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| = césure
LAM_7/LAM130
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE QUATRIÈME
HARMONIE VII
HYMNE DE L'ANGE DE LA TERRE
APRÈS LA DESTRUCTION DU GLOBE
La terre n'était plus | qu'une tombe fermée ; 6+6 z
Masse informe et muette, | éteinte, inanimée, 6+6 z
Elle flottait au rang | qu'elle avait occupé, 6+6 a
Comme un vaisseau muet | que la foudre a frappé, 6+6 a
5 Quand la main qui le guide | est tombée en poussière. 6+6 b
Suit encore un moment | sa rapide carrière. 6+6 b
Puis chancelle et s'arrête, | et de ses flancs déserts 6+6 c
Ne rend plus qu'un son creux | au sourd roulis des mers 6+6 c
La vie, en remontant | à sa source suprême, 6+6 d
10 La vie avait quitté | jusqu'aux éléments même ; 6+6 d
Le dernier des vivants | d'où sou souffle avait fui 6+6 e
Était mort ; et la terre | était morte avec lui, 6+6 e
Morte avec tous ses fruits, | morte avec tout leur germe, 6+6 f
Morte avec chaque loi | que chaque règne enferme, 6+6 f
15 Morte avec tous ses bruits | et tous ses monuments, 6+6 g
Avec tous ses instincts | et tous ses sentiments ; 6+6 g
Morte avec tous ses feux | éteints dans ses abîmes, 6+6 h
Morte avec ses vapeurs | retombant de ses cimes, 6+6 h
Morte avec tous ses vents ; | et son silence seul 6+6 i
20 L'enveloppait partout | comme un morne linceul. 6+6 i
Un soleil sans rayons | de ses reflets funèbres 6+6 j
Ne pouvait que pâlir | ces flottantes ténèbres ; 6+6 j
Rien n'y réfléchissait | l'aurore ni le soir : 6+6 k
Tel dans un œil éteint | qui ne peut plus la voir, 6+6 k
25 La clarté d'un flambeau | tombe en vain ; la paupière 6+6 b
Comme un miroir terni | change en nuit la lumière. 6+6 b
C'était un point obscur | dans le vide de l'air, 6+6 l
Un cadavre flottant | sur les flots de l'éther ; 6+6 l
Et l'esprit du Seigneur, | en traversant l'espace. 6+6 m
30 Avec crainte et dégoût | s'éloignait de sa trace ; 6+6 m
Mais, semblable à l'amour | qui suivit au trépas. 6+6 n
Un seul ange du moins | ne l'abandonnait pas. 6+6 n
C'était ce grand esprit, | cette âme universelle. 6+6 o
Qui vivait, qui sentait, | qui végétait pour elle ; 6+6 o
35 Être presque divin | dont elle était le corps, 6+6 p
Qui de sa masse inerte | agitait les ressorts 6+6 p
Dont l'homme avait nié | l'intelligence obscure. 6+6 q
Ou que, sans la comprendre, | il nommait la nature. 6+6 q
Quand elle eut accompli | ses destins et ses lois, 6+6 r
40 L'Esprit avait repris | sa forme d'autrefois. 6+6 r
De céleste et d'humain | harmonieux mélange. 6+6 s
C'était un homme avec | les ailes d'un archange ; 6+6 s
Mais un homme agrandi, | sublime, colossal. 6+6 t
De cet être déchu | type primordial, 6+6 t
45 Du Dieu qui le créa | première et grande image, 6+6 u
Assis sur un coteau | de ce divin rivage. 6+6 u
Où jadis Parthénope | avait devant ses yeux 6+6 v
Réfléchi dans les mers | comme un morceau des cieux ; 6+6 v
Lieux chers à ses regards, | lieux que sa main féconde 6+6 w
50 Se plaisait à parer | comme un jardin du monde, 6+6 w
Et de l'ombre des monts, | et de l'azur des mers, 6+6 c
Et de l'éclat du ciel, | et du parfum des airs ; 6+6 c
Ses pieds penchaient d'en haut | sur un immense abîme 6+6 x
Dont l'écume des flots | avait rongé la cime ; 6+6 x
55 Lieux vides maintenant | de lumière et de bruit, 6+6 y
D'où ne remontait plus | que silence et que nuit. 6+6 y
Son coude s'appuyait | sur la crête aplatie 6+6 z
De ce mont qui, jetant | la cendre et l'incendie, 6+6 z
Secouait de ses flancs | les hameaux ébranlés ; 6+6 a
60 Ses flancs vides rendaient | des sons creux et fêlés. 6+6 a
Ses blancs cheveux tombant | comme une neige épaisse, 6+6 b
Contemporains du globe, | annonçaient sa vieillesse ; 6+6 b
Mais les membres nerveux | de cet enfant du ciel 6+6 c
Laissaient dans le vieillard | deviner l'immortel. 6+6 c
65 De ses deux larges mains | il couvrait son visage. 6+6 u
Pareilles par leur masse | à des gouttes d'orage, 6+6 u
Des larmes, de ses yeux | vainement essuyés, 6+6 a
Ruisselaient dans ses doigts, | et pleuvaient à ses piés. 6+6 a
Il comprimait en vain | cette angoisse divine ; 6+6 d
70 On entendait de loin | gronder dans sa poitrine 6+6 d
Le bruit sourd et plaintif | de ses vastes sanglots, 6+6 e
Et des cris étouffés | qu'entrecoupaient ces mots : 6+6 e
Est-ce toi, terre inanimée ? 8 z
Est-ce toi que j'ai vue, | hélas ! il n'est qu'un jour ! 6+6 f
75 Des doigts de Jéhova | l'élancer enflammée 6+6 z
Comme une étincelle allumée 8 z
Au foyer de vie et d'amour ? 8 f
Les étoiles tes sœurs pâlirent 8 g
De honte et de ravissement ; 8 h
80 Tu passas dans le ciel | et les astres jaillirent, 6+6 g
Et les vagues d'azur | sous ton poids s'assouplirent 6+6 g
Pour bercer ton globe écumant ! 8 h
Sur ton front qui venait d'éclore 8 i
Ta lune et ton soleil | combattaient de clarté. 6+6 a
85 Plus pur que ton midi, | plus doux que ton aurore, 6+6 i
Le regard de ton Dieu | te vêtissait encore 6+6 i
De vie et d'immortalité ! 8 a
Quels destins tu portais ! | — Étouffés dans leur germe, 6+6 f
Que d'êtres immortels | ton sein devait nourrir ! 6+6 j
90 Où sont-ils ? Est-il vrai ? | ce peu de cendre enferme 6+6 f
Ce qui ne dut jamais mourir ? 8 j
Et d'une étoile, hélas ! | tu n'es plus que la cendre, 6+6 k
Que le noyau d'un fruit | que le ver a rongé, 6+6 a
Qu'un rocher qui va se fendre 7 k
95 Dans le feu qui l'a jugé ! 7 a
Ah ! pleurez avec moi, | planètes ses compagnes. 6+6 l
Étoiles qui semiez | ses tentes de mille yeux. 6+6 v
Soleils dont les rayons | vêtissaient ses campagnes, 6+6 l
Nuages qui jetiez | l'ombre sur ses montagnes, 6+6 l
100 Pleurez ! la mort est dans les cieux ! 8 v
Quand tu flottais comme un navire 8 m
Dans l'écume de feu | de l'aurore ou du soir. 6+6 k
Quand les mers, se gonflant | comme un sein qui respire, 6+6 m
Venaient lécher du flot | le bord qui les attire 6+6 m
105 Et polir sous tes caps | leur onduleux miroir ! 6+6 k
Miroir où tes tableaux | que ridait le zéphire 6+6 m
Brillaient et s'effaçaient | comme un léger sourire 6+6 m
Que l'œil voudrait fixer | et ne fait qu'entrevoir ! 6+6 k
Quand tes cimes portaient | le palais des nuages, 6+6 n
110 Et que, fendant soudain | leur cintre divisé. 6+6 a
Les rayons se mêlant | aux lueurs des orages, 6+6 n
Sur les flancs des rochers sauvages 8 n
Ruisselaient de plages en plages, 8 n
Comme un éclair perçant | Sous un dôme brisé ; 6+6 a
115 Quand ce jour faux et teint | d'une couleur qui change, 6+6 s
Flottant au gré de l'aquilon, 8 o
Comme un reflet de feu | des ailes d'un archange, 6+6 s
Glissait en colorant | ton magique horizon, 6+6 o
Et frappant tour à tour | ta crête ou tes abîmes, 6+6 h
120 Faisait étinceler | tes neiges sur tes cimes. 6+6 h
Tes cascades pleuvant | dans leurs gouffres poudreux. 6+6 v
Tes hameaux blanchissant | sur un fond ténébreux. 6+6 v
Tes fleuves engouffrés | sous leur arche arrondie, 6+6 z
Et tes mers écumant | comme un vaste incendie. 6+6 z
125 Et les toits des cités | resplendissant de feux ! 6+6 v
Oh ! qui pouvait te voir | sans palpiter d'extase, 6+6 m
Sans tomber à genoux | devant ton créateur ? 6+6 p
Oh ! qui pourrait le voir | sans qu'un poids ne l'écrase. 6+6 m
Un poids comme le mien, | de honte et de malheur ? 6+6 p
130 Que d'êtres animaient | ton âme intarissable. 6+6 q
Depuis l'humble fourmi | dans ses cités de sable 6+6 q
Jusqu'à l'aigle du ciel | qui dormait sur le vent ! 6+6 h
Dans tes jeux infinis | que de force et de grâce, 6+6 m
Depuis le cygne blanc | qui vogue sur la trace 6+6 m
135 Du cygne sur l'onde glissant, 8 h
Depuis le doux ramier | dont le cou s'entrelace 6+6 m
Au cou du ramier gémissant, 8 h
Depuis le paon superbe | où l'aube peint sa roue, 6+6 r
Depuis le lévrier | dont les flancs sont la proue, 6+6 r
140 Depuis le fier coursier | au cœur obéissant, 6+6 h
Jusqu'au lourd éléphant, | tour vivante et mobile 6+6 s
Que la voix d'un enfant | par l'amour rend docile, 6+6 s
Jusqu'au lion frémissant 7 h
Oui d'un ongle courbé | creuse en vain la poussière. 6+6 b
145 Fait dans ses sourds naseaux | rugir l'air menaçant. 6+6 h
Et de son cou gonflé | secouant la crinière. 6+6 b
Renvoie obliquement | l'éclair de la lumière 6+6 b
Et n'a dans sa paupière 6 b
Que des feux et du sang ! 6 h
150 Et quelle vaste intelligence 8 u
S'élevait par degrés | de la terre au Seigneur, 6+6 p
Depuis l'instinct grossier | de la brute existence, 6+6 u
Depuis l'aveugle soif | du terrestre bonheur. 6+6 p
Jusqu'à l'âme qui loue, | et qui prie, et qui pense, 6+6 u
155 Jusqu'au soupir d'un cœur. 6 p
Qu'emporte d'un seul trait | l'immortelle espérance 6+6 u
Au sein de son auteur ! 6 p
O race aveugle ! ô race | à sa perte obstinée ! 6+6 z
Hommes qui n'avez rien | conquis que le trépas ! 6+6 n
160 Qu'aviez-vous à faire ici-bas ? 8 n
Jouir, aimer, bénir, | c'était leur destinée ! 6+6 z
L'ange enviait leur sort . | il ne leur suffit pas ! 6+6 n
Et le voilà, | cet enfant de lumière ! 4+6 b
Et le voilà, | cet héritier des cieux ! 4+6 v
165 Pas un souffle, un soupir ! | muet comme la pierre ! 6+6 b
Et toute cette poussière 7 b
Se crut une fois des dieux ! 7 v
Il dit ; et remontant | aux voûtes éternelles, 6+6 v
Il secoua de loin | la poudre de ses ailes. 6+6 v
170 Pour la revoir encore | une fois s'abaissa, 6+6 w
Puis son ombre divine | à jamais s'effaça. 6+6 w
mètre profils métriques : 8, 7, 6, 6+6, 4+6
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