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LAM_7/LAM127
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE QUATRIÈME
HARMONIE IV
POUR LE PREMIER JOUR DE L'ANNÉE
Des moments les heures sont nées, 8 a
Et les heures forment les jours, 8 b
Et les jours forment les années 8 a
Dont le siècle grossit son cours ! 8 b
5 Mais toi seul, ô mon Dieu, par siècles tu mesure» 6+6 a
Ce temps qui sous tes mains coule éternellement ! 6+6 b
L'homme compte par jours ; tes courtes créatures 6+6 a
Pour naître et pour mourir ont assez d'un moment ! 6+6 b
Combien de fois déjà les ai-je vus renaître 6+6 a
10 Ces ans si prompts à fuir, si prompts à revenir ? 6+6 b
Combien en compterai-je encore ? Un seul peut-être ; 6+6 a
Plus le passé fut plein ; plus vide est l'avenir ! 6+6 b
Cependant les mortels avec indifférence 6+6 a
Laissent glisser les jours, les heures, les moments : 6+6 b
15 L'ombre seule marque en silence 8 a
Sur le cadran rempli les pas muets du temps ! 6+6 b
On l'oublie ; et voilà que les heures fidèles 6+6 c
Sur l'airain ont sonné minuit, 8 d
Et qu'une année entière a replié ses ailes 6+6 c
20 Dans l'ombre d'une seule nuit ! 8 d
De toutes les heures qu'affronte 8 a
L'orgueilleux oubli du trépas, 8 b
Et qui sur l'airain qui les compte 8 a
En fuyant impriment leurs pas, 8 b
25 Aucune à l'oreille insensible 8 c
Ne sonne d'un glas plus terrible 8 c
Que ce dernier coup de minuit, 8 d
Oui, comme une borne fatale, 8 e
Marque d'un suprême intervalle 8 e
30 Le temps qui commence et qui fuit ! 8 d
Les autres s'éloignent et glissent 8 a
Comme des pieds sur les gazons, 8 b
Sans que leurs bruits nous avertissent 8 a
Des pas nombreux que nous faisons ; 8 b
35 Mais cette minute accomplie 8 c
Jusqu'au cœur léger qui l'oublie 8 c
Porte le murmure et l'effroi ! 8 d
Elle frémit à notre oreille, 8 e
Et loin de l'homme qu'elle éveille 8 e
40 S'envole et lui dit : Compte-moi ! 8 d
Compte-moi ! car Dieu m'a comptée 8 a
Pour sa gloire et pour ton bonheur ! 8 b
Compte-moi ! je te fus prêtée. 8 a
Et tu me devras au Seigneur ! 8 b
45 Compte-moi ! car l'heure sonnée 8 c
Emporte avec elle une année, 8 c
En amène une autre demain ! 8 d
Compte-moi ! car le temps me presse ! 8 e
Compte-moi ! car je fuis sans cesse 8 e
50 Et ne reviens jamais en vain ! 8 d
Seigneur ! père des temps, maître des destinées ! 6+6 a
Qui comptes comme un jour nos mille et mille années, 6+6 a
Et qui vois du sommet de ton éternité 6+6 b
Les jours qui ne sont plus, ceux qui n'ont pas été ! 6+6 b
55 Toi qui sais d'un regard, avant qu'il ait eu l'être, 6+6 a
Quel fruit porte en son sein le siècle qui va naître ! 6+6 a
Que m'apporte, ô mon Dieu, dans ses douteuses mains, 6+6 b
Ce temps qui fait l'espoir ou l'effroi des humains ? 6+6 b
A mes jours mélangés cette année ajoutée 6+6 a
60 Par la grâce et l'amour a-t-elle été comptée ? 6+6 a
Faut-il la saluer comme un présent de toi. 6+6 b
Ou lui dire en tremblant : Passe et fuis loin de moi ! 6+6 b
Les autres tour à tour ont passé les mains pleines 6+6 a
De désirs, de regrets, de larmes et de peines. 6+6 a
65 D'apparences sans corps trompant l'âme et les yeux. 6+6 b
De délices d'un jour et d'éternels adieux, 6+6 b
De fruit empoisonnés dont l'écorce perfide 6+6 a
Ne laissait dans mon cœur qu'une poussière aride ! 6+6 a
Mon cœur leur demandait ce qu'elles n'avaient pas. 6+6 b
70 Et ma bouche à la fin disait toujours : Hélas ! 6+6 b
Et qu'attendre de plus des siècles et du monde ? 6+6 a
Je fondais sur le sable et je semais sur l'onde. 6+6 a
Il est temps, ô mon Dieu ! que mon cœur détrompé, 6+6 b
Et de ta seule image à jamais occupé, 6+6 b
75 Te consacre à toi seul ces rapides années 6+6 a
Par mille autres désirs si longtemps profanées. 6+6 a
Et de tenter enfin si des jours pleins de toi 6+6 b
Dont la lyre et l'autel seraient le seul emploi. 6+6 b
Dont l'étude et l'amour de tes saintes merveilles 6+6 a
80 Jusqu'au milieu des nuits prolongeraient les veilles, 6+6 a
Et dont l'humble prière en marquant les instants, 6+6 b
Chargerait d'un soupir chacun des pas du temps, 6+6 b
S'enfuiront loin de moi d'un vol aussi rapide 6+6 a
Et laisseront mon âme aussi vaine, aussi vide. 6+6 a
85 Que ce temps qui ne laisse en achevant son cours 6+6 b
Rien, qu'un chiffre de plus au nombre de mes jours ! 6+6 b
Bénis donc cette grande aurore 8 a
Qui m'éclaire un nouveau chemin ; 8 b
Bénis en la faisant éclore 8 a
90 L'heure que tu tiens dans ta main ! 8 b
Si nos ans ont aussi leur germe 8 c
Dans cette heure qui le renferme, 8 c
Bénis la suite de mes ans ! 8 d
Comme sur tes tables propices 8 e
95 Tu consacrais dans leurs prémices 8 e
La terre et les fruits de nos champs ! 8 d
Que chaque instant, chaque minute 8 a
Te prie et te loue avec moi ! 8 b
Que le sablier dans sa chute 8 a
100 Entraîne ma pensée à toi ! 8 b
Qu'un soupir à chaque seconde 8 c
De mon cœur s'élève et réponde ; 8 c
Que chaque aurore en remontant, 8 d
Chaque nuit en pliant son aile. 8 e
105 Te dise : « Toute heure est fidèle. 8 e
Compte la gloire en les comptant ! 8 d
Mais si des jours que tu fais naître 8 a
Chaque instant me reporte à toi. 8 b
Toi, dont la pensée est mon être, 8 a
110 Souviens-toi sans cesse de moi ! 8 b
Donne-moi ce que le pilote 8 c
Sur l'abîme où sa barque flotte 8 c
Te demande pour aujourd'hui ! 8 d
Un flot calme, un vent dans sa voile, 8 e
115 Toujours sur sa tête une étoile, 8 e
Une espérance devant lui ! 8 d
Presse à ton gré, ralentis l'ombre 8 a
Qui mesure nos courts instants ! 8 b
Ajoute ou retranche le nombre 8 a
120 Que ton doigt impose à nos ans ! 8 b
Ne l'augmente pas d'une aurore ! 8 c
Le grain sait quand il doit éclore, 8 c
L'épi sait quand il faut mûrir ! 8 d
Un jour le flétrirait peut-être. 8 e
125 Seul tu savais l'heure de naître, 8 e
Seul tu sais l'heure de mourir ! 8 d
Qu'enfin sur l'éternelle plage 8 a
Où l'on comprend le mot Toujours ! 8 b
Je touche, porté sans orage 8 a
130 Par le flux expirant des jours ! 8 b
Comme un homme que le flot pousse 8 c
Vient d'un pied toucher sans secousse 8 c
La marche solide du port. 8 d
Et de l'autre, loin de la rive. 8 e
135 Repousse à l'onde qui dérive 8 e
L'esquif qui l'a conduit au bord ! 8 d
mètre profils métriques : 8, 6+6
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