il était lié, 6+6 b
Et, de son dur exilfranchissant la limite, 6+6 a
Ne s’approchât des bordsque son tyran habite, 6+6 a
Zebdor et ses trois filsarrachèrent du sol 6+6 b
Un vieux tronc de palmierouvert en parasol, 6+6 b
25 Et, comme on lie un blocau coursier qu’on entrave, 6+6 a
Attachèrent ce poidsaux jambes de l’esclave ; 6+6 a
De sorte qu’en trnantavec effort ses pas, 6+6 b
L’arbre suivait sa traceet ne le quittait pas, 6+6 b
Ou que, pour traverserl’onde ou le précipice, 6+6 a
30 Il devait souleverl’instrument du supplice, 6+6 a
Et, pressant dans ses brasle palmier oppresseur, 6+6 b
Écrasé sous ce poidsmarcher à sa sueur. 6+6 b
Ainsi languissait-ilde longs jours, seul au monde. 6+6 a
Mais la nuit de l’amouravait été féconde : 6+6 a
35 L’épouse d’un instant,que la honte et le deuil 6+6 b
Renfermaient dans son antreainsi qu’en son cercueil, 6+6 b
Se couvrant de pudeurcomme d’un triple voile, 6+6 a
Ne laissait voir ses yeuxqu’aux rayons de l’étoile. 6+6 a
Ne montrant qu’à la nuitsa touchante pâleur, 6+6 b
40 Comme un lis dont la luneépanouit la fleur, 6+6 b
Daïdha, du proscritmystérieuse femme, 6+6 a
D’un ange dans son souffleavait aspiré l’âme : 6+6 a
Elle avait, de la mèreéprouvant les langueurs, 6+6 b
Dans son sein étonnésenti battre deux cœurs, 6+6 b
45 Et compris, à la foisaffligée et ravie, 6+6 a
Qu’au fond de sa douleurgermait une autre vie. 6+6 a
Au neuvième croissantde la lune d’été, 6+6 b
Sans témoin sur la mousseelle avait enfanté ; 6+6 b
Ainsi que la fleur double,en ces temps de prodige, 6+6 a
50 De deux fruits à la foischargeait la même tige, 6+6 a
Deux jumeaux souriants,gages d’un même amour, 6+6 b
Au même cri de joieavaient reçu le jour, 6+6 b
Et de la vie offerteà leur lèvre jumelle 6+6 a
Sucé la double goutteà sa double mamelle. 6+6 a
55 L’un était une fille,et l’autre était un fils : 6+6 b
Quand les premiers baiserssur leurs lèvres cueillis 6+6 b
Eurent rassasiéson regard de leurs charmes, 6+6 a
Que ses yeux à son laiteurent mêlé leurs larmes, 6+6 a
Qu’elle les eut nommésde deux noms dans son cœur, 6+6 b
60 L’un Sadir, l’autre Hella,disant joie et douleur ; 6+6 b
Pour dérober leur vie,à l’ombre du mystère, 6+6 a
Au gouffre l’on jetaitles fruits de l’adultère, 6+6 a
Elle passa le fleuveà la nage deux fois, 6+6 b
Chaque fois de l’un d’euxson cou portant le poids, 6+6 b
65 Comme deux lionceauxque la lionne abreuve 6+6 a
Sont portés par leur mèreà l’autre bord d’un fleuve ; 6+6 a
Puis les pressant, trempéset criants, dans ses bras, 6+6 b
Les réchauffant du cœuret marchant à grands pas, 6+6 b
Se guidant, pour trouverCédar aux sommets sombres, 6+6 a
70 Sur les mugissementsdes troupeaux dans les ombres, 6+6 a
Aux pieds de son épouxelle avait déposé 6+6 b
Ce fruit tombé du cœuret de pleurs arrosé. 6+6 b
« Tiens, avait-elle dit,cache-les ; l’heure presse : 6+6 a
La mort les cueilleraitjusque sous ma caresse ; 6+6 a
75 Pour leurs lèvres déjàtout mon sang blanc coulait, 6+6 b
Mais il faut que le rocs’arrose de mon lait, 6+6 b
Et que de ton troupeaula plus douce gazelle, 6+6 a
Écartant son petit,leur laisse sa mamelle. 6+6 a
Ô Cédar ! couve-lesla nuit sur tes genoux, 6+6 b
80 Abrite-les du cœur,car ils sont nés de nous ; 6+6 b
Aime-toi dans leurs yeux,car ils sont ton image ; 6+6 a
Revois-moi sur leurs fronts,car ils ont mon visage ; 6+6 a
Dérobe-les à l’œilde leurs persécuteurs ! 6+6 b
Je fuis, le jour m’épie,et s’il me voit, je meurs. 6+6 b
85 Que de ma vie encoreils boivent une goutte ! 6+6 a
Ah ! que ne, peuvent-ilsd’un trait l’épuiser toute ! 6+6 a
Cédar, dieu de mon cœur,ils sont beaux comme toi ! 6+6 b
Pour qu’ils m’aiment aussi,dis ! parle-leur de moi ! 6+6 b
Chaque brise des nuitsqui souffle de la plaine 6+6 a
90 Vous portera l’amourdont ma tristesse est pleine ! » 6+6 a
Et les posant à terre,et revenant dix fois, 6+6 b
Elle reprit enfinsa course dans les bois, 6+6 b
En couvrant de ses mainsses oreilles fermées, 6+6 a
De peur d’entendre un cride ces voix trop aimées, 6+6 a
95 Et de ne pouvoir pluss’arracher à l’amour. 6+6 b
Avant que le vallonse colorât du jour, 6+6 b
Elle rentra furtiveau seuil de ses alarmes, 6+6 a
Et la grotte trois joursbut son lait et ses larmes. 6+6 a
Cédar, le cœur tremblant,et demeuré sans voix, 6+6 b
100 Regardait ces enfantssur la feuille des bois, 6+6 b
Et, cherchant dans leurs yeuxl’image de leur mère, 6+6 a
Pleurait et souriaitdans une ivresse amère, 6+6 a
Osant de ses mains d’hommeà peine les toucher, 6+6 b
Comme un lion surprisque l’agneau vient lécher. 6+6 b
105 Leurs cris, leurs petits brasqui cherchaient la mamelle, 6+6 a
Lui remuaient le cœur ;il chercha la gazelle, 6+6 a
Qui, dans la même nuit,sur l’herbe avait mis bas, 6+6 b
Éleva tour à tourles jumeaux sur son bras ; 6+6 b
Au pis gonflé de laitil suspendit leur lèvre, 6+6 a
110 Comme un berger qui tientpar la corne sa chèvre, 6+6 a
Pendant qu’entre ses piedsles chevreaux nouveau-nés 6+6 b
Pressent les mamelonsvers leur bouche inclinés. 6+6 b
Quand ils eurent trompécet instinct de la mère, 6+6 a
Ensemble il les couchasur la molle fougère, 6+6 a
115 Et, beant du genouleur doux et court sommeil, 6+6 b
Rappela chaque foisleur nourrice au réveil. 6+6 b
Déjà, de son petitpar Cédar séparée, 6+6 a
La gazelle accouraità leur voix altérée, 6+6 a
Et, pendant qu’à flots blancssa mamelle coulait, 6+6 b
120 De sa langue essuyaitleurs mentons teints de lait. 6+6 b
Ainsi, grâce à l’instinctde la douce nature, 6+6 a
Les fruits tombés du nidtrouvaient leur nourriture ; 6+6 a
Et l’esclave, nourriceet mère tour à tour, 6+6 b
Leur refaisait un nidcouvé par son amour. 6+6 b
125 Or, c’était la saison, l’herbe étant fanée, 6+6 a
Les familles comptaientles troupeaux de l’année. 6+6 a
Zebdor dit à ses fils :« Voici le jour ! montons, 6+6 b
Pour voir si nos chameaux,nos brebis, nos moutons, 6+6 b
Ce rebut des troupeauxque le géant fait ptre, 6+6 a
130 Se sont multipliésloin du bâton du mtre ; 6+6 a
Et pour demander compteà l’esclave frappé 6+6 b
De l’agneau mort de soif,ou du bouc échappé. » 6+6 b
Et les fils, irritésd’avance, le suivirent. 6+6 a
Aux sommets parvenus,avec surprise ils virent 6+6 a
135 Les maigres animauxà Cédar confiés 6+6 b
Brouter autour de luigras et multipliés. 6+6 b
Zebdor s’assit à l’ombre,aux marges des fontaines, 6+6 a
Admirant ses chameauxqu’il comptait par centaines ; 6+6 a
Il fit signe à Cédar,debout et sans appui, 6+6 b
140 De les faire descendreet boire devant lui, 6+6 b
Afin qu’il pût de prèsles voir et les conntre. 6+6 a
Cédar tremblant d’effroicomprend l’ordre du mtre ; 6+6 a
De sa lèvre renfléeil approche à l’instant 6+6 b
Une corne qu’un bufflea brisée en luttant ; 6+6 b
145 Il y souffle le ventde sa bruyante haleine, 6+6 a
Que l’écho fait vibrersur les monts et la plaine ; 6+6 a
Les troupeaux altéréscomprennent cette voix, 6+6 b
Sortent de tous côtésdes profondeurs des bois ; 6+6 b
Au bord de la fontaineils viennent à la file. 6+6 a
150 Zebdor suit, en comptant,leur ligne qui défile ; 6+6 a
Pendant que l’agneau brouteou que l’onagre boit, 6+6 b
Il les nomme à ses filset les montre du doigt ; 6+6 b
Il flatte des regardsles chevreaux qui bondissent, 6+6 a
Il mesure en espoirles petits qui grandissent : 6+6 a
155 Son regard, satisfait,pour Cédar s’adoucit. 6+6 b
Mais déjà des troupeauxla foule s’éclaircit ; 6+6 b
L’éléphant, dont la trompeen jouant brise l’arbre, 6+6 a
Vient le dernier, levant,comme un pilier de marbre, 6+6 a
Ses pieds dont chaque traceau sol s’approfondit ; 6+6 b
160 L’élan, dont le sabotde roc en roc bondit ; 6+6 b
La biche vagabonde,ou l’errante gazelle, 6+6 a
Qui n’entend que d’en hautla corne qui l’appelle, 6+6 a
Viennent, de loin en loin,du bassin écoulé, 6+6 b
Sous l’ombre de Zebdor,boire le fond troublé. 6+6 b
165 À la fin du troupeaudont le compte s’achève, 6+6 a
Du malheureux Cédarla terreur se soulève. 6+6 a
Lorsque sur la montagneen entendant marcher, 6+6 b
Il avait apeuses tyrans s’approcher, 6+6 b
Redoutant, mais trop tard,leur visite imprévue, 6+6 a
170 Pour sauver les jumeauxdérobés à leur vue, 6+6 a
À peine, près de lui,les avait-il cachés 6+6 b
Sous de larges rameauxau boab arrachés, 6+6 b
Tremblant qu’un pied distraitne tombât sur leur couche 6+6 a
Ou qu’un cri de leur soifne sortit de leur bouche. 6+6 a
175 Mais les enfants dormaientau verdoyant berceau, 6+6 b
Sans même en souleverde leur souffle l’arceau ; 6+6 b
Et Zebdor se levaitdéjà pour redescendre, 6+6 a
Quand derrière la brancheun bruit se fait entendre : 6+6 a
Des gazelles c’étaitle bondissant troupeau, 6+6 b
180 Qui descendait des montset venait humer l’eau. 6+6 b
Leur groupe gracieuxlèche l’onde qui coule : 6+6 a
Une seule en flairants’écarte de la foule ; 6+6 a
Inquiète et rétive,elle semble chercher 6+6 b
Ses petits qu’elle rêveet qu’elle veut lécher. 6+6 b
185 Cédar, pâle et tremblant,vainement la rappelle : 6+6 a
Sourde aux cris du pasteur,la rapide gazelle, 6+6 a
Fouillant l’herbe profondeavec son long museau, 6+6 b
Découvre les enfantsdans leur nid de roseau ; 6+6 b
Le couple vagissantà demi se réveille ; 6+6 a
190 Les pasteurs confonduscontemplent la merveille, 6+6 a
Et Cédar, fléchissantau trouble de son cœur, 6+6 b
Tombe comme frappéd’un coup intérieur. 6+6 b
Cependant les bergers,longtemps penchés à terre, 6+6 a
Lèvent leurs mains au ciel,parlent avec mystère. 6+6 a
195 Doutant si ces enfantssont des êtres humains, 6+6 b
Ils les tournent sur l’herbeavec leurs rudes mains ; 6+6 b
De l’horreur au respectleur œil longtemps hésite, 6+6 a
Comme près d’un serpentdont le tronçon palpite. 6+6 a
Mais Zebdor, à l’œil dur,au cœur plus affermi, 6+6 b
200 Dans ses bras, à la fin,prend le couple endormi, 6+6 b
Et levant à la foisle nid avec la branche, 6+6 a
Dans les feuilles couchés,les porte sur sa hanche. 6+6 a
Tous le suivent, laissantà terre au fond des bois 6+6 b
L’esclave évanoui,sans regard et sans voix. 6+6 b
205 Pour répandre avant euxl’étonnante nouvelle, 6+6 a
On dirait que le ventleur a prêté son aile. 6+6 a
À peine de l’Oronteont-ils touché le bord, 6+6 b
Que toute la tribude ses demeures sort ; 6+6 b
On vole au-devant d’eux,on les suit, on les presse ; 6+6 a
210 Sur ses pieds, pour les voir,l’enfant même se dresse ; 6+6 a
D’un cercle palpitantles ondulations 6+6 b
Les lassent à la foisd’interrogations. 6+6 b
Les mères à l’envi,de leurs mains curieuses, 6+6 a
Lèvent furtivementl’acanthe et les yeuses. 6+6 a
215 Sur la grève du fleuve,aux bords vaseux de l’eau, 6+6 b
On dépose à leurs piedsle délicat fardeau. 6+6 b
Jusque dans le flot bleu,dont l’écume le mouille, 6+6 a
Des femmes, des enfants,la foule s’agenouille. 6+6 a
Pour ce couple innocentqui palpite à leurs piés 6+6 b
220 Leurs surprises bientôtse changent en pitiés ; 6+6 b
Elles tendent les brasà ces mains qu’ils leur tendent, 6+6 a
Aux mamelles déjàdes mères les suspendent, 6+6 a
Et s’enviant des yeuxles jumeaux à nourrir, 6+6 b
Les disputent au seinqu’ils sont prêts à tarir. 6+6 b
225 Mais Zebdor, arrachantles enfants à ces mères, 6+6 a
Et les apostrophantd’invectives amères : 6+6 a
« Créatures de laitet de pleurs ! leur dit-il, 6+6 b
Qu’un enfant de deux nuitsmènerait par un fil ; 6+6 b
Lâches qui n’avez riendans la tête, à toute heure, 6+6 a
230 Que de l’eau pour pleureravec tout ce qui pleure ! 6+6 a
Laissez vos mtres seulsdécider de leur sort, 6+6 b
Et, s’ils doivent mourir,n’allaitez pas la mort ! 6+6 b
Savez-vous quel forfaitou quel monstre peut-être 6+6 a
Les a conçus dans l’ombreet leur a donné l’être ? 6+6 a
235 Aveugles ! savez-voussi vous ne donnez pas 6+6 b
Le lait sacré de l’hommeaux scorpions sous vos pas ? 6+6 b
Si ces serpents cachéssous des formes humaines 6+6 a
N’empoisonneront pasvotre sein de leurs haines ? 6+6 a
Et si vous n’allez pasréchauffer d’un baiser 6+6 b
240 La tête du géantqui doit vous écraser ? » 6+6 b
Puis, les chassant du geste,et s’adressant aux hommes : 6+6 a
« Dieux, parlez-nous, dit-il,dans le doute nous sommes ! 6+6 a
Des brutes du désert,ces, enfants, vil rebut, 6+6 b
Sont-ils pour notre perteou pour notre salut ? 6+6 b
245 les ai-je trouvés ?Sous les pieds de l’esclave, 6+6 a
D’un ennemi captifqui nous hait, qui nous brave ! 6+6 a
D’ les a-t-il reçus ?des démons ? ou des dieux ? 6+6 b
Pourquoi les cachait-ilsous l’herbe à tous les yeux ? 6+6 b
Pourquoi nourrissait-illeur venimeuse engeance ? 6+6 a
250 Est-ce pour notre perte,ou bien pour sa vengeance ? 6+6 a
N’est-ce pas des géantsquelque germe conçu, 6+6 b
Qui devait sous ses yeuxgrandir à notre insu, 6+6 b
Pour égorger un jourla tribu tout entière ? 6+6 a
Non ! qu’ils meurent avant,écrasés sur la pierre ; 6+6 a
255 Que l’Oronte pour laitleur prodigue son eau ! 6+6 b
Noyons nos ennemisjusque dans leur berceau ! 6+6 b
— Oui, qu’ils meurent ! criaitd’un même instinct la foule. 6+6 a
— Que tout mal loin de nousavec leurs corps s’écoule ! 6+6 a
Des femmes sur nos frontsretombe la pitié ! » 6+6 b
260 Et Zebdor, à ces cris,poussant avec le pié 6+6 b
Le berceau, les enfantsdans le courant de l’onde, 6+6 a
Comme on balaye au fleuveun nid de bête immonde, 6+6 a
De la vague à l’instantl’acanthe se remplit, 6+6 b
Et le couple dormants’enfonça dans son lit. 6+6 b
265 On n’entendit qu’un cride mille voix émues 6+6 a
Éclater de la fouleet voler jusqu’aux nues. 6+6 a
On voyait mille brastendus suivre du doigt 6+6 b
Le berceau disparudans le fatal endroit, 6+6 b
Quand, plus prompte que l’œilqui suit une pensée, 6+6 a
270 Du sommet d’un rocherune femme élancée 6+6 a
Dans le courant profondplonge deux fois soudain, 6+6 b
Et revient chaque foisun enfant à la main. 6+6 b
« Daïdha !!! » s’écriala foule… C’était elle, 6+6 a
Qui, sous l’horrible poidsd’une angoisse mortelle, 6+6 a
275 Au bruit de ce forfait,par son cœur entendu, 6+6 b
Était sortie au jourà ses pas défendu, 6+6 b
Et non loin de Zebdor,par un arbre cachée, 6+6 a
À chaque mot de luil’âme au corps arrachée, 6+6 a
L’avait vu repousserses enfants dans le flot, 6+6 b
280 Et s’était dans le gouffreélancée aussitôt. 6+6 b
Elle en sortit soudain,par le peuple escortée, 6+6 a
Sur la rive de l’eaule cours l’avait portée ; 6+6 a
Et couvrant de baisers,à genoux, sur le bord, 6+6 b
Ses enfants, du regarddisputés à la mort, 6+6 b
285 Elle leur réchauffaitle corps de son haleine, 6+6 a
Comme une brebis chauffeun agneau sous sa laine ; 6+6 a
Et les faisant sourireelle leur souriait, 6+6 b
Et de ses longs cheveuxelle les essuyait. 6+6 b
Puis voyant tout à coupla foule rassemblée, 6+6 a
290 Et comme du néantau monde rappelée, 6+6 a
Elle jeta du cœurun si terrible cri, 6+6 b
Que chaque cœur de mèreen fut tout attendri ; 6+6 b
Et levant ses jumeauxau-dessus de sa tête, 6+6 a
Comme on élève un signeau peuple qui s’arrête, 6+6 a
295 Ou comme on montre au cielun sang qui fume encor, 6+6 b
En adjurant la foule,au-devant de Zebdor 6+6 b
Elle courut, semblableà la biche forcée 6+6 a
Qui revient au chasseurdont le coup l’a blessée ; 6+6 a
Et debout devant lui :« Peuple, dit-elle, et toi, 6+6 b
300 Lâche égorgeur d’agneaux,ces enfants sont à moi ! 6+6 b
Frappez ce sein coupable,et laissez-leur la vie ! 6+6 a
Est-ce sur l’innocentque le crime s’expie ? 6+6 a
Peuple, c’est votre sangqui coule dans le leur ; 6+6 b
Remontez à sa sourceils l’ont pris dans mon cœur ! 6+6 b
305 Vengez-vous ! j’ai trompévotre haine jalouse ; 6+6 a
Ils sont fils de Cédar !et je suis… son épouse !… » 6+6 a
Par cent cris à la foisun cri multiplié 6+6 b
En exécrationtransforme la pitié. 6+6 b
De surprise et d’horreurZebdor a fait un geste ; 6+6 a
310 On détourne les yeuxcomme d’un lieu funeste ; 6+6 a
Daïdha, qui les voitpas à pas s’écarter, 6+6 b
S’efforce de les joindreet de les arrêter ; 6+6 b
Et pressant les jumeauxd’un bras sur sa mamelle, 6+6 a
Comme pour les rentreret les cacher en elle, 6+6 a
315 Déchirant aux caillouxses genoux et ses flancs, 6+6 b
Les cheveux de poussièreet d’onde ruisselants 6+6 b
Collés contre son corpscomme un voile qu’on trempe, 6+6 a
S’appuyant d’une mainsur le sol elle rampe, 6+6 a
De sa lèvre de marbreelle cherche à presser 6+6 b
320 Chaque pied tour à tourprompt à la repousser. 6+6 b
Devant elle partoutla foule se disperse, 6+6 a
Sur son cou suppliantsa tête se renverse ; 6+6 a
Elle fond en sanglots,elle joint ses deux mains, 6+6 b
Adjure par leurs nomsses frères inhumains, 6+6 b
325 De sa mère à ses sœurssur ses genoux se trne : 6+6 a
« N’est-il donc parmi vousaucune qui les prenne ? 6+6 a
Femmes, vos seins remplislaisseront-ils mourir 6+6 b
Ces bouches que l’hyèneaurait voulu nourrir ? 6+6 b
Oh ! prenez-moi, frappez !… qu’à vos seins je les voie, 6+6 a
330 Mères ! du lait pour eux…et je meurs avec joie ! » 6+6 a
Mais les mères fuyaientet détournaient les yeux 6+6 b
De ces fils de l’esclaveà leur race odieux. 6+6 b
Femmes, vierges, enfantset Selma la première, 6+6 a
Lui jetaient sur le frontl’opprobre et la poussière. 6+6 a
335 Tous les mots qu’en passantleurs bouches lui disaient 6+6 b
Comme d’autant de coupsde pierre l’écrasaient, 6+6 b
Et du supplice affreuxque leur fureur devance 6+6 a
Avec ses fils mauditsla lapidaient d’avance. 6+6 a
Enfin à quelques pasle cercle se forma, 6+6 b
340 Et le conseil jugeala fille de Selma : 6+6 b
À mourir pour sa honteelle fut condamnée 6+6 a
Avec l’indigne épouxqui l’avait profanée, 6+6 a
Et les coupables fruitsde leur infâme amour, 6+6 b
Dont l’existence impieoffenserait le jour. 6+6 b
345 Seulement, en faveurde ce vieux roi, son père, 6+6 a
On changea le suppliceet non pas la colère ; 6+6 a
Et, de peur que son sangne tachât quelque main, 6+6 b
Elle fut dévouéeà la tour de la faim. 6+6 b
C’était une prison,une tombe vivante, 6+6 a
350 Que l’on formait de boueet de pierre mouvante, 6+6 a
Et que l’on élevaitcomme une large tour, 6+6 b
Sans toit et sans fenêtre,et sans issue autour, 6+6 b
De sorte qu’enfermédans cette ombre profonde, 6+6 a
Ce haut mur séparaitle coupable du monde, 6+6 a
355 Et que les dieux du ciel,qui seuls voyaient son sort, 6+6 b
Ne pouvaient accuserpersonne de sa mort. 6+6 b
On condamna Cédarà périr dans l’Oronte 6+6 a
De la mort la plus vileet surtout la plus prompte ; 6+6 a
Et les tendres jumeaux,du fleuve préservés, 6+6 b
360 Aux lions du désertrestèrent réservés. 6+6 b
À peine a retentila fatale sentence, 6+6 a
Qu’à la mort de Cédarle peuple entier s’élance. 6+6 a
Sur le sol, sans haleine,on le trouve étendu, 6+6 b
Comme frappé d’un coupde plus haut descendu. 6+6 b
365 La foule, qui le voitsans couleur et sans vie, 6+6 a
Croit que les dieux vengeursont foudroyé l’impie ; 6+6 a
Elle insulte du piedce corps sans mouvement ; 6+6 b
Puis, le trnant au bordde l’Oronte écumant, 6+6 b
Près d’un gouffre le fleuve,au fond d’une vallée, 6+6 a
370 Gonflait en tourbillonsson onde amoncelée, 6+6 a
Sans même détacherle tronc d’arbre du corps, 6+6 b
Dans l’abîme de l’ondeon le pousse des bords ; 6+6 b
Mille imprécationssuivent l’homme qui tombe, 6+6 a
Et le voile d’écumea recouvert sa tombe ! 6+6 a
375 Comme un tigre qu’un meurtrealtère encor de sang, 6+6 b
Par ce crime animéle peuple redescend : 6+6 b
On arrache du seinde la mourante mère 6+6 a
Les fruits de son amourque son étreinte serre ; 6+6 a
Tout le peuple, au travailà grands cris s’excitant, 6+6 b
380 Trace l’affreuse tour,qu’il bâtit à l’instant ; 6+6 b
On vide de caillouxle lit de la rivière, 6+6 a
À la maison de mortchacun roule sa pierre ; 6+6 a
Chacun veut à l’envique le chef inhumain 6+6 b
Dans l’expiationreconnaisse sa main. 6+6 b
385 Autour de Daïdha,dans son sépulcre assise, 6+6 a
Déjà les blocs montaientassise sur assise ; 6+6 a
Son âme, à demi morte,entendait retentir 6+6 b
Les pierres du tombeauqui devait l’engloutir ; 6+6 b
Ainsi que la victimeau couteau s’abandonne, 6+6 a
390 Ses yeux, fixés au sol,n’imploraient plus personne ; 6+6 a
Son front lourd sur son seintombait de tout son poids ; 6+6 b
Son visage glacése cachait dans ses doigts, 6+6 b
Et l’ondulationdes cheveux sur la mousse 6+6 a
De son cœur qui battaitmarquait chaque secousse. 6+6 a
395 Elle semblait avoiraccepté son cercueil ; 6+6 b
Mais quand, baissant les mains,elle vit d’un coup d’œil 6+6 b
L’enceinte du rochermontant pour sa torture 6+6 a
De ses frères bientôtdépasser la ceinture, 6+6 a
Comme un homme endormiqu’une vipère mord, 6+6 b
400 Elle bondit de terreavec un cri de mort, 6+6 b
Elle tendit ses brastout chargés de prières 6+6 a
Aux femmes des tribus,assises près des pierres : 6+6 a
« Oh ! dit-elle, arrêtez,arrêtez un moment 6+6 b
Avant de refermerce fatal monument ! 6+6 b
405 Ô ma mère ! ô mes sœurs !ô frères de ma race ! 6+6 a
À mes derniers soupirsaccordez une grâce : 6+6 a
Laissez une fenêtreétroite à cette tour, 6+6 b
Non pour que dans ma nuitil entre un peu de jour, 6+6 b
J’ai honte du soleilet je hais la lumière ! 6+6 a
410 Mais pour que, si ma mortne vient pas la première, 6+6 a
Je puisse voir encoreet du sein allaiter 6+6 b
Ces deux bouches d’enfantqui cherchent à téter, 6+6 b
Afin que de leur mortmon lait retarde l’heure, 6+6 a
Et qu’ils vivent du moinsjusqu’à ce que je meure ! 6+6 a
415 Oh ! ne les sevrez pasdu moins avant ma mort ! 6+6 b
Oh ! pendant que leur coupeest pleine jusqu’au bord, 6+6 b
Laissez-moi jusqu’au fondla leur répandre toute ! 6+6 a
Qu’ils ne tombent de soifqu’à la dernière goutte !… » 6+6 a
Elle se tut, ses mainspalpitaient : à ce cri, 6+6 b
420 Des mères de Phayrle cœur fut attendri ; 6+6 b
Le fruit qu’elles portaients’émut dans leurs entrailles ; 6+6 a
Elles firent laisserune fente aux murailles, 6+6 a
Promirent d’apporterles enfants ; et la tour 6+6 b
Monta de pierre en pierreet rétrécit le jour. 6+6 b
425 La foule, en s’éloignantde la prison mortelle, 6+6 a
En malédictionsse répandit sur elle, 6+6 a
Et Daïdha bientôtn’entendit d’autre bruit 6+6 b
Que le courant du fleuveet le vent de la nuit. 6+6 b
Semblable, en son instinct,à la biche sauvage, 6+6 a
430 Qui, les jours et les nuits,fait le tour de sa cage, 6+6 a
Flairant si les barreauxqui captivent ses pas 6+6 b
Sous le poil de ses flancsne s’élargiront pas, 6+6 b
Elle tourna longtempsautour de l’édifice, 6+6 a
Cherchant avec les mainsaux murs un interstice, 6+6 a
435 Se meurtrissant le seinaux angles du rocher, 6+6 b
Et de ses doigts saignantscherchant à s’accrocher ; 6+6 b
Mais les murs à ses mainsne donnaient point de prise, 6+6 a
Ils ne laissaient filtrerdedans ni jour ni brise ; 6+6 a
Et, comme ensevelieau bas d’un puits profond, 6+6 b
440 Chaque effort pour monterla replongeait au fond. 6+6 b
Lasse de tant d’efforts,sa force enfin succombe. 6+6 a
La paix du désespoirdescendit dans sa tombe ; 6+6 a
Elle s’assit à terre,appuyée à sa tour : 6+6 b
« Mourir, dit-elle, ainsi !pour une heure d’amour ! 6+6 b
445 Oh ! oui, mourir cent fois !Cédar ! œil de mon âme ! 6+6 a
Mourir cent fois ainsi,puisque je meurs ta femme ! 6+6 a
Que mille tours de faimmontent, croulent sur moi, 6+6 b
Avant que Daïdharougisse d’être à toi ! 6+6 b
Avant que ma douleurse repente, ô ma vie ! 6+6 a
450 De ce crime d’amourque leur haine m’envie ! 6+6 a
Qu’ils exècrent ton nom,je l’adore au cercueil ! 6+6 b
Mon supplice est ma foi,ma honte est mon orgueil ! 6+6 b
Aujourd’hui sous mes piedsque ma tombe se creuse ! 6+6 a
Cédar, mourir pour toi,c’est plus que vivre heureuse ! 6+6 a
455 Ô mort, que tardes-tu ?Viens, viens nous réunir ! 6+6 b
Comme des pas d’amant,je t’écoute venir. » 6+6 b
Et puis, tout attentive,elle écoutait en elle 6+6 a
Si la soif de sa lèvreétait bientôt mortelle ; 6+6 a
Ou bien si de la faimla dernière langueur 6+6 b
460 Ne se trahissait pasaux battements du cœur. 6+6 b
Mais, dans ces premiers tempsd’une forte nature, 6+6 a
Notre vigueur longtempsvivait sans nourriture ; 6+6 a
Et la jeune victime,interrogeant en vain, 6+6 b
Ne ressentait encorni la soif ni la faim ; 6+6 b
465 Mais, les sens soutenusde tendresse et d’alarmes, 6+6 a
Pour prolonger sa vie,elle buvait ses larmes. 6+6 a
Les étoiles du soir,qui passaient tour à tour 6+6 b
Dans le pan bleu du cielque laissait voir la tour, 6+6 b
La virent de là-haut,en traversant l’espace, 6+6 a
470 Dans la même attitudeet dans la même place, 6+6 a
Aux pierres de la tourles membres appuyés, 6+6 b
Les mains jointes tombantsur ses genoux pliés. 6+6 b
Quand sur le blanc du cielle jour revint éclore, 6+6 a
L’alouette en montantlui gazouilla l’aurore ; 6+6 a
475 Une noire hirondelleau plumage d’azur 6+6 b
Parut et se perchasur le fte du mur ; 6+6 b
Aux blocs, en tournoyant,elle froissa son aile, 6+6 a
Et sur un plat rebordse posa tout près d’elle. 6+6 a
Daïdha soupira :« Compatissant oiseau, 6+6 b
480 Qui descends, pour me voir,dans mon morne tombeau, 6+6 b
Ne les as-tu pas vus,dis-moi, couchés par terre, 6+6 a
Comme des œufs brisés,mes deux petits sans mère ? 6+6 a
Riaient-ils ? pleuraient-ils ?me tendaient-ils les bras ? 6+6 b
Ne vas-tu pas les voirquand tu remonteras ? 6+6 b
485 N’as-tu pas vu, dis-moi,du bord tu t’abreuves, 6+6 a
Le beau corps de Cédarroulé dans l’eau des fleuves ? 6+6 a
Oh ! dis-lui que je vaisle rejoindre bientôt ! 6+6 b
L’amour ne va-t-il pasplus vite que le flot ? 6+6 b
Que tiens-tu dans ton bec,oiseau qui me consoles ? 6+6 a
490 Est-ce un brin de la mousse !est-ce un cheveu des saules ? 6+6 a
Ou sur son front flottant,dis-moi, n’as-tu pas pris 6+6 b
Un de ses cheveux d’orpour coucher tes petits ? 6+6 b
Oh ! laisse-moi tomberce fil que je t’envie, 6+6 a
Un cheveu de sa tête !un rayon de sa vie ! 6+6 a
495 Un débris de sa mort !oiseau, laisse-le-moi ! 6+6 b
Je n’ai que ce cheveu !les forêts sont à toi !… ». 6+6 b
Mais, son geste et sa voixeffrayant l’hirondelle, 6+6 a
L’oiseau vers le sommetremonta d’un coup d’aile, 6+6 a
Et de son désespoirle cri fit envoler 6+6 b
500 Le seul être de Dieuqui vînt la consoler. 6+6 b
De ce dernier commerceelle perdit les charmes, 6+6 a
Et son œil assoupise ferma dans les larmes. 6+6 a
En songe quelque tempsson âme sommeilla. 6+6 b
Comme un coup dans le cœurun cri la réveilla : 6+6 b
505 C’était ce cri de soif,insensible à l’oreille, 6+6 a
Mais auquel dans la nuitune mère s’éveille ; 6+6 a
De ses pauvres petitsle doux vagissement, 6+6 b
Qui venaient à sa mortdemander l’aliment : 6+6 b
Deux filles de Zebdor,les tenant par la hanche, 6+6 a
510 Les tendaient par la fenteà sa mamelle blanche. 6+6 a
Tandis que Daïdha,dont le cœur ruisselait, 6+6 b
En les lavant de pleursles abreuvait de lait : 6+6 b
« Buvez, mes blancs agneaux !bois, ma blanche colombe ! 6+6 a
Buvez l’eau de mon cœurqui coule de la tombe. 6+6 a
515 Pressez ainsi, pressez,des lèvres, de la main, 6+6 b
Cette source d’amourque va tarir la faim ! 6+6 b
Que ne peut d’un seul traitvotre bouche assouvie 6+6 a
Épuiser tout mon sangavec toute ma vie ! 6+6 a
Et que ne tombez-vousdes mamelles sevrés, 6+6 b
520 Comme deux enfants morts,par la grappe enivrés !… 6+6 b
Oh ! que vous aurez soiflorsque je serai morte ! 6+6 a
Oh ! ne souriez pas,ou bien qu’on vous remporte ! 6+6 a
Je puis vous voir mourir !oui, mais je ne puis voir 6+6 b
La mort sourire ainsidans vos yeux sans espoir !… » 6+6 b
525 En leur parlant ainsi,ses deux mains convulsives 6+6 a
Pressaient contre son seinces deux têtes naïves, 6+6 a
Semait de longs baisersqu’entrecoupaient ses pleurs 6+6 b
Leurs lèvres de corail,leurs yeux, leur joue en fleurs, 6+6 b
Enlaçait à son couleurs bras pour les suspendre, 6+6 a
530 Imprimait ses doigts blancssur leur peau rose et tendre, 6+6 a
Se mirait dans leurs yeuxcomme dans un miroir, 6+6 b
Fermait les siens d’horreur,les rouvrait pour les voir, 6+6 b
Tandis que les enfantsque sa chaste mamelle 6+6 a
Attirait tour à touret repoussait loin d’elle, 6+6 a
535 Prenant ces faux transportset ces pleurs pour des jeux, 6+6 b
Riaient en se jouantentre ses longs cheveux. 6+6 b
Quand du breuvage amerla source fut tarie, 6+6 a
Ces filles, sans pitiépour la voix qui les prie, 6+6 a
Portèrent les jumeauxdormants à la tribu, 6+6 b
540 Comme l’on trouble l’eauquand les agneaux ont bu ! 6+6 b
Daïdha, du regardpoursuivant chaque femme 6+6 a
Qui semblait emporterune part de son âme, 6+6 a
Du geste leur parlatant qu’elle put les voir. 6+6 b
Trois fois dans la journéeils tétèrent ; le soir, 6+6 b
545 Quand les femmes du chefvinrent vers la fenêtre, 6+6 a
Elles ne virent plusDaïdha repartre. 6+6 a
Leur voix, pour l’avertir,l’appela dans la tour ; 6+6 b
Une mourante voixen sortit à son tour ; 6+6 b
Ses jambes, fléchissantsous l’angoisse mortelle, 6+6 a
550 Ne pouvaient plus du solse déplier sous elle. 6+6 a
Aux cris de ses petits,elle fit un effort ; 6+6 b
Mais l’élan de son cœurne put lever la mort : 6+6 b
Elle retomba faibleau pied noir des murailles. 6+6 a
« Oh ! par les fruits vivantsou morts de vos entrailles, 6+6 a
555 Dit-elle en élevantencore un peu la voix, 6+6 b
Par l’eau que vous buvez,par les pleurs que je bois, 6+6 b
Passez-moi les agneauxpar l’étroite ouverture, 6+6 a
Que je leur donne encoreun jour leur nourriture. 6+6 a
Le lait de ma mamelleà leurs cris monte et sort, 6+6 b
560 Il coulera peut-êtreencore après ma mort ; 6+6 b
Oh ! ne m’enviez pascette joie éphémère : 6+6 a
Laissez-les dans mes brasexpirer sur leur mère ; 6+6 a
Au lieu des lionceaux,ce sera le vautour 6+6 b
Qui viendra dépecerleurs membres dans ma tour !… » 6+6 b
565 Et les femmes, pensantau jour l’on enfante, 6+6 a
Glissèrent en pleurantles petits dans la fente ; 6+6 a
Daïdha les reçuten élevant la main, 6+6 b
Et la nuit descenditnoire sur le chemin. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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