Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAM_9/LAM150
Alphonse de LAMARTINE
LA CHUTE D’UN ANGE
1838
RÉCIT
────
« Vieux Liban ! » s’écria | le céleste vieillard 6+6 a
En s’essuyant les yeux | que voilait un brouillard, 6+6 a
Pendant que le vaisseau | courant à pleines voiles 6+6 b
Faisait glisser nos mâts | d’étoiles en étoiles, 6+6 b
5 Et qu’à l’ombre des caps | du Liban sur la mer 6+6 a
L’harmonieuse proue | enflait le flot amer. 6+6 a
« Sommets resplendissants | au-dessus des tempêtes, 6+6 b
Qu’on vous cherchait jadis | bien plus haut qu’où vous êtes ! 6+6 b
Votre front, qui n’est plus | qu’un vieux crâne blanchi, 6+6 a
10 Du poids de l’Océan | n’avait jamais fléchi, 6+6 a
Et les flots du déluge, | en minant vos collines, 6+6 b
N’avaient pas sur vos flancs | déchiré ces ravines. 6+6 b
Vous ne laissiez pas voir, | comme un corps sans manteau, 6+6 a
Ces rocs, grands ossements | prêts à percer la peau ; 6+6 a
15 Mais vos muscles puissants, | vaste épine d’un monde, 6+6 b
Revêtus à grands plis | de bois, de sol et d’onde, 6+6 b
Dessinant sur le ciel | d’harmonieux contours, 6+6 a
Même en s’y découpant | s’arrondissaient toujours. 6+6 a
Si vous les aviez vus, | mon enfant, dans leur gloire, 6+6 b
20 Tels que je les revois | de loin dans ma mémoire, 6+6 b
Dans ces jours encor près | de la création, 6+6 a
Votre œil fondrait d’amour | et d’admiration ! 6+6 a
Vous voyez sur ces bords | qu’évite notre poupe 6+6 b
Ces écueils mugissants | que la lame découpe, 6+6 b
25 Ces grands blocs dentelés, | effroi du matelot, 6+6 a
Où monte et redescend | l’assaut grondant du flot ; 6+6 a
Vous voyez dans les flancs | des monts ces déchirures, 6+6 b
Coups de hache au rocher | qui montre ses blessures, 6+6 b
Et d’où par intervalle | un rare filet d’eau 6+6 a
30 Pleut comme la sueur | d’un flanc sous un fardeau, 6+6 a
Puis ces granits sans ombre | et ces cimes chenues 6+6 b
Dont les escarpements | semblent porter les nues ; 6+6 b
Et qui font dire à l’homme | avec un cri d’effroi : 6+6 a
« Ce globe fut-il fait | pour la pierre ou pour moi ? » 6+6 a
35 » Eh bien, cette âpreté | n’est que décrépitude. 6+6 b
Tout était aussi grand, | mon fils, rien n’était rude ; 6+6 b
Partout pleines, partout | comme grasses de chair, 6+6 a
Ces cimes que noyait | l’océan bleu de l’air 6+6 a
S’élargissaient, montaient, | ou seules ou jumelles, 6+6 b
40 De la terre encor vierge, | ainsi que des mamelles 6+6 b
Que fait renfler un sang | plein de séve et d’amour, 6+6 a
Et dont la plénitude | arrondit le contour. 6+6 a
Ces neiges, dont le poids | semble affaisser leurs hanches, 6+6 b
N’opposaient pas alors | leurs mornes taches blanches 6+6 b
45 Au bleu sombre et profond | d’un firmament plus pur, 6+6 a
Où le vert des rameaux | se fondait dans l’azur, 6+6 a
Comme au bleu d’une mer | qui dort sous le rivage 6+6 b
Le vert des bois se fond | en doublant son image. 6+6 b
Jusqu’aux derniers plateaux | que l’homme ne voit plus, 6+6 a
50 Les chênes aux bras tors, | les cèdres chevelus, 6+6 a
S’élançaient hardiment | en vivante colonne, 6+6 b
Pour porter à cent pieds | leur flèche ou leur couronne, 6+6 b
Ils décoraient la terre | et ne la cachaient pas ; 6+6 a
De larges pans du ciel | s’ouvraient entre leurs bras, 6+6 a
55 Pour que les vents, le jour, | l’humidité céleste, 6+6 b
De la création | visitassent le reste. 6+6 b
La foudre quelquefois | semant leurs troncs noircis 6+6 a
Sur des croupes à pic | les avait éclaircis ; 6+6 a
Les torrents en avaient | balayé leurs rivages, 6+6 b
60 Et laissé pour les yeux | des vides sur leurs plages ; 6+6 b
De sorte qu’entre l’onde | et ces grands troncs épars 6+6 a
Les pelouses laissaient | circuler les regards, 6+6 a
Comme entre les piliers | d’un dôme qu’il éclaire 6+6 b
Le soleil fait jouer | son rayon circulaire. 6+6 b
65 De là brillaient les lacs | à travers les rameaux ; 6+6 a
Les sept fleuves creusaient | sept vallons sous leurs eaux, 6+6 a
Grandes veines d’argent | qui de leur haute artère 6+6 b
S’épanchaient à flots bleus | pour féconder la terre, 6+6 b
Et que par mille nœuds | rassemblait comme un nid 6+6 a
70 L’innombrable réseau | des sources du granit. 6+6 a
» Oh ! quelles fleurs croissaient | sur ce berceau des fleuves ! 6+6 b
Quels cèdres étendaient | leurs bras sur ces eaux neuves ! 6+6 b
Quels oiseaux se trempaient | l’aile dans ces bassins ! 6+6 a
Quel firmament la nuit | constellait dans leurs seins ! 6+6 a
75 Quels murmures secrets | et quelle âme profonde 6+6 b
Sortaient avec ces flots, | chantaient avec cette onde ! 6+6 b
Quand le soir, retirant | ses rayons repliés, 6+6 a
Dorait de feux rasants | les troncs incendiés, 6+6 a
Et semblait allumer | sur ces fumantes cimes 6+6 b
80 Un bûcher colossal | pour d’immenses victimes ; 6+6 b
Quand ces feux des sommets | réfléchis par la mer 6+6 a
Dans ces vagues du soir | paraissaient écumer ; 6+6 a
Que les brutes, sortant | de leurs antres sauvages, 6+6 b
Venaient rôder, bondir, | hurler sur ces rivages : 6+6 b
85 Que les milliers de cris | des nuages d’oiseaux, 6+6 a
Que l’innombrable bruit | de tant de chutes d’eaux, 6+6 a
Comme un orgue à cent voix | qu’une seule âme anime, 6+6 b
Donnaient chacun un son | au cantique unanime ; 6+6 b
Et qu’un souffle des airs | venant à s’exhaler, 6+6 a
90 La surface des monts | semblait toute onduler, 6+6 a
Comme un duvet ému | de cygne que l’on touche 6+6 b
Frémit de volupté | sous le vent de la bouche ; 6+6 b
Que les cèdres plaintifs | tordaient leurs bras mouvants, 6+6 a
Qu’un nuage de fleurs | soulevé par les vents 6+6 a
95 Sortait de la montagne | avec des bruits étranges 6+6 b
Et des flots de parfums | pour enivrer les anges, 6+6 b
L’extase suspendait | le cœur silencieux, 6+6 a
Les étoiles d’amour | se penchaient dans les cieux, 6+6 a
Et Celui qui connaît | la colline et la plaine 6+6 b
100 Écoutait l’hosanna | dont sa cime était pleine !!! » 6+6 b
────
— Mais, disais-je en mon cœur, | ce vieillard inconnu 6+6 a
Parle comme quelqu’un | qui lui-même aurait vu. » 6+6 a
Il lut dans mon esprit | ma pensée et mon trouble : 6+6 b
« Oui, j’ai vu, non par moi, | non par ce regard trouble, 6+6 b
105 Non par cet œil de chair, | mais par l’œil de ces saints 6+6 a
À qui Dieu, d’ici-bas, | laisse voir ses desseins, 6+6 a
À qui des jours futurs | l’avenir dit le nombre, 6+6 b
Et pour qui dans sa nuit | le passé n’a point d’ombre ! 6+6 b
— Je croyais qu’ici-bas | il n’en restait aucun. 6+6 a
110 — Dans ces jours ténébreux, | mon fils, il en reste un, 6+6 a
Un seul, digne héritier | de ces sacrés prophètes 6+6 b
Dont l’éclair du Très-Haut | illuminait les têtes ; 6+6 b
Heureux qui peut l’entendre | en ces heures où Dieu 6+6 a
Le rend contemporain | et présent en tout lieu ! 6+6 a
115 Il assiste vivant | au sublime mystère, 6+6 b
Aux actes successifs | du drame de la terre. 6+6 b
Mais il faut pour goûter | du saint le divin fruit, 6+6 a
Lui porter un cœur simple | et vide de tout bruit. 6+6 a
— Oh ! dans quel coin du monde | habite-t-il, mon père ? 6+6 b
120 Des montagnes aux mers, | voyageur sur la terre, 6+6 b
Pour chercher un rayon | de pure vérité, 6+6 a
J’ai laissé le pays | par mon père habité, 6+6 a
Et la tombe où ma mère | attend là-bas mon âme ; 6+6 b
J’ai pris par chaque main | cet enfant, cette femme, 6+6 b
125 J’ai confié leur vie | aux flancs de ce vaisseau, 6+6 a
Comme on emporte tout | dans le pan d’un manteau ; 6+6 a
J’ai risqué mes trésors, | mes amours et ma vie. 6+6 b
Que voulez-vous de plus | qu’un homme sacrifie ? 6+6 b
— Eh bien, quand, au retour, | de ces flots en courroux 6+6 a
130 L’abîme engloutirait | et ces trésors et vous, 6+6 a
Vous n’auriez pas payé | trop cher ce grand spectacle, 6+6 b
Et sur la nuit des temps | un éclair de l’oracle. 6+6 b
Mais sur quels bords lointains | vit cet homme de Dieu ? 6+6 a
Et qui m’enseignera | le chemin et le lieu ? 6+6 a
135 — Levez les yeux, mon fils ; | vous voyez sur nos têtes 6+6 b
Ce groupe du Liban, | tout voilé de tempêtes, 6+6 b
Dont les vastes rameaux, | des feux du ciel fumants, 6+6 a
Blanchissent au soleil | comme des ossements. 6+6 a
Là les fentes du roc | laissent sortir de terre 6+6 b
140 De distance en distance | un sombre monastère. 6+6 b
En les voyant d’ici, | l’œil même du nocher 6+6 a
Ne saurait distinguer | leurs murs noirs du rocher ; 6+6 a
Semblables à des caps | qui brisent des nuages, 6+6 b
Ils s’élèvent au ciel | d’étages en étages, 6+6 b
145 Noyés par les vapeurs | dans les vagues de l’air ; 6+6 a
On n’en voit quelques-uns | qu’aux lueurs de l’éclair. 6+6 a
Nul n’en saurait trouver | la route que les aigles. 6+6 b
Tout un peuple pourtant | suit là de saintes règles, 6+6 b
Et, pour fuir l’esclavage | et l’ombre du turban, 6+6 a
150 De trous comme une ruche | a percé le Liban. 6+6 a
Là, suspendant son aire | aux pans des précipices, 6+6 b
Il féconde du roc | les moindres interstices : 6+6 b
Abeilles du Seigneur, | dont la cire et le miel 6+6 a
Sont d’obscures vertus | qui n’ont de prix qu’au ciel ! 6+6 a
155 — Quel est ce peuple saint ? | — Ce sont les Maronites, 6+6 b
Tribu d’adorateurs, | peuple de cénobites, 6+6 b
Qui, semblable aux Hébreux | dans leur captivité, 6+6 a
A caché sur ces monts | l’arche de vérité. 6+6 a
Dans les simples vertus | que l’Occident oublie, 6+6 b
160 Là, depuis deux mille ans, | leur race multiplie. 6+6 b
Ils n’ont pas recherché | cette perfection 6+6 a
Qui s’affranchit des lois | de la création : 6+6 a
Par les chastes liens | des enfants et des femmes, 6+6 b
À l’amour du prochain | ils exercent leurs âmes ; 6+6 b
165 De leurs fruits, comme l’arbre, | ils se font un honneur ; 6+6 a
Un fils est à leurs yeux | un tribut au Seigneur, 6+6 a
Un serviteur de plus | pour servir le grand Maître, 6+6 b
Un œil, une raison | de plus pour le connaître, 6+6 b
Une langue de plus | dans le chœur infini 6+6 a
170 Par qui, de siècle en siècle, | il doit être béni ! 6+6 a
Ils ne dérobent pas, | mendiants volontaires, 6+6 b
Leur pain aux indigents | comme vos solitaires : 6+6 b
Du travail de leurs doigts | pour tisser leurs habits, 6+6 a
Ils font filer le ver | et paître les brebis ; 6+6 a
175 Ils sèment le froment | aux bords des précipices, 6+6 b
Ils attellent au joug | leurs robustes génisses ; 6+6 b
Et souvent vous voyez | ces pieux laboureurs, 6+6 a
À moitié d’un sillon | arrosé de sueurs, 6+6 a
Aux accents de l’airain | sortant du monastère 6+6 b
180 Arracher tout à coup | le soc fumant de terre, 6+6 b
Et, mêlant sous le ciel | la prière au travail, 6+6 a
Chanter l’hymne en laissant | respirer leur bétail. 6+6 a
Sans jamais l’outrager, | épurant la nature, 6+6 b
Leur vieux christianisme | est une goutte pure 6+6 b
185 De la source de foi, | du breuvage sans fiel 6+6 a
Que la main de Jésus | fit descendre du ciel 6+6 a
À l’heure où son cœur dit : | « Homme, je suis ton frère ; 6+6 b
» Mon royaume est le tien, | et mon Père est ton père ! » 6+6 b
» Dans ce peuple d’élus | quelques-uns cependant, 6+6 a
190 Soulevés d’ici-bas | d’un soupir plus ardent, 6+6 a
Gravissant du Liban | les sommets les plus rudes, 6+6 b
Sur la fin de leurs jours | hantent les solitudes, 6+6 b
Où, livrés à l’esprit | des contemplations, 6+6 a
Ils consument leur âme | en aspirations ; 6+6 a
195 Nouveaux Pauls du désert | qu’une caverne abrite, 6+6 b
Que le lion nourrit | et que l’aigle visite. 6+6 b
Il en est un surtout | dont les anges, dit-on, 6+6 a
Ne prononcent entre eux | qu’avec respect le nom, 6+6 a
Dont les hommes d’en bas, | les plus vieux de leur race, 6+6 b
200 Ne connaissent plus l’âge, | ont oublié la trace, 6+6 b
Et qu’ils n’ont jamais vu, | dans leurs plus jeunes ans, 6+6 a
Qu’avec son front pensif, | aux rares cheveux blancs, 6+6 a
Sa tempe, ses yeux creux | et sa prunelle éteinte, 6+6 b
Où depuis soixante ans | nulle clarté n’est peinte, 6+6 b
205 Mais qui semble, brûlée | à des éclairs ardents, 6+6 a
Quoique aveugle en dehors, | regarder en dedans. 6+6 a
Ah ! celui-là, mon fils, | sait des choses étranges 6+6 b
Sur l’enfance du temps, | sur l’homme et sur les anges. 6+6 b
Soit qu’un récit divin | lui fût un jour conté, 6+6 a
210 Soit qu’au-dessus des sens | son esprit soit monté, 6+6 a
Soit que dans les rigueurs | dont il se sanctifie 6+6 b
Son âme ait retrouvé | le don de prophétie, 6+6 b
Et qu’au lieu de percer | la nuit de l’avenir 6+6 a
Elle sache évoquer | des temps le souvenir : 6+6 a
215 Comme un esprit robuste, | à force de pensée, 6+6 b
Rappelle du lointain | sa mémoire effacée, 6+6 b
Il voit les jours d’Adam | comme ceux d’aujourd’hui. 6+6 a
Mais c’est un dur travail | de monter jusqu’à lui. 6+6 a
Il habite, au plus haut | de ces cimes visibles, 6+6 b
220 Un antre tout fermé | de rocs inaccessibles, 6+6 b
Où le pas des mortels | ne trouve aucun sentier. 6+6 a
Le montagnard en vain | gravit un jour entier. 6+6 a
On ne peut découvrir | la grotte sans prodige ; 6+6 b
On dit qu’à moins qu’un ange | ou Dieu ne vous dirige, 6+6 b
225 De peine et de sueurs | le corps anéanti, 6+6 a
On se retrouve au point | d’où l’on était parti. 6+6 a
Mais l’esprit du Très-Haut, | qui de si loin vous mène, 6+6 b
Vous conduira, mon fils, | mieux qu’une trace humaine ; 6+6 b
Laissez la blonde enfant | avec sa mère en bas, 6+6 a
230 Et demain au Liban | j’accompagne vos pas. » 6+6 a
Nous laissâmes tomber | notre ancre dans la vase 6+6 b
Où l’antique Sidon, | près d’un cap qui s’évase, 6+6 b
Rassemblait par milliers | sous ses quais de granit 6+6 a
Ses voiles comme autant | d’aiglons rentrés au nid. 6+6 a
235 Le temps n’a rien laissé | de sa ruine immense 6+6 b
Qu’un môle renversé | qui dort au fond d’une anse, 6+6 b
Du sable dont la lune | éclairait la blancheur, 6+6 a
Et l’écume lavant | la barque d’un pêcheur. 6+6 a
Que ton éternité | nous frappe et nous accable, 6+6 b
240 Dieu des temps ! quand on cherche | un peuple dans du sable, 6+6 b
Et que d’un vaste empire | où l’on descend la nuit, 6+6 a
La rame d’une barque, | hélas ! est tout le bruit ! 6+6 a
────
Je laissai tous mes biens | dans ma maison flottante, 6+6 b
Que ces flots assoupis | berçaient comme une tente, 6+6 b
245 Et le vieillard et moi, | d’un essor tout pareil, 6+6 a
Nos pas aux flancs des monts | devançant le soleil, 6+6 a
Nous vîmes par degrés, | au lever de l’aurore, 6+6 b
La mer derrière nous | fuir et les pics éclore, 6+6 b
Et des sommets atteints, | d’autres sommets voilés, 6+6 a
250 Fendre des firmaments | par leur neige étoilés. 6+6 a
De là, le grand désert | sous sa vapeur de braise 6+6 b
Brillait comme un fer chaud | rougi par la fournaise ; 6+6 b
Et la mer et le ciel | fondus à l’horizon, 6+6 a
Trompant en s’unissant | les yeux et la raison, 6+6 a
255 Semblaient un océan | circulaire et sans plages, 6+6 b
Où nageaient le soleil, | les monts et les nuages. 6+6 b
Nous passâmes au pied | d’un haut mamelon noir 6+6 a
Que couronnaient les murs | d’un antique manoir, 6+6 a
Tout semblable aux monceaux | de gothiques ruines 6+6 b
260 Dont le Rhin féodal | revêtait ses collines. 6+6 b
Des turbans noirs brillaient | au sommet d’une tour. 6+6 a
« Quel est, dis-je au vieillard, | cette aire de vautour ? 6+6 a
Quel crime, ou quelle ardeur | d’une âme solitaire, 6+6 b
A pu faire habiter | ce palais du mystère ? 6+6 b
265 — C’est là pourtant, mon fils, | c’est là, répondit-il, 6+6 a
Qu’une femme d’Europe | a bâti son exil1, 6+6 a
Et que, livrant ses nuits | aux sciences des Mages, 6+6 b
Elle s’élève à Dieu | par l’échelle des sages : 6+6 b
Dieu connaît si son art | est songe ou vérité, 6+6 a
270 Mais tout homme bénit | son hospitalité. » 6+6 a
Nous passâmes la nuit | dans ces hautes demeures : 6+6 b
La grâce et la sagesse | en charmèrent les heures, 6+6 b
Les étoiles du ciel | fêtèrent notre accueil, 6+6 a
Et nos pieds en sortant | en bénirent le seuil. 6+6 a
────
275 De la crête des rocs | aux torrents des abîmes, 6+6 b
Nous montâmes trois jours | et nous redescendîmes : 6+6 b
Nous touchâmes du pied | les sauvages tribus 6+6 a
Des enfants du désert, | des races vils rebuts ; 6+6 a
Les Druses belliqueux | aux yeux noirs et superbes, 6+6 b
280 Adorateurs du veau | qui rumine leurs herbes ; 6+6 b
Les Arabes pasteurs, | dont les chameaux errants 6+6 a
Viennent de trente jours | pour boire les torrents, 6+6 a
Qui suivent les saisons | et dont les tentes blanches, 6+6 b
Portatives cités, | brillaient entre les branches. 6+6 b
285 Nous dormions en tout lieu, | sans soif et sans danger, 6+6 a
Car partout l’Orient | a sacré l’étranger. 6+6 a
Enfin, aux sons d’airain | de leurs cloches bénites, 6+6 b
Nous connûmes de loin | les monts des Maronites ; 6+6 b
Et gravissant leurs pics | où se brisent les vents, 6+6 a
290 Nous laissâmes en bas | leurs plus sombres couvents 6+6 a
Les neiges, qui fondaient | en pâle et jaune écume, 6+6 b
Fumaient comme des feux | que le pasteur allume, 6+6 b
Et, roulant dans l’abîme | en cent mille canaux, 6+6 a
Remplissaient l’air muet | du tonnerre des eaux. 6+6 a
295 Nous marchions en tremblant | où l’aigle à peine niche, 6+6 b
Quand au détour soudain | d’une étroite corniche, 6+6 b
Nous vîmes, étonnés | et tombant à genoux, 6+6 a
Des cèdres du Liban | la grande ombre sur nous2; 6+6 a
Arbres plantés de Dieu, | sublime diadème, 6+6 b
300 Dont le roi des éclairs | se couronne lui-même. 6+6 b
Leur ombre nous couvrit | de cette sainte horreur 6+6 a
D’un temple où du Très-Haut | habite la terreur. 6+6 a
Nous comptâmes leurs troncs | qui survivent au monde, 6+6 b
Comme, dans ces déserts | dont les sables sont l’onde, 6+6 b
305 On mesure de l’œil, | en renversant le front, 6+6 a
Des colonnes debout, | dont on touche le tronc. 6+6 a
De leur immensité | le calcul seul écrase ; 6+6 b
Nos pas se fatiguaient | à contourner leur base, 6+6 b
Et de nos bras tendus | le vain enlacement 6+6 a
310 N’embrassait pas un pli | d’écorce seulement. 6+6 a
Debout, l’homme est à peine | à ces plantes divines 6+6 b
Ce qu’est une fourmi | sur leurs vastes racines. 6+6 b
De la croupe du mont | où les neiges fondaient, 6+6 a
Jusqu’aux bords d’un plateau | leurs bras noirs débordaient ; 6+6 a
315 Comme d’un coup de hache, | en cet endroit fendue, 6+6 b
La pente tout à coup | jusqu’à perte de vue 6+6 b
Plongeait en précipice, | où, se brisant au fond, 6+6 a
Un fleuve tout entier | s’élançait d’un seul bond, 6+6 a
Et de là, vers la mer | se creusant en vallée, 6+6 b
320 Faisait serpenter l’onde | en un lit rassemblée. 6+6 b
Couchés sur le rebord, | pour qu’en plongeant en bas 6+6 a
Le vertige des eaux | ne nous emportât pas, 6+6 a
Nos fronts seuls débordaient | la béante muraille. 6+6 b
Mon guide m’y montra | du regard une entaille. 6+6 b
325 À quelques pas de nous, | comme une fente au mur, 6+6 a
S’ouvrait dans ses parois | un interstice obscur, 6+6 a
Semblable par sa forme | aux portes colossales 6+6 b
Qui s’élèvent du seuil | au toit des cathédrales ; 6+6 b
Devant cette ouverture, | un grand banc de rocher, 6+6 a
330 Promontoire du mont | plus lent à s’ébrécher, 6+6 a
Étendait de niveau | quelques pieds de surface, 6+6 b
Où la mousse et les pas | trouvaient un peu d’espace. 6+6 b
À travers de grands blocs | de porphyre sanglant, 6+6 a
Notre œil en démêlait | le sentier circulant. 6+6 a
335 L’onde, dont le granit | le plus dur se découpe, 6+6 b
En relevait les bords | comme ceux d’une coupe. 6+6 b
Ce rebord défendait | le regard et les pas 6+6 a
De l’abîme ondoyant | qui mugissait en bas. 6+6 a
Une branche d’un cèdre, | ainsi qu’un noir nuage, 6+6 b
340 S’abaissant sur la place | avec tout son feuillage, 6+6 b
Dont les perles d’écume | étincelaient au jour, 6+6 a
Versait un peu de nuit | et de fraîcheur autour, 6+6 a
Et laissait du matin | les rayons et les ombres 6+6 b
Luttant dans les rameaux | jouer sur ces décombres. 6+6 b
345 « Rendons grâce au Seigneur, | dit le vieillard tout bas ; 6+6 a
Lui-même vers son saint | il a guidé nos pas : 6+6 a
Nous sommes arrivés ; | ces gigantesques tiges 6+6 b
Des arbres de l’Éden | sont les sacrés vestiges ; 6+6 b
Du saint jardin ces lieux | ont conservé le nom ; 6+6 a
350 Ces cèdres étaient vieux | aux jours de Salomon ; 6+6 a
Leur instinct végétal | est une âme divine 6+6 b
Qui sent, juge, prévoit, | et raisonne, et combine ; 6+6 b
Leurs gigantesques bras | sont des membres vivants 6+6 a
Qu’ils savent replier | sous la neige ou les vents ; 6+6 a
355 Le rocher les nourrit, | le feu les désaltère ; 6+6 b
Leur séve intarissable | est le suc de la terre. 6+6 b
Ils ont vu sans fléchir | sur leurs dômes géants 6+6 a
Le déluge rouler | les flots des Océans : 6+6 a
C’est un de leurs rameaux | que l’oiseau bleu de l’arche 6+6 b
360 Rapporta de l’abîme | en signe au patriarche ; 6+6 b
Ils verront le dernier | comme le premier jour ! 6+6 a
L’ermite sous leurs pieds | a choisi son séjour. 6+6 a
Voilà depuis les temps | l’antre affreux qu’il habite, 6+6 b
Où l’esprit du passé | nuit et jour le visite, 6+6 b
365 Où, des rameaux sacrés | peuplés d’illusions, 6+6 a
Descendent sur ses yeux | les saintes visions ; 6+6 a
Son âme s’y confond | à l’âme de la terre. 6+6 b
Jamais seul, et pourtant | constamment solitaire, 6+6 b
Il converse sans cesse | avec d’étranges voix ; 6+6 a
370 Il voit ce qui n’est plus, | ainsi que je vous vois. 6+6 a
Son corps n’obéit plus | aux lois de la nature, 6+6 b
Quelques fruits secs sont là | toute sa nourriture ; 6+6 b
Et, si du monastère | à nos pieds habité 6+6 a
De ses frères en Dieu | l’active charité 6+6 a
375 Oubliait quelque jour | d’apporter les corbeilles 6+6 b
Des dattes et du miel | aliment de ses veilles, 6+6 b
Ce jour le trouverait | mort d’inanition 6+6 a
Sans avoir suspendu | sa contemplation. 6+6 a
Allons, suivez ma trace | au bord du précipice ; 6+6 b
380 Mais de vos pieds muets | que le bruit s’assoupisse ; 6+6 b
Demeurez à la porte, | et gardez-vous d’entrer 6+6 a
Si je ne vous fais pas | signe d’y pénétrer ; 6+6 a
Car un sens qui s’éteint | en rend plus clair un autre ; 6+6 b
Son oreille entendrait | ou mon pied ou le vôtre ; 6+6 b
385 Et, s’il est absorbé | dans les choses d’en haut, 6+6 a
Craignons de réveiller | son esprit en sursaut : 6+6 a
Nous chasserions la voix | qui parle dans son âme, 6+6 b
Comme en la secouant | on éteint une flamme ! » 6+6 b
Je suivis pas à pas | mon guide : en un clin d’œil 6+6 a
390 De l’antre révéré | nous touchâmes le seuil. 6+6 a
Un sourd bourdonnement, | écho d’un cœur qui prie, 6+6 b
Ou d’une solitaire | et sainte rêverie, 6+6 b
Vers la porte du roc | nous guidait en marchant, 6+6 a
Comme un bruit d’eau caché | qui croît en s’approchant : 6+6 a
395 On eût dit que la roche, | abri du solitaire, 6+6 b
Avait pris une voix | et louait Dieu sous terre. 6+6 b
Nous ne distinguions pas | les mots ; mais les élans 6+6 a
De la voix pour l’oreille | étaient assez parlants. 6+6 a
On y sentait l’ardeur | et les bonds de l’extase 6+6 b
400 Qui d’un sein débordant | jaillit et s’extravase, 6+6 b
Et de l’âme en travail | le saint bouillonnement. 6+6 a
Mon guide s’arrêta | sur la porte un moment, 6+6 a
Entre les cieux piliers | tendit un peu la tête, 6+6 b
Prit ma main, et du doigt | m’indiqua le prophète : 6+6 b
405 C’était lui ; l’œil fermé | comme un homme assoupi, 6+6 a
Sur le seuil de son antre | il était accroupi, 6+6 a
Les deux pieds sous son corps, | dans la sainte attitude 6+6 b
Dont ses membres pieux | avaient pris l’habitude. 6+6 b
Ses mains sur ses genoux, | jointes par tous les doigts, 6+6 a
410 Le buste sur lui-même | affaissé sous son poids, 6+6 a
Ses os près de percer | sa chair d’anachorète, 6+6 b
Dessinés sous sa peau | comme ceux d’un squelette, 6+6 b
Mais où l’on retrouvait | la charpente d’un corps 6+6 a
Dont un esprit puissant | avait mû les ressorts. 6+6 a
415 Tout ce buste était nu ; | la lourde couverture 6+6 b
Que nouait une corde | autour de sa ceinture 6+6 b
Déroulait seulement, | pour ombrager le tronc, 6+6 a
Quelques plis effilés | sur sa natte de jonc. 6+6 a
Ses longs bras attestaient | la hauteur de sa taille ; 6+6 b
420 Son épaule adossée | à la rude muraille, 6+6 b
Imitant par la peau | la teinte du rocher, 6+6 a
Comme un bloc de sculpteur | semblait s’en détacher ; 6+6 a
Et sur ce marbre blanc | les yeux voyaient à peine, 6+6 b
Faible signe de vie, | onduler quelque veine. 6+6 b
425 Son crâne, éblouissant | d’un blanc teint de vermeil, 6+6 a
Ainsi qu’un dôme d’or | éclatait au soleil ; 6+6 a
On eût dit que jamais | aucune chevelure 6+6 b
N’en avait ombragé | la robuste moulure ; 6+6 b
Seulement les fils blancs | de ses deux hauts sourcils 6+6 a
430 Se mêlaient sur les yeux | à la blancheur des cils. 6+6 a
Ses yeux étaient fermés, | comme si la paupière 6+6 b
N’eût plus cherché qu’en Dieu | le ciel et la lumière ; 6+6 b
Un jour intérieur | paraissait inonder 6+6 a
Son visage immobile | et doux à regarder ; 6+6 a
435 Creusés par la pensée | et non pas par des rides, 6+6 b
Ses traits purs n’étaient plus | que des lignes arides 6+6 b
Dont un mince épiderme | embrassait le contour ; 6+6 a
Même à travers sa joue | on croyait voir le jour. 6+6 a
De ce tissu fibreux | la transparente trame 6+6 b
440 Ne semblait plus un corps, | mais un vêtement d’âme ; 6+6 b
Et, si l’on n’eût pas vu | ses lèvres murmurer, 6+6 a
Et sa poitrine osseuse | en s’enflant respirer, 6+6 a
On eût pu croire, aux traits | que le jeûne exténue, 6+6 b
À l’immobilité | de ce front de statue, 6+6 b
445 À l’égale couleur | des membres et du roc, 6+6 a
Que l’homme et le rocher | n’étaient qu’un même bloc ! 6+6 a
Le soleil, qui rasait | les parois de l’abîme, 6+6 b
De son front chauve et nu | teignait déjà la cime ; 6+6 b
Bien qu’il ne pût le voir, | il paraissait jouir 6+6 a
450 Du rayon où ses yeux | allaient s’épanouir, 6+6 a
Comme par l’autre sens | dont la foi nous inonde 6+6 b
On sent Dieu, sans le voir, | dans la nuit de ce monde. 6+6 b
La stupeur sur le sol | pétrifiait nos pas ; 6+6 a
L’ombre sans mouvement | ne nous trahissait pas ; 6+6 a
455 Nul souffle de nos sens | ne lui laissait connaître 6+6 b
Entre le ciel et lui | la présence d’un être. 6+6 b
Oh ! qui retrouverait | les paroles de feu 6+6 a
Qui consumaient sa langue | en jaillissant à Dieu ? 6+6 a
Que le Dieu qui créa | ces natures étranges 6+6 b
460 Des lèvres de ses saints | aspire de louanges ! 6+6 b
Quand il eut exhalé | son matinal encens, 6+6 a
Sans qu’un signe visible | eût averti ses sens, 6+6 a
Il se tourna vers nous, | comme si la prière 6+6 b
D’un jour surnaturel | eût rempli sa paupière : 6+6 b
465 « Approchez-vous de moi, | dit-il, jeune étranger, 6+6 a
De loin, depuis longtemps, | je vous vois voyager. 6+6 a
Vous venez, mon enfant, | d’une ombre bien épaisse 6+6 b
Chercher le jour à l’heure | où mon soleil s’abaisse ; 6+6 b
Mais Celui dont la main | me rappelle au tombeau 6+6 a
470 Avec une étincelle | allume un grand flambeau ; 6+6 a
Du levant au couchant | l’inextinguible flamme 6+6 b
De l’âme qui s’éteint | se communique à l’âme. 6+6 b
Ce flambeau du passé | que ne souffle aucun vent, 6+6 a
Le mourant ici-bas | le transmet au vivant ; 6+6 a
475 Toujours quelqu’un reçoit | le saint manteau d’Élie, 6+6 b
Car Dieu ne permet pas | que sa langue s’oublie ! 6+6 b
C’est vous que dans la foule | il a pris par la main, 6+6 a
Vous à qui son esprit | a montré le chemin, 6+6 a
Vous que depuis le sein | d’une pieuse mère 6+6 b
480 De la soif du Seigneur | sa grâce ardente altère ; 6+6 b
C’est vous qu’il a choisi, | pour venir écouter 6+6 a
La voix de la montagne | et pour la répéter. 6+6 a
Mais de ces grands récits | des merveilles antiques 6+6 b
Hâtez-vous d’épuiser | les sources prophétiques ;. 6+6 b
485 Car dans cette mémoire | où Dieu les fit rouler 6+6 a
Elles n’ont plus, hélas ! | qu’un instant à couler : 6+6 a
Celui qui vous amène | à mes dernières veilles 6+6 b
Veut que ma vieille voix | meure dans vos oreilles. 6+6 b
J’ai vu ma dernière heure | avec vous s’approcher, 6+6 a
490 Je vais laisser bientôt | ma dépouille au rocher : 6+6 a
Pressez l’heure fuyante | où Dieu me laisse vivre ; 6+6 b
Lisez avant qu’un doigt | ait déchiré le livre 6+6 b
Des secrets de la terre ; | il est partout écrit. 6+6 a
Parlez : où voulez-vous | que j’ouvre mon esprit ? 6+6 a
495 — Que le souffle divin, | dis je, l’ouvre lui-même : 6+6 b
Qui suis-je pour parler | devant la voix suprême ? 6+6 b
— Eh bien ! répondit-il, | mon fils, recueillons-nous ; 6+6 a
Mettez entre vos doigts | le front sur vos genoux : 6+6 a
Quand vous relèverez | de vos mains votre tête, 6+6 b
500 La mort aura scellé | les lèvres du prophète. » 6+6 b
Et trois jours à ses pieds | nous restâmes assis. 6+6 a
Ceci fut le second | de ses douze récits. 6+6 a
Lady Esther Stanhope, à Djioun.
Ézéchiel parle des cèdres d’Éden comme des plus beaux du Liban. Les Arabes de toutes les sectes ont une vénération traditionnelle pour ces arbres : ils leur attribuent non-seulement une force végétative qui les fait vivre éternellement, mais encore une âme qui leur fait donner des signes de sagesse, de prévision semblables à ceux de l’instinct chez les animaux, de l’intelligence chez les hommes. Ils connaissent d’avance les saisons, ils remuent leurs vastes rameaux comme des membres, ils étendent ou resserrent leurs coudes, ils élèvent vers le ciel ou inclinent vers la terre leurs branches, selon que la neige se prépare à tomber ou à fondre. Ce sont des êtres divins sous la forme d’arbres. Ils croissent dans ce seul site des groupes du Liban ; ils prennent racine bien au-dessus de la région où toute grande végétation expire. Tout cela frappe d’étonnement l’imagination des peuples d’Orient, et je ne sais si la science ne serait pas étonnée elle-même
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