Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAM_8/LAM139
Alphonse de LAMARTINE
JOCELYN
1836
PREMIÈRE ÉPOQUE
Le jour s'est écoulé | comme fond dans la bouche 6+6 a
Un fruit délicieux | sous la dent qui le touche, 6+6 a
Ne laissant après lui | que parfum et saveur. 6+6 b
O mon Dieu ! que la terre | est pleine de bonheur ! 6+6 b
5 Aujourd'hui premier mai, | date où mon cœur s'arrête, 6+6 a
Du hameau paternel | c'était aussi la fête, 6+6 a
Et c'est aussi le jour | où ma mère eut un fils ; 6+6 b
Son baiser m'a sonné | mes seize ans accomplis ; 6+6 b
Seize ans ! puissent longtemps | ces doux anniversaires 6+6 a
10 Sonner tant de bonheur | au clocher de mes pères ! 6+6 a
Que ce jour s'est levé | serein sur le vallon ! 6+6 b
Chaque toit semblait vivre | à son premier rayon, 6+6 b
Chaque volet ouvert | à l'aube près d'éclore 6+6 a
Semblait comme un ami | solliciter l'aurore ; 6+6 a
15 On voyait la fumée | en colonnes d'azur, 6+6 b
De chaque humble foyer | monter dans un ciel pur ; 6+6 b
Du pieux carillon | les légères volées 6+6 a
Couraient en bondissant | à travers les vallées ; 6+6 a
Les filles du village, | à ce refrain joyeux, 6+6 b
20 Entr'ouvraient leur fenêtre | en se frottant les yeux, 6+6 b
Se saluaient de loin | du sourire ou du geste, 6+6 a
Et sur les hauts balcons | penchant leur front modeste, 6+6 a
Peignaient leurs longs cheveux | qui pendaient en dehors, 6+6 b
Comme des écheveaux | dont on lisse les bords ; 6+6 b
25 Puis elles descendaient | nu-pieds, demi-vêtues 6+6 a
De ces plis transparais | qui collent aux statues, 6+6 a
Et cueillaient sur là haie | ou dans l'étroit jardin 6+6 b
L'œillet ou le lilas | tout baignés du matin ; 6+6 b
Et les gouttes des fleurs, | sur leurs seins découlées, 6+6 a
30 Y roulaient comme autant | de perles défilées. 6+6 a
Tous les sentiers fleuris | qui descendent des bois 6+6 b
Retentissaient de pas, | de murmures, de voix ; 6+6 b
On y voyait courir | les blonds chapeaux de paille, 6+6 a
Et les corsets de pourpre | enlacés à la taille. 6+6 a
35 Tous ces sentiers versaient | d'heure en heure au hameau 6+6 b
Les groupes variés | confondus sous l'ormeau : 6+6 b
Là, les embrassemens, | les scènes de familles, 6+6 a
Les cheveux blancs touchant | des fronts de jeunes filles, 6+6 a
Des amis retrouvés, | des souvenirs lointains, 6+6 b
40 Des hôtes entraînés | aux rustiques festins, 6+6 b
Des vierges à genoux | autour de la chapelle, 6+6 a
Et les groupes pieux | que la cloche rappelle, 6+6 a
Leur chapelet en main | et le front incliné, 6+6 b
Allant offrir à Dieu | le jour qu'il a donné. 6+6 b
45 Que de danses le soir | égayaient la pelouse ! 6+6 a
Plus le jour retirait | sa lumière jalouse, 6+6 a
Plus elles s'animaient, | comme pour ressaisir 6+6 b
Ce que l'heure fuyante | enviait au plaisir. 6+6 b
Chaque arbre du verger | avait son chœur champêtre, 6+6 a
50 Son orchestre élevé | sur de vieux troncs de hêtre ; 6+6 a
Le fifre aux cris aigus, | le hautbois au son clair, 6+6 b
La musette vidant | son outre pleine d'air, 6+6 b
L'un sautillant et gai, | l'autre plaintive et tendre, 6+6 a
S'accordant, s'excitant, | s'unissant pour répandre 6+6 a
55 Ensemble ou tour à tour, | dans leurs divers accens, 6+6 b
Le délire ou l'ivresse | à nos chœurs bondissans. 6+6 b
Tous les yeux se cherchaient, | toutes les mains pressées, 6+6 a
Frémissaient de répondre | aux notes cadencées. 6+6 a
Un tourbillon d'amour | emportait deux à deux, 6+6 b
60 Dans sa sphère de bruit | les couples amoureux ; 6+6 b
Les pieds, les yeux, les cœurs | qu'un même instinct attire, 6+6 a
S'envolaient soulevés | par le commun délire, 6+6 a
S'enchaînaient, se brisaient, | pour s'enchaîner encor : 6+6 b
Tels quand un soir d'été | darde ses rayons d'or, 6+6 b
65 Dans le sable échauffé | qui brille sur la grève, 6+6 a
On voit des tourbillons | d'atomes qu'il soulève, 6+6 a
Monter, descendre, errer, | s'enlacer tour à tour, 6+6 b
Comme à l'attrait caché | d'un invisible amour, 6+6 b
Dresser en tournoyant | leur brillante colonne, 6+6 a
70 Et danser dans la sphère | où le soleil rayonne. 6+6 a
Et plus tard quand l'archet, | le fifre, le hautbois, 6+6 b
Commençaient à languir | comme épuisés de voix, 6+6 b
Quand les cheveux mouillés, | que la sueur dénoue, 6+6 a
Tombaient en tresse lisse | et collaient à la joue, 6+6 a
75 Et que sur les gazons | les groupes indolens 6+6 b
S'en allaient en causant | à voix basse, à pas lents ; 6+6 b
De quels bruits enchanteurs | l'oreille était frappée ! 6+6 a
Adieux, regrets, baisers, | parole entrecoupée, 6+6 a
Murmure que la nuit | peut à peine assoupir, 6+6 b
80 D'un beau jour qui s'éteint, | tendre et dernier soupir : 6+6 b
Mon âme s'en troublait, | mon oreille ravie 6+6 a
Buvait languissamment | ces prémices de vie ; 6+6 a
Je suivais des regards, | et des pas, et du cœur, 6+6 b
Les danseuses passant | l'œil chargé de langueur ; 6+6 b
85 Je rêvais au doux bruit | de leurs robes de soie ; 6+6 a
Chacune en s'en allant | m'emportait une joie. 6+6 a
Puis enfin, danse et bruit, | tout avait disparu, 6+6 b
Sur la crête des monts | la lune avait couru ; 6+6 b
A peine quelque amant, | trop oublieux dé l'heure, 6+6 a
90 Regagnait en rêvant | sa lointaine demeure, 6+6 a
Ou, longtemps arrêtés | au coude du chemin, 6+6 b
Quelques couples tardifs, | une main dans la main, 6+6 b
Laissaient sonner deux fois | l'heure avancée et sombre, 6+6 a
Et sous les châtaigniers | disparaissaient dans l'ombre. 6+6 a
95 Maintenant je suis seul | dans ma chambre. Il est nuit ; 6+6 b
Tout dort dans la maison ; | plus de feux, plus de bruit ; 6+6 b
Dormons ! — mais je ne puis | assoupir ma paupière. 6+6 a
Prions ! —mais mon esprit | n'entend pas ma prière. 6+6 a
Mon oreille est encor | pleine des airs dansans, 6+6 b
100 Que les échos du jour | rapportent à mes sens ; 6+6 b
Je ferme en vain mes yeux, | je vois toujours la fête ; 6+6 a
La valse aux bonds rêveurs | tourne encor dans ma tête ; 6+6 a
Du bal, hélas ! fini, | fantômes gracieux, 6+6 b
Mille ombres de beautés | dansent devant mes yeux ; 6+6 b
105 Je vois luire un regard | dans la nuit ; il me semble 6+6 a
Sentir de douces mains | presser ma main qui tremble ; 6+6 a
De blonds cheveux jetés | par le cercle mouvant 6+6 b
Sur ma peau qui frémit | glissent comme un doux vent ; 6+6 b
Je vois tomber des fronts | mille roses flétries, 6+6 a
110 J'entends mon nom redit | par des lèvres chéries. 6+6 a
Anna ! Blanche ! Lucie ! | oh ! que me voulez-vous ? 6+6 b
Qu'est-ce donc que l'amour | si son rêve est si doux ? 6+6 b
Mais l'amour sur ma vie | est encor loin d'éclore, 6+6 a
C'est un astre de feu | dont cette heure est l'aurore. 6+6 a
115 Ah ! si jamais le ciel | jetait entre mes bras 6+6 b
Un des songes vivans | attachés à mes pas ; 6+6 b
Si j'apportais ici, | languissante et ravie, 6+6 a
Une vierge au cœur pur, | premier rayon de vie, 6+6 a
Mon âme aurait vécu | mille ans dans un seul jour, 6+6 b
120 Car je le sens ce soir, | mon âme n'est qu'amour ! 6+6 b
Non : chassons de mon cœur | ces trop molles images : 6+6 a
De mes livres amis | rouvrons les vieilles pages, 6+6 a
Les voici sur ma table | incessamment ouverts ; 6+6 b
Mais mon œil flotte en vain | sur la prose et les vers. 6+6 b
125 Les mots inanimés | tombent morts de la lyre, 6+6 a
Mon esprit ne lit pas | et laisse mes yeux lire. 6+6 a
Un seul mot s'y retrace, | et ce mot est de feu, 6+6 b
L'amour, rien que l'amour ; | mon Dieu ! mon Dieu ! mon Dieu ! 6+6 b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Parmi tant de beautés | que ma sœur était belle ! 6+6 a
130 Mais le soir en rentrant | pourquoi donc pleurait-elle ? 6+6 a
Ah ! j'ai donc le secret | des larmes de ma sœur ; 6+6 b
Puisse mon sacrifice | acheter son bonheur ! 6+6 b
Tout à l'heure au jardin, | pensif et solitaire, 6+6 a
Je traînais au hasard | mes pas distraits à terre 6+6 a
135 Dans l'allée au couchant | le long de la maison ; 6+6 b
Mon pied, qui s'imprimait | sans bruit sur le gazon, 6+6 b
Ne retentissait pas | dans l'herbe où je l'appuie, 6+6 a
Plus que l'oiseau qui pose, | ou la goutte de pluie ; 6+6 a
Je tenais dans la main | ce livre où tant de pleurs 6+6 b
140 Coulent du cœur de Paul | et des yeux des lecteurs, 6+6 b
Quand, le canot parti, | chaque coup de la rame 6+6 a
Emporte Virginie, | arrache l'âme à l'âme ; 6+6 a
Je sentais tout mon cœur | se fondre de pitié, 6+6 b
Et la page toujours | restait lue à moitié. 6+6 b
145 Tout à coup quelques mots | murmurés à voix basse, 6+6 a
Fixèrent ma pensée | et mes pas sur la place. 6+6 a
Ce bruit inusité | dans le muet enclos, 6+6 b
Ces sons entrecoupés | de timides sanglots, 6+6 b
S'élevaient, s'abaissaient | de distance en distance, 6+6 a
150 Puis mouraient étouffés | dans un morne silence. 6+6 a
Inquiet, j'avançai | d'un pas discret et sûr 6+6 b
Vers la fenêtre basse | et sous l'angle du mur ; 6+6 b
J'écartai de la main | les pampres de la treille, 6+6 a
Et de la jalousie | approchant mon oreille, 6+6 a
155 Et plongeant un regard | dans la nuit du boudoir, 6+6 b
J'entendis et je vis. | Un seul rayon du soir, 6+6 b
Que brisaient les barreaux | et les feuilles obscures, 6+6 a
Éclairait à demi | la chambre et les figures. 6+6 a
Ma mère était au fond | assise au bord du lit, 6+6 b
160 Les yeux sur un papier | comme quelqu'un qui lit ; 6+6 b
L'ombre de ses cheveux | me cachait son visage, 6+6 a
Mais j'entendais tomber | des gouttes sur la page. 6+6 a
Ma sœur assise auprès, | un de ses bras passé 6+6 b
Au cou de notre mère | avec force embrassé, 6+6 b
165 Le front sur son épaule | et noyé dans sa robe, 6+6 a
Pour cacher la rougeur | que la pudeur dérobe, 6+6 a
S'efforçait vainement | d'étouffer ses douleurs ; 6+6 b
Des mèches de cheveux, | qui ruisselaient de pleurs, 6+6 b
Détachés de sa tête | et collant sur sa joue, 6+6 a
170 Le mouvement d'un sein | que le sanglot secoue, 6+6 a
Et le son de deux voix | brisé, tout trahissait 6+6 b
Deux cœurs brisés eux-même, | et des pleurs qu'on versait, 6+6 b
— « Julie ! il est donc vrai, | » —disait ma mère ; « il t'aime ! 6+6 a
« Et toi, tu le chéris | aussi ? » — « Plus que moi-même ! » 6+6 a
175 — « Hélas ! je comprends trop | ce tendre et triste aveu. 6+6 b
« Vous voir unis un jour | était mon plus doux vœu ; 6+6 b
« Mais Dieu, qui de ses dons | fut pour nous trop avare, 6+6 a
« Vous unit d'une main, | de l'autre vous sépare ; 6+6 a
« Quand je te donnerais, | ma fille, tout mon bien, 6+6 b
180 « Ta dot à peine encore | égalerait le sien, 6+6 b
« Et tu le vois, un père | inflexible à vos larmes, 6+6 a
« Compte pour rien son fils, | son désespoir, tes charmes, 6+6 a
« Si tu n'apportes pas | à sa famille encor, 6+6 b
« Avec tant d'innocence | et tant d'amour, de l'or ; 6+6 b
185 « De l'or !… Ah ! si mes pleurs | au moins pouvaient t'en faire, 6+6 a
« On verrait ce qu'il tient | dans les yeux d'une mère ; 6+6 a
« Dieu le sait. Je voudrais | acheter à ce prix 6+6 b
« Un époux pour ma fille, | une femme à mon fils ; 6+6 b
« Mais, je n'ai que ce champ, | trop étroit héritage, 6+6 a
190 « Qu'entre ton frère et toi | ma tendresse partage ; 6+6 a
« Sachons donc, mon enfant, | oublier et souffrir ! » 6+6 b
— « Oublier ! non jamais, | ma mère, mais mourir ! » 6+6 b
Puis je n'entendis plus | qu'à voix basse un mélange 6+6 a
De plaintes, de baisers ; | puis la voix de quelque ange 6+6 a
195 Me parla dans le cœur ; | et d'un pied suspendu, 6+6 b
Je m'éloignai pleurant | et sans être entendu. 6+6 b
Tout le jour dans mon sein | j'ai roulé ma pensée, 6+6 a
Et de mon dévoûment | l'agonie est passée. 6+6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Voilà ce que j'ai dit | à ma mère aujourd'hui : 6+6 b
200 « Je sens que Dieu me presse | et qu'il m'appelle à lui ; 6+6 b
« La tendre piété, | la foi vive et profonde, 6+6 a
« Cette divine soif | des biens d'un meilleur monde, 6+6 a
« Dont vous me nourrissiez, | enfant, sur vos genoux, 6+6 b
« Porte aujourd'hui son fruit | peut-être amer pour vous, 6+6 b
205 « Amer à ma jeunesse | aussi, mais doux à l'âme ; 6+6 a
« L'ombre des saints parvis | m'attire et me réclame ; 6+6 a
« Je veux consacrer jeune | à Dieu mes jours mortels, 6+6 b
« Comme un vase encor pur | qu'on réserve aux autels. 6+6 b
« Rien de ce qui s'agite | ici-bas ne me tente ; 6+6 a
210 « Je ne veux pas dresser | à tout ce vent ma tente, 6+6 a
« Je ne veux pas salir | mes pieds dans ces chemins 6+6 b
« Où s'embourbe en marchant | ce troupeau des humains ; 6+6 b
« J'aime mieux, m'écartant | des routes de la terre, 6+6 a
« Suivre dès le matin | mon sentier solitaire. 6+6 a
215 « J'aime mieux m'abriter | sous le mur du saint lieu, 6+6 b
« Et dès le premier pas | me reposer en Dieu. 6+6 b
« Je ne me sens pas fait | d'ailleurs pour la mêlée, 6+6 a
« Où bruït cette foule | à tant de soins mêlée : 6+6 a
« J'apporterais une arme | inégale au combat, 6+6 b
220 « Trop de pitié dans l'âme, | un cœur qu'un souffle abat ; 6+6 b
« Trop sensible ou trop fier | je mourrais dans la lutte, 6+6 a
« Ou vainqueur du triomphe | ou vaincu de la chute. 6+6 a
« A cette loterie | où la vie est l'enjeu 6+6 b
« Mon cœur passionné | mettrait trop ou trop peu ; 6+6 b
225 « Et puis la vie est lourde, | et dur est le voyage, 6+6 a
« Il vaut mieux la porter | seule et sans ce bagage 6+6 a
« De chaînes, de fardeaux, | de soins, d'ambitions. 6+6 b
« Amours, liens brisés, | enfans, afflictions, 6+6 b
« Quel que soit vers le ciel | le chemin que l'on suive, 6+6 a
230 « On arrive plus vite | où Dieu veut qu'on arrive ; 6+6 a
« Dans le lit de poussière | on se touche moins tard ; 6+6 b
« On a moins de soucis | et de pleurs au départ. 6+6 b
« Oh ! ne résistez pas, | ma mère, à ma prière ! 6+6 a
« Si vous réfléchissiez, | un jour vous seriez fière 6+6 a
235 « De ce mot qui vous semble | un douloureux adieu ; 6+6 b
« A quoi renonce-t-on | quand on se jette à Dieu ? 6+6 b
« Que voulez-vous de mieux | pour l'enfant qui vous prie 6+6 a
« Que la paix sur la terre | et le ciel pour patrie ? 6+6 a
« Humble est le nom de prêtre ! | oh ! n'en rougissez pas, 6+6 b
240 « Ma mère, il n'en est point | dé plus noble ici-bas. 6+6 b
« Dieu, qui de ses desseins | connaît seul le mystère, 6+6 a
« A partagé la tâche | aux enfans de la terre : 6+6 a
« Aux uns le sol à fendre | et des champs pour semer, 6+6 b
« Aux autres des enfans, | des femmes pour aimer, 6+6 b
245 « A ceux-là le plaisir | d'un monument qu'on fonde, 6+6 a
« A ceux-ci le grand bruit | de leurs pas dans le monde ; 6+6 a
« Mais il a dit aux cœurs | de soupirs et de foi : 6+6 b
« Ne prenez rien ici, | vous aurez tout en moi ! 6+6 b
« Le prêtre est l'urne sainte | au dôme suspendue, 6+6 a
250 « Où l'eau trouble du puits | n'est jamais répandue, 6+6 a
« Que ne rougit jamais | le nectar des humains, 6+6 b
« Qu'ils ne se passent pas | pleine de mains en mains, 6+6 b
« Mais où l'herbe odorante, | où l'encens de l'aurore 6+6 a
« Au feu du sacrifice | en tout temps s'évapore ; 6+6 a
255 « Il est dans son silence | au reste des mortels 6+6 b
« Ce qu'est aux instrumens | l'orgue des saints autels : 6+6 b
« On n'entend pas sa voix | profonde et solitaire 6+6 a
« Se mêler hors du temple | aux vains bruits de la terre ; 6+6 a
« Les vierges à ses sons | n'enchaînent point leurs pas, 6+6 b
260 « Et le profane écho | ne les répète pas ; 6+6 b
« Mais il élève à Dieu | dans l'ombre de l'église, 6+6 a
« Sa grande voix qui s'enfle | et court comme une brise, 6+6 a
« Et porte, en saints élans, | à la divinité, 6+6 b
« L'hymne de la nature | et de l'humanité. 6+6 b
265 « Mais vous dites peut-être : | il vit seul, et son âme, 6+6 a
« Que n'échauffe jamais | le rayon de la femme, 6+6 a
« Dans cet isolement | sèche et se rétrécit ; 6+6 b
« Il n'a plus de famille, | et son cœur se durcit. 6+6 b
« Dites plutôt qu'à l'homme | il étend sa famille, 6+6 a
270 « Les pauvres sont pour lui, | mère, enfans, femme et fille. 6+6 a
« Le Christ met dans son cœur | son immense amitié ; 6+6 b
« Tout ce qui souffre et pleure | est à lui par pitié. 6+6 b
« Non, non, dans ma pensée | heureuse et recueillie, 6+6 a
« Ne craignez pas surtout | que mon amour s'oublie. 6+6 a
275 « Ah ! le Dieu qui me veut | n'est pas un Dieu jaloux ; 6+6 b
« Ce vœu me donne à lui | sans m'arracher à vous. 6+6 b
« Plus de sa charité | l'océan nous inonde, 6+6 a
« Plus nous sommes à lui, | plus nous sommes au monde, 6+6 a
« A ses pieux devoirs, | à ses liens permis, 6+6 b
280 « Aux doux attachemens | de parens et d'amis. 6+6 b
« Devant ce Dieu d'amour | dont je serai l'apôtre, 6+6 a
« Aucun nom à l'autel | n'effacera le vôtre ; 6+6 a
« Et chacun des soupirs | du céleste entretien 6+6 b
« Y portera ce nom | au ciel avec le mien ! 6+6 b
285 « Ne fermez pas ainsi | vos lèvres interdites, 6+6 a
« Ne me regardez pas | si tristement ; mais dites : 6+6 a
« Que le désir de Dieu | s'accomplisse sur toi ! 6+6 b
« Dites comme Sara, | mère, et bénissez-moi ! 6+6 b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Elle a pleuré sept jours, | comme sur les montagnes 6+6 a
290 La fille de Jephté, | que suivaient ses compagnes, 6+6 a
Demanda quelques nuits | au Seigneur irrité 6+6 b
Pour pleurer ses printemps | et sa virginité, 6+6 b
Puis, comme un doux agneau | revient à sa nourrice, 6+6 a
Vint d'elle-même offrir | sa gorge au sacrifice. 6+6 a
295 Ainsi pleurait ma mère, | et puis elle a dit : Oui ! 6+6 b
Mais un cœur sur la terre | en sera réjoui. 6+6 b
Sitôt que de ma sœur | j'aurai béni la joie, 6+6 a
Sans regarder derrière, | entrons dans notre voie. 6+6 a
Dieu m'a récompensé : | ce fut hier le jour 6+6 b
300 Où le Seigneur bénit | l'innocence et l'amour. 6+6 b
De ma sœur et d'Ernest | cette sainte journée 6+6 a
A dans la main de Dieu | mêlé la destinée. 6+6 a
Les voilà dans la paix | se possédant tous deux ! 6+6 b
Quel éclat de bonheur | rayonnait autour d'eux ! 6+6 b
305 On eût dit qu'à l'autel | se dévoilant d'avance, 6+6 a
Tous les jours fortunés | d'une longue existence, 6+6 a
Tous les chastes plaisirs | d'une pure union, 6+6 b
Au flambeau de leur noce | apportaient un rayon, 6+6 b
Et sur leurs fronts sereins | concentrant leurs prémices, 6+6 a
310 Prodiguaient en un jour | un siècle de délices. 6+6 a
Avant l'heure où blanchit | le premier horizon 6+6 b
Quelle nouvelle vie | animait la maison ! 6+6 b
Tous les volets fermés, | hélas ! depuis cette heure 6+6 a
Où mon père en sortit | pour une autre demeure, 6+6 a
315 Ces portes qui du maître | encor gardaient le deuil, 6+6 b
Et dont les fleurs jonchaient | dès le matin le seuil, 6+6 b
Semblaient, prenant une âme | et sentant cet emblème, 6+6 a
Tressaillir sur leurs gonds | et s'ouvrir d'elles-même 6+6 a
Pour accueillir, après | un long exil rendu, 6+6 b
320 Le bonheur, comme un hôte | au foyer attendu. 6+6 b
La musique élevant | sa voix par intervalle, 6+6 a
Les pas des serviteurs | courant de salle en salle ; 6+6 a
Les parens, les amis, | arrivant deux à deux, 6+6 b
Les mains pleines de dons | et les cœurs pleins de vœux ; 6+6 b
325 Des présens de l'époux | les fragiles merveilles 6+6 a
Étalés sur le lit, | débordant les corbeilles, 6+6 a
Les vierges pour les voir | se pressant à l'entour, 6+6 b
Les touchant, les montrant, | s'écriant tour à tour ; 6+6 b
L'une ajustant le voile | au front de la fiancée, 6+6 a
330 L'autre attachant la perle | à ses cheveux tressée, 6+6 a
Et toutes, le front ceint | de grâce et de rougeur, 6+6 b
Aimant à contempler | les apprêts du bonheur, 6+6 b
A promener sur tout | leurs doigts, leur fantaisie, 6+6 a
Comme on les voit toucher | dans un écrin d'Asie 6+6 a
335 Les colliers, les anneaux, | les secrets talismans 6+6 b
Dont on aime l'éclat | sans comprendre le sens. 6+6 b
Puis les danses le soir | sur l'herbe, puis la ronde 6+6 a
Dans son cercle qui roule | entraînant tout le monde, 6+6 a
Tout le monde excepté | la fiancée et l'époux, 6+6 b
340 Qui fuyaient nos plaisirs | pour des plaisirs plus doux, 6+6 b
Impatiens du soir | qui doit chasser la foule, 6+6 a
Comptant l'heure qui sonne | et la nuit qui s'écoule, 6+6 a
Se cherchant, se trouvant, | et le bras sous le bras 6+6 b
S'égarant d'arbre en arbre | et se parlant plus bas ; 6+6 b
345 Tant le bonheur parfait, | qui fuit la multitude, 6+6 a
A besoin du silence | et de la solitude. 6+6 a
Que ce bonheur perçait | même dans leur tourment ! 6+6 b
Comme tout trahissait | leur vague enchantement, 6+6 b
Ces soupirs, ces regards | qui plongeaient l'un dans l'autre, 6+6 a
350 Cette langue sans mots | qui surpassait la nôtre, 6+6 a
Cette marche indolente, | ou ce pas arrêté 6+6 b
Comme accablé du poids | de leur félicité, 6+6 b
Cette fuite du monde | et ce besoin d'eux-même, 6+6 a
Cette joie à nommer | vingt fois le nom qu'on aime, 6+6 a
355 Tout leur réalisait | ce rêve de l'amour . 6+6 b
Qu'on fait toute la vie | et qu'on savoure un jour ! 6+6 b
Et moi seul et rêveur, | glissant sans qu'on me voie, 6+6 a
Du regard et du cœur | je poursuivais leur joie : 6+6 a
Tout le jour, en tout lieu, | me trouvant sur leurs pas, 6+6 b
360 Me rencontrant partout, | ils ne me voyaient pas ; 6+6 b
Du bonheur des amans | goûtant au moins l'image, 6+6 a
Dans leur félicité | j'adorais mon ouvrage, 6+6 a
Et je disais tout bas | dans mon cœur satisfait : 6+6 b
Ce bonheur est à moi, | car c'est moi qui l'ai fait ! 6+6 b
365 Souvent hier au bal, | au souper de famille, 6+6 a
En me montrant du doigt, | plus d'une jeune fille 6+6 a
De celles dont j'aimais | naguère l'entretien, 6+6 b
Et dont le doux regard | faisait baisser le mien, 6+6 b
Disait : Lui jeune et beau, | Dieu ! pourrait-on le croire, 6+6 a
370 Préfère à notre amour | une soutane noire ; 6+6 a
Le monde lui fait peur ! | hélas ! le pauvre enfant ! 6+6 b
Puis, passant devant moi | d'un coup d'œil triomphant, 6+6 b
M'écrasaient en disant : | Ne sommes-nous plus belles ? 6+6 a
Et le rire étouffé | circulait autour d'elles. 6+6 a
375 J'avais l'air insensible | au sarcasme moqueur. 6+6 b
Vous cependant, mon Dieu, | vous lisiez dans mon cœur !… 6+6 b
Ce fut hier ; le jour | mélancolique et sombre 6+6 a
Semblait de ma tristesse | avoir revêtu l'ombre : 6+6 a
On eût dit qu'à son tour | l'âme de ce beau lieu 6+6 b
380 Voulait sympathiser | avec ce jour d'adieu, 6+6 b
Tant le ciel était gris, | tant les vents sans haleine 6+6 a
Laissaient pencher la feuille | et l'épi sur la plaine, 6+6 a
Tant le ruisseau dormait | en retenant sa voix, 6+6 b
Tant les oiseaux cachés | se taisaient dans les bois ! 6+6 b
385 Tout se taisait aussi | dans la maison fermée ; 6+6 a
On n'osait regarder | une figure aimée ; 6+6 a
Quand on se rencontrait | on n'osait se parler, 6+6 b
De peur qu'un son de voix | ne vînt vous révéler 6+6 b
Le sanglot dérobé | sous le tendre sourire, 6+6 a
390 Et ne fit éclater | le cœur qu'un mot déchire. 6+6 a
On allait, on venait ; | mère, sœur, à l'écart, 6+6 b
Préparaient à genoux | les apprêts d'un départ, 6+6 b
Et chacune, les mains | dans le coffre enfoncées, 6+6 a
Cachait avec ses dons | une de ses pensées, 6+6 a
395 On s'asseyait ensemble | à table, mais en vain ; 6+6 b
Les pleurs se faisaient route | et coulaient sur le pain. 6+6 b
Ainsi passa le jour ; | et quand la nuit suprême, 6+6 a
Nuit qui doit pour jamais | séparer ce qui s'aime, 6+6 a
Eut jeté sur nos yeux | des voiles plus épais, 6+6 b
400 — « Allez, dis-je à ma mère, | et reposez en paix, 6+6 b
« Reposez votre cœur | de soupirs et de larmes, 6+6 a
« Bénissez votre enfant, | et dormez sans alarmes ; 6+6 a
« Que ce dernier sommeil | que je fais près de vous, 6+6 b
« Descende sur vos yeux | encor tranquille et doux ; 6+6 b
405 « De notre long adieu | n'anticipez pas l'heure. 6+6 a
« Hélas ! trop tôt viendra | ce long soir où l'on pleure ; 6+6 a
« Mais l'esprit qui console | et l'ange des adieux 6+6 b
« A ma prière alors | viendront sécher vos yeux ; 6+6 b
« Vous me verrez entrer | plus léger dans ma voie, 6+6 a
410 « Car ce qu'on donne à Dieu | doit s'offrir dans la joie. 6+6 a
« Dormez ! dès que le jour | sur l'église aura lui, 6+6 b
« Au pied de votre lit | je veux être avant lui ; 6+6 b
« Et si nos yeux alors | ont quelque larme amère, 6+6 a
« Que Dieu nous la pardonne ! | homme, on n'a qu'une mère. » 6+6 a
415 Son baiser lentement | sur mon front descendit, 6+6 b
Et je n'entendis pas | ce qu'elle répondit ; 6+6 b
Car le cœur plein des pleurs | que cachait mon visage, 6+6 a
Et ne le pouvant pas | retenir davantage, 6+6 a
J'étais déjà sorti | de son appartement, 6+6 b
420 Et je cherchais la nuit | pour pleurer librement. 6+6 b
Les brises de montagne, | avec le soir venues, 6+6 a
Avaient blanchi le ciel | et balayé les nues : 6+6 a
C'était une des nuits | dont la sérénité 6+6 b
Parle à l'âme de paix, | d'amour, d'éternité, 6+6 b
425 Où la lune arrondie | et dans l'azur assise, 6+6 a
Répandant sur les bois | sa lueur indécise, 6+6 a
Semble, en dessinant mieux | chaque pâle contour, 6+6 b
Un souvenir muet | de la vie et du jour. 6+6 b
Je m'enfonçai pleurant | sous les sombres allées 6+6 a
430 Des traces de ma mère | encor toutes peuplées ; 6+6 a
Je parcourais du pas | tout le champêtre enclos, 6+6 b
Où, comme autant de fleurs, | mes jours étaient éclos ; 6+6 b
J'écoutais chanter l'eau | dans le bassin de marbre ; 6+6 a
Je touchais chaque mur, | je parlais à chaque arbre, 6+6 a
435 J'allais d'un tronc à l'autre | et je les embrassais, 6+6 b
Je leur prêtais le sens | des pleurs que je versais, 6+6 b
Et je croyais sentir, | tant notre âme a de force, 6+6 a
Un cœur ami du mien | palpiter sous l'écorce. 6+6 a
Sur chaque banc de pierre | où je m'étais assis, 6+6 b
440 Où j'avais vu ma mère | assise avec son fils, 6+6 b
Je m'asseyais un peu ; | je tournais mon visage 6+6 a
Vers la place où mes yeux | retrouvaient son image, 6+6 a
Je lui parlais de l'âme ; | elle me répondait ; 6+6 b
Sa voix, sa propre voix | dans mon cœur s'entendait, 6+6 b
445 Et je fuyais ainsi | du hêtre au sycomore, 6+6 a
Réveillant mon passé | pour le pleurer encore. 6+6 a
Du nid de la colombe | à la loge du chien, 6+6 b
Je revisitais tout | et je n'oubliais rien, 6+6 b
Et je disais à tout | un adieu sympathique, 6+6 a
450 Et, de tout emportant | quelque chère relique, 6+6 a
Je remplissais mon sein | de feuillage roulé, 6+6 b
Du sable de la cour | par ma mère foulé, 6+6 b
De la mousse enlevée | aux murs verts des tourelles, 6+6 a
Et du duvet tombé | du toit des tourterelles ; 6+6 a
455 Puis quand j'eus complété | mon douloureux trésor, 6+6 b
Pour consumer la nuit | qui me restait encor, 6+6 b
J'allai dans le parterre, | au pied de la fenêtre 6+6 a
De la chambre où ma mère | aussi veillait peut-être, 6+6 a
Près du bassin d'eau vive | où tremble le bouleau, 6+6 b
460 Le corps sur le gazon, | le front penché sur l'eau, 6+6 b
Sur l'eau que j'écoutais | sangloter dans sa fuite, 6+6 a
Comme un pas décroissant | d'un ami qui nous quitte ; 6+6 a
Et là, prenant la terre | et l'herbe à pleine main, 6+6 b
Collant ma lèvre au sol | que j'allais fuir demain, 6+6 b
465 J'embrassai cette terre | où j'avais pris racine, 6+6 a
D'où m'arrachait si tendre | une force divine ; 6+6 a
J'ouvris mon cœur trop plein | et j'en laissai couler 6+6 b
Ce long torrent de pleurs | qui voulait s'y mêler. 6+6 b
Je ne sais pas combien | d'heures ainsi coulèrent, 6+6 a
470 Ni quels mille pensers | dans ma tête roulèrent ; 6+6 a
De son œil infini | Dieu seul peut les compter, 6+6 b
Et le cœur dans sa langue | au cœur les raconter. 6+6 b
Il est des nuits d'orage | où le flot des idées, 6+6 a
Comme un fleuve trop plein | aux ondes débordées 6+6 a
475 Roule avec trop de pente | et trop d'emportement, 6+6 b
Pour que notre âme même | en ait le sentiment ; 6+6 b
Un vertige confus | bouillonne dans la tête, 6+6 a
Et prêt à se briser, | le cœur même s'arrête ; 6+6 a
J'étais dans cet état, | sans entendre, sans voir, 6+6 b
480 Anéantissement, | sommeil du désespoir ; 6+6 b
Seulement par momens | mes pleurs, pleuvant encore, 6+6 a
M'éveillaient en tombant | dans le bassin sonore. 6+6 a
L'aube enfin colora | sa barre au bord des cieux, 6+6 b
Comme un flambeau soudain | qui vient blesser les yeux. 6+6 b
485 Je voulus, sans revoir | un visage de femme, 6+6 a
Dire à ma mère un mot | qui lui laissât mon âme ; 6+6 a
Sur mes genoux tremblans | du seuil je m'approchai ; 6+6 b
De mon front prosterné, | muet, je le touchai ; 6+6 b
J'entrelaçai mes doigts | aux barreaux des persiennes ; 6+6 a
490 Je crus sentir des mains | qui rencontraient les miennes. 6+6 a
Adieu ! criai-je ; en vain | j'y voulus joindre un mot, 6+6 b
Mon cœur noyé d'angoisse | eut à peine un sanglot, 6+6 b
Et je m'enfuis courant | et sans tourner la tête, 6+6 a
Comme un homme qui craint | qu'un remords ne l'arrête. 6+6 a
495 Je marchai devant moi | par des champs sans chemin, 6+6 b
De peur de rencontrer, | d'entendre un être humain, 6+6 b
Jusqu'au sommet aride | où la sombre montagne 6+6 a
S'affaisse et redescend | vers une autre campagne. 6+6 a
Sur une roche grise | une croix de granit, 6+6 b
500 Que la mousse tapisse, | où l'aigle fait son nid, 6+6 b
S'élève pour bénir | à la fois les deux faîtes, 6+6 a
Comme un homme étendant | ses deux bras sur deux têtes. 6+6 a
Là je me retournai | pour la première fois, 6+6 b
Et m'assis sur la pierre | au pied de cette croix ; 6+6 b
505 Je vis se dérouler | sous moi le paysage, 6+6 a
Le jardin verdoyer | sous les murs du village, 6+6 a
La colombe blanchir | les toits, et la maison 6+6 b
Retirer lentement | son ombre du gazon. 6+6 b
Je vis blanchir dans l'air | sa première fumée, 6+6 a
510 Une main entr'ouvrir | la fenêtre fermée. 6+6 a
Un soupir emporta | mon âme à ce doux lieu, 6+6 b
Et sur l'herbe, à genoux, | je m'écriai : Mon Dieu ! 6+6 b
Vous qui prenez le fils, | restez avec la mère, 6+6 a
Que l'heure du départ | n'y soit pas même amère ! 6+6 a
515 Je ne quitte, ô mon Dieu, | ces cœurs et ce séjour, 6+6 b
Qu'afin de leur laisser | plus de paix et d'amour ; 6+6 b
Que l'amour et la paix | y restent à ma place, 6+6 a
Et que le sacrifice | attire au moins la grâce. 6+6 a
Veillez au lieu de moi | sur ses chers habitans ; 6+6 b
520 Bénissez nuit et jour | leur route et leurs instans ; 6+6 b
Soyez vous-même, ô Dieu ! | vous, ô céleste père ! 6+6 a
Pour la mère le fils | et pour la sœur le frère, 6+6 a
Comblez-les de vos dons, | menez-les par la main, 6+6 b
Par une longue vie | et par un doux chemin, 6+6 b
525 Au terme où nous devons | vous rendre grâce ensemble, 6+6 a
Et que dès ici-bas | votre sein nous rassemble ! 6+6 a
Je dis, et sous les bois | de ces derniers sommets ! 6+6 b
L'horizon paternel | s'abaissa pour jamais. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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