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LAM_7/LAM134
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE QUATRIÈME
HARMONIE XI
NOVISSIMA VERBA
OU
MON ÂME EST TRISTE JUSQU'A LA MORT !
La nuit roule en silence autour de nos demeures 6+6 a
Sur les vagues du ciel la plus noire des heures ; 6+6 a
Nul rayon sur mes yeux ne pleut du firmament. 6+6 b
Et la brise n'a plus, même un gémissement. 6+6 b
5 Une plainte, qui dise à mon âme aussi sombre : 6+6 a
Quelque chose avec toi meurt et se plaint dans l'ombre 6+6 a
Je n'entends au dehors que le lugubre bruit 6+6 b
Du balancier qui dit : le temps marche et te fuit ! 6+6 b
Au dedans, que le pouls, balancier de la vie, 6+6 a
10 Dont les coups inégaux, dans ma tempe engourdie, 6+6 a
M'annoncent sourdement que le doigt de la mort 6+6 b
De la machine humaine a pressé le ressort. 6+6 b
Et que, semblable au char qu'un coursier précipite, 6+6 a
C'est pour mieux se briser qu'il s'élance plus vite ! 6+6 a
🙫
15 El c'est donc là le terme ! — Ah ! s'il faut une fois 6+6 b
Que chaque homme à son tour élève enfin la voix, 6+6 b
C'est alors ! c'est avant qu'une terre glacée 6+6 a
Engloutisse avec lui sa dernière pensée ! 6+6 a
C'est à cette heure même, où prête à s'exhaler, 6+6 b
20 Toute âme a son secret qu'elle veut révéler. 6+6 b
Son mot à dire au monde, à la mort, à la vie, 6+6 a
Avant que pour jamais, éteinte, évanouie, 6+6 a
Elle n'ait disparu, comme un feu de la nuit 6+6 b
Oui ne laisse après soi ni lumière ni bruit ! 6+6 b
25 Que laissons-nous, ô vie, hélas ! quand tu t'envoles ? 6+6 a
Rien, que ce léger bruit des dernières paroles, 6+6 a
Court écho de nos pas, pareil au bruit plaintif 6+6 b
Que fait en palpitant la voile de l'esquif. 6+6 b
Au murmure d'une eau courante et fugitive, 6+6 a
30 Qui gémit sur sa pente, et se plaint à sa rive ; 6+6 a
Ah ! donnons-nous du moins ce charme consolant 6+6 b
D'entendre murmurer ce souffle en l'exhalant ! 6+6 b
Parlons ! puisqu'un vain son que suit un long silence 6+6 a
Est le seul monument de toute une existence, 6+6 a
35 La pierre qui constate une vie ici-bas ! 6+6 b
Comme ces marbres noirs qu'on élève au trépas, 6+6 b
Dans ces champs, du cercueil solitaire domaine, 6+6 a
Qui marquent d'une date une poussière humaine. 6+6 a
Et disent à noire œil de néant convaincu : 6+6 b
40 Un homme a passé là ! celte argile a vécu 6+6 b
🙫
Paroles, faible écho qui trompez le génie ! 6+6 a
Enfantement sans fruit ! douloureuse agonie 6+6 a
De l'âme consumée en efforts impuissants, 6+6 b
Qui veut se reproduire au moins dans ses accents, 6+6 b
45 Et qui, lorsqu'elle croit contempler son image, 6+6 a
Vous voit évanouir en fumée, en nuage ! 6+6 a
Ah ! du moins aujourd'hui servez mieux ma douleur ! 6+6 b
Condensez-vous, semblable à l'ardente vapeur 6+6 b
Qui s'élevant le soir des sommets de la terre, 6+6 a
50 Se condense en nuée et jaillit en tonnerre ; 6+6 a
Comme l'eau des torrents, parole, amasse-toi ! 6+6 b
Afin de révéler ce qui s'agite en moi ! 6+6 b
Pour dire à cet abîme appelé vie ou tombe, 6+6 a
A la nuit d'où je sors, à celle où je retombe, 6+6 a
55 A ce je ne sais quoi qui m'envie un instant ; 6+6 b
Pour lui dire à mon tour, sans savoir s'il m'entend : 6+6 b
Et moi je passe aussi parmi l'immense foule 6+6 a
D'êtres créés, détruits, qui devant toi s'écoule ; 6+6 a
J'ai vu, pensé, senti, souffert, et je m'en vais, 6+6 b
60 Ébloui d'un éclair qui s'éteint pour jamais. 6+6 b
Et saluant d'un cri d'horreur ou d'espérance 6+6 a
La rive que je quitte et celle où je m'élance, 6+6 a
Comme un homme jugé, condamné sans retour 6+6 b
A se précipiter du sommet d'une tour. 6+6 b
65 Au moment formidable où son pied perd la cime. 6+6 a
D'un cri de désespoir remplit du moins l'abîme ! 6+6 a
🙫
J'ai vécu ; c'est-à-dire à moi même inconnu 6+6 b
Ma mère en gémissant m'a jeté faible et nu ; 6+6 b
J'ai compté dans le ciel le coucher et l'aurore 6+6 a
70 D'un astre qui descend pour remonter encore, 6+6 a
El dont l'homme qui s'use à les compter en vain ! 6+6 b
Attend toujours trompé, toujours un lendemain ; 6+6 b
Mon âme a, quelques jours, animé de sa vie 6+6 a
Un peu de cette fange à ces sillons ravie, 6+6 a
75 Qui répugnait à vivre et tendait à la mort, 6+6 b
Faisait pour se dissoudre un éternel effort, 6+6 b
Et que par la douleur je retenais à peine ; 6+6 a
La douleur ! nœud fatal, mystérieuse chaîne, 6+6 a
Qui dans l'homme étonné réunit pour un jour 6+6 b
80 Deux natures luttant dans un contraire amour 6+6 b
Et dont chacune à part serait digne d'envie, 6+6 a
L'une dans son néant et l'autre dans sa vie, 6+6 a
Si la vie et la mort ne sont pas même, hélas ! 6+6 b
Deux mots créés par l'homme et que Dieu n'entend pas ! 6+6 b
85 Maintenant ce lien que chacun d'eux accuse, 6+6 a
Prêt à se rompre enfin sous la douleur qui l'use, 6+6 a
Laisse s'évanouir comme un rêve léger 6+6 b
L'inexplicable tout qui veut se partager ; 6+6 b
Je ne tenterai pas d'en renouer la trame. 6+6 a
90 J'abandonne à leur chance et mes sens et mon âme : 6+6 a
Qu'ils aillent où Dieu sait, chacun de leur côté. 6+6 b
Adieu monde fuyant ! nature, humanité, 6+6 b
Vaine forme de l'être, ombre d'un météore. 6+6 a
Nous nous connaissons trop pour nous tromper encore ! 6+6 a
🙫
95 Oui, je te connais trop, ô vie ! et j'ai g 6+6 b
Tous tes flots d'amertume et de félicité, 6+6 b
Depuis les doux flocons de la brillante écume 6+6 a
Qui nage aux bords dorés de (a coupe qui fume, 6+6 a
Quand l'enfant enivré lui sourit et croit voir 6+6 b
100 Une immortali dans l'aurore et le soir, 6+6 b
Ou que brisant ses bords contre sa dent avide 6+6 a
Le jeune homme d'un trait la savoure et la vide 6+6 a
Jusqu'à la lie épaisse et fade, que le temps 6+6 b
Dépose au fond du vase, et mêle aux flots restants ; 6+6 b
105 Quand de sa main tremblante un vieillard la soulève 6+6 a
Et par seule habitude en répugnant l'achève ; 6+6 a
Tu n'es qu'un faux sentier qui retourne à la mort ! 6+6 b
Un fleuve qui se perd au sable dont il sort. 6+6 b
Une dérision d'un être habile à nuire, 6+6 a
110 Qui s'amuse sans but à créer pour détruire. 6+6 a
Et qui de nous tromper se fait un divin jeu ! 6+6 b
Ou plutôt, n'es-tu pas une échelle de feu 6+6 b
Dont l'échelon brûlant s'attache au pied qui monte. 6+6 a
Et qu'il faut cependant que tout mortel affronte ? 6+6 a
🙫
115 Que tu sais bien dorer ton magique lointain ! 6+6 b
Qu'il est beau l'horizon de ton riant matin ! 6+6 b
Quand le premier amour et la fraîche espérance 6+6 a
Nous entr'ouvrent l'espace où notre âme s'élance 6+6 a
N'emportant avec soi qu'innocence et beauté, 6+6 b
120 Et que d'un seul objet notre cœur enchan 6+6 b
Dit comme Roméo : « Non, ce n'est pas l'aurore ! 6+6 a
« Aimons toujours ! l'oiseau ne chante pas encore ! » 6+6 a
Tout le bonheur de l'homme est dans ce seul instant ; 6+6 b
Le sentier de nos jours n'est vert qu'en le montant ! 6+6 b
125 De ce point de la vie où l'on en sent le terme 6+6 a
On voit s'évanouir tout ce qu'elle renferme ; 6+6 a
L'espérance reprend son vol vers l'orient ; 6+6 b
On trouve au fond de tout le vide et le néant ; 6+6 b
Avant d'avoir g l'Âme se rassasie ; 6+6 a
130 Jusque dans cet amour qui peut créer la vie 6+6 a
On entend une voix : Vous créez pour mourir ! 6+6 b
Et le baiser de feu sent un frisson courir ! 6+6 b
Quand le bonheur n'a plus ni lointain ni mystère, 6+6 a
Quand le nuage d'or laisse à nu cette terre, 6+6 a
135 Quand la vie une fois a perdu son erreur, 6+6 b
Quand elle ne ment plus, c'en est fait du bonheur ! 6+6 b
🙫
Amour, être de l'être ! amour, âme de l'âme ! 6+6 a
Nul homme plus que moi ne vécut de ta flamme ! 6+6 a
Nul brûlant de ta soif sans jamais l'épuiser 6+6 b
140 N'eût sacrifié plus pour l'immortaliser ! 6+6 b
Nul ne désira plus dans l'autre âme qu'il aime 6+6 a
De concentrer sa vie en se perdant soi-même, 6+6 a
Et dans un monde à part de toi seul habi 6+6 b
De se faire à lui seul sa propre éternité ! 6+6 b
145 Femmes ! anges mortels ! création divine ! 6+6 a
Seul rayon dont la vie un moment s'illumine ! 6+6 a
Je le dis à cette heure, heure de vérité. 6+6 b
Comme je l'aurais dit, quand devant la beau 6+6 b
Mon cœur épanoui qui se sentait éclore 6+6 a
150 Fondait comme une neige aux rayons de l'aurore 6+6 a
Je ne regrette rien de ce monde que vous ! 6+6 b
Ce que la vie humaine a d'amer et de doux, 6+6 b
Ce qui la fait brûler, ce qui trahit en elle 6+6 a
Je ne sais quel parfum de la vie immortelle. 6+6 a
155 C'est vous seules ! Par vous toute joie est amour ! 6+6 b
Ombre des biens parfaits du céleste séjour, 6+6 b
Vous êtes ici-bas la goutte sans mélange 6+6 a
Que Dieu laissa tomber de la coupe de l'ange ! 6+6 a
L'étoile qui brillant dans une vaste nuit 6+6 b
160 Dit seule à nos regards qu'un autre monde luit ! 6+6 b
Le seul garant enfin que le bonheur suprême, 6+6 a
Ce bonheur que l'amour puise dans l'amour même. 6+6 a
N'est pas un songe vain créé pour nous tenter, 6+6 b
Qu'il existe, ou plutôt qu'il pourrait exister, 6+6 b
165 Si, brûlant à jamais du feu qui nous dévore, 6+6 a
Vous et l'être ado dont l'âme vous adore, 6+6 a
L'innocence, l'amour, le désir, la beauté, 6+6 b
Pouvaient ravir aux dieux leur immortalité ! 6+6 b
🙫
Quand vous vous desséchez sur le cœur qui vous aime. 6+6 a
170 Ou que ce cœur flétri se dessèche lui-même . 6+6 a
Quand le foyer divin qui brûle encore en nous 6+6 b
Ne peut plus rallumer sa flamme éteinte en vous. 6+6 b
Que nul sein ne bat plus quand le nôtre soupire. 6+6 a
Que nul front ne rougit sous notre œil qu'il attire. 6+6 a
175 Et que la conscience avec un cri d'effroi 6+6 b
Nous dit : Ce n'est plus toi qu'elles aiment en toi ! 6+6 b
Alors, comme un esprit exilé de sa sphère 6+6 a
Se résigne en pleurant aux ombres de la terre, 6+6 a
Détachant de vos pas nos yeux voilés de pleurs, 6+6 b
180 Aux faux biens d'ici-bas nous dévouons nos cœurs ; 6+6 b
Les uns, sacrifiant leur vie à leur mémoire. 6+6 a
Adorent un écho qu'ils appellent la gloire ; 6+6 a
Ceux-ci de la faveur assiègent les sentiers 6+6 b
Et veulent au néant arriver les premiers ! 6+6 b
185 Ceux-là, des voluptés vidant la coupe infâme. 6+6 a
Pour mourir tout vivants assoupissent leur âme ; 6+6 a
D'autres, accumulant pour enfouir encor. 6+6 b
Recueillent dans la fange une poussière d'or ; 6+6 b
Mais mon œil a percé ces ombres de la vie ; 6+6 a
190 Aucun de ces faux biens que le vulgaire envie. 6+6 a
Gloire, puissance, orgueil, éprouvés tour à tour, 6+6 b
N'ont pesé dans mon cœur un soupir de l'amour, 6+6 b
D'un de ses souvenirs même effacé la trace, 6+6 a
Ni de mon âme une heure agité la surface, 6+6 a
195 Pas plus que le nuage ou l'ombre des rameaux 6+6 b
Ne ride en s'y peignant la surface des eaux. 6+6 b
Après l'amour éteint si je vécus encore, 6+6 a
C'est pour la vérité, soif aussi qui dévore ! 6+6 a
🙫
Ombre de nos désirs, trompeuse vérité, 6+6 b
200 Que de nuits sans sommeil ne m'as-tu pas cté ! 6+6 b
A moi, comme aux esprits fameux de tous les âges 6+6 a
Que l'ignorance humaine, hélas ! appela sages. 6+6 a
Tandis qu'au fond du cœur riant de leur vertu. 6+6 b
Ils disaient en mourant : Science, que sais-tu ? 6+6 b
205 Ah ! si ton pur rayon descendait sur la terre. 6+6 a
Nous tomberions frappés comme par le tonnerre ! 6+6 a
Mais ce désir est faux comme tous nos désirs ; 6+6 b
C'est un soupir de plus parmi nos vains soupirs ! 6+6 b
La tombe est de l'amour le fond lugubre et sombre . 6+6 a
210 La vérité toujours a nos erreurs pour ombre, 6+6 a
Chaque jour prend pour elle un rêve de l'esprit 6+6 b
Qu'un autre jour salue, adore et puis maudit ! 6+6 b
🙫
Avez-vous vu, le soir d'un jour mêlé d'orage, 6+6 a
Le soleil qui descend de nuage en nuage, 6+6 a
215 A mesure qu'il baisse et relire le jour 6+6 b
De ses reflets de feu les dorer tour à tour ? 6+6 b
L'œil les voit s'enflammer sous son disque qui passe. 6+6 a
Et dans ce voile ardent croit adorer sa trace ; 6+6 a
Le voilà ! dites-vous, dans la blanche toison 6+6 b
220 Que le souffle du soir balance à l'horizon ! 6+6 b
Le voici dans les feux dont celte pourpre éclate ! 6+6 a
Non, non, c'est lui qui lient ces flocons d'écarlate ! 6+6 a
Non, c'est lui qui, trahi par ce flux de clarté, 6+6 b
A fendu d'un rayon ce nuage argenté ! 6+6 b
225 Voile impuissant ! le jour sous l'obstacle étincelle ! 6+6 a
C'est lui ! la nue est pleine et la pourpre en ruisselle ! 6+6 a
Et tandis que votre œil à cette ombre attaché 6+6 b
Croit posséder enfin l'astre déjà couché, 6+6 b
La nue à vos regards fond et se décolore ; 6+6 a
230 Ce n'est qu'une vapeur qui flotte et s'évapore ; 6+6 a
Vous le cherchez plus loin, déjà, déjà trop tard ! 6+6 b
Le soleil est toujours au delà du regard ! 6+6 b
Et le suivant en vain de nuage en nuage. 6+6 a
Non, ce n'est jamais lui, c'est toujours son image ! 6+6 a
235 Voilà la vérité ! Chaque siècle à son tour 6+6 b
Croit soulever son voile et marcher à son jour. 6+6 b
Mais celle qu'aujourd'hui notre ignorance adore 6+6 a
Demain n'est qu'un nuage ; une autre est près d'éclore ! 6+6 a
A mesure qu'il marche et la proclame en vain, 6+6 b
240 La vérité qui fuit trompe l'espoir humain, 6+6 b
Et l'homme qui la voit dans ses reflets sans nombre 6+6 a
En croyant l'embrasser n'embrasse que son ombre ! 6+6 a
Mais les siècles déçus sans jamais se lasser 6+6 b
Effacent leur chemin pour le recommencer ! 6+6 b
🙫
245 La vérité complète est le miroir du monde ; 6+6 a
Du jour qui sort de lui Dieu le frappe et l'inonde, 6+6 a
Il s'y voit face à face, et seul il peut s'y voir ; 6+6 b
Quand l'homme ose toucher à ce divin miroir, 6+6 b
Il se brise en éclats sous la main des plus sages. 6+6 a
250 Et ses fragments épars sont le jouet des âges ! 6+6 a
Chaque siècle, chaque homme, assemblant ses débris, 6+6 b
Dit : Je réunirai ces lueurs des esprits, 6+6 b
Et dans un seul foyer concentrant la lumière, 6+6 a
La nature à mes yeux partra tout entière ! 6+6 a
255 Il dit, il croit, il tente, il rassemble en tous lieux 6+6 b
Les lumineux fragments d'un tout mystérieux. 6+6 b
D'un espoir sans limite eh rêvant il s'embrase. 6+6 a
Des systèmes humains il élargit la base, 6+6 a
Il encadre au hasard, dans cette immensité, 6+6 b
260 Système, opinion, mensonge, vérité ! 6+6 b
Puis, quand il croit avoir ouvert assez d'espace 6+6 a
Pour que dans son foyer l'infini se retrace, 6+6 a
Il y plonge ébloui ses avides regards, 6+6 b
Un jour foudroyant sort de ces morceaux épars ! 6+6 b
265 Mais son œil, partageant l'illusion commune. 6+6 a
Voit mille vérités où Dieu n'en a mis qu'une ! 6+6 a
Ce foyer, où le tout ne peut jamais entrer, 6+6 b
Disperse les lueurs qu'il devait concentrer ; 6+6 b
Comme nos vains pensers l'un l'autre se détruisent. 6+6 a
270 Ses rayons divergents se croisent et se brisent ; 6+6 a
L'homme brise à son tour son miroir en éclats, 6+6 b
Et dit, en blasphémant : Vérité, tu n'es pas ! 6+6 b
🙫
Non, tu n'es pas en nous ! lu n'es que dans nos songes ! 6+6 a
Le fantôme changeant de nos propres mensonges ! 6+6 a
275 Le reflet fugitif de quelque astre lointain. 6+6 b
Que l'homme croit saisir et qui fond sous sa main ! 6+6 b
L'écho vide et moqueur des mille voix de l'homme, 6+6 a
Oui nous répond toujours par le mot qu'on te nomme ! 6+6 a
Ta poursuite insensée est sa dernière erreur ! 6+6 b
280 Mais ce vain désir même a tari dans mon cœur, 6+6 b
Je ne cherche plus rien à tes clartés funèbres. 6+6 a
Je m'abandonne en paix à ces flots de ténèbres, 6+6 a
Comme le nautonnier, quand le pôle est perdu. 6+6 b
Quand sur l'étoile même un voile est étendu. 6+6 b
285 Laissant flotter la barre au gré des vagues sombres, 6+6 a
Croise les bras et siffle, et se résigne aux ombres. 6+6 a
Sûr de trouver partout la ruine et la mort, 6+6 b
Indifférent au moins par quel vent, sur quel bord ! 6+6 b
🙫
Ah ! si vous paraissiez sans ombre et sans emblème, 6+6 a
290 Source de la lumière et toi lumière même. 6+6 a
Âme de l'infini, qui resplendit de toi ! 6+6 b
Si, frappés seulement d'un rayon de la foi. 6+6 b
Nous te réfléchissions dans notre intelligence. 6+6 a
Comme une mer obscure où nage un disque immense. 6+6 a
295 Tout s'évanouirait devant ce pur soleil. 6+6 b
Comme l'ombre au matin, comme un songe au réveil ; 6+6 b
Tout s'évaporerait sous le rayon de flamme, 6+6 a
La matière, et l'esprit, et les formes, et l'âme, 6+6 a
Tout serait pour nos yeux à ta pure clarté 6+6 b
300 Ce qu'est la pâle image à la réalité ! 6+6 b
La vie, à ton aspect, ne serait plus la vie. 6+6 a
Elle s'élèverait triomphante et ravie, 6+6 a
Ou, si ta volon comprimait son transport. 6+6 b
Elle ne serait plus qu'une éternelle mort ! 6+6 b
305 Malgré le voile épais qui te cache à ma vue, 6+6 a
Voilà, voilà mon mal ! c'est ta soif qui me lue ! 6+6 a
Mon âme n'est vers toi qu'un éternel soupir, 6+6 b
Une veille, que rien ne peut plus assoupir. 6+6 b
Je meurs de ne pouvoir nommer ce que j'adore. 6+6 a
310 Et si tu m'apparais ! tu vois, je meurs encore ! 6+6 a
🙫
Et de mon impuissance à la fin convaincu, 6+6 b
Me voilà ! demandant si j'ai jamais vécu, 6+6 b
Touchant au terme obscur de mes courtes années, 6+6 a
Comptant mes pas perdus et mes heures sonnées. 6+6 a
315 Aussi surpris de vivre, aussi vide, aussi nu. 6+6 b
Que le jour où l'on dit : Un enfant m'est venu ! 6+6 b
Prêt à rentrer sous l'herbe, à tarir, à me taire, 6+6 a
Comme le filet d'eau qui, surgi de la terre, 6+6 a
Y rentre de nouveau par la terre englouti 6+6 b
320 A quelques pas du sol dont il était sorti ! 6+6 b
Seulement, celte eau fuit sans savoir qu'elle coule ; 6+6 a
Ce sable ne sait pas où la vague le roule ; 6+6 a
Ils n'ont ni sentiment, ni murmure, ni pleurs. 6+6 b
Et moi, je vis assez pour sentir que je meurs ! 6+6 b
325 Mourir ! ah ! ce seul mot fait horreur de la vie ! 6+6 a
L'éternité vaut-elle une heure d'agonie ? 6+6 a
La douleur nous précède, et nous enfante au jour, 6+6 b
La douleur à la mort nous enfante à son tour ! 6+6 b
Je ne mesure plus le temps qu'elle me laisse. 6+6 a
330 Comme je mesurais, dans ma verte jeunesse, 6+6 a
En ajoutant aux jours de longs jours à venir. 6+6 b
Mais, en les retranchant de mon court avenir. 6+6 b
Je dis : Un jour de plus, un jour de moins ; l'aurore 6+6 a
Me retranche un de ceux qui me restaient encore ; 6+6 a
335 Je ne les attends plus, comme dans mon matin, 6+6 b
Pleins, brillants, et dorés des rayons du lointain, 6+6 b
Mais ternes, mais pâlis, décolorés et vides 6+6 a
Comme une urne fêlée et dont les flancs arides 6+6 a
Laissent fuir l'eau du ciel que l'homme y cherche en vain. 6+6 b
340 Passé sans souvenir, présent sans lendemain. 6+6 b
Et je sais que le jour est semblable à la veille. 6+6 a
Et le malin n'a plus de voix qui me réveille. 6+6 a
Et j'envie au tombeau le long sommeil qu'il dort, 6+6 b
Et mon âme est dé triste comme la mort ! 6+6 b
🙫
345 Triste comme la mort ? et la mort souffre-t-elle ? 6+6 a
Le néant se plaint-il à la nuit éternelle ? 6+6 a
Ah ! plus triste cent fois que cet heureux néant 6+6 b
Qui n'a point à mourir et ne meurt pas vivant ! 6+6 b
Mon âme est une mort qui se sent et se souffre ; 6+6 a
350 Immortelle agonie ! abîme, immense gouffre, 6+6 a
Où la pensée eu vain cherchant à s'engloutir 6+6 b
En se précipitant ne peut s'anéantir ! 6+6 b
Un songe sans réveil ! une nuit sans aurore, 6+6 a
Un feu sans aliment qui brûle et se dévore !… 6+6 a
355 Une cendre brûlante où rien n'est allumé. 6+6 b
Mais où tout ce qu'on jette est soudain consumé ; 6+6 b
Un délire sans terme, une angoisse éternelle ! 6+6 a
Mon âme avec effroi regarde derrière elle 6+6 a
Et voit son peu de jours, passés, et déjà froids 6+6 b
360 Comme la feuille sèche autour du tronc des bois ; 6+6 b
Te regarde en avant et je ne vois que doute 6+6 a
Et ténèbres, couvrant le terme de la route ! 6+6 a
Mon être à chaque souffle exhale un peu de soi. 6+6 b
C'était moi qui souffrais, ce n'est déjà plus moi ! 6+6 b
365 Chaque parole emporte un lambeau de ma vie ; 6+6 a
L'homme ainsi s'évapore et passe ; et quand j'appuie 6+6 a
Sur l'instabili de cet être fuyant, 6+6 b
A ses tortures près tout semblable au néant, 6+6 b
Sur ce moi fugitif insoluble problème 6+6 a
370 Oui ne se connaît pas et doute de soi-même. 6+6 a
Insecte d'un soleil, par un rayon produit, 6+6 b
Qui regarde une aurore et rentre dans sa nuit, 6+6 b
Et que sentant en moi la stérile puissance 6+6 a
D'embrasser l'infini dans mon intelligence. 6+6 a
375 J'ouvre un regard de Dieu sur la nature et moi, 6+6 b
Que je demande à tout : Pourquoi ? pourquoi ? pourquoi : 6+6 b
Et que pour seul éclair, et pour seule réponse. 6+6 a
Dans mon second néant je sens que je m'enfonce, 6+6 a
Que je m'évanouis en regrets superflus. 6+6 b
380 Qu'encore une demande et je ne serai plus !!! 6+6 b
Alors je suis ten de prendre l'existence 6+6 a
Pour un sarcasme amer d'une aveugle puissance, 6+6 a
De lui parler sa langue ! et, semblable au mourant 6+6 b
Qui trompe l'agonie et rit en expirant. 6+6 b
385 D'abîmer ma raison dans un dernier délire 6+6 a
Et de finir aussi par un éclat de rire ! 6+6 a
🙫
Ou de dire : Vivons ! et dans la volupté 6+6 b
Noyons ce peu d'instants au néant disputé ! 6+6 b
Le soir vient ! dérobons quelques heures encore 6+6 a
390 Au temps qui nous les jette et qui nous les dévore ; 6+6 a
Enivrons-nous du moins de ce poison humain 6+6 b
Que la mort nous présente en nous cachant sa main ! 6+6 b
Jusqu'aux bords de la tombe il croît encor des roses, 6+6 a
De naissantes beautés pour le désir écloses. 6+6 a
395 Dont le cœur feint l'amour, dont l'œil sait l'imiter, 6+6 b
Et que l'orgueil ou l'or font encor palpiter ! 6+6 b
Plongeons-nous tout entiers dans ces mers de délices ; 6+6 a
Puis, au premier dégoût trouvé dans ces calices. 6+6 a
Avant l'heure où les sens de l'ivresse lassés 6+6 b
400 Font monter l'amertume et disent : C'est assez ! 6+6 b
Voilà la coupe pleine où de son ambroisie 6+6 a
Sous les traits du sommeil la mort éteint la vie ! 6+6 a
Buvons : voilà le flot qui ne fera qu'un pli 6+6 b
Et nous recouvrira d'un éternel oubli, 6+6 b
405 Glissons-y ; dérobons sa proie à l'existence ! 6+6 a
A la mort sa douleur, au destin sa vengeance. 6+6 a
Ces langueurs que la vie au fond laisse croupir. 6+6 b
Et jusqu'au sentiment de son dernier soupir ; 6+6 b
Et fût-il un réveil même à ce dernier somme. 6+6 a
410 Défions le destin de faire pis qu'un homme ! 6+6 a
🙫
Mais cette lâche idée, où je m'appuie en vain, 6+6 b
N'est qu'un roseau pliant qui fléchit sous ma main 6+6 b
Elle éclaire un moment le fond du précipice. 6+6 a
Mais comme l'incendie éclaire l'édifice, 6+6 a
415 Comme le feu du ciel dans le nuage errant 6+6 b
Éclaire l'horizon, mais en le déchirant ! 6+6 b
Ou comme la lueur lugubre et solitaire 6+6 a
De la lampe des morts qui veille sous la terre, 6+6 a
Éclaire le cadavre aride et desséché 6+6 b
420 Et le ver du sépulcre à sa proie attaché. 6+6 b
Non ! dans ce noir chaos, dans ce vide sans terme. 6+6 a
Mon âme sent en elle un point d'appui plus ferme, 6+6 a
La conscience ! instinct d'une autre vérité. 6+6 b
Oui guide par sa force et non par sa clarté, 6+6 b
425 Comme on guide l'aveugle en sa sombre carrière, 6+6 a
Par la voix, par la main, et non par la lumière. 6+6 a
Noble instinct ! conscience ! ô vérité du cœur ! 6+6 b
D'un astre encor voi prophétique chaleur ! 6+6 b
Tu m'annonces toi seule en tes mille langages 6+6 a
430 Quelque chose qui luit derrière ces nuages ! 6+6 a
Dans quelque obscuri que tu plonges mes pas, 6+6 b
Même au fond de ma nuit lu ne t'égares pas ! 6+6 b
Quand ma raison s'éteint ton flambeau luit encore ! 6+6 a
Tu dis ce qu'elle tait ; tu sais ce qu'elle ignore ; 6+6 a
435 Quand je n'espère plus, l'espérance est ta voix ; 6+6 b
Quand je ne crois plus rien, tu parles et je crois ! 6+6 b
🙫
Et ma main hardiment brise et jette loin d'elle 6+6 a
La coupe des plaisirs, et la coupe mortelle ; 6+6 a
Et mon âme qui veut vivre et souffrir encor, 6+6 b
440 Reprend vers la lumière un généreux essor. 6+6 b
Et se fait dans l'abîme où la douleur la noie 6+6 a
De l'excès de sa peine une secrète joie ; 6+6 a
Comme le voyageur parti dès le matin. 6+6 b
Qui ne voit pas encor le terme du chemin, 6+6 b
445 Trouve le ciel brûlant, le jour long, le sol rude. 6+6 a
Mais fier de ses sueurs et de sa lassitude. 6+6 a
Dit en voyant grandir les ombres des cyprès : 6+6 b
J'ai marché si longtemps que je dois être près ! 6+6 b
A ce risque fatal, je vis, je me confie ; 6+6 a
450 Et dût ce noble instinct, sublime duperie, 6+6 a
Sacrifier en vain l'existence à la mort. 6+6 b
J'aime à jouer ainsi mon âme avec le sort ! 6+6 b
A dire, en répandant au seuil d'un autre monde 6+6 a
Mon cœur comme un parfum et mes jours comme une onde : 6+6 a
455 Voyons si la vertu n'est qu'une sainte erreur, 6+6 b
L'espérance un dé faux qui trompe la douleur, 6+6 b
Et si, dans cette lutte où son regard m'anime, 6+6 a
Le Dieu serait ingrat quand l'homme est magnanime ? 6+6 a
🙫
Alors, semblable à l'ange envoyé du Très-Haut 6+6 b
460 Qui vint sur son fumier prendre Job en défaut, 6+6 b
Et qui, trouvant son cœur plus fort que ses murmures, 6+6 a
Versa l'huile du ciel sur ses mille blessures ; 6+6 a
Le souvenir de Dieu descend, et vient à moi, 6+6 b
Murmure à mon oreille, et me dit : Lève-loi ! 6+6 b
465 Et ravissant mon âme à son lit de souffrance, 6+6 a
Sous les regards de Dieu l'emporte et la balance ; 6+6 a
Et je vois l'infini poindre et se réfléchir 6+6 b
Jusqu'aux mers de soleils que la nuit fait blanchir ; 6+6 b
Il répand ses rayons et voile la nature ; 6+6 a
470 Les concentre, et c'est Dieu ; lui seul est sa mesure ; 6+6 a
Il puise sans compter les êtres et les jours 6+6 b
Dans un être et des temps qui débordent toujours ; 6+6 b
Puis les rappelle à soi comme une mer immense 6+6 a
Qui relire sa vague et de nouveau la lance, 6+6 a
475 Et la vie et la mort sont sans cesse et sans fin 6+6 b
Ce flux et ce reflux de l'océan divin ! 6+6 b
Leur grandeur est égale et n'est pas mesurée 6+6 a
Par leur vile matière ou leur courte durée ; 6+6 a
Un monde est un atome à son immensité, 6+6 b
480 Un moment est un siècle à son éternité, 6+6 b
Et je suis, moi, poussière à ses pieds dispersée 6+6 a
Autant que les soleils, car je suis sa pensée ! 6+6 a
Et chacun d'eux reçoit la loi qu'il lui prescrit, 6+6 b
La matière en matière et l'esprit en esprit ! 6+6 b
485 Graviter est la loi de ces globes de flamme ; 6+6 a
Souffrir pour expier est le destin de l'âme ; 6+6 a
Et je combats en vain l'arrêt mystérieux. 6+6 b
Et la vie et la mort, tout l'annonce à mes yeux. 6+6 b
L'une et l'autre ne sont qu'un divin sacrifice ; 6+6 a
490 Le monde a pour salut l'instrument d'un supplice : 6+6 a
Sur ce rocher sanglant où l'arbre en fut plan 6+6 b
Les temps ont vu mûrir le fruit de vérité, 6+6 b
Et quand l'homme modèle et le Dieu du mystère, 6+6 a
Après avoir parlé, voulut quitter la terre. 6+6 a
495 Il ne couronna pas son front pâle et souffrant 6+6 b
Des roses que Platon respirait en mourant ; 6+6 b
Il ne fît point descendre une échelle de flamme 6+6 a
Pour monter triomphant par les degrés de l'âme ! 6+6 a
Son échelle céleste, à lui, fut une croix, 6+6 b
500 Et son dernier soupir, et sa dernière voix 6+6 b
Une plainte à son Père, un pourquoi sans réponse 6+6 a
Tout semblable à celui que ma bouche prononce !. 6+6 a
Car il ne lui restait que le doute à souffrir. 6+6 b
Cette mort de l'esprit qui doit aussi mourir !… 6+6 b
🙫
505 Ou bien de ces hauteurs rappelant ma pensée, 6+6 a
Ma mémoire ranime une trace effacée. 6+6 a
Et de mon cœur trom rapprochant le lointain. 6+6 b
A mes soirs pâlissants rend l'éclat du matin, 6+6 b
Et de ceux que j'aimais l'image évanouie 6+6 a
510 Se lève dans mon âme ; et je revis ma vie ! 6+6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un jour, c'était aux bords où les mers du midi 6+6 b
Arrosent l'aloès de leur flot attiédi, 6+6 b
Au pied du mont brûlant dont la cendre féconde 6+6 a
Des doux vallons d'Enna fait le jardin du monde ; 6+6 a
515 C'était aux premiers jours de mon précoce été, 6+6 b
Quand le cœur porte en soi son immortalité, 6+6 b
Quand nulle feuille encor par l'orage jaunie 6+6 a
N'a tombé sous nos pas de l'arbre de la vie, 6+6 a
Quand chaque battement qui soulève le cœur 6+6 b
520 Est un immense élan vers un vague bonheur, 6+6 b
Que l'air dans notre sein n'a pas assez de place, 6+6 a
Le jour assez de feux, le ciel assez d'espace, 6+6 a
Et que le cœur plus fort que ses émotions 6+6 b
Respire hardiment le vent des passions, 6+6 b
525 Comme au réveil des flots la voile du navire 6+6 a
Appelle l'ouragan, palpite, et le respire ! 6+6 a
Et je ne connaissais de ce monde enchan 6+6 b
Que le cœur d'une mère et l'œil d'une beauté ; 6+6 b
Et j'aimais ; et l'amour, sans consumer mon âme, 6+6 a
530 Dans une âme de feu réfléchissait sa flamme, 6+6 a
Comme ce mont brûlant que nous voyons fumer 6+6 b
Embrasait cette mer, mais sans la consumer ! 6+6 b
Et notre amour était beau comme l'espérance. 6+6 a
Long comme l'avenir, pur comme l'innocence. 6+6 a
🙫
535 Et son nom ? — Eh ! qu'importe un nom ! Elle n'est plus 6+6 b
Qu'un souvenir planant dans un lointain confus, 6+6 b
Dans les plis de mon cœur une image cachée, 6+6 a
Ou dans mon œil aride une larme séchée ! 6+6 a
Et nous étions assis à l'heure du réveil. 6+6 b
540 Elle et moi, seuls, devant la mer et le soleil. 6+6 b
Sur les pieds tortueux des châtaigniers sauvages 6+6 a
Oui couronnent l'Etna de leurs derniers feuillages ; 6+6 a
Et le jour se levait aussi dans notre cœur, 6+6 b
Long, serein, rayonnant, tout lumière et chaleur ; 6+6 b
545 Les brises qui du pin touchaient les larges faîtes, 6+6 a
Y prenaient une voix et chantaient sur nos têtes. 6+6 a
Par l'aurore attiédis les purs souffles des airs 6+6 b
En vagues de parfum montaient du lit des mers, 6+6 b
Et jusqu'à ces hauteurs apportaient par bouffées 6+6 a
550 Des flots sur les rochers les clameurs étouffées. 6+6 a
Des chants confus d'oiseaux, et des roucoulements, 6+6 b
Des cliquetis d'insecte ou des bourdonnements, 6+6 b
Mille bruits dont partout la solitude est pleine. 6+6 a
Que l'oreille retrouve et perd à chaque haleine, 6+6 a
555 Témoignages de vie et de félicité. 6+6 b
Qui disaient : Tout est vie, amour et volupté ! 6+6 b
Et je n'entendais rien que ma voix et la sienne, 6+6 a
La sienne, écho vivant qui renvoyait la mienne ; 6+6 a
Et ces deux voix d'accord, vibrant à l'unisson. 6+6 b
560 Se confondaient en une et ne formaient qu'un son ! 6+6 b
🙫
Et nos yeux descendaient d'étages en étages. 6+6 a
Des rochers aux forêts, des forêts aux rivages, 6+6 a
Du rivage à la mer, dont l'écume d'abord 6+6 b
D'une frange ondoyante y dessinait le bord, 6+6 b
565 Puis, étendant sans fin son bleu semé de voiles, 6+6 a
Semblait un second ciel tout blanchissant d'étoiles ; 6+6 a
Et les vaisseaux allaient et venaient sur les eaux, 6+6 b
Rasant le flot de l'aile ainsi que des oiseaux. 6+6 b
Et quelques-uns, glissant le long des hautes plages, 6+6 a
570 Mêlaient leurs mâts tremblants aux arbres des rivages. 6+6 a
Et jusqu'à ces sommets on entendait monter 6+6 b
Les voix des matelots que le flot fait chanter ! 6+6 b
Et l'horizon no dans des vapeurs vermeilles 6+6 a
S'y perdait ; et mes yeux, plongés dans ces merveilles, 6+6 a
575 S'égarant jusqu'aux bords de ce miroir si pur, 6+6 b
Remontaient dans le ciel de l'azur à l'azur, 6+6 b
Puis venaient, éblouis, se reposer encore 6+6 a
Dans un regard plus doux que la mer et l'aurore, 6+6 a
Dans les yeux enivrés d'un être ombre du mien. 6+6 b
580 Où mon délire encor se redoublait du sien ! 6+6 b
Et nous étions en paix avec cette nature, 6+6 a
Et nous aimions ces prés, ce ciel, ce doux murmure. 6+6 a
Ces arbres, ces rochers, ces astres, cette mer ; 6+6 b
Et toute notre vie était un seul aimer ! 6+6 b
585 Et notre âme, limpide et calme comme l'onde. 6+6 a
Dans la joie et la paix réfléchissait le monde ; 6+6 a
Et les traits concentrés dans ce brillant milieu 6+6 b
Y formaient une image, et l'image était… Dieu ! 6+6 b
Et cette idée, ainsi dans nos cœurs imprimée, 6+6 a
590 N'en jaillissait point tiède, inerte, inanimée. 6+6 a
Comme l'orbe éclatant du céleste soleil, 6+6 b
Oui flotte terne et froid dans l'océan vermeil. 6+6 b
Mais vivante, et brûlante, et consumant notre âme. 6+6 a
Comme sort du bûcher une odorante flamme ! 6+6 a
595 Et nos cœurs embrasés en soupirs s'exhalaient. 6+6 b
Et nous voulions lui dire… et nos cœurs seuls parlaient ; 6+6 b
Et qui m'eût dit alors qu'un jour la grande image 6+6 a
De ce Dieu pâlirait sous l'ombre du nuage, 6+6 a
Qu'il faudrait le chercher en moi, comme aujourd'hui. 6+6 b
600 Et que le désespoir pouvait douter de lui ? 6+6 b
J'aurais ri dans mon cœur de ma crainte insensée. 6+6 a
Ou j'aurais eu pitié de ma propre pensée ! 6+6 a
Et les jours ont passé courts comme le bonheur, 6+6 b
Et les ans ont bri l'image de mon cœur. 6+6 b
605 Tout s'est évanoui !… mais le souvenir reste 6+6 a
De l'apparition matinale et céleste, 6+6 a
Et comme ces mortels des temps mystérieux 6+6 b
Que visitaient jadis des envoyés des cieux, 6+6 b
Quand leurs yeux avaient vu la divine lumière 6+6 a
610 S'attendaient à la mort et fermaient leur paupière 6+6 a
Au rayon pâlissant de mon soir obscurci, 6+6 b
Je dis : J'ai vu mon Dieu ; je puis mourir aussi ! 6+6 b
Mais celui dont la vie et l'amour sont l'ouvrage 6+6 a
N'a pas fait le miroir pour y briser l'image ! 6+6 a
🙫
615 Et, sûr de l'avenir, je remonte au passé ; 6+6 b
Quel est sur ce coteau du matin caressé, 6+6 b
Aux bords de ces flots bleus qu'un jour du matin dore, 6+6 a
Ce toit champêtre et seul d'où rejaillit l'aurore ? 6+6 a
La fleur du citronnier l'embaume, et le cyprès 6+6 b
620 L'enveloppe au couchant d'un rempart sombre et frais, 6+6 b
Et la vigne y couvrant de blanches colonnades, 6+6 a
Court en festons joyeux d'arcades en arcades ! 6+6 a
La colombe au col noir roucoule sur les toits. 6+6 b
Et sur les flots dormants se répand une voix, 6+6 b
625 Une voix qui cadence une langue divine, 6+6 a
Et d'un accent si doux que l'amour s'y devine. 6+6 a
Le portique au soleil est ouvert ; une enfant 6+6 b
Au front pur, aux yeux bleus, y guide en triomphant 6+6 b
Un lévrier folâtre aussi blanc que la neige. 6+6 a
630 Dont le regard aimant la flatte et la protège ; 6+6 a
De la plage voisine ils prennent le sentier 6+6 b
Qui serpente à travers le myrte et l'églantier ; 6+6 b
Une barque non loin, vide et légère encore, 6+6 a
Ouvre déjà sa voile aux brises de l'aurore. 6+6 a
635 Et berçant sur leurs bancs les oisifs matelots, 6+6 b
Semble attendre son maître, et bondit sur les flots ! 6+6 b
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