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LAM_7/LAM133
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE QUATRIÈME
HARMONIE X
LE PREMIER REGRET
ÉLÉGIE
Sur la plage sonore où la mer de Sorrente 6+6 a
Déroule ses flots bleus, aux pieds de l'oranger 6+6 b
Il est, près du sentier, sous la haie odorante, 6+6 a
Une pierre petite, étroite, indifférente 6+6 a
5 Aux pas distraits de l'étranger ! 8 b
La giroflée y cache un seul nom sous ses gerbes, 6+6 a
Un nom que nul écho n'a jamais répété ! 6+6 b
Quelquefois seulement le passant arrêté, 6+6 b
Lisant l'âge et la date en écartant les herbes, 6+6 a
10 Et sentant dans ses yeux quelques larmes courir, 6+6 a
Dit : Elle avait seize ans ! c'est bien tôt pour mourir ! 6+6 a
Mais pourquoi m'entrner vers ces scènes passées ? 6+6 a
Laissons le vent gémir et le flot murmurer ; 6+6 b
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées ! 6+6 a
15 Je veux rêver et non pleurer ! 8 b
Dit : Elle avait seize ans ! — Oui, seize ans ! et cet âge 6+6 a
N'avait jamais brillé sur un front plus charmant ! 6+6 b
Et jamais tout l'éclat de ce brûlant rivage 6+6 a
Ne s'était réfléchi dans un œil plus aimant ! 6+6 b
20 Moi seul, je la revois, telle que la pensée 6+6 a
Dans l'âme où rien ne meurt, vivante Ta laissée, 6+6 a
Vivante ! comme à l'heure où les yeux sur les miens. 6+6 a
Prolongeant sur la mer nos premiers entretiens, 6+6 a
Ses cheveux noirs livrés au vent qui les dénoue, 6+6 a
25 Et l'ombre de la voile errante sur sa joue, 6+6 a
Elle écoutait le chant du nocturne pêcheur, 6+6 a
De la brise embaumée aspirait la frcheur, 6+6 a
Me montrait dans le ciel la lune épanouie, 6+6 a
Comme une fleur des nuits dont l'aube est réjouie, 6+6 a
30 Et l'écume argentée ; et me disait : Pourquoi 6+6 a
Tout brille-t-il ainsi dans les airs et dans moi ? 6+6 a
Jamais ces champs d'azur semés de tant de flammes, 6+6 a
Jamais ces sables d'or où vont mourir les lames, 6+6 a
Ces mots dont les sommets tremblent au fond des cieux, 6+6 a
35 Ces golfes couronnés de bois silencieux, 6+6 a
Ces lueurs sur la côte, et ces chants sur les vagues, 6+6 a
N'avaient ému mes sens de voluptés si vagues ! 6+6 a
Pourquoi comme ce soir n'ai-je jamais rêvé ? 6+6 a
Un astre dans mon cœur s'est-il aussi levé ? 6+6 a
40 Et toi, fils du matin ! dis, à ces nuits si belles 6+6 a
Les nuits de ton pays, sans moi, ressemblaient-elles ? 6+6 a
Puis regardant sa mère assise auprès de nous, 6+6 a
Posait pour s'endormir son front sur ses genoux. 6+6 a
Mais pourquoi m'en trner vers ces scènes passées ? 6+6 a
45 Laissons le vent gémir et le flot murmurer ; 6+6 b
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées ! 6+6 a
Je veux rêver et non pleurer ! 8 b
Que son œil était pur, et sa lèvre candide ! 6+6 a
Que son ciel inondait son âme de clarté ! 6+6 b
50 Le beau lac de Némi qu'aucun souffle ne ride 6+6 a
A moins de transparence et de limpidité ! 6+6 b
Dans cette âme, avant elle, on voyait ses pensées, 6+6 a
Ses paupières, jamais sur ses beaux yeux baissées, 6+6 a
Ne voilaient son regard d'innocence rempli, 6+6 a
55 Nul souci sur son front n'avait laissé son pli ; 6+6 a
Tout folâtrait en elle : et ce jeune sourire 6+6 a
Oui plus tard sur la bouche avec tristesse expire. 6+6 a
Sur sa lèvre entr'ouverte était toujours flottant ! 6+6 a
Comme un pur arc-en-ciel sur un jour éclatant ! 6+6 a
60 Nulle ombre ne voilait ce ravissant visage, 6+6 a
Ce rayon n'avait pas traversé de nuage ! 6+6 a
Son pas insouciant, indécis, balancé, 6+6 a
Flottait comme un flot libre où le jour est bercé, 6+6 a
Ou courait pour courir ; et sa voix argentine. 6+6 a
65 Écho limpide et pur de son âme enfantine. 6+6 a
Musique de cette âme où tout semblait chanter, 6+6 a
Égayait jusqu'à l'air qui l'entendait monter ! 6+6 a
Mais pourquoi m'entrner vers ces scènes passées ? 6+6 a
Laissez le vent gémir et le flot murmurer ; 6+6 b
70 Revenez, revenez, ô mes tristes pensées ! 6+6 a
Je veux rêver et non pleurer ! 8 b
Mon image en son cœur se grava la première. 6+6 a
Comme dans l'œil qui s'ouvre, au matin, la lumière : 6+6 a
Elle ne regarda plus rien après ce jour ; 6+6 a
75 De l'heure qu'elle aima, l'univers fut amour ! 6+6 a
Elle me confondait avec sa propre vie, 6+6 a
Voyait tout dans mon âme ; et je faisais partie 6+6 a
De ce monde enchan qui flottait sous ses yeux, 6+6 a
Du bonheur de la terre et de l'espoir des cieux. 6+6 a
80 Elle ne pensait plus au temps, à la distance. 6+6 a
L'heure seule absorbait toute son existence ; 6+6 a
Avant moi cette vie était sans souvenir. 6+6 a
Un soir de ces beaux jours était tout l'avenir ! 6+6 a
Elle se confiait à la douce nature 6+6 a
85 Qui souriait sur nous ; à la prière pure 6+6 a
Qu'elle allait, le cœur plein de joie, et non de pleurs, 6+6 a
A l'autel qu'elle aimait répandre avec ses fleurs : 6+6 a
Et sa main m'entrnait aux marches de son temple, 6+6 a
Et comme un humble enfant, je suivais son exemple. 6+6 a
90 Et sa voix me disait tout bas : Prie avec moi ! 6+6 a
Car je ne comprends pas le ciel même sans toi ! 6+6 a
Mais pourquoi m'entrner vers ces scènes passées ? 6+6 a
Laissez le vent gémir et le flot murmurer ; 6+6 b
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées ! 6+6 a
95 Je veux rêver et non pleurer ! 8 b
Voyez, dans son bassin, l'eau d'une source vive 6+6 a
S'arrondir comme un lac sous son étroite rive, 6+6 a
Bleue et claire, à l'abri du vent qui va courir 6+6 a
Et du rayon brûlant qui pourrait la tarir ! 6+6 a
100 Un cygne blanc nageant sur la nappe limpide. 6+6 a
En y plongeant son cou qu'enveloppe la ride, 6+6 a
Orne sans le ternir le liquide miroir, 6+6 a
Et s'y berce au milieu des étoiles du soir ; 6+6 a
Mais si, prenant son vol vers des sources nouvelles. 6+6 a
105 Il bat le flot tremblant de ses humides ailes, 6+6 a
Le ciel s'efface au sein de l'onde qui brunit, 6+6 a
La plume à grands flocons y tombe, et la ternit, 6+6 a
Comme si le vautour, ennemi de sa race, 6+6 a
De sa mort sur les flots avait semé la trace ; 6+6 a
110 Et l'azur éclatant de ce lac enchan 6+6 a
N'est plus qu'une onde obscure où le sable a monté ! 6+6 a
Ainsi, quand je partis, tout trembla dans cette âme ; 6+6 a
Le rayon s'éteignit ; et sa mourante flamme 6+6 a
Remonta dans le ciel pour n'en plus revenir ; 6+6 a
115 Elle n'attendit pas un second avenir, 6+6 a
Elle ne languit pas de doute en espérance. 6+6 a
Et ne disputa pas sa vie à la souffrance ; 6+6 a
Elle but d'un seul trait le vase de douleur, 6+6 a
Dans sa première larme elle noya son cœur ! 6+6 a
120 Et, semblable à l'oiseau, moins pur et moins beau qu'elle, 6+6 a
Qui le soir pour dormir met son cou sous son aile, 6+6 a
Elle s'enveloppa d'un muet désespoir. 6+6 a
Et s'endormit aussi ; mais, hélas ! loin du soir ! 6+6 a
Mais pourquoi m'entrner vers ces scènes passées ? 6+6 a
125 Laissons le vent gémir et le flot murmurer ; 6+6 b
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées ! 6+6 a
Je veux rêver et non pleurer ! 8 b
Elle a dormi quinze ans dans sa couche d'argile. 6+6 a
Et rien ne pleure plus sur son dernier asile ; 6+6 a
130 Et le rapide oubli, second linceul des morts, 6+6 a
A couvert le sentier qui menait vers ces bords ; 6+6 a
Nul ne visite plus cette pierre effacée, 6+6 a
Nul n'y songe et n'y prie !excepté ma pensée, 6+6 a
Quand, remontant le flot de mes jours révolus. 6+6 a
135 Je demande à mon cœur tous ceux qui n'y sont plus ! 6+6 a
Et que, les yeux flottants sur de chères empreintes, 6+6 a
Je pleure dans mon ciel tant d'étoiles éteintes ! 6+6 a
Elle fut la première, et sa douce lueur 6+6 a
D'un jour pieux et tendre éclaire encor mon cœur ! 6+6 a
140 Mais pourquoi m'entrner vers ces scènes passées ? 6+6 a
Laissez le vent gémir et le flot murmurer ; 6+6 b
Revenez, revenez, ô mes tristes pensées ! 6+6 a
Je veux rêver et non pleurer ! 8 b
Un arbuste épineux, à la pâle verdure, 6+6 a
145 Est le seul monument que lui fit la nature ; 6+6 a
Battu des vents de mer, du soleil calciné, 6+6 a
Comme un regret funèbre au cœur enraciné. 6+6 a
Il vit dans le rocher sans lui donner d'ombrage ; 6+6 a
La poudre du chemin y blanchit son feuillage ; 6+6 a
150 Il rampe près de terre, où ses rameaux penchés, 6+6 a
Par la dent des chevreaux sont toujours retranchés ; 6+6 a
Une fleur, au printemps, comme un flocon de neige, 6+6 a
Y flotte un jour ou deux ; mais le vent qui l'assiège 6+6 a
L'effeuille avant quelle ait répandu son odeur, 6+6 a
155 Comme la vie, avant qu'elle ait charmé le cœur ! 6+6 a
Un oiseau de tendresse et de mélancolie 6+6 a
S'y pose pour chanter sur le rameau qui plie ! 6+6 a
Oh ! dis, fleur que la vie a fait sitôt flétrir, 6+6 a
N'est-il pas une terre où tout doit refleurir ?… 6+6 a
160 Remontez, remontez à ces heures passées ! 6+6 a
Vos tristes souvenirs m'aident à soupirer ! 6+6 b
Allez où va mon âme ! allez, ô mes pensées, 6+6 a
Mon cœur est plein, je veux pleurer ! 8 b
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