Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAM_9/LAM151
Alphonse de LAMARTINE
LA CHUTE D’UN ANGE
1838
PREMIÈRE VISION
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Or c’était dans ces jours où le souverain Juge 6+6 a
À peine retenait les vagues du déluge, 6+6 a
Quand tout être voisin de sa création, 6+6 b
Excepté l’homme, était dans sa perfection. 6+6 b
5 La lune dans le ciel, pâle sœur de la terre, 6+6 c
Comme aux bornes des mers la voile solitaire, 6+6 c
S’élevait pleine et ronde entre ces larges troncs, 6+6 d
Et, des cèdres sacrés touchant déjà les fronts, 6+6 d
Semblait un grand fruit d’or qu’à leur dernière tige 6+6 e
10 Avaient mûri le soir ces arbres du prodige. 6+6 e
De rameaux en rameaux les limpides clartés 6+6 f
Ruisselaient, serpentaient en flots répercutés, 6+6 f
Comme un ruisseau d’argent, qu’une chute divise, 6+6 g
En nappes de cristal pleut, scintille et se brise ; 6+6 g
15 Puis, s’étendant à terre en immenses toisons, 6+6 d
Sur les pentes en fleurs blanchissaient les gazons. 6+6 d
On voyait aux lueurs de la nocturne lampe 6+6 h
Des files de troupeaux gravissant une rampe, 6+6 h
Troupeaux qu’une tribu de pasteurs, pris du soir, 6+6 i
20 Chassait dans le lointain derrière un tertre noir. 6+6 i
Hommes, femmes, enfants, ils s’enfonçaient dans l’ombre. 6+6 j
Cette famille humaine était en petit nombre ; 6+6 j
Sous ce ciel sans ardeur et sans humidité, 6+6 k
Seul un léger tissu couvrait leur nudité ; 6+6 k
25 Les femmes ombrageaient de feuilles leur ceinture 6+6 l
Et se voilaient le sein avec leur chevelure ; 6+6 l
Et les hommes nouaient sur leurs flancs nus les peaux 6+6 m
Des plus beaux léopards, ennemis des troupeaux ; 6+6 m
La taille, la grandeur, la force de ces hommes 6+6 n
30 Passait l’humani des âges où nous sommes, 6+6 n
Autant que la hauteur de ces arbres géants 6+6 o
Surpasse en vos forêts vos chênes de cent ans. 6+6 o
Leur voix qui s’éloignait mourut dans la distance, 6+6 p
Et tout fut sous le bois solitude et silence. 6+6 p
35 Majesté des déserts, de la nuit et des cieux, 6+6 q
Qui pourrait vous chanter et vous peindre à leurs yeux ? 6+6 q
Si vous gardez encore après votre ruine 6+6 r
Pour le regard de l’homme une empreinte divine, 6+6 r
Si la nuit rayonnante et ses globes errants 6+6 o
40 Lui montrent l’infini sous ces cieux transparents, 6+6 o
Qu’était-ce avant l’époque où le dépôt de l’onde 6+6 s
Jeta sur notre sol son atmosphère immonde ? 6+6 s
Qu’était-ce quand du jour le grand globe couché, 6+6 k
Le firmament de nous par l’ombre rapproché, 6+6 k
45 Laissait lire au regard égaré dans ces routes 6+6 t
Ces voûtes de soleils derrière d’autres voûtes, 6+6 t
Et ce filet des cieux, vaste éblouissement 6+6 u
Dont chaque maille était un grand astre écumant ? 6+6 u
Qu’était-ce quand du mal le funèbre génie 6+6 v
50 Du globe n’avait fait qu’effleurer l’harmonie, 6+6 v
Que ce monde terrestre était encor celui 6+6 w
Où l’ordre et la beau dans la force avaient lui ? 6+6 w
Que tout, sortant d’Éden, s’y souvenait encore 6+6 x
De l’immortali de sa première aurore, 6+6 x
55 Et que dans l’univers toute chose et tout lieu, 6+6 y
Exultant de jeunesse, ils sentaient pleins de Dieu ? 6+6 y
Ah ! si de tout flétrir tu ne t’étais hâe, 6+6 z
Ô mort ! on n’eût jamais compris le nom d’athée ! 6+6 z
────
Or en ces jours, mon fils, tous les êtres vivants, 6+6 o
60 Qu’ils nagent dans les eaux ou volent sur les vents, 6+6 o
Du soleil au ciron, de la brute à la plante, 6+6 a
Étaient tous animés par une âme parlante. 6+6 a
L’homme n’entendait plus cet hymne à mille voix 6+6 b
Qui s’élève des eaux, des herbes et des bois ; 6+6 b
65 De ces langues sans mots, depuis sa décadence, 6+6 p
Lui seul avait perdu la haute intelligence, 6+6 p
Et l’insensé dé croyait, comme aujourd’hui, 6+6 w
Que l’âme commençait et finissait en lui ; 6+6 w
Comme si du Très-Haut la largesse infinie 6+6 v
70 Épargnait la pensée en prodiguant la vie ! 6+6 v
Et comme si la vie avait un autre emploi, 6+6 d
Père, que de t’entendre et de parler à toi ! 6+6 d
Mais bien qu’aux hommes sourds ces voix de la nature 6+6 l
Ne parussent qu’un vague et stupide murmure, 6+6 l
75 Les anges répandus dans l’éther de la nuit 6+6 e
D’une impalpable oreille en aspiraient le bruit ; 6+6 e
Car du monde réel à leur monde invisible 6+6 f
L’échelle continue était plus accessible ; 6+6 f
Aucun des échelons de l’être ne manquait, 6+6 g
80 Avec la terre encor le ciel communiquait ; 6+6 g
Des esprits et des corps l’indécise frontière 6+6 c
N’élevait pas entre eux d’aussi forte barrière. 6+6 c
L’homme entendait l’esprit ; l’être immatériel, 6+6 h
Habitant l’infini que l’homme appelle ciel, 6+6 h
85 Uni par sympathie à quelque créature, 6+6 l
Pouvait changer parfois de forme et de nature, 6+6 l
Et, dans une autre sphère introduit à son gré, 6+6 k
Pour parler aux mortels descendre d’un degré. 6+6 k
Bien plus, de ces amours des vierges et des anges 6+6 i
90 Il naissait quelquefois des natures étranges ; 6+6 i
Hommes plus grands que l’homme et dieux moins grands que Dieu, 6+6 y
De la brute à l’archange occupant le milieu ; 6+6 y
Monstres que condamnait leur nature adultère 6+6 c
À regretter le ciel en agitant la terre. 6+6 c
95 Du grand monde impalpable à ce monde des corps, 6+6 j
Nul ne sait, ô mon fils, les merveilleux rapports ; 6+6 j
Mais la terre à nos pieds nous en rend témoignage : 6+6 k
De ce qu’on ne voit pas ce qu’on voit est l’image ; 6+6 k
Un ciel réfléchit l’autre, et si dans nos sillons 6+6 d
100 La poussière de vie écume en tourbillons, 6+6 d
S’il n’est pas un atome en la nature entière, 6+6 c
Un globule de l’air, un point de la matière, 6+6 c
Qui ne révèle l’être et la vie à nos yeux, 6+6 q
L’infini d’ici-bas nous dit celui des cieux ; 6+6 q
105 L’éternité sans fond n’a point de bord aride, 6+6 l
Et ce qui remplit tout ne connaît pas de vide ! 6+6 l
De ces esprits divins dont sont peuplés les cieux, 6+6 q
Les anges étaient ceux qui nous aimaient le mieux. 6+6 q
Créés du même jour, enfants du même père, 6+6 c
110 Que l’homme en le nommant peut appeler mon frère ; 6+6 c
Mais frères plus heureux, dont la sainte amitié 6+6 k
De tous nos sentiments n’a pris que la pitié ; 6+6 k
Invisibles témoins de nos terrestres drames, 6+6 m
Leurs yeux ouverts sur nous pleurent avec nos âmes ; 6+6 m
115 De la vie à nos pas éclairant les chemins, 6+6 n
Ils nous tendent d’en haut leurs secourables mains. 6+6 n
C’est pour eux que sont faits ces divins phénomènes 6+6 o
Dont l’homme n’entrevoit que les lueurs lointaines ; 6+6 o
Et pour eux la nature est un saint instrument 6+6 u
120 Dont l’immense harmonie éclate à tout moment, 6+6 u
Et dont la claire voix et les mille merveilles 6+6 p
De sagesse et d’extase enivrent leurs oreilles. 6+6 p
À cette heure où du jour le bruit va s’assoupir, 6+6 q
Pour entendre du soir l’insensible soupir, 6+6 q
125 Quelques-uns d’eux, errant dans ces demi-ténèbres, 6+6 r
Étaient venus planer sur les cimes funèbres. 6+6 r
Des étoiles aux mers, comme pleine de sens, 6+6 o
La montagne n’était qu’un orgue à mille accents. 6+6 o
Il eût fallu Dieu même et l’oreille infinie 6+6 v
130 Pour démêler les voix de la vaste harmonie. 6+6 v
Les anges, le silence et la nuit écoutaient 6+6 s
Ce grand chœur végétal ; et les cèdres chantaient : 6+6 s
CHŒUR DES CÈDRES DU LIBAN.
Saint, saint, saint le Seigneur qu’adore la colline ! 6+6 r
Derrière ces soleils, d’ici nous le voyons ; 6+6 d
135 Quand le souffle embau de la nuit nous incline, 6+6 r
Comme d’humbles roseaux sous sa main nous plions ! 6+6 d
Mais pourquoi plions-nous ? C’est que nous le prions ! 6+6 d
C’est qu’un intime instinct de la vertu divine 6+6 r
Fait frissonner nos troncs du dôme à la racine, 6+6 r
140 Comme un vent de courroux qui rougit leur narine, 6+6 r
Et qui ronfle dans leur poitrine, 8 r
Fait ondoyer les crins sur le cou des lions. 6+6 d
Glissez, glissez, brises errantes ; 8 t
Changez en cordes murmurantes 8 t
145 La feuille et les membres des bois ! 8 c
Nous sommes l’instrument sonore 8 x
Où le nom que la lune adore 8 x
À tous moments meurt pour éclore 8 x
Sous nos frémissantes parois. 8 c
150 Venez, des nuits tièdes haleines ; 8 o
Tombez du ciel, montez des plaines ; 8 o
Dans nos branches, du grand nom pleines, 8 o
Passez, repassez mille fois ! 8 b
Si vous cherchez qui le proclame, 8 u
155 Laissez là l’éclair et la flamme ! 8 u
Laissez là la mer et la lame ! 8 u
Et nous, n’avons-nous pas une âme, 8 u
Dont chaque feuille est une voix ? 8 b
Tu le sais, ciel des nuits à qui parlent nos cimes, 6+6 v
160 Vous, rochers que nos pieds sondent jusqu’aux abîmes 6+6 v
Pour y chercher la séve et les sucs nourrissants ; 6+6 o
Soleils dont nous buvons les dards éblouissants ; 6+6 o
Vous le savez, ô nuits dont nos feuilles avides 6+6 w
Pompent les frais baisers et les perles humides : 6+6 w
165 Dites si nous avons des sens ! 8 o
Des sens dont n’est douée aucune créature, 6+6 l
Qui s’emparent d’ici de toute la nature, 6+6 l
Qui respirent sans lèvre et contemplent sans yeux, 6+6 q
Qui sentent les saisons avant qu’elles éclosent ; 6+6 x
170 Des sens qui palpent l’air et qui le décomposent, 6+6 x
D’une immortelle vie agents mystérieux ! 6+6 q
Et pour qui donc seraient ces siècles d’existence ? 6+6 p
Et pour qui donc seraient l’âme et l’intelligence ? 6+6 p
Est-ce donc pour l’arbuste nain ? 8 y
175 Est-ce pour l’insecte et l’atome, 8 z
Ou pour l’homme, léger fantôme, 8 z
Qui sèche à mes pieds comme un chaume, 8 z
Qui dit la terre son royaume, 8 z
Et disparaît du jour avant que de mon dôme 6+6 z
180 Ma feuille de ses pas ait jonché le chemin ? 6+6 y
Car les siècles, pour nous, c’est hier et demain !!! 6+6 y
Oh ! gloire à toi, Père des choses ! 8 a
Dis quel doigt terrible tu poses 8 a
Sur le plus faible des ressorts, 8 j
185 Pour que notre fragile pomme, 8 b
Qu’écraserait le pied de l’homme, 8 b
Renferme en soi nos vastes corps ! 8 j
Pour que de ce cône fragile, 8 c
Végétant dans un peu d’argile, 8 c
190 S’élancent ces hardis piliers 8 f
Dont les gigantesques étages 8 d
Portent les ombres par nuages, 8 d
Et les passereaux par milliers ! 8 f
Et quel puissant levain de vie 8 v
195 Dans la séve, goutte de pluie 8 v
Que boirait le bec d’un oiseau, 8 e
Pour que ses ondes toujours pleines, 8 o
Se multipliant dans nos veines, 8 o
En désaltèrent le réseau ! 8 e
200 Pour que cette source éternelle 8 f
Dans tous les ruisseaux renouvelle 8 f
Ce torrent que rien n’interrompt, 8 g
Et de la crête à la racine 8 r
Verdisse l’immense colline 8 r
205 Qui végète dans un seul tronc ! 8 g
Dites quel jour des jours nos racines sont nées, 6+6 i
Rochers qui nous servez de base et d’aliment ! 6+6 u
De nos dômes flottants montagnes couronnées, 6+6 i
Qui vivez innombrablement ; 8 u
210 Soleils éteints du firmament, 8 u
Étoiles de la nuit par Dieu dissémies, 6+6 i
Parlez, savez-vous le moment ? 8 u
Si l’on ouvrait nos troncs plus durs qu’un diamant, 6+6 u
On trouverait des cents et des milliers d’années 6+6 i
215 Écrites dans le cœur de nos fibres veies, 6+6 i
Comme aux couches d’un élément ! 8 u
Aigles qui passez sur nos têtes, 8 j
Allez dire aux vents déchaînés 8 f
Que nous défions leurs tempêtes 8 j
220 Avec nos mâts enracinés. 8 f
Qu’ils montent, ces tyrans de l’onde ; 8 s
Que leur aile s’ameute et gronde 8 s
Pour assaillir nos bras nerveux !. 8 q
Allons ! leurs plus fougueux vertiges 8 k
225 Ne feront que bercer nos tiges 8 k
Et que siffler dans nos cheveux ! 8 q
Fils du rocher, nés de nous-même, 8 l
Sa main divine nous planta ; 8 m
Nous sommes le vert diadème 8 l
230 Qu’aux sommets d’Éden il jeta. 8 m
Quand ondoîra l’eau du déluge, 8 a
Nos flancs creux seront le refuge 8 a
De la race entière d’Adam, 8 n
Et les enfants du patriarche 8 o
235 Dans notre bois tailleront l’arche 8 o
Du Dieu nomade d’Abraham ! 8 n
C’est nous, quand les tribus captives 8 p
Auront vu les hauteurs d’Hermon, 8 b
Qui couvrirons de nos solives 8 p
240 L’arche immense de Salomon ; 8 b
Quand, plus tard, un Verbe fait homme 8 b
D’un nom plus saint adore et nomme 8 b
Son Père du haut d’une croix, 8 b
Autels de ce grand sacrifice, 8 g
245 De l’instrument de son supplice, 8 g
Nos rameaux fourniront le bois. 8 b
En mémoire de ces prodiges, 8 k
Des hommes inclinant leurs fronts 8 d
Viendront adorer nos vestiges, 8 k
250 Coller leurs lèvres à nos troncs. 8 d
Les saints, les poëtes, les sages, 8 d
Écouteront dans nos feuillages 8 d
Des bruits pareils aux grandes eaux, 8 m
Et sous nos ombres prophétiques 8 q
255 Formeront leurs plus beaux cantiques 8 q
Des murmures de nos rameaux. 8 m
Glissez comme une main sur la harpe qui vibre 6+6 r
Glisse de corde en corde, arrachant à la fois 6+6 b
À chaque corde une âme, à chaque âme une voix ! 6+6 b
260 Glissez, brises des nuits, et que de chaque fibre 6+6 r
Un saint tressaillement jaillisse sous vos doigts ! 6+6 b
Que vos ailes frôlant les cintres de nos voûtes, 6+6 t
Que des larmes du ciel les résonnantes gouttes, 6+6 t
Que les gazouillements du bulbul dans son nid, 6+6 e
265 Que les élancements de la mer dans son lit, 6+6 e
L’eau qui filtre, l’herbe qui plie, 8 v
La séve qui découle en pluie, 8 v
La brute qui hurle et qui crie, 8 v
Tous ces bruits de force et de vie 8 v
270 Que le silence multiplie, 8 v
Et ce bruissement du monde végétal 6+6 t
Qui palpite à nos pieds du brin d’herbe au métal, 6+6 t
Que ces voix qu’un grand chœur rassemble 8 u
Dans cet air où notre ombre tremble 8 u
275 S’élèvent pour chanter ensemble 8 u
Celui qui les a faits, Celui qui les entend, 6+6 v
Celui dont le regard à leurs besoins s’étend : 6+6 v
Dieu, Dieu, Dieu, mer sans bords qui contient tout en elle, 6+6 f
Et que chaque soupir de l’heure qu’il rappelle 6+6 f
280 Remonte à lui, d’où tout descend !!! 8 o
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Ainsi chantait le chœur des arbres, et les anges 6+6 i
Avec ravissement répétaient ces louanges ; 6+6 i
Et des monts et des mers, et des feux et des vents, 6+6 o
De chaque forme d’être et d’atomes vivants, 6+6 o
285 L’unanime concert des terrestres merveilles 6+6 p
Pour monter au Seigneur passait par leurs oreilles. 6+6 p
Et ces milliers de voix de tout ce qui voit Dieu, 6+6 y
Le comprend, ou l’adore, ou le sent en tout lieu, 6+6 y
Roulaient dans le silence en grandes harmonies, 6+6 w
290 Sans mots articulés, sans langues définies, 6+6 w
Semblables à ce vague et sourd gémissement 6+6 u
Qu’une étreinte d’amour arrache au cœur aimant, 6+6 u
Et qui dans un murmure enferme et signifie 6+6 v
Plus d’amour qu’en cent mots l’homme n’en balbutie ! 6+6 v
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295 Quand l’hymne aux mille voix se fut évaporé, 6+6 k
Les esprits, pleins du nom qu’il avait adoré, 6+6 k
S’en allèrent, ravis, porter de sphère en sphère 6+6 c
L’écho mélodieux de ces chants de la terre. 6+6 c
Un seul, qui contemplait la scène de plus bas, 6+6 x
300 Les regarda partir et ne les suivit pas. 6+6 x
Or, pourquoi restait-il caché dans le nuage ? 6+6 k
C’est qu’au pied d’un grand cèdre, à l’abri du feuillage, 6+6 k
Un objet pour lequel il oubliait les cieux 6+6 q
Enchnait sa pensée et captivait ses yeux. 6+6 q
305 Oh ! qui pouvait d’un ange ainsi ravir la vue ? 6+6 y
Une céleste enfant de fleurs demi vêtue, 6+6 y
Qui sous l’arbre, le soir, surprise du sommeil, 6+6 h
N’avait vu ni baisser ni plonger le soleil, 6+6 h
Et qui seule, au départ des tribus des montagnes, 6+6 z
310 N’avait pas entendu l’appel de ses compagnes. 6+6 z
Sa mère sur son front n’avait encor compté 6+6 k
Depuis son lait tari que le douzième été ; 6+6 k
Mais dans ces jours de force où les sèves moins lentes 6+6 t
Se hâtaient de mûrir les hommes et les plantes, 6+6 t
315 Treize ans pour une vierge étaient ce qu’en nos jours 6+6 a
Seraient dix-huit printemps pleins de grâce et d’amours. 6+6 a
Non loin d’un tronc blanchi de cèdre, où dans les herbes 6+6 b
L’astre réverbé rejaillissait en gerbes, 6+6 b
Un rayon de la lune éclairait son beau corps ; 6+6 j
320 D’un lac pur et dormant ses pieds touchaient les bords, 6+6 j
Et quelques lis des eaux, pleins de parfums nocturnes, 6+6 c
Recourbaient sur son corps leurs joncs verts et leurs urnes ; 6+6 c
Son bras droit, qu’elle avait ouvert pour sommeiller, 6+6 k
Arrondi sous son cou, lui servait d’oreiller ; 6+6 k
325 L’autre, suivant des flancs l’onduleuse courbure, 6+6 l
Replié de lui-même autour de la ceinture, 6+6 l
Plongeait sa blanche main et ses doigts effilés 6+6 f
Dans des restes de fleurs sous son doux poids foulés, 6+6 f
Comme si dans un rêve elle froissait encore 6+6 x
330 Les débris de ses jeux sur leur tige inodore. 6+6 x
Ses cheveux, qu’entr’ouvrait le vent léger du soir, 6+6 i
Ondoyaient sur ses bras comme un grand voile noir, 6+6 i
Laissant briller dehors ou ses épaules blanches, 6+6 d
Ou la rondeur du sein, ou les contours des hanches, 6+6 d
335 Et l’ovale arrondi de ce front d’où les yeux 6+6 q
N’auraient pu s’arracher pour regarder les cieux ; 6+6 q
Entre ces noirs cheveux rejetés en arrière, 6+6 c
Ce front resplendissait d’albâtre et de lumière, 6+6 c
Jusqu’aux soyeux duvets où s’arquaient les sourcils. 6+6 e
340 Ces yeux étaient fermés par l’ombre de longs cils, 6+6 e
Mais le tissu vei de ces paupières closes 6+6 a
Se teignait transparent de pâles teintes roses. 6+6 a
De l’arche des sourcils, qu’à peine il débordait, 6+6 g
Le profil de son nez sans courbe descendait ; 6+6 g
345 Comme un pli gracieux de rose purpurine, 6+6 r
Une ombre y dessinait l’aile de sa narine, 6+6 r
Qui, suivant de son sein le pur souffle dormant, 6+6 u
Palpitait, s’élevait d’un léger renflement ; 6+6 u
Et ses lèvres, qu’entr’ouvre une suave haleine, 6+6 f
350 Laissaient compter des dents qui débordaient à peine, 6+6 f
Pareilles dans sa bouche aux gouttes de lait blanc 6+6 u
Que laisse la mamelle aux lèvres de l’enfant ! 6+6 u
Les deux coins indécis où cette bouche expire 6+6 h
Se noyaient dans un vague où naissait le sourire. 6+6 h
355 De ce sommeil d’enfant la rêveuse langueur 6+6 i
Laissait sur le visage épanouir le cœur ; 6+6 i
Miroir voilé d’un rêve, on y voyait éclore 6+6 x
Cette âme dont le front s’éclaire et se colore. 6+6 x
Ses membres délicats au contour assoupli, 6+6 w
360 Ondoyant sous la peau sans marquer aucun pli, 6+6 w
Pleins, mais de cette chair frêle encor de l’enfance, 6+6 p
Qui passe d’heure en heure à son adolescence, 6+6 p
Ressemblaient aux tuyaux du froment ou du lin, 6+6 y
Dont la séve arrondit le contour déjà plein, 6+6 y
365 Mais où l’été fécond qui doit mûrir la gerbe 6+6 j
N’a pas encor durci les nœuds dorés de l’herbe. 6+6 j
Les membres endormis avaient l’air d’être morts. 6+6 j
L’astre, sans l’émouvoir, caressait ce beau corps, 6+6 j
Et, si l’on n’eût pas vu son haleine inégale 6+6 k
370 Élever, abaisser son sein par intervalle, 6+6 k
Et les rêves passant à travers son sommeil 6+6 h
Teindre sa blanche joue avec son sang vermeil, 6+6 h
On eût cru voir briller devant soi dans un rêve, 6+6 l
Au jardin d’innocence, une vision d’Ève ; 6+6 l
375 Ou, la veille du jour qui doit le voir aimé, 6+6 k
Le songe de l’époux dans ses bras animé ! 6+6 k
L’ange, pour la mieux voir écartant le feuillage, 6+6 k
De son céleste amour l’embrassait en image, 6+6 k
Comme sur un objet que l’on craint d’approcher 6+6 k
380 Le regard des humains pose sans y toucher. 6+6 k
« Daïdha, disait-il, tendre faon des montagnes ! 6+6 z
Parfum caché des bois ! ta mère et tes compagnes 6+6 z
Te cherchent en criant dans les forêts. Pourquoi 6+6 d
Ai-je oublié le ciel pour veiller là sur toi ? 6+6 d
385 C’est ainsi chaque jour : tous les anges mes frères 6+6 m
Plongent au firmament et parcourent les sphères ; 6+6 m
Ils m’appellent en vain, moi seul je reste en bas : 6+6 x
Il n’est plus pour mes yeux de ciel où tu n’es pas ! 6+6 x
Pourquoi la loi du Maître, ô fille de la femme, 6+6 u
390 À ton âme en naissant voua-t-elle mon âme ? 6+6 u
Pourquoi me tira-t-il de mon heureux néant 6+6 u
À l’heure où tu naquis d’un baiser, belle enfant ? 6+6 u
Il nous créa jumeaux ; mais, par un jeu barbare, 6+6 n
Si l’amour nous unit, l’infini nous sépare ! 6+6 n
395 Oh ! sous mes yeux charmés depuis que tu grandis, 6+6 e
Mon destin immortel, combien je le maudis ! 6+6 e
Combien de fois, ten par un attrait trop tendre, 6+6 o
Ne pouvant t’élever, je brûlai de descendre, 6+6 o
D’abdiquer ce destin, pour t’égaler à moi, 6+6 d
400 Et de vivre ta vie en mourant comme toi ! 6+6 d
Combien de fois ainsi dans mon ciel solitaire, 6+6 c
Lassé de mon bonheur et regrettant la terre, 6+6 c
Ce cri, ce cri d’amour dans mon âme entendu, 6+6 p
Sur mes lèvres de feu resta-t-il suspendu ! 6+6 p
405 Fais-moi mourir aussi, Dieu qui la fis mortelle ! 6+6 f
Être homme ! quel destin !… oui, mais être aimé d’elle ! 6+6 f
Mais aimer, être aimé, d’un mutuel retour ! 6+6 q
Ah ! l’ange ne sait pas ce que c’est que l’amour ! 6+6 q
Être unique et parfait qui suffit à soi-même, 6+6 l
410 Non, il ne connaît pas la volupté suprême 6+6 l
De chercher dans un autre un but autre que lui, 6+6 w
Et de ne vivre entier qu’en vivant en autrui ! 6+6 w
Il n’a pas comme l’homme au milieu de ses peines 6+6 o
La compensation des détresses humaines, 6+6 o
415 La sainte faculté de créer en aimant 6+6 u
Un être de lui-même image et complément, 6+6 u
Un être où de deux cœurs que l’amour fond ensemble 6+6 u
L’être se multiplie en un qui leur ressemble ! 6+6 u
Oh ! de l’homme divin mystérieuse loi, 6+6 d
420 De ne trouver jamais son tout que hors de soi, 6+6 d
De ne pouvoir aimer qu’en consumant un autre ! 6+6 r
Que ce destin sublime est préférable au nôtre, 6+6 r
A cet amour qui n’a dans nous qu’un seul foyer, 6+6 k
Et qui brûle à jamais sans s’y multiplier ! 6+6 k
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
425 Jéhovah, ce soupir est-il donc un blasphème ? 6+6 l
Et moi si malheureux, si seul, est-ce que j’aime ? 6+6 l
Et comment, ô mon Dieu, ne l’aimerais-je pas ? 6+6 x
N’ai-je pas eu toujours les yeux fixés en bas ? 6+6 x
Ne m’as-tu pas donné pour unique spectacle 6+6 s
430 Ce miracle au-dessus de tout autre miracle ? 6+6 s
Cette âme virginale à voir épanouir, 6+6 q
Ses pas à surveiller, son cœur à réjouir ? 6+6 q
Ses instincts indécis, ses premières penes 6+6 i
Dans son âme ingénue à peine nuanes, 6+6 i
435 A tourner de mon souffle en inclinant son cœur 6+6 i
Comme avec son haleine on incline une fleur ? 6+6 i
Ne vois-je pas son âme à travers son visage, 6+6 k
Comme je vois la lune à travers ce feuillage ? 6+6 k
Depuis l’heure où sa mère à ses pieds l’étendit, 6+6 e
440 À son sourire en pleurs fière la suspendit, 6+6 e
Et la pressant des bras à sa blanche mamelle 6+6 f
Vit le jour de ses yeux poindre dans sa prunelle, 6+6 f
Est-il de cette bouche un seul vagissement, 6+6 u
De cette âme naissante un premier mouvement, 6+6 u
445 Un battement secret de ce cœur qui s’ignore, 6+6 x
Que mon regard n’ait vu naître, germer, éclore, 6+6 x
Avant que leur frisson ait agité sa peau, 6+6 e
Comme je vois ces feux du ciel poindre sous l’eau ? 6+6 e
N’ai-je pas tout suivi du regard d’une mère ? 6+6 c
450 D’abord l’impression fugitive, éphémère, 6+6 c
De la vie essayant ses organes naissants, 6+6 o
Vague et confuse voix de ce concert des sens ; 6+6 o
Puis ces étonnements pleins d’intimes délices, 6+6 t
Du sentiment qui naît délicates prémices ; 6+6 t
455 Puis ces élans du cœur qui ne peut s’apaiser 6+6 k
Que sur un cœur de mère, et sous son chaud baiser ; 6+6 k
Ces caresses d’instinct qui de l’âme trop tendre 6+6 o
Sur tout ce qu’elle voit cherchent à se répandre, 6+6 o
Et qui sans cause encor mouillent ses yeux de pleurs, 6+6 u
460 Comme la goutte d’eau pend aux feuilles des fleurs ; 6+6 u
Plus tard, en grandissant en esprit, à mesure 6+6 l
Que l’âge fait au cœur rayonner la nature, 6+6 l
Ces extases de l’œil et ces ravissements 6+6 o
Des merveilles de Dieu, ces éblouissements, 6+6 o
465 Cette soif d’aspirer dans son sein Dieu lui-même, 6+6 l
Cette adoration sans savoir qui l’on aime, 6+6 l
Ces chants intérieurs qui s’élèvent des sens, 6+6 o
Que l’abeille et l’enfant bourdonnent sans accents, 6+6 o
Mystérieux clavier de cette âme infinie 6+6 v
470 Dont sans savoir le sens on entend l’harmonie ! 6+6 v
Et maintenant enfin pour mon œil enchan 6+6 k
Ô spectacle trop plein d’amère volupté, 6+6 k
Qui fait fondre mon cœur et fascine ma vue ! 6+6 y
Voir cette belle enfant à l’âme chaste et nue 6+6 y
475 Palpiter au contact d’un sentiment nouveau, 6+6 e
Comme au bord de son nid l’aile d’un jeune oiseau ; 6+6 e
Se pénétrer d’un feu qui cache encor sa flamme, 6+6 u
Rougir de sa pensée en sentant qu’elle est femme ; 6+6 u
Exhaler, solitaire et rêveuse, en soupir 6+6 q
480 Cet instinct que la nuit ne peut même assoupir ; 6+6 q
Au foyer d’un cœur pur concentrer ses tendresses, 6+6 v
De ses yeux, de sa main retenir les caresses, 6+6 v
Rêver sur quel objet ce vague sentiment 6+6 u
S’épandra, de l’amour divin pressentiment ! 6+6 u
485 Chercher à lui donner un nom, une figure, 6+6 l
La recréer cent fois, l’effacer à mesure, 6+6 l
Ne la trouver qu’en songe, et pleurer au réveil 6+6 h
Cet idéal amant que dissipe un soleil ! 6+6 h
Ah ! c’est trop pour un homme et pour un ange même ! 6+6 l
490 Voilà ce que je vois, et je doute si j’aime ! 6+6 l
Si j’aime ! et sans amour serais-je si jaloux 6+6 w
De ses frères rêvant déjà le nom d’époux ? 6+6 w
Dans l’oubli de ses sens où le sommeil la plonge, 6+6 x
Prendrais-je tant de soin de lui former un songe 6+6 x
495 Et d’y faire apparaître avec des traits humains 6+6 n
Une image de moi que j’orne de mes mains ? 6+6 n
Un fantôme idéal dont l’éclat la fascine, 6+6 r
Un frère revêtu de ma splendeur divine, 6+6 r
Afin de dégter par ce brûlant portrait 6+6 g
500 Ses yeux de tout mortel que son cœur rêverait ? 6+6 g
Aussi, grâce à ce corps dont je prends l’apparence, 6+6 p
Elle voit les mortels avec indifférence, 6+6 p
Et son cœur n’a d’amour que pour ce front charmant 6+6 u
Que mon instinct jaloux lui présente en dormant. 6+6 u
505 Oh ! que devant ses yeux nul autre ne l’efface ! 6+6 y
Daïdha ! que ne puis-je animer cette glace 6+6 y
Où sous des traits menteurs chaque nuit tu me vois ! 6+6 b
Lui souffler mes transports, lui donner une voix 6+6 b
Pour dire à ton oreille étonnée et ravie 6+6 v
510 Des mots assez ardents pour consumer ta vie ! 6+6 v
Si Dieu me permettait seulement, quand tu dors, 6+6 j
Sur mes ailes d’amour d’enlever ce beau corps, 6+6 j
De te bercer au ciel dans cet air diaphane, 6+6 z
Sans posséder les sens de ce limon profane, 6+6 z
515 Pour voir à ton réveil éclore dans tes yeux 6+6 q
Un rayon plus vivant que ces lueurs des cieux, 6+6 q
Pour toucher ces cheveux dont le réseau te voile, 6+6 a
Plus noirs sur ton cou blanc que la nuit sans étoile ? 6+6 a
Respirer sur ta lèvre un souffle suspendu, 6+6 p
520 Ou comme ce reflet de l’astre descendu 6+6 p
T’enveloppant de jour, de tiédeur, de mystère, 6+6 c
De mon regard aimant te faire une atmosphère ! 6+6 c
Oh ! si pour te parler je pouvais seulement 6+6 u
Transfigurer mon être et descendre un moment !!! 6+6 u
525 Mais déchoir de sa race est l’éternelle honte : 6+6 b
Dieu souffre qu’on descende, et jamais qu’on remonte ! 6+6 b
Des anges consumés du même feu que moi 6+6 d
Ont éprouvé, dit-on, cette inflexible loi, 6+6 d
Et, du ciel attirés par les filles des hommes, 6+6 n
530 N’ont jamais pu d’en bas remonter où nous sommes ! 6+6 n
Dégradés pour toujours d’un sort presque divin, 6+6 y
Condamnés à mourir, à renaître sans fin, 6+6 y
Ces exilés d’en haut, séparés de leurs frères, 6+6 m
Sans avoir leur espoir subissant leurs misères, 6+6 m
535 Ne peuvent revenir au rang qu’ils ont quitté 6+6 k
Qu’après avoir mille ans sur ce globe habité, 6+6 k
Et, dans un cercle long d’épreuves successives, 6+6 p
Lentement reconquis leurs splendeurs primitives : 6+6 p
Anges transfigurés, il leur faut à leur tour 6+6 q
540 D’homme devenir ange !… Oh ! pénible retour ! 6+6 q
Humiliant exil dans cet enfer des larmes ! 6+6 c
Et pourtant ils l’ont fait pour de bien moindres charmes ; 6+6 c
Et pourtant, entr comme d’un poids fatal, 6+6 t
Moi-même j’ai maudit cent fois mon ciel natal ! 6+6 t
545 Oh ! d’amour et d’orgueil furieuse tempête, 6+6 d
Ne t’apaiseras-tu jamais ?… Charmante tête, 6+6 d
Qui dors sans souonner mon trouble et mes remords : 6+6 j
Puisque je suis ton rêve, oh ! dors, belle enfant, dors ! » 6+6 j
Et Daïdha dormait, et de ce blanc visage 6+6 k
550 La lune repliait son jour sous le feuillage, 6+6 k
Et l’ange dont l’amour perçait l’obscuri 6+6 k
Voyait la sombre nuit luire de sa beauté. 6+6 k
────
On entendait pourtant dans le sacré silence 6+6 p
L’écho se rapprocher d’un pas sourd à distance, 6+6 p
555 Et quelques mots tronqués, jetés à demi-voix, 6+6 b
Semblaient sortir au loin des profondeurs des bois. 6+6 b
Bientôt, répercutés sur les larges troncs sombres, 6+6 e
Des feux intermittents sillonnèrent les ombres, 6+6 e
Semblables aux reflets des livides éclairs 6+6 f
560 Qui palpitent aux cieux par la foudre entrouverts. 6+6 f
Un homme tout à coup se glissant sous leur voûte, 6+6 g
Comme quelqu’un qui cherche et dont l’oreille écoute, 6+6 g
Le corps penché, la tête et la jambe en avant, 6+6 u
Parut ; il secouait comme une torche au vent 6+6 u
565 Le tronc d’un jeune pin fendu jusqu’aux racines, 6+6 h
Dont la flamme en jets bleus dévorait les résines, 6+6 h
Et dont l’éclat funèbre et le foyer dormant 6+6 u
Se rallumaient plus vifs à chaque mouvement ; 6+6 u
Aux éblouissements de cette torche informe, 6+6 i
570 Qui semblait peu peser dans cette main énorme, 6+6 i
De l’homme de la nuit le corps livide et bleu 6+6 y
Se dessinait à l’œil sous la couleur du feu. 6+6 y
Aux hommes d’à présent son corps mâle et robuste 6+6 j
Était ce qu’un grand cèdre est au fragile arbuste ; 6+6 j
575 Les muscles, dont les nœuds faisaient gonfler sa peau, 6+6 e
S’enlaçaient sur son corps comme au cou du taureau, 6+6 e
Et de ses larges pieds les gigantesques plantes 6+6 t
Écrasaient sous son poids les herbes et les plantes. 6+6 t
On eût dit, aux contours solides de sa chair, 6+6 k
580 De durs membres de marbre avec des os de fer. 6+6 k
Ses membres étaient nus ; sa poitrine velue 6+6 y
D’un affreux ornement épouvantait la vue : 6+6 y
C’était, avec les poils, la peau d’un léopard 6+6 l
Dont il avait fendu le col avec son dard ; 6+6 l
585 Gigantesque collier ! sa hideuse figure 6+6 l
S’entourait par devant de cette horrible hure : 6+6 l
Elle pendait immense avec ses yeux ardents, 6+6 o
Et sa lèvre sanglante et l’ivoire des dents ; 6+6 o
Les griffes de ses pieds, comme debout dressées, 6+6 i
590 Aux deux côtés du cou sur l’épaule plaes, 6+6 i
Flottaient près de la gueule avec leurs ongles d’or, 6+6 m
Où la fureur semblait les contracter encor. 6+6 m
Le reste de la peau, tombant à l’aventure, 6+6 l
Se rattachait aux flancs avec une ceinture, 6+6 l
595 Et les lambeaux tigrés descendaient à mi-corps, 6+6 j
En haillons dont les chiens ont déchiré les bords. 6+6 j
Ses cheveux, de son front rejetés en arrière, 6+6 c
Ondoyaient sur le dos en sauvage crinière ; 6+6 c
Sou cou les secouait comme fait le lion. 6+6 b
600 Son visage, éclai d’un sinistre rayon, 6+6 b
Dans ses grands traits communs aux nés de la terre, 6+6 c
Portait de la beau le mâle caractère ; 6+6 c
Mais ce regard humain par qui tout œil est beau, 6+6 e
Ce rayon mal voi du céleste flambeau, 6+6 e
605 Ne l’illuminait pas des reflets de sa flamme : 6+6 u
C’était une beau de chair et non pas d’âme, 6+6 u
Qu’éclairait seulement de vils instincts puissants, 6+6 o
Ainsi qu’un jour d’en bas, la lumière des sens. 6+6 o
L’intelligence éteinte y laissait voir sans luttes 6+6 n
610 Triompher l’appétit et la force des brutes. 6+6 n
Des lèvres et de l’œil le muscle contracté 6+6 k
N’y trahissait que ruse et que férocité. 6+6 k
C’était une superbe et vile créature, 6+6 l
Ayant gardé sa forme et perdu sa nature : 6+6 l
615 Comme on en voit encor sur la terre aujourd’hui, 6+6 w
Hommes d’os et de sang où jamais Dieu n’a lui ! 6+6 w
Un arc retentissant de corne épaisse et noire 6+6 o
Résonnait sur son dos contre un carquois d’ivoire ; 6+6 o
Trois flèches y plongeaient dans leurs tuyaux d’airain. 6+6 y
620 Il tenait devant lui sa torche d’une main, 6+6 y
Et de l’autre il portait une énorme massue. 6+6 y
Des plis d’un lourd filet la maille en fer tissue 6+6 y
Pendait de son épaule et semblait en glisser 6+6 k
Comme un piége fermé qu’un pêcheur va lancer. 6+6 k
625 Il marchait hésitant de clairière en clairière, 6+6 c
Jetant un œil furtif en avant, en arrière, 6+6 c
Étouffant sur le sol le bruit sourd de ses pas, 6+6 x
S’arrêtant quelquefois et se parlant tout bas : 6+6 x
« Les hommes ! disait-il, ô détestables races ! 6+6 p
630 Je ne me trompais pas ; enfin voilà leurs traces : 6+6 p
Mes compagnons et moi, sans les trouver jamais, 6+6 q
Depuis neuf longues nuits nous fouillons ces sommets ; 6+6 q
Jamais chasseur n’osa monter jusqu’où nous sommes. 6+6 n
Exécrable métier que d’être chasseur d’hommes ! 6+6 n
635 Mieux vaut cent fois traquer les lions des déserts, 6+6 f
Le mammouth dans ses joncs, ou l’aigle dans les airs ! 6+6 f
Mais aussi quel plaisir quand on tient dans sa serre, 6+6 c
Prises au même nid, les filles et la mère ! 6+6 c
Mais aussi dans Balbek on nous paye un enfant 6+6 u
640 Plus cher que le lion, le tigre et l’éléphant ! 6+6 u
Ces esclaves humains ont plus d’intelligence ; 6+6 p
Ils servent mieux l’amour, le plaisir, la vengeance ; 6+6 p
Et puis l’homme superbe est plus glorifié 6+6 k
De fouler, disent-ils, son pareil sous son pié : 6+6 k
645 Comparant sa grandeur avec cet esclavage, 6+6 k
Il jouit en secret d’avilir son image. » 6+6 k
En se parlant ainsi, le chasseur approchait 6+6 g
Du corps de Daïdha ; le tronc qui la cachait 6+6 g
En trois pas dépassé lui laissa voir sa proie ; 6+6 r
650 Son pied qu’il avançait resta levé de joie ; 6+6 r
Il comprit d’un regard le prix de sa beauté. 6+6 k
Flottant entre l’amour et la cupidité, 6+6 k
Il se pencha muet sur sa fraîche figure, 6+6 l
Écarta doucement du doigt sa chevelure, 6+6 l
655 Et du front dévoi parcourant les attraits, 6+6 q
D’un sourire infernal il contempla ses traits ; 6+6 q
Puis, frappant ses deux mains en signe de conquête, 6+6 d
Vers sa suite invisible il retourna la tête, 6+6 d
Et l’on vit accourir, au signal triomphant, 6+6 u
660 Six chasseurs comme lui près du corps de l’enfant. 6+6 u
Debout, l’environnant de leur cercle sauvage, 6+6 k
Ils avançaient le front pour mieux voir son visage ; 6+6 k
Et lui, la main à terre et la tête en avant, 6+6 u
Aux lueurs du flambeau secoué par le vent, 6+6 u
665 Leur indiquait d’un geste et d’un coup d’œil féroces 6+6 s
Les merveilles d’amour de ces charmes précoces. 6+6 s
« Chut ! ne l’éveillez pas ! Voyez, leur disait-il, 6+6 t
Ces ondes où se noie un délicat profil ! 6+6 t
Et ce cou plus moi que le long cou du cygne, 6+6 u
670 Et de ce torse enfant l’harmonieuse ligne, 6+6 u
Comme sur la fontaine un flot à peine enflé, 6+6 k
Avant que du matin le zéphyr ait soufflé ! 6+6 k
Et ces bras arrondis, et ce cœur que soulève 6+6 l
Le fantastique amour qui n’approche qu’en rêve ; 6+6 l
675 Et ces deux beaux pieds blancs aux orteils potelés, 6+6 f
Pour voler et bondir polis et modelés, 6+6 f
Comme deux cailloux ronds roulés par l’onde amère, 6+6 c
Et qui tiendraient encor dans la main de sa mère ! 6+6 c
Oh ! qu’encore un printemps, oh ! qu’encore un é 6+6 k
680 Fassent épanouir ces bourgeons de beauté ; 6+6 k
Que le rayon d’amour, qui seul mûrit la femme, 6+6 u
À travers ces cils noirs en épanche la flamme ; 6+6 u
Et les fils de Baal, devant ce front divin, 6+6 y
À chercher un défaut s’épuiseront en vain ! 6+6 y
685 Pour se la disputer, que de sang et de larmes ! 6+6 c
Quels trésors dans mes mains couleront pour ses charmes ! 6+6 c
Cent esclaves, amis, ne m’achèteraient pas 6+6 x
Ce doux philtre ani qui dort là sous mes pas. » 6+6 x
À cet ardent espoir de l’énorme salaire, 6+6 c
690 Un murmure confus d’envie et de colère 6+6 c
S’éleva dans les cœurs des compagnons jaloux : 6+6 w
« Autant qu’à toi, Memphid, n’est-elle pas à nous ? 6+6 w
Penses-tu que nos pieds se sont usés trois lunes 6+6 w
Pour t’enrichir toi seul de nos rares fortunes ? 6+6 w
695 — Scélérats ! dit Memphid le bras déjà levé, 6+6 k
Partager avec vous ce que seul j’ai trouvé ! » 6+6 k
Son imprécation expira sur sa bouche. 6+6 x
La troupe s’entendit d’un seul coup d’œil farouche : 6+6 x
Avant que de leurs pieds le superbe géant 6+6 u
700 Se fût, pour les parer, placé sur son séant, 6+6 u
Six masses à la fois sur sa tête lanes 6+6 i
Brisèrent d’un seul coup son crâne et ses penes. 6+6 i
Le géant assommé, tombant sans mouvement, 6+6 u
De la rage à la mort n’eut qu’un gémissement ; 6+6 u
705 Les racines du sol tremblèrent de sa chute. 6+6 y
Aux éclairs de la torche, aux clameurs de la lutte, 6+6 y
Daïdha réveillée ouvrit les yeux. L’horreur 6+6 i
S’échappa de son âme en un cri de terreur ; 6+6 i
Comme un tronçon dormant de serpent qu’un pied presse 6+6 z
710 Du seul effort des nerfs sur lui-même se dresse ; 6+6 z
Au sol qui la portait sans appuyer la main, 6+6 y
Elle fut sur ses pieds debout d’un bond soudain, 6+6 y
Et, trompant des chasseurs le cercle, qu’elle brise, 6+6 g
Entre leurs doigts ouverts glissa comme une brise. 6+6 g
715 Mais un d’eux à l’instant élancé sur ses pas, 6+6 x
Dépliant le filet qui flottait sur son bras, 6+6 x
Pour l’atteindre en courant le lance sur sa proie : 6+6 r
En volant dans les airs le filet se déploie, 6+6 r
Et des mailles de fer le nuage étouffant 6+6 u
720 D’une prison mobile enveloppe l’enfant. 6+6 u
L’horrible bande alors à quelques pas s’arrête ; 6+6 d
Ils se rangent assis autour de leur conquête, 6+6 d
D’un œil cupide et dur contemplant sans remords 6+6 j
Daïdha qui s’épuise en stériles efforts. 6+6 j
725 L’enfant, sous le réseau dont le tissu ruisselle, 6+6 f
Soulève en vain ses bras pour le secouer d’elle ; 6+6 f
Le lourd voile de fer où se brisent ses doigts 6+6 c
Sur son front écra glisse de tout son poids ; 6+6 c
Sur son cou renversé, sur sa pliante épaule, 6+6 a
730 Parmi ses longs cheveux il se mêle et se colle : 6+6 a
Tel qu’un tissu trem dans les flots écumants, 6+6 o
De son corps qu’il torture il suit les mouvements ; 6+6 o
La sueur et le sang tachent sa peau meurtrie ; 6+6 v
Elle appelle sa mère, elle pleure, elle crie, 6+6 v
735 Frappe son front des mains ; mais les mailles de fer 6+6 k
Arrêtent ses cris même et semblent l’étouffer. 6+6 k
Elle cherche à briser, comme avec des tenailles, 6+6 c
Avec ses dents de lait les nœuds sanglants des mailles ; 6+6 c
Mais les mailles en vain dégouttent de son sang. 6+6 u
740 Pour s’en débarrasser, d’un effort plus puissant 6+6 u
Elle roidit son corps, fléchit, se pelotonne ; 6+6 e
Et, prenant un élan dont le bond les étonne, 6+6 e
Veut en la soulevant dépouiller d’un seul coup 6+6 f
La chemise d’acier qui lui courbe le cou : 6+6 f
745 Mais plus elle bondit, plus le filet se plisse ; 6+6 g
Dans les plis du réseau son pas hésite et glisse, 6+6 g
Et sous le poids grossi des nœuds multipliés 6+6 f
Tombant près des chasseurs, elle roule à leurs pieds. 6+6 f
À ce jeu dont l’horreur eût fait pleurer les anges, 6+6 i
750 À ce beau corps froissé sous ses horribles langes, 6+6 i
Un rire d’ironie et de féroci 6+6 k
Éclate en longs échos sous les bois répété. 6+6 k
Au supplice ils joignaient la raillerie amère : 6+6 c
« Belle enfant, disait l’un, appelle donc ta mère ! 6+6 c
755 Qu’elle vienne à ta voix ainsi te voir jouer, 6+6 k
Et, si ces nœuds de fleurs rompent, les renouer ! » 6+6 k
Un autre, en ricanant, disait : « Pauvre petite ! 6+6 h
Comme ton front rougit ! comme ton cœur palpite ! 6+6 h
Desserre, si tu peux, les bras de cet amant ; 6+6 u
760 Brise ces nœuds de fer, et respire un moment. » 6+6 u
Et celui-là, montrant du doigt ce beau visage, 6+6 k
Qui roulait à ses pieds tout en sang : « Quel dommage, 6+6 k
Disait-il, de ternir de poussière et de pleurs 6+6 u
Ce beau front que bientôt on sèmera de fleurs ! 6+6 u
765 Pourquoi tacher ainsi ces épaules de soie, 6+6 r
Et cette peau d’enfant que le fer marque et broie, 6+6 r
Et ce sein virginal, et ces pieds délicats 6+6 x
Dont les lèvres bientôt voudront baiser les pas ? 6+6 x
Épargne, belle enfant, ces fureurs et ces larmes ; 6+6 c
770 Sais-tu que chaque effort nous coûte un de tes charmes, 6+6 c
Que chaque froissement de tes membres meurtris 6+6 e
Aux yeux des acheteurs nous vole de ton prix ? » 6+6 e
Et parcourant de l’œil les noires meurtrissures 6+6 j
Et les gouttes de sang coulant de ses blessures, 6+6 j
775 Touché par l’avarice et non par la pitié, 6+6 k
Plaignait ce bloc vivant qu’il remuait du pié. 6+6 k
Daïdha cependant, par la lutte lassée, 6+6 z
Et dans l’étroit réseau toujours plus enlae, 6+6 z
Usait en vain, pendant ces sarcasmes affreux, 6+6 q
780 Son dernier désespoir en efforts douloureux. 6+6 q
Ses membres, palpitants sous le poids qui la froisse, 6+6 k
Par de sourds soubresauts trahissaient son angoisse ; 6+6 k
Puis enfin de son corps suivant l’épuisement, 6+6 u
Le filet affaissé resta sans mouvement. 6+6 u
785 Telle aux bords frissonnants du beau lac Méotide 6+6 l
On voit d’ardents pêcheurs une troupe cupide, 6+6 l
Dans le filet flottant qu’ils lancent de l’esquif, 6+6 l
Ramener sur la grève un jeune oiseau captif. 6+6 l
L’alcyon argenté, couché sur le rivage, 6+6 k
790 Aux mailles du lacet déchire son plumage, 6+6 k
Voit briller à travers le réseau contracté 6+6 k
Sa mer d’affection, son ciel de liberté ; 6+6 k
De ses frères de nid pour rejoindre les bandes 6+6 m
S’efforce d’élargir ses ailes toutes grandes, 6+6 m
795 Bat des pieds et du col, et du bec et des flancs, 6+6 o
L’élastique prison et ses nœuds ruisselants, 6+6 o
Et, s’affaissant enfin sous l’effort qui l’accable, 6+6 n
Souille son col de sang et sa plume de sable. 6+6 n
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