SIXIÈME ÉPOQUE |
26 mars 1795, dans une maison de retraite ecclésiastique, à Grenoble, pendant le délire de la fièvre.
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J'ai quitté pour jamais│ cet Éden de ma vie |
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a |
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Où cette Ève à mon cœur│ fut montrée et ravie, |
6+6 |
a |
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Comme le premier homme,│ hélas ! quitta le sien. |
6+6 |
b |
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Mais combien son exil│ ferait envie au mien ! |
6+6 |
b |
5 |
Des pas suivaient ses pas│ loin des portes fermées ; |
6+6 |
a |
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Ses sanglots s'étouffaient│ sur des lèvres aimées, |
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a |
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Et de deux cœurs brisés│ l'âpre conformité |
6+6 |
b |
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Faisait de deux malheurs│ une félicité ; |
6+6 |
b |
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Moi, seul toute la vie,│ et seul au jour suprême, |
6+6 |
a |
10 |
Abhorré du seul cœur│ que je tue et que j'aime, |
6+6 |
a |
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Obligé d'étouffer│ mes plaintes sans échos, |
6+6 |
b |
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Et de noyer mon cœur│ dans ses propres sanglots ; |
6+6 |
b |
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Obligé d'arracher│ à l'âme sa pensée |
6+6 |
a |
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Comme on arrache une arme│ aux mains d'une insensée ; |
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a |
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Ayant tout mon bonheur│ à mes pieds répandu |
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b |
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Sans pouvoir y jeter│ un regard défendu, |
6+6 |
b |
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Le cœur vide et saignant│ jusqu'à ce qu'il en meure, |
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a |
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Et n'osant même à Dieu│ nommer ce que je pleure, |
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a |
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Il faut vivre et marcher│ sans ombre, toujours seul, |
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b |
20 |
Mort parmi les vivans,│ cet habit pour linceul ; |
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b |
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Mort ! ah ! plutôt jeté│ tout bouillonnant de vie |
6+6 |
a |
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Parmi ces morts dont l'âme│ est déjà refroidie ! |
6+6 |
a |
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Étouffant sans pouvoir│ mourir, et nourrissant |
6+6 |
b |
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Le ver de mon tombeau│ du plus chaud de mon sang !… |
6+6 |
b |
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
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25 |
Oh ! que t'avais-je fait,│ éternelle justice, |
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a |
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Pour mériter si jeune│ un si rare supplice ? |
6+6 |
a |
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Cet amour, comme un piège│ à mon cœur préparé, |
6+6 |
b |
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Sans toi, sans tes desseins,│ l'aurais-je rencontré ? |
6+6 |
b |
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N'en avais-je pas fui,│ tout brûlant et tout jeune, |
6+6 |
a |
30 |
Le péril inconnu│ dans la veille et le jeûne, |
6+6 |
a |
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Pour sauver mon cœur chaste│ et garder mon œil pur, |
6+6 |
b |
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Entre le monde et moi│ mis l'épaisseur d'un mur ? |
6+6 |
b |
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Est-ce moi qui l'ai fait│ s'écrouler sur ma tête ? |
6+6 |
a |
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Et quand pour m'abriter│ au nid de la tempête |
6+6 |
a |
35 |
J'allais m'ensevelir│ dans le creux du rocher, |
6+6 |
b |
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Seigneur, est-ce elle ou vous│ que j'y venais chercher ? |
6+6 |
b |
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Est-ce moi, qui prenant│ cette enfant inconnue, |
6+6 |
a |
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La portais, l'enfermais│ avec moi dans la nue, |
6+6 |
a |
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Et, par mon ignorance│ et son déguisement, |
6+6 |
b |
40 |
Me créais le péril│ d'un double sentiment ? |
6+6 |
b |
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Est-ce moi qui, couvrant│ de nos deux cœurs la flamme, |
6+6 |
a |
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Nous fis pendant deux ans│ vivre d'une seule âme, |
6+6 |
a |
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Pour qu'en nous séparant│ tout à coup sans pitié, |
6+6 |
b |
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Chacun des deux de l'autre│ emportât la moitié ? |
6+6 |
b |
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
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45 |
Si c'est Dieu qui l'a fait,│ pourquoi moi qui l'expie ? |
6+6 |
a |
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L'innocent à ses yeux│ paye-t-il pour l'impie ? |
6+6 |
a |
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Ou plutôt est-il donc│ dans ses sacrés desseins |
6+6 |
b |
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Que ceux qu'il a choisis│ ici-bas pour ses saints, |
6+6 |
b |
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Avant de brûler l'homme│ à ses bûchers sublimes, |
6+6 |
a |
50 |
Les premiers sur l'autel│ lui servent de victimes ? |
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a |
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
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Ah ! je me soumettrais│ sans murmure à ta loi, |
6+6 |
b |
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Dieu jaloux ! si du fer│ tu n'égorgeais que moi ! |
6+6 |
b |
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J'ai voulu, j'ai tenté│ ton cruel ministère, |
6+6 |
a |
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Je saurai jusqu'au sang│ le subir et me taire ! |
6+6 |
a |
55 |
Mais elle ! mais cet être│ à peine descendu, |
6+6 |
b |
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Pauvre ange, prise au piège│ à l'homme seul tendu, |
6+6 |
b |
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Tendre enfant, par toi-même│ à mon sein confiée, |
6+6 |
a |
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Que par mon amour même,│ ô Dieu ! sacrifiée, |
6+6 |
a |
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Proscrite de ces bras│ ouverts pour la porter, |
6+6 |
b |
60 |
Elle aille en retombant│ à mes pieds se heurter, |
6+6 |
b |
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Traîner dans les langueurs│ d'un éternel veuvage |
6+6 |
a |
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Du front qu'elle adora│ l'ineffaçable image ! |
6+6 |
a |
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Ou porter, jeune et morte,│ aux bras d'un autre époux, |
6+6 |
b |
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D'un cœur tout calciné│ les précoces dégoûts… |
6+6 |
b |
65 |
M'accuser à jamais│ du froid qui la dévore, |
6+6 |
a |
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Et blasphémer son Dieu│ par le nom qu'elle adore ! |
6+6 |
a |
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Ah ! c'est plus qu'un mortel│ ne pouvait accepter, |
6+6 |
b |
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Ce qu'au prix du ciel même│ il fallait racheter, |
6+6 |
b |
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Ce que j'achèterais│ de ma vie éternelle, |
6+6 |
a |
70 |
De l'immortalité│ que je maudis sans elle !… |
6+6 |
a |
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
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O Laurence ! ô pitié !│ reviens, pardonne-moi ! |
6+6 |
b |
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Je t'immolais à Dieu,│ mon seul dieu c'était toi ! |
6+6 |
b |
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Je ne puisais qu'en toi│ cette force suprême |
6+6 |
a |
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Qui m'élevait de terre│ au-dessus de toi-même, |
6+6 |
a |
75 |
Qui me faisait trouver,│ pour mieux te protéger, |
6+6 |
b |
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Tout sacrifice faible│ et tout fardeau léger. |
6+6 |
b |
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Je me croyais un dieu !│… non, je n'étais qu'un homme. |
6+6 |
a |
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Je maudis mon triomphe│ avant qu'il se consomme ! |
6+6 |
a |
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Je me repens cent fois│ de ma fausse vertu ! |
6+6 |
b |
80 |
Ah ! s'il est temps encor,│ Laurence, m'entends-tu ? |
6+6 |
b |
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Je me jette à tes pieds,│ je t'ouvre pour la vie |
6+6 |
a |
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Ces bras où sur mon sein│ tu retombes ravie, |
6+6 |
a |
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Oui, ces bras dont l'étreinte,│ ô ma fille ! ô ma sœur ! |
6+6 |
b |
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Vont en se renfermant│ te sceller sur mon cœur ! |
6+6 |
b |
85 |
Oh ! tu m'entends ! oh ! viens,│ oh ! viens, vivante ou morte ! |
6+6 |
a |
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Dans notre ciel à nous│ viens que je te remporte ! |
6+6 |
a |
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Renversons le rocher,│ courons, n'écoutons pas |
6+6 |
b |
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Ce qui gronde là-haut,│ ce qui maudit en bas ; |
6+6 |
b |
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N'entendons pas ces voix│ mentant à la nature : |
6+6 |
a |
90 |
L'oracle est dans le cœur│ de chaque créature, |
6+6 |
a |
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L'irrésistible voix│ qui convie au bonheur ; |
6+6 |
b |
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C'est mieux que la vertu,│ l'innocence et l'honneur ; |
6+6 |
b |
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C'est le cri du ciel même│ entendu sur la terre ! |
6+6 |
a |
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Aimons-nous, ô ma vie !│ Allons dans le mystère |
6+6 |
a |
95 |
Cacher à l'œil humain│ d'ineffables amours |
6+6 |
b |
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Qui n'auront d'autre fin│ que celle de nos jours. |
6+6 |
b |
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De notre double vie│ épuisons les délices ; |
6+6 |
a |
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Quand la mort dans nos dents│ vient briser les calices, |
6+6 |
a |
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Qui sait quel est le sage│ ou quel est l'insensé, |
6+6 |
b |
100 |
De celui qui l'a bu│ tel que Dieu l'a versé, |
6+6 |
b |
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Ou qui, les refusant│ à sa soif assouvie, |
6+6 |
a |
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Au songe de la mort│ sacrifia sa vie ? |
6+6 |
a |
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Ce doute existât-il,│ je voudrais l'encourir. |
6+6 |
b |
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Une vie avec toi,│ puis à jamais mourir ! |
6+6 |
b |
105 |
Une vie avec toi,│ puis l'enfer et ses flammes ! |
6+6 |
a |
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Une vie avec toi,│ puis la mort à nos âmes ! |
6+6 |
a |
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Car cette horrible vie│ est un enfer sans toi ! |
6+6 |
b |
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Le néant éternel│ y commence pour moi ! |
6+6 |
b |
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Oui, c'en est fait, je fuis,│ je t'arrache à ce monde ; |
6+6 |
a |
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Je te rapporte au ciel.│ |
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(On entend la cloche de la chapelle, qui sonne l'office du soir
et appelle les jeunes prêtres aux stalles.) |
110 |
Je te rapporte au ciel. Airain sacré qui gronde ! |
6+6 |
a |
|
Cri d'en-haut qui m'appelle│ aux marches de ma croix, |
6+6 |
b |
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Ah ! mon cœur égaré│ se retrouve à ta voix. |
6+6 |
b |
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
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Comme des ailes d'ange│ en mon ciel balancées |
6+6 |
a |
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Tu chasses de mon front│ mes honteuses pensées ! |
6+6 |
a |
115 |
Tu refoules le crime│ avec le désespoir |
6+6 |
b |
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Dans ce sein qui renaît│ aux accens du devoir. |
6+6 |
b |
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De mes propres sanglots│ il semble que tu pleures. |
6+6 |
a |
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Sympathique instrument│ de ces saintes demeures, |
6+6 |
a |
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Que de poids d'un cœur lourd│ n'as-tu pas soulevé ! |
6+6 |
b |
120 |
Combien d'âmes en peine│ à tes glas ont rêvé ! |
6+6 |
b |
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Combien de bons élans,│ d'ardeurs sanctifiées, |
6+6 |
a |
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Les anges à tes sons│ n'ont-ils pas confiées ! |
6+6 |
a |
|
Que de pesans soupirs,│ de l'ombre du saint lieu, |
6+6 |
b |
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N'ont-ils pas remonté│ sur tes ailes à Dieu ! |
6+6 |
b |
125 |
Et combien n'as-tu pas│ des saintes agonies |
6+6 |
a |
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Sonné pour la vertu│ les angoisses finies ! |
6+6 |
a |
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Tu chantes aux mortels│ l'aube et le soir des jours ; |
6+6 |
b |
|
Tu sais combien du temps│ les longs momens sont courts, |
6+6 |
b |
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Combien ce que la vie│ emporte sur son aile |
6+6 |
a |
130 |
Est sans comparaison│ avec l'heure éternelle ! |
6+6 |
a |
|
Encore un peu d'exil,│ encore un peu de fiel, |
6+6 |
b |
|
O mon âme, et tes jours│ sonneront dans le ciel ! |
6+6 |
b |
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|
Marchons en attendant,│ marchons tête baissée, |
6+6 |
a |
|
Comme un homme écrasé│ du poids de sa pensée ! |
6+6 |
a |
135 |
Au Dieu consolateur│ allons la confier. |
6+6 |
b |
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Ah ! lorsque l'un pour l'autre│ on peut encor prier |
6+6 |
b |
|
Au vaste sein de Dieu│ dont l'amour nous rassemble, |
6+6 |
a |
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Se rencontrer en lui,│ n'est-ce pas être ensemble ? |
6+6 |
a |
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
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De sa cellule, à Grenoble,
14 mai 1797.
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Pour retremper mon âme│ au feu des saints parvis, |
6+6 |
b |
140 |
Chez ces hommes de Dieu,│ depuis deux ans je vis ; |
6+6 |
b |
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Mais l'aspect de leur paix,│ de leur béatitude, |
6+6 |
a |
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Ne peut de mon esprit│ dompter l'inquiétude. |
6+6 |
a |
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|
Que le fardeau des jours│ semble léger pour eux ! |
6+6 |
b |
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Comme à tous leurs devoirs│ portant un front heureux, |
6+6 |
b |
145 |
On sent que sans effort│ leur cœur vierge se sèvre ! |
6+6 |
a |
|
Le sourire du juste│ est toujours sur leur lèvre ; |
6+6 |
a |
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Jamais rien de leur sein│ ne soulève un soupir. |
6+6 |
b |
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Ah ! si comme eux, mon cœur,│ tu pouvais t'assoupir ! |
6+6 |
b |
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Si l'apparition│ du passé qui se lève |
6+6 |
a |
150 |
Pouvait de mon regard│ s'effacer même en rêve ! |
6+6 |
a |
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Si l'ombre de ces murs│ pouvait me la cacher ! |
6+6 |
b |
|
Mais sur mes pas toujours│ elle semble marcher ; |
6+6 |
b |
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Mais sous chaque lambris,│ mais sous chaque colonne, |
6+6 |
a |
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Je la vois qui descend,│ qui monte, qui rayonne ; |
6+6 |
a |
155 |
Et si pour échapper│ au fantôme adoré |
6+6 |
b |
|
Je veux fermer les yeux,│ dans l'âme il est entré !… |
6+6 |
b |
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|
O sommets de montagne !│ air pur ! flots de lumière ! |
6+6 |
a |
|
Vents sonores des bois,│ vagues de la bruyère ! |
6+6 |
a |
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Onde calme des lacs,│ flots poudreux des torrens, |
6+6 |
b |
160 |
Où l'extase égarait│ mes yeux, mes sens errans, |
6+6 |
b |
|
Où d'un bras convulsif,│ au lieu de ces froids marbres, |
6+6 |
a |
|
J'embrassais, en pleurant,│ les racines des arbres, |
6+6 |
a |
|
Et me collant au sol│ comme pour écouter, |
6+6 |
b |
|
Je croyais sur mon cœur│ sentir Dieu palpiter ! |
6+6 |
b |
165 |
Désert retentissant│ des bruits de la nature ! |
6+6 |
a |
|
Que mon âme, à l'étroit│ dans cette enceinte obscure, |
6+6 |
a |
|
Pleurant son magnifique│ et premier horizon, |
6+6 |
b |
|
Brise d'ardens soupirs│ les murs de sa prison ! |
6+6 |
b |
|
Il me semble, ô mon Dieu !│ que ce toit qui m'écrase |
6+6 |
a |
170 |
Rend plus lourde la vie│ et comprime l'extase ; |
6+6 |
a |
|
Que je respirerais│ plus librement ailleurs, |
6+6 |
b |
|
Que le vent sécherait│ l'âcreté de mes pleurs, |
6+6 |
b |
|
Et que l'air m'aiderait,│ comme il aide les aigles, |
6+6 |
a |
|
A m'élever à Dieu,│ mieux que ces froides règles ! |
6+6 |
a |
|
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
|
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
175 |
Ces hommes sont heureux│ cependant sous ces lois ; |
6+6 |
b |
|
Ils suivent sans détours│ leur route ; ah ! je le crois, |
6+6 |
b |
|
Ils n'ont pas respiré│ l'air de feu des tempêtes, |
6+6 |
a |
|
L'ombre de ces arceaux│ couvrit toujours leurs têtes, |
6+6 |
a |
|
De Dieu seul, de sa loi,│ leur souvenir est plein ; |
6+6 |
b |
180 |
Ils n'ont point à couver│ un foyer dans leur sein, |
6+6 |
b |
|
A tuer leur pensée,│ à tromper, à sourire |
6+6 |
a |
|
En cachant dans leur main│ l'aspic qui la déchire ; |
6+6 |
a |
|
Leur jour n'a pas une ombre,│ et leur cœur pas un pli ; |
6+6 |
b |
|
Mais moi, Seigneur, mais moi !│… Mon Dieu, l'oubli, l'oubli ! |
6+6 |
b |
|
|
Même maison,
25 juillet 1797.
|
185 |
Ah ! je me doutais bien│ que la fausse apparence |
6+6 |
a |
|
Aurait jusqu'au tombeau│ terni notre innocence, |
6+6 |
a |
|
Qu'on ne croirait jamais│ qu'en un même séjour |
6+6 |
b |
|
Deux cœurs dans le désert,│ couvant deux ans l'amour, |
6+6 |
b |
|
Se fussent conservés│ purs, seuls, sans autre garde |
6+6 |
a |
190 |
Que l'œil toujours présent│ du Dieu qui les regarde ; |
6+6 |
a |
|
Ce soupçon est écrit│ pour moi sur tous les fronts, |
6+6 |
b |
|
Leur sainte charité│ m'épargne les affronts ; |
6+6 |
b |
|
Mais malgré la douceur│ que leur parole affecte, |
6+6 |
a |
|
On voit qu'à leur vertu│ ma présence est suspecte, |
6+6 |
a |
195 |
Qu'on me craint, qu'on m'évite,│ et que je suis pour eux |
6+6 |
b |
|
Un objet de dégoût,│ comme un pauvre lépreux. |
6+6 |
b |
|
Partout où je parais│ j'étends ma solitude ; |
6+6 |
a |
|
Seul au pied des autels,│ aux repas, à l'étude, |
6+6 |
a |
|
Dans les délassemens│ du soir plus seul encor ; |
6+6 |
b |
200 |
Dès que mon pas résonne│ au bout d'un corridor, |
6+6 |
b |
|
La conversation│ cesse, et tout front est sombre, |
6+6 |
a |
|
On se range, on s'écarte,│ on fait place à mon ombre ; |
6+6 |
a |
|
Chacun devant, mes yeux│ détourne un œil glacé, |
6+6 |
b |
|
Et le bruit ne reprend│ qu'après que j'ai passé ; |
6+6 |
b |
205 |
Et moi, baissant la tête,│ et sans un cœur qui m'aime, |
6+6 |
a |
|
Je passe en m'effaçant│ tout honteux de moi-même. |
6+6 |
a |
|
Oh ! qu'un regard ami│ pourtant m'eût fait de bien ! |
6+6 |
b |
|
Peut-être aussi mon cœur│ a-t-il voilé le mien ! |
6+6 |
b |
|
Peut-être que la flamme│ en mon sein amortie |
6+6 |
a |
210 |
A dévoré d'un jet│ toute ma sympathie, |
6+6 |
a |
|
Et que mon œil de marbre,│ incapable d'aimer, |
6+6 |
b |
|
Éteint tout sentiment│ qui voudrait s'allumer ! |
6+6 |
b |
|
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
|
|
Août 1797, Grenoble.
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|
L'évêque enfin m'a dit :│ j'abrège votre épreuve, |
6+6 |
a |
|
Mon fils ; de serviteurs│ ma pauvre église est veuve ; |
6+6 |
a |
215 |
La vieillesse, le glaive│ ou l'infidélité, |
6+6 |
b |
|
Des pasteurs de mon peuple,│ hélas ! ont limité |
6+6 |
b |
|
Le nombre insuffisant│ déjà pour ses misères ; |
6+6 |
a |
|
L'herbe croît sur le seuil│ de tous mes presbytères ; |
6+6 |
a |
|
Chaque jour de l'année│ une paroisse en deuil, |
6+6 |
b |
220 |
Où l'enfance est sans père│ et la mort sans cercueil, |
6+6 |
b |
|
Vient me redemander│ l'homme de l'Évangile : |
6+6 |
a |
|
Je pourrais vous donner│ à choisir entre mille ; |
6+6 |
a |
|
Mais vous n'ignorez pas,│ mon enfant, que sur nous |
6+6 |
b |
|
Le monde, avec raison,│ veille d'un œil jaloux, |
6+6 |
b |
225 |
Qu'il veut, pour toucher Dieu,│ les mains chastes des anges. |
6+6 |
a |
|
Il a couru sur vous,│ mon fils, des bruits étranges, |
6+6 |
a |
|
Je veux les ignorer ;│ votre fidélité, |
6+6 |
b |
|
Si vous fûtes un jour│ faible, a tout racheté ; |
6+6 |
b |
|
Le repentir, semblable│ au charbon d'Isaïe, |
6+6 |
a |
230 |
En consumant le cœur│ renouvelle la vie. |
6+6 |
a |
|
Mais l'ombre du passé│ ne doit jamais ternir |
6+6 |
b |
|
Le ministre du ciel ;│ nul mortel souvenir, |
6+6 |
b |
|
Dans le prêtre de Dieu│ ne doit rappeler l'homme, |
6+6 |
a |
|
Du seul nom de pasteur│ il convient qu'on le nomme ; |
6+6 |
a |
235 |
Que son nom d'ici-bas│ dans l'autre soit perdu ; |
6+6 |
b |
|
Qu'il paraisse du ciel│ à l'autel descendu, |
6+6 |
b |
|
Et que l'éloignement,│ le mystère et la grâce, |
6+6 |
a |
|
De ses pas dans la vie│ aient effacé la trace. |
6+6 |
a |
|
|
Il est au dernier plan│ des Alpes habité |
6+6 |
b |
240 |
Un village à nos pas│ accessible en été, |
6+6 |
b |
|
Et dont pendant huit mois│ la neige amoncelée |
6+6 |
a |
|
Ferme tous les sentiers│ aux fils de la vallée. |
6+6 |
a |
|
Là, dans quelques chalets│ sur les pentes épars, |
6+6 |
b |
|
Quelques rares tribus│ de pauvres montagnards |
6+6 |
b |
245 |
Dans des champs rétrécis│ qu'ils disputent à l'aigle, |
6+6 |
a |
|
Parmi les châtaigniers│ sèment l'orge et le seigle, |
6+6 |
a |
|
Dont le pâle soleil│ de l'arrière-saison |
6+6 |
b |
|
Laisse à peine le temps│ d'achever la moisson. |
6+6 |
b |
|
Le Dieu de l'indigent│ vous donne ce royaume : |
6+6 |
a |
250 |
Son autel est de bois│ et n'a qu'un toit de chaume ; |
6+6 |
a |
|
Mais mieux que sur l'autel│ de luxe éblouissant |
6+6 |
b |
|
Aux mains jointes du peuple│ et du prêtre il descend. |
6+6 |
b |
|
Il se souvient encor│ que son humble lumière, |
6+6 |
a |
|
Avant l'orgueil du temple,│ éclaira la chaumière ; |
6+6 |
a |
255 |
Et ces âmes des champs,│ toutes du même prix, |
6+6 |
b |
|
Il vous les comptera│ là-haut. Allez, mon fils. |
6+6 |
b |
|
|
17 septembre 1797.
|
|
J'irai, j'attacherai│ mon âme aux solitudes, |
6+6 |
a |
|
J'écorcherai mes pieds│ dans des sentiers plus rudes. |
6+6 |
a |
|
Bénissez-moi, Seigneur ;│ que mon cœur consumé |
6+6 |
b |
260 |
Par l'amour, et puni│ pour avoir trop aimé, |
6+6 |
b |
|
Au foyer de l'autel│ s'éteigne et se rallume, |
6+6 |
a |
|
Et d'un feu plus céleste│ en mon sein se consume ; |
6+6 |
a |
|
Mais pour aimer en vous,│ avec vous et pour vous, |
6+6 |
b |
|
Tous, au lieu d'un seul être,│ et cet être dans tous ! |
6+6 |
b |
|
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
|
|
LETTRE A SA SŒUR |
Sept mois plus tard, Du village de Valneige,
mai 1798.
|
265 |
Ma sœur ! Oh ! quel doux temps│ ce doux nom me rappelle ! |
6+6 |
a |
|
Tendre couple buvant│ à la même mamelle, |
6+6 |
a |
|
Que notre jeune mère,│ en se penchant sur nous, |
6+6 |
b |
|
Asseyait et berçait│ sur les mêmes genoux ! |
6+6 |
b |
|
Ma sœur ! Oh ! laisse-moi│ l'effacer pour l'écrire, |
6+6 |
a |
270 |
Ce nom que mon regard│ n'est jamais las de lire, |
6+6 |
a |
|
Ce nom que j'écrirais│ du soir au lendemain |
6+6 |
b |
|
Si je laissais mon cœur│ s'écouler sous ma main ! |
6+6 |
b |
|
Oh ! ce nom si longtemps│ muet à mon oreille, |
6+6 |
a |
|
Combien de cendre éteinte│ en mon âme il réveille ! |
6+6 |
a |
275 |
Toute cette moitié│ froide et morte du cœur |
6+6 |
b |
|
Retrouve à ce doux nom│ son monde intérieur, |
6+6 |
b |
|
Monde de sentiment,│ d'amour et d'innocence, |
6+6 |
a |
|
Où, comme en un berceau,│ Dieu couve notre enfance ; |
6+6 |
a |
|
Dont le regret cuisant│ nous poursuit ; où plus tard |
6+6 |
b |
280 |
L'œil se voile de pleurs│ en tournant un regard. |
6+6 |
b |
|
|
Ma mère ! est-il bien vrai ?│ Dieu nous rend notre mère ! |
6+6 |
a |
|
Les vents ont sous sa voile│ aplani l'onde amère ! |
6+6 |
a |
|
Toi, ton mari, vous tous !│ tous rendus par les flots, |
6+6 |
b |
|
Plus trois petits enfans│ pendant l'exil éclos, |
6+6 |
b |
285 |
Comme ces passereaux│ que dans notre jeune âge |
6+6 |
a |
|
Nous trouvâmes un jour,│ sous l'arbre après l'orage, |
6+6 |
a |
|
Que du rameau cassé│ notre main recueillit, |
6+6 |
b |
|
Et qu'en ton tablier│ tu rapportas du nid ! |
6+6 |
b |
|
|
Mais tu ne m'as pas dit│ assez sur eux, sur elle, |
6+6 |
a |
290 |
Oh ! sur elle surtout !│ Ma mémoire fidèle |
6+6 |
a |
|
La voit bien à travers│ le lointain souvenir, |
6+6 |
b |
|
Telle qu'à mon départ│ je la vis me bénir, |
6+6 |
b |
|
Telle, qu'une exceptée,│ aucune créature |
6+6 |
a |
|
Ne me laissa dans l'œil│ sa céleste figure ! |
6+6 |
a |
295 |
Mais, dis-moi, rien n'a-t-il│ changé sur ses beaux traits ? |
6+6 |
b |
|
Le temps, le long exil,│ ses soucis, ses regrets, |
6+6 |
b |
|
Des cieux plus durs ont-ils│ passé sur ce visage |
6+6 |
a |
|
Sans laisser, comme au ciel,│ trace de leur passage ? |
6+6 |
a |
|
Son œil a-t-il toujours│ ce tendre et chaud rayon |
6+6 |
b |
300 |
Dont nos fronts ressentaient│ la tiède impression ? |
6+6 |
b |
|
Sur sa lèvre attendrie│ et pâle, a-t-elle encore |
6+6 |
a |
|
Ce sourire toujours│ mourant ou près d'éclore ? |
6+6 |
a |
|
Son front a-t-il gardé│ ce petit pli rêveur |
6+6 |
b |
|
Que nous baisions tous deux│ pour l'effacer, ma sœur, |
6+6 |
b |
305 |
Quand son âme, le soir,│ au jardin recueillie, |
6+6 |
a |
|
Nous regardait jouer│ avec mélancolie ? |
6+6 |
a |
|
Les séparations│ et les longs désespoirs |
6+6 |
b |
|
N'ont-ils pas éclairci,│ dis-moi, ses cheveux noirs, |
6+6 |
b |
|
Ou blanchi sur son front│ ces deux boucles de soie |
6+6 |
a |
310 |
Où sa tempe pensive│ et profonde se noie ? |
6+6 |
a |
|
Sa voix a-t-elle encor│ ce doux timbre d'argent, |
6+6 |
b |
|
Ces caresses de sons│ sur des lèvres nageant, |
6+6 |
b |
|
D'où notre nom tombait│ et résonnait si tendre, |
6+6 |
a |
|
Que souvent ma pensée│ en rêve croit l'entendre ? |
6+6 |
a |
315 |
Et puis, te serre-t-elle│ encor contre son sein |
6+6 |
b |
|
Ainsi qu'elle faisait│ quand il était trop plein ? |
6+6 |
b |
|
Du matin et du soir│ sa pieuse caresse, |
6+6 |
a |
|
Ma sœur, te donne-t-elle│ aussi la même ivresse ? |
6+6 |
a |
|
Sens-tu, rien qu'à poser│ ton front sur ses genoux, |
6+6 |
b |
320 |
Ces extases du ciel│ qui descendaient sur nous ?… |
6+6 |
b |
|
Mon amour t'interroge│ avec inquiétude, |
6+6 |
a |
|
Car les traits de sa main│ dont j'ai tant l'habitude, |
6+6 |
a |
|
Dans ce peu de mots d'elle│ à ta lettre ajouté, |
6+6 |
b |
|
Tromperaient l'œil d'un fils ;│ j'aurais presque douté |
6+6 |
b |
325 |
Si la main ne s'était│ révélée aux paroles. |
6+6 |
a |
|
Tu te fais, diras-tu,│ des symptômes frivoles ! |
6+6 |
a |
|
Peut-être ; mais à l'œil│ longtemps sevré d'un fils, |
6+6 |
b |
|
Hélas ! tout est symptôme│ et peur, tout est sans prix ; |
6+6 |
b |
|
Il veut tout retrouver│ d'une tête si chère ! |
6+6 |
a |
330 |
Le moindre trait de plume,│ ah ! c'est encor sa mère ! |
6+6 |
a |
|
S'il voit dans l'écriture│ un signe de langueur, |
6+6 |
b |
|
Il craint qu'un changement│ n'altère aussi le cœur ; |
6+6 |
b |
|
Que ces traits affaissés,│ que son œil étudie, |
6+6 |
a |
|
Ne révèlent au fond│ tristesse ou maladie ! |
6+6 |
a |
335 |
Dis-moi que de sa main│ cette altération |
6+6 |
b |
|
N'était que du bonheur│ la tendre émotion ! |
6+6 |
b |
|
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
|
Et maintenant il faut│ que ma plume décrive |
6+6 |
a |
|
La demeure sauvage│ où Dieu veut que je vive ; |
6+6 |
a |
|
Vous devez, dites-vous,│ savoir où me trouver |
6+6 |
b |
340 |
Quand d'un frère ou d'un fils│ votre cœur veut rêver. |
6+6 |
b |
|
Afin qu'en se cherchant,│ nos âmes réunies, |
6+6 |
a |
|
Hantent les mêmes bords,│ vivent des mêmes vies ; |
6+6 |
a |
|
O mes anges absens,│ suivez-moi donc des yeux ; |
6+6 |
b |
|
Je vais vous raconter│ la maison et les lieux. |
6+6 |
b |
|
345 |
Sur un des verts plateaux│ des Alpes de Savoie, |
6+6 |
a |
|
Oasis dont la roche│ a fermé toute voie, |
6+6 |
a |
|
Où l'homme n'aperçoit,│ sous ses yeux effrayés |
6+6 |
b |
|
Qu'abîme sur sa tête│ et qu'abîme à ses pieds, |
6+6 |
b |
|
La nature étendit│ quelques étroites pentes |
6+6 |
a |
350 |
Où le granit retient│ la pierre entre ses fentes |
6+6 |
a |
|
Et ne permet qu'à peine│ à l'arbre d'y germer, |
6+6 |
b |
|
A l'homme de gratter│ la terre et d'y semer. |
6+6 |
b |
|
D'immenses châtaigniers│ aux branches étendues |
6+6 |
a |
|
Y cramponnent leurs pieds│ dans les roches fendues, |
6+6 |
a |
355 |
Et pendent en dehors│ sur des gouffres obscurs |
6+6 |
b |
|
Comme la giroflée│ aux parois des vieux murs ; |
6+6 |
b |
|
On voit à mille pieds│ au-dessous de leurs branches, |
6+6 |
a |
|
La grande plaine bleue│ avec ses routes blanches ; |
6+6 |
a |
|
Les moissons jaune d'or,│ les bois comme un point noir, |
6+6 |
b |
360 |
Et les lacs renvoyant│ le ciel comme un miroir ; |
6+6 |
b |
|
La toise de pelouse│ à leur ombre abritée, |
6+6 |
a |
|
Par la dent des chevreaux│ et des ânes broutée, |
6+6 |
a |
|
Épaissit sous leurs troncs│ ses duvets fins et courts, |
6+6 |
b |
|
Dont mille filets d'onde│ humectent le velours, |
6+6 |
b |
365 |
Et pendant le printemps,│ qui n'est qu'un court sourire ; |
6+6 |
a |
|
Enivre de leurs fleurs│ le vent qui les respire. |
6+6 |
a |
|
Des monts tout blancs de neige│ encadrent l'horizon |
6+6 |
b |
|
Comme un mur de cristal│ de ma haute prison, |
6+6 |
b |
|
Et quand leurs pics sereins│ sont sortis des tempêtes, |
6+6 |
a |
370 |
Laissent voir un pan bleu│ de ciel pur sur nos têtes ; |
6+6 |
a |
|
On n'entend d'autre bruit,│ dans cet isolement, |
6+6 |
b |
|
Que quelques voix d'enfans,│ ou quelque bêlement |
6+6 |
b |
|
De génisse ou de chèvre│ au ravin descendues, |
6+6 |
a |
|
Dont le pas fait tinter│ les cloches suspendues. |
6+6 |
a |
375 |
Les sons entrecoupés│ du nocturne angélus, |
6+6 |
b |
|
Que le père et l'enfant│ écoutent les fronts nus, |
6+6 |
b |
|
Et le sourd ronflement│ des cascades d'écume, |
6+6 |
a |
|
Au quel, en l'oubliant,│ l'oreille s'accoutume, |
6+6 |
a |
|
Et qui semble, fondu│ dans ces bruits du désert, |
6+6 |
b |
380 |
La basse sans repos│ d'un éternel concert. |
6+6 |
b |
|
|
Les maisons, au hasard,│ sous les arbres perchées, |
6+6 |
a |
|
En groupes de hameaux│ sont partout épanchées, |
6+6 |
a |
|
Semblent avoir poussé│ sans plans et sans dessein, |
6+6 |
b |
|
Sur la terre, avec l'arbre│ et le roc de son sein ; |
6+6 |
b |
385 |
Les pauvres habitans,│ dispersés dans l'espace, |
6+6 |
a |
|
Ne s'y disputent pas│ le soleil et la place, |
6+6 |
a |
|
Et chacun sous son chêne,│ au plus près de son champ, |
6+6 |
b |
|
A sa porte au matin│ et son mur au couchant. |
6+6 |
b |
|
Des sentiers où des bœufs│ le lourd sabot s'aiguise |
6+6 |
a |
390 |
Mènent de l'un à l'autre│ et de là vers l'église, |
6+6 |
a |
|
Dont depuis deux cents ans│ à tous ces pieds humains |
6+6 |
b |
|
Le baptême et la mort│ ont frayé les chemins. |
6+6 |
b |
|
|
Elle s'élève seule│ au bout du cimetière |
6+6 |
a |
|
Avec ses murs épais│ et bas, verdis de lierre, |
6+6 |
a |
395 |
Et ses ronces grimpant│ en échelle, en feston, |
6+6 |
b |
|
Jusqu'au chaume moussu│ qui lui sert de fronton. |
6+6 |
b |
|
On ne peut distinguer│ cette chaumière sainte |
6+6 |
a |
|
Qu'au plus grand abandon│ du petit champ d'enceinte. |
6+6 |
a |
|
Où le sol des tombeaux,│ par la mort cultivé, |
6+6 |
b |
400 |
N'offre qu'un tertre ou deux│ tous les ans élevé, |
6+6 |
b |
|
Que recouvrent bientôt│ la mauve et les orties, |
6+6 |
a |
|
Premières fleurs toujours│ de nos cendres sorties, |
6+6 |
a |
|
Et qu'à l'humble clocher│ qui surmonte les toits |
6+6 |
b |
|
Et s'ouvre aux quatre vents│ pour répandre sa voix. |
6+6 |
b |
|
405 |
Ma demeure est auprès ;│ ma maison isolée |
6+6 |
a |
|
Par l'ombre de l'église│ est au midi voilée, |
6+6 |
a |
|
Et les troncs des noyers│ qui la couvrent du nord |
6+6 |
b |
|
Aux regards des passans│ en dérobent l'abord. |
6+6 |
b |
|
Des quartiers de granit│ que nul ciseau ne taille, |
6+6 |
a |
410 |
Tels que l'onde les roule,│ en forment la muraille ; |
6+6 |
a |
|
Ces blocs irréguliers,│ noircis par les hivers, |
6+6 |
b |
|
De leur mousse natale│ y sont encor couverts ; |
6+6 |
b |
|
La joubarbe, la menthe,│ et ces fleurs parasites |
6+6 |
a |
|
Que la pluie enracine│ aux parois décrépites, |
6+6 |
a |
415 |
Y suspendent partout│ leurs panaches flottans |
6+6 |
b |
|
Et les font comme un pré│ reverdir au printemps. |
6+6 |
b |
|
Trois fenêtres, d'en haut,│ par le toit recouvertes, |
6+6 |
a |
|
Deux au jour du matin,│ l'autre au couchant, ouvertes, |
6+6 |
a |
|
Se creusant dans le mur│ comme des nids pareils, |
6+6 |
b |
420 |
Reçoivent les premiers│ et les derniers soleils ; |
6+6 |
b |
|
Le toit qui sur les murs│ déborde d'une toise |
6+6 |
a |
|
A pour tuiles des blocs│ et des pavés d'ardoise, |
6+6 |
a |
|
Que d'un rebord vivant│ le pigeon bleu garnit, |
6+6 |
b |
|
Et sous les soliveaux│ l'hirondelle a son nid. |
6+6 |
b |
425 |
Pour défendre ce toit│ des coups de la tempête |
6+6 |
a |
|
Des quartiers de granit│ sont posés sur le faîte ; |
6+6 |
a |
|
Et faisant ondoyer│ les tuiles et les bois, |
6+6 |
b |
|
Au vol de l'ouragan│ ils opposent leur poids. |
6+6 |
b |
|
|
Bien que si haut assise│ au sommet d'une chaîne, |
6+6 |
a |
430 |
Son horizon borné│ n'a ni grand ciel, ni plaine ; |
6+6 |
a |
|
Adossée au penchant│ d'un étroit mamelon, |
6+6 |
b |
|
Elle n'a pour aspect│ qu'un oblique vallon |
6+6 |
b |
|
Qui se creuse un moment│ comme un lac de verdure, |
6+6 |
a |
|
Pour donner au verger│ espace et nourriture ; |
6+6 |
a |
435 |
Puis, reprenant sa pente│ et s'y rétrécissant, |
6+6 |
b |
|
De ravins en ravins│ avec les monts descend. |
6+6 |
b |
|
Les troncs noirs des noyers,│ un pan de roche grise, |
6+6 |
a |
|
L'herbe de mon verger,│ les murs nus de l'église, |
6+6 |
a |
|
Le cimetière avec│ ses sillons et ses croix, |
6+6 |
b |
440 |
Et puis un peu de ciel,│ c'est tout ce que je vois. |
6+6 |
b |
|
|
Mais combien au regard│ du peintre et du poète, |
6+6 |
a |
|
En vie, en mouvement,│ la nature rachète |
6+6 |
a |
|
Ce qu'elle a refusé│ d'espace à l'horizon ! |
6+6 |
b |
|
Une cascade tombe│ au pied de la maison, |
6+6 |
b |
445 |
Et le long d'une roche│ en nappe blanche et fine |
6+6 |
a |
|
Y joue avec le vent│ dont un souffle l'incline, |
6+6 |
a |
|
Y joue avec le jour│ dont le rayon changeant |
6+6 |
b |
|
Semble s'y dérouler│ dans ses réseaux d'argent, |
6+6 |
b |
|
Et par des rocs aigus,│ dans sa chute brisée, |
6+6 |
a |
450 |
Aux feuilles du jardin│ se suspend en rosée. |
6+6 |
a |
|
Légère, elle n'a pas│ ce bruit tonnant et sourd, |
6+6 |
b |
|
Qu'en se précipitant│ roule un torrent plus lourd ; |
6+6 |
b |
|
Elle n'a qu'une plainte│ intermittente et douce, |
6+6 |
a |
|
Selon qu'elle rencontre│ ou la pierre ou la mousse, |
6+6 |
a |
455 |
Que le vent faible ou fort│ la fouette à ses parois, |
6+6 |
b |
|
Lui prête ou lui retire,│ ou lui rend plus de voix ; |
6+6 |
b |
|
Dans les sons inégaux│ que son onde module |
6+6 |
a |
|
Chaque soupir de l'âme│ en note s'articule ; |
6+6 |
a |
|
Harpe toujours tendue,│ où le vent et les eaux |
6+6 |
b |
460 |
Rendent dans leurs accords│ des chants toujours nouveaux, |
6+6 |
b |
|
Et qui semble la nuit,│ en ces notes étranges, |
6+6 |
a |
|
L'air sonore des cieux│ froissé du vol des anges ! |
6+6 |
a |
|
Maintenant vous avez│ mon horizon dans l'œil, |
6+6 |
b |
|
Demain vous passerez,│ ma sœur, mon pauvre seuil ! |
6+6 |
b |
|
|
SUITE DE LA LETTRE A SA SŒUR |
Valneige,
3 mai 1798.
|
465 |
Une cour le précède,│ enclose d'une haie |
6+6 |
a |
|
Que ferme sans serrure│ une porte de claie ; |
6+6 |
a |
|
Des poules, des pigeons,│ deux chèvres, et mon chien, |
6+6 |
b |
|
Portier d'un seuil ouvert│ et qui n'y garde rien, |
6+6 |
b |
|
Qui jamais ne repousse│ et qui jamais n'aboie, |
6+6 |
a |
470 |
Mais qui flaire le pauvre│ et l'accueille avec joie ; |
6+6 |
a |
|
Des passereaux montant│ et descendant du toit, |
6+6 |
b |
|
L'hirondelle rasant│ l'auge où le cygne boit ; |
6+6 |
b |
|
Tous ces hôtes, amis│ du seuil qui les rassemble, |
6+6 |
a |
|
Famille de l'ermite,│ y sont en paix ensemble ; |
6+6 |
a |
475 |
Les uns couchés à l'ombre│ en un coin du gazon, |
6+6 |
b |
|
D'autres se réchauffant│ contre un mur au rayon ; |
6+6 |
b |
|
Ceux-ci léchant le sel│ le long de la muraille, |
6+6 |
a |
|
Et ceux-là becquetant│ ailleurs l'herbe ou la paille ; |
6+6 |
a |
|
Trois ruches au midi│ sous leurs tuiles, et puis |
6+6 |
b |
480 |
Dans l'angle sous un arbre,│ au nord, un large puits |
6+6 |
b |
|
Dont la chaîne rouillée│ a poli la margelle, |
6+6 |
a |
|
Et qu'une vigne étreint│ de sa verte dentelle ; |
6+6 |
a |
|
Voilà tout le tableau ;│ sept marches d'escalier |
6+6 |
b |
|
Sonore, chancelant,│ conduisent au palier |
6+6 |
b |
485 |
Qu'un avant-toit défend│ du vent et de la neige, |
6+6 |
a |
|
Et que de ses réseaux│ un vieux lierre protège ; |
6+6 |
a |
|
Là, suspendus le jour│ au clou de mon foyer, |
6+6 |
b |
|
Mes oiseaux familiers│ chantent pour m'égayer. |
6+6 |
b |
|
|
Jusqu'ici, grâce aux lieux,│ au ciel, à la nature, |
6+6 |
a |
490 |
Ton doux regard de sœur│ sourit à ma peinture' ; |
6+6 |
a |
|
Ta tendre illusion│ dure encor, mais, hélas ! |
6+6 |
b |
|
Si tu veux la garder,│ ô ma sœur, n'entre pas !… |
6+6 |
b |
|
Mais non, pour vos deux cœurs│ je n'ai point de mystère, |
6+6 |
a |
|
Pourrais-je devant vous│ rougir de ma misère ? |
6+6 |
a |
495 |
Entrez, ne plaignez pas│ ma riche pauvreté, |
6+6 |
b |
|
Ces murs ne sentent pas│ leur froide nudité ! |
6+6 |
b |
|
|
Des travaux journaliers│ voilà d'abord l'asile, |
6+6 |
a |
|
Où le feu du foyer│ s'allume, où Marthe file ; |
6+6 |
a |
|
Marthe, meuble vivant│ de la sainte maison, |
6+6 |
b |
500 |
Qui suivit dans le temps│ son vieux maître en prison, |
6+6 |
b |
|
Pauvre fille, à ces murs│ trente ans enracinée, |
6+6 |
a |
|
Partageant leur prospère│ ou triste destinée, |
6+6 |
a |
|
Me servant sans salaire│ et pour l'honneur de Dieu, |
6+6 |
b |
|
Surveillant à la fois│ la cure et le saint lieu, |
6+6 |
b |
505 |
Et qui, voyant de Dieu│ l'image dans son maître, |
6+6 |
a |
|
Croit s'approcher du ciel│ en vivant près du prêtre ; |
6+6 |
a |
|
Quelques vases de terre,│ ou de bois, ou d'étain, |
6+6 |
b |
|
Où de Marthe attentive│ on voit briller la main ; |
6+6 |
b |
|
Sur la table un pain noir│ sous une nappe blanche, |
6+6 |
a |
510 |
Dont chaque mendiant│ vient dîmer une tranche ; |
6+6 |
a |
|
Des grappes de raisin│ que Marthe fait sécher, |
6+6 |
b |
|
De leur pampre encor vert│ décorent le plancher ; |
6+6 |
b |
|
La sève en hiver même│ y jaunit leurs grains d'ambre. |
6+6 |
a |
|
De ce salon rustique│ on passe dans ma chambre ; |
6+6 |
a |
515 |
C'est celle dont le mur│ s'éclaire du couchant : |
6+6 |
b |
|
Tu sais que pour le soir│ j'eus toujours du penchant, |
6+6 |
b |
|
Que mon âme un peu triste│ a besoin de lumière, |
6+6 |
a |
|
Que le jour dans mon cœur│ entre par ma paupière, |
6+6 |
a |
|
Et que j'aimais tout jeune│ à boire avec les yeux |
6+6 |
b |
520 |
Ces dernières lueurs│ qui s'éteignent aux cieux. |
6+6 |
b |
|
La chaise où je m'assieds,│ la natte où je me couche, |
6+6 |
a |
|
La table où je t'écris,│ l'âtre où fume une souche, |
6+6 |
a |
|
Mon bréviaire vêtu│ de sa robe de peau, |
6+6 |
b |
|
Mes gros souliers ferrés,│ mon bâton, mon chapeau, |
6+6 |
b |
525 |
Mes livres pêle-mêle│ entassés sur leur planche, |
6+6 |
a |
|
Et les fleurs dont l'autel│ se pare le dimanche, |
6+6 |
a |
|
De cet espace étroit│ sont tout l'ameublement. |
6+6 |
b |
|
|
Tout ! oh non ! j'oubliais│ son divin ornement, |
6+6 |
b |
|
Qui surmonte tout seul│ mon humble cheminée, |
6+6 |
a |
530 |
Ce Christ, les bras ouverts│ et la tête inclinée, |
6+6 |
a |
|
Cette image de bois│ du maître que je sers, |
6+6 |
b |
|
Céleste ami, qui seul│ me peuple ces déserts ; |
6+6 |
b |
|
Qui, lorsque mon regard│ le visite à toute heure, |
6+6 |
a |
|
Me dit ce que j'attends│ dans cette âpre demeure, |
6+6 |
a |
535 |
Et, recevant souvent│ mes larmes sur ses pieds, |
6+6 |
b |
|
Fait resplendir sa paix│ dans mes yeux essuyés ; |
6+6 |
b |
|
Ce Christ ! tu le connais ;│ c'est celui que ma mère |
6+6 |
a |
|
Colla dans l'agonie│ aux lèvres de mon père ; |
6+6 |
a |
|
C'est celui que plus tard│ moi-même en un grand jour |
6+6 |
b |
540 |
Au pur sang d'un martyr│ je teignis à mon tour ; |
6+6 |
b |
|
D'autres lèvres encore│ il conserve la trace, |
6+6 |
a |
|
Et Dieu sait de combien│ de pitié je l'embrasse !… |
6+6 |
a |
|
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
|
|
SUITE DES LETTRES A SA SŒUR |
Valneige,
4 mai 1798.
|
|
Tu me demanderas│ de quoi j'existe ici ? |
6+6 |
b |
|
Je me le demandai,│ moi, bien souvent aussi ; |
6+6 |
b |
545 |
Mais pour l'homme et l'oiseau│ la Providence est grande |
6+6 |
a |
|
De l'autel relevé│ la volontaire offrande, |
6+6 |
a |
|
Ces âmes qui, cherchant│ une voix pour prier, |
6+6 |
b |
|
A défaut d'ange, hélas !│ nous glissent leur denier ; |
6+6 |
b |
|
Les époux qu'on bénit,│ les enfans qu'on baptise, |
6+6 |
a |
550 |
Ces dîmes du bonheur│ que l'on jette à l'église, |
6+6 |
a |
|
Quelques fonds que l'évêque│ adresse à ses curés, |
6+6 |
b |
|
Le jardin, le verger,│ quelques arpens de prés, |
6+6 |
b |
|
Les châtaignes, les noix,│ de petits coins de terre, |
6+6 |
a |
|
Que je bêche moi-même│ autour du presbytère, |
6+6 |
a |
555 |
Suffisent amplement│ pour moi, Marthe et le chien. |
6+6 |
b |
|
A la table frugale│ il ne nous manque rien : |
6+6 |
b |
|
Le lait de mon troupeau,│ le vin blanc de mes treilles, |
6+6 |
a |
|
Les fruits de mes pommiers,│ le miel de mes abeilles, |
6+6 |
a |
|
Tout abonde ; le pain│ y cuit pour l'indigent, |
6+6 |
b |
560 |
Et Marthe dans l'armoire│ a même un peu d'argent. |
6+6 |
b |
|
Qui m'eût dit qu'un peu d'or│ me ferait tant de joie ? |
6+6 |
a |
|
Je n'en ai pas besoin,│ prenez, je vous l'envoie !… |
6+6 |
a |
|
|
SUITE DES LETTRES A SA SŒUR |
5 mai 1798.
|
|
Voulez-vous maintenant,│ ô mes anges, savoir |
6+6 |
b |
|
Comment je fais toucher│ le matin et le soir, |
6+6 |
b |
565 |
Et par quelle insensible│ et monotone chaîne |
6+6 |
a |
|
Le jour s'unit au jour│ et forme la semaine ? |
6+6 |
a |
|
Ah ! chaque heure le sait│ quand elle s'accomplit : |
6+6 |
b |
|
La cloche avant le jour│ m'arrache de mon lit ; |
6+6 |
b |
|
Je crois entendre au son│ de sa voix balancée |
6+6 |
a |
570 |
L'ange qui du sommeil│ appelle ma pensée |
6+6 |
a |
|
Et lui donne à porter│ son fardeau pour le jour ; |
6+6 |
b |
|
Je convoque à l'autel│ les maisons d'alentour ; |
6+6 |
b |
|
Des vieillards, des enfans,│ quelques pieuses femmes, |
6+6 |
a |
|
Ceux qui sentent de Dieu│ plus de soif dans leurs âmes |
6+6 |
a |
575 |
D'un cercle rétréci│ m'entourent à genoux, |
6+6 |
b |
|
Le Dieu des humbles fois│ descend du ciel sur nous ; |
6+6 |
b |
|
Combien la sainte aurore│ et ses voûtes divines |
6+6 |
a |
|
Entendent de soupirs│ s'échapper des poitrines |
6+6 |
a |
|
Et d'aspirations│ de terre s'élancer ; |
6+6 |
b |
580 |
Et combien il est doux,│ ô ma sœur, de penser |
6+6 |
b |
|
Que tous ces poids du cœur│ que cette heure soulève |
6+6 |
a |
|
Sur ses propres soupirs│ au ciel on les élève, |
6+6 |
a |
|
Qu'à chacun à leur place│ on rapporte un saint don, |
6+6 |
b |
|
Grâce, miséricorde,│ amour, paix ou pardon ; |
6+6 |
b |
585 |
Que l'on est l'encensoir│ où tout cet encens brûle |
6+6 |
a |
|
Et la corbeille pleine│ où le pain qui circule, |
6+6 |
a |
|
Symbole familier│ du céleste aliment, |
6+6 |
b |
|
Va nourrir tout ce peuple│ avec un pur froment ! |
6+6 |
b |
|
Du maître en peu de mots│ j'explique la parole : |
6+6 |
a |
590 |
Ce peuple du sillon│ aime la parabole, |
6+6 |
a |
|
Poème évangélique,│ où chaque vérité |
6+6 |
b |
|
Se fait image et chair│ par sa simplicité. |
6+6 |
b |
|
Lorsque j'ai célébré│ le pieux sacrifice, |
6+6 |
a |
|
J'enseigne les enfans,│ je me fais leur nourrice, |
6+6 |
a |
595 |
Je donne goutte à goutte│ à leurs lèvres le lait |
6+6 |
b |
|
D'une instruction simple│ et tendre, et qui leur plaît. |
6+6 |
b |
|
Je rentre, et du matin│ la tâche terminée, |
6+6 |
a |
|
A ma table de fruits│ et de lait couronnée |
6+6 |
a |
|
Je m'assieds un moment,│ comme le voyageur |
6+6 |
b |
600 |
Qui s'arrête à moitié│ du jour et reprend cœur ; |
6+6 |
b |
|
Le reste du soleil│ dans mes champs je le passe |
6+6 |
a |
|
A ces travaux du corps│ dont l'esprit se délasse ; |
6+6 |
a |
|
A fendre avec la bêche│ un sol dur ; à semer |
6+6 |
b |
|
L'orge qu'un court été│ pressera de germer ; |
6+6 |
b |
605 |
A faucher mon pré mûr│ pour ma blonde génisse ; |
6+6 |
a |
|
A délier la gerbe│ afin qu'elle jaunisse ; |
6+6 |
a |
|
A faire à chaque plante│ à son heure pleuvoir |
6+6 |
b |
|
En insensible ondée│ un pesant arrosoir ; |
6+6 |
b |
|
Car de l'homme à la fois│ cette terre réclame |
6+6 |
a |
610 |
La sueur de son front│ et la sueur de l'âme ! |
6+6 |
a |
|
Le soir quand chaque couple│ est rentré du travail, |
6+6 |
b |
|
Quand le berger rassemble│ et compte son bétail, |
6+6 |
b |
|
Mon bréviaire à la main│ je vais de porte en porte, |
6+6 |
a |
|
Au hasard et sans but│ comme le pied me porte, |
6+6 |
a |
615 |
M'arrêtant plus ou moins│ un peu sur chaque seuil, |
6+6 |
b |
|
A la femme, aux enfans,│ disant un mot d'accueil ; |
6+6 |
b |
|
Partout, portant un peu│ de baume à la souffrance, |
6+6 |
a |
|
Aux corps quelque remède,│ aux âmes l'espérance, |
6+6 |
a |
|
Un secret aux maladesau malade│, aux partans un adieu, |
6+6 |
b |
620 |
Un sourire à chacun,│ à tous un mot de Dieu. |
6+6 |
b |
|
|
Ainsi passe le jour│ sans trop peser sur l'heure ; |
6+6 |
a |
|
Mais quand je rentre seul│ dans ma pauvre demeure, |
6+6 |
a |
|
Que ma porte est fermée,│ et que la longue nuit, |
6+6 |
b |
|
Excepté dans ma tempe,│ a fait tomber tout bruit, |
6+6 |
b |
625 |
Ah ! ma sœur ! c'est alors│ que mon âme blessée |
6+6 |
a |
|
Sent son mal, et retourne│ en saignant sa pensée, |
6+6 |
a |
|
Comme on retourne en vain│ le fiévreux dans son lit ; |
6+6 |
b |
|
C'est alors qu'une image│ ou l'autre m'assaillit, |
6+6 |
b |
|
Que vous m'apparaissez,│ vous, ma sœur et ma mère, |
6+6 |
a |
630 |
Avec tout ce qui rend│ l'absence plus amère, |
6+6 |
a |
|
Avec vos traits si doux,│ avec vos douces voix, |
6+6 |
b |
|
Vos tendresses, vos mots,│ vos baisers d'autrefois, |
6+6 |
b |
|
Et que de ce passé│ la présence est si forte |
6+6 |
a |
|
Que je vous tends les bras,│ que mon âme m'emporte |
6+6 |
a |
635 |
Vers vous et dans le sein│ d'autre fantôme cher, |
6+6 |
b |
|
Que je crois les revoir,│ leur parler, les toucher, |
6+6 |
b |
|
Et qu'en ne retrouvant│ qu'un chevet solitaire |
6+6 |
a |
|
Mon cœur comme en tombant│ s'écrase contre terre ; |
6+6 |
a |
|
Alors pour m'arracher│ par force à ce transport, |
6+6 |
b |
640 |
Pour desserrer les dents│ du serpent qui me mord, |
6+6 |
b |
|
Le front brûlant, collé│ sur ma table de chêne, |
6+6 |
a |
|
J'attache mon esprit,│ comme avec une chaîne, |
6+6 |
a |
|
A ces livres usés│ du regard qui les lit, |
6+6 |
b |
|
Où le jour de ma lampe│ en m'éclairant pâlit ; |
6+6 |
b |
645 |
Comme un esprit du doute│ et de la solitude |
6+6 |
a |
|
J'enivre ma raison│ de science et d'étude ; |
6+6 |
a |
|
Tantôt, dans ces débris│ que l'histoire a laissés |
6+6 |
b |
|
Comme des siècles morts│ les pas presque effacés, |
6+6 |
b |
|
Je cherche à retrouver│ les traces d'une route, |
6+6 |
a |
650 |
Ce vain fil qui se brise│ entre les mains du doute, |
6+6 |
a |
|
Ce long dessein de Dieu│ qui mène les humains, |
6+6 |
b |
|
Fait de leurs monumens│ la fange des chemins, |
6+6 |
b |
|
Dissipe leur empire│ et leur foi comme un rêve, |
6+6 |
a |
|
Sur leur propre monceau│ de débris les élève, |
6+6 |
a |
655 |
Et du dogme et du temps│ qui ne croit plus finir |
6+6 |
b |
|
Ne fait qu'un marchepied│ pour l'obscur avenir. |
6+6 |
b |
|
Mais ce fil dans mes mains│ se brouille, à chaque haleine, |
6+6 |
a |
|
Dans l'énigme de Dieu│ dont chaque page est pleine ; |
6+6 |
a |
|
Des choses, des esprits│ l'éternel mouvement |
6+6 |
b |
660 |
N'est pour nous que poussière│ et qu'éblouissement : |
6+6 |
b |
|
Le mystère du temps│ dans l'ombre se consomme ; |
6+6 |
a |
|
Le regard infini│ n'est pas dans l'œil de l'homme, |
6+6 |
a |
|
Et devant Dieu caché│ dans sa fatalité, |
6+6 |
b |
|
Notre seule science│ est notre humilité ! |
6+6 |
b |
|
665 |
Tantôt, las de sonder│ ces obscures merveilles, |
6+6 |
a |
|
Je livre aux bardes saints│ mon âme et mes oreilles, |
6+6 |
a |
|
J'écoute avec le cœur│ ces cœurs mélodieux |
6+6 |
b |
|
Qui, se brisant à terre│ en retombant des cieux, |
6+6 |
b |
|
En soupirs immortels│ sur la harpe éclatèrent, |
6+6 |
a |
670 |
Et pour diviniser│ leurs plaintes les chantèrent, |
6+6 |
a |
|
Oh ! de l'humanité│ ces hommes sont la voix, |
6+6 |
b |
|
Les mots harmonieux│ s'ordonnent à leur choix, |
6+6 |
b |
|
Comme au signe de Dieu│ s'ordonnent ses ouvrages, |
6+6 |
a |
|
Et vibrent en musique│ ou brillent en images ; |
6+6 |
a |
675 |
Leurs vers ont des échos│ cachés dans notre cœur ; |
6+6 |
b |
|
Ils versent aux soucis│ cette molle langueur, |
6+6 |
b |
|
Cet opium divin│ que dans sa soif d'extase |
6+6 |
a |
|
Le rêveur Orient│ puise en vain dans son vase ; |
6+6 |
a |
|
Mais eux, l'ange des vers│ leur apporte aux autels |
6+6 |
b |
680 |
Pour s'enivrer de Dieu│ des rêves immortels ! |
6+6 |
b |
|
Ils versent goutte à goutte│ en mon âme attendrie, |
6+6 |
a |
|
Comme un sommeil du ciel,│ leur tendre rêverie ; |
6+6 |
a |
|
Mon songe, enfant des leurs,│ les suit, et quelquefois |
6+6 |
b |
|
Comme une voix qui chante│ entraîne une autre voix, |
6+6 |
b |
685 |
Ma lèvre, s'abreuvant│ aux flots de leurs ivresses, |
6+6 |
a |
|
Se surprend à chanter│ avec eux ses tristesses. |
6+6 |
a |
|
|
Plus souvent, desséché│ par mon affliction, |
6+6 |
b |
|
Je trempe un peu ma lèvre│ à l'Imitation, |
6+6 |
b |
|
Livre obscur et sans nom,│ humble vase d'argile, |
6+6 |
a |
690 |
Mais rempli jusqu'au bord│ des sucs de l'évangile, |
6+6 |
a |
|
Où la sagesse humaine│ et divine à longs flots |
6+6 |
b |
|
Dans le cœur altéré│ coulent en peu de mots ; |
6+6 |
b |
|
Où chaque âme, à sa soif,│ vient, se penche, et s'abreuve |
6+6 |
a |
|
Des gouttes de sueur│ du Christ à son épreuve ; |
6+6 |
a |
695 |
Trouve, selon le temps,│ ou la peine, ou l'effort, |
6+6 |
b |
|
Le lait de la mamelle│ ou le pain fort du fort ; |
6+6 |
b |
|
Et sous la croix où l'homme│ ingrat le crucifie, |
6+6 |
a |
|
Dans les larmes du Christ│ boit sa philosophie !… |
6+6 |
a |
|
Ainsi lisant, priant,│ écrivant tour à tour, |
6+6 |
b |
700 |
Tantôt le cœur trop plein│ et débordant d'amour, |
6+6 |
b |
|
Tantôt frappant mon sein│ sans que l'onde en jaillisse, |
6+6 |
a |
|
Ne trouvant qu'une lie│ au fond de tout calice, |
6+6 |
a |
|
Puis regardant fumer│ ma lampe qui pâlit, |
6+6 |
b |
|
Puis tombant à genoux│ sur les bords de mon lit, |
6+6 |
b |
705 |
Mouillant de pleurs mes draps│ qu'entre mes dents je froisse, |
6+6 |
a |
|
En sanglots étouffés│ comprimant mon angoisse ; |
6+6 |
a |
|
Puis quand du coup au cœur│ tout le sang a coulé, |
6+6 |
b |
|
Relevant vers la croix│ un regard consolé, |
6+6 |
b |
|
Ouvrant mes deux volets│ pour respirer à l'aise |
6+6 |
a |
710 |
Les brises de la nuit│ dont la fraîcheur m'apaise, |
6+6 |
a |
|
Le front pâle et terni│ d'une moite sueur, |
6+6 |
b |
|
Dans mes veilles sans fin│ je ressemble, ô ma sœur, |
6+6 |
b |
|
A ce Faust enivré│ des philtres de l'école, |
6+6 |
a |
|
De la science humaine│ éblouissant symbole, |
6+6 |
a |
715 |
Quand dans sa sombre tour,│ parmi ses instrumens, |
6+6 |
b |
|
On l'entendait causer│ avec les élémens, |
6+6 |
b |
|
Et qu'au lever du jour│ dans son laboratoire |
6+6 |
a |
|
On ne retrouvait plus│ qu'un peu de cendre noire ! |
6+6 |
a |
|
Hélas ! si ce n'était│ la, grâce du Seigneur, |
6+6 |
b |
720 |
Que retrouverait-on│ le matin dans mon cœur ? |
6+6 |
b |
|
Oui, c'est Faust, ô ma sœur,│ mais, dans ces nuits étranges, |
6+6 |
a |
|
Au lieu d'esprits impurs,│ consolé par les anges ! |
6+6 |
a |
|
Oui, c'est Faust, ô ma sœur,│ mais Faust avec un Dieu. |
6+6 |
b |
|
Que de choses encor !│ La cloche sonne, adieu. |
6+6 |
b |
|
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . |
|
|
(Un grand nombre de pages manquaient ici au manuscrit.) |
|
mètre |
profil métrique : 6+6
|
forme globale |
type : suite de distiques
|
schéma : 362((aa))
|
|