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| = césure
LAM_7/LAM116
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE TROISIÈME
HARMONIE IV
LE RETOUR
Au comte Xavier de Maistre,
AUTEUR DU LÉPREUX.
Salut au nom des cieux, | des monts et des rivages 6+6 a
Où s'écoulèrent tes beaux jours, 8 b
Voyageur fatigué | qui reviens sur nos plages 6+6 a
Demander à tes champs | leurs antiques ombrages, 6+6 a
5 A ton cœur ses premiers amours ! 8 b
Que de jours ont passé | sur ces chères empreintes ! 6+6 a
Que d'adieux éternels ! | que de rêves déçus ! 6+6 b
Que de liens brisés ! | que d'amitiés éteintes ! 6+6 a
Que d'échos assoupis | qui ne répondent plus ! 6+6 b
10 Moins de flots ont roulé | sur les sables de Laisse1, 6+6 a
Moins de rides d'azur | ont sillonné son sein. 6+6 b
Et des arbres vieillis | qui couvraient ta jeunesse, 6+6 a
Moins de feuilles d'automne | ont jonché le chemin ! 6+6 b
Ah ! de nos jours mortels | trop rapide est la course, 6+6 a
15 On regrette la vie | avant d'avoir vécu ! 6+6 b
El le flot qui jamais | ne remonte à sa source, 6+6 a
Ne revoit pas deux fois | le doux bord qu'il a vu ! 6+6 b
Ah ! si du moins dans nos années 8 a
Les jours perdus ne comptaient pas ! 8 b
20 Si les jalouses destinées 8 a
Les oubliaient sous leur compas ! 8 b
Mais hélas ! la mousse ou la lie 8 a
Du calice étroit de la vie 8 a
Comble également les contours ! 8 a
25 Quand il est tari, l'homme expire ; 8 b
Les pleurs comptent pour le sourire, 8 b
Les nuits d'exil pour de beaux jours ! 8 a
Je sais qu'après un long orage, 8 a
Brisé d'efforts et de douleur. 8 b
30 Tu fus recueilli sur la plage 8 a
Par un peuple ami du malheur ! 8 b
Qu'une juste reconnaissance, 8 a
Comme une seconde naissance, 8 a
T'apprit à bénir d'autres lieux, 8 a
35 Qu'au sein d'une épouse chérie, 8 b
L'amour le fit une patrie 8 b
Loin des tombeaux de tes aïeux ! 8 a
Cependant il est doux | de respirer encore 6+6 a
Cet air du ciel natal | où l'on croit rajeunir, 6+6 b
40 Cet air qu'on respira | dès sa première aurore, 6+6 a
Cet air tout embaumé | d'antiques souvenirs ! 6+6 b
Il est doux de le voir | balancer le feuillage 6+6 a
Du chêne couronné | qui prêta son ombrage 6+6 a
A nos rêves au fond des bois. 8 a
45 Ou, comme un vieil ami | dont on connaît la voix, 6+6 a
De l'entendre siffler | sur l'herbe des collines, 6+6 b
Et prolonger le soir, | à travers les ruines. 6+6 b
Les sourds murmures d'autrefois ! 8 a
Il est doux de s'asseoir | au foyer de ses pères, 6+6 a
50 A ce foyer jadis | de vertus couronné, 6+6 b
Et de dire, en montrant | le siège abandonné : 6+6 b
Ici chantait ma sœur, | là méditaient mes frères. 6+6 a
Là ma mère allaitait | son charmant nouveau-né ; 6+6 b
Là le vieux serviteur | nous contait l'aventure 6+6 a
55 Des deux jumeaux perdus | dans la forêt obscure ; 6+6 a
Là le fils de la veuve | emportait notre pain ; 6+6 a
Là, sur le seuil couvert | de deux figuiers antiques, 6+6 b
A l'heure où les brebis | rentraient aux toits rustiques. 6+6 b
Le chien du mendiant | venait lécher ma main ! 6+6 a
60 Notre âme, en remontant | à ses premières heures. 6+6 a
Ranime tour à tour | ces fantômes chéris 6+6 b
El s'attache aux débris | de ces chères demeures, 6+6 a
S'il en reste au moins un débris ! 8 b
Ainsi quand nous cherchons | en vain dans nos pensées 6+6 a
65 D'un air qui nous charmait | les traces effacées. 6+6 a
Si quelque souffle harmonieux 8 a
Effleurant au hasard | la harpe détendue, 6+6 b
En tire seulement | une note perdue, 6+6 b
Des larmes roulent dans nos yeux ! 8 a
70 D'un seul son retrouvé | l'air entier se réveille. 6+6 c
Il rajeunit notre âme | et remplit notre oreille 6+6 c
D'un souvenir mélodieux ! 8 a
O sensible exilé ! | tu les as retrouvées 6+6 a
Ces images de loin, | toujours, toujours rêvées, 6+6 a
75 Et ces débris vivants | de tes jours de bonheur 6+6 a
Tes yeux ont contemplé | tes montagnes si chères. 6+6 b
Et ton berceau champêtre, | et le toit de tes pères ; 6+6 b
Et des flots de tristesse | ont monté dans ton cœur ! 6+6 a
Nous passons ! nous passons ! | ce refrain monotone. 6+6 a
80 Hélas ! est toujours neuf | et toujours répété ; 6+6 b
Tant l'homme, que toujours | son inconstance étonne, 6+6 a
Se sent fait pour l'éternité ! 8 b
Nous passons ! et déjà | dans la race nouvelle, 6+6 a
Ton œil sous les vieux noms | voit des hommes nouveaux ; 6+6 b
85 Ton cœur qui l'interroge | est étranger pour elle, 6+6 a
Et tu connaîtrais mieux | le peuple des tombeaux. 6+6 b
De ses longs souvenirs | retrouvant quelque trace, 6+6 a
A peine un vieil ami | qui s'éveille à ton nom 6+6 b
Demande si c'est là | ce conteur plein de grâce 6+6 a
90 Qui, sous son prisme heureux | multipliant l'espace, 6+6 a
Entre les quatre murs | de son étroit donjon, 6+6 b
Voyageait si gaîment | autour de sa prison ? 6+6 b
Non, non, c'est le lépreux | étranger sur la terre, 6+6 a
Qui, le soir, du sommet | de sa tour solitaire, 6+6 a
95 Contemple en soupirant | les fêtes du hameau. 6+6 a
Et, dans ce peuple heureux | ne comptant plus de frères, 6+6 b
Plus d'amante ou de sœur | dans toutes ces bergères. 6+6 b
Met la main sur ses yeux | et demande un tombeau ! 6+6 a
Cependant, du génie | aimable privilège, 6+6 a
100 Ton front se couvre en vain | de sa première neige. 6+6 a
L'infortune et l'exil, | et la mort et le temps 6+6 a
Ont en vain décimé | tes amis de vingt ans ; 6+6 a
Séduits par tes écrits, | enchaînés par ta grâce. 6+6 a
Des amis inconnus | viennent briguer leur place. 6+6 a
105 Ils renaîtront pour toi | jusqu'à tes derniers jours ; 6+6 a
Que dis-je ? Quand la mort, | sous un vert mausolée. 6+6 b
Rendant un peu de terre | à ton ombre exilée. 6+6 b
Couvrira de gazon | le fils de la vallée. 6+6 b
Des amis ? ta mémoire | en gardera toujours ; 6+6 a
110 Ils y viendront pleurer | et cette grâce attique. 6+6 a
Et cet accent naïf, | tendre, mélancolique. 6+6 a
Qui sans les demander | fait ruisseler nos pleurs ; 6+6 a
De leurs jeunes vertus | tu nourriras la flamme ; 6+6 b
Et se sentant meilleurs, | ils diront : C'est son âme 6+6 b
115 Qui de ses doux écrits | a passé dans nos cœurs ! 6+6 a
Mais quelle est, diras-tu, | cette voix inconnue 6+6 a
Qui sous mon propre toit | m'accueille et me salue ? 6+6 a
Aux rives de mon lac | cet ami m'est-il né ? 6+6 a
A-t-il respiré l'air | de ma tiède vallée. 6+6 b
120 Ou foulé sous ses pas | l'herbe que j'ai foulée 6+6 b
Au pied du Nivolay2 |d'étoiles couronné ? 6+6 a
De quel droit ose-t-il, | étranger sur ces rives ?… 6+6 a
… Étranger ? J'en appelle | à tes vagues plaintives. 6+6 a
Beau lac dont j'ai souvent | recueilli les accords ; 6+6 a
125 Torrents aux flots glacés, | j'en appelle à vos bords, 6+6 a
A vous, vallons de paix ! | à vous, simples demeures 6+6 a
Où l'hospitalité | me fit bénir les heures ! 6+6 a
Où ton nom si souvent | par les tiens répété 6+6 a
Me donna sur ton cœur | un droit de parenté. 6+6 a
130 J'habitai plus que toi | ces fortunés rivages, 6+6 a
J'adorai, j'aime encor | ces monts coiffés d'orages, 6+6 a
Où la simplicité | des âmes et des mœurs 6+6 a
Garde aux vieilles vertus | l'asile de vos cœurs ; 6+6 a
Où la jeune amitié | m'accueillit dès l'aurore, 6+6 a
135 Où l'amitié plus mûre | est aussi tendre encore, 6+6 a
Où l'amour disparu | dans l'ombre du trépas 6+6 a
Laissa partout pour moi | l'empreinte de ses pas, 6+6 a
Et colore à mes yeux | vos flots et vos collines 6+6 a
Ou d'un deuil éternel | ou de splendeurs divines ! 6+6 a
140 Où j'ai trouvé plus tard | cet unique trésor 6+6 a
Plus rare que l'encens, | plus précieux que l'or. 6+6 a
Charme, ornement, repos, | colonne de la vie. 6+6 a
Enfin où d'une sœur | dort la cendre chérie ! 6+6 a
Où mes neveux un jour, | de la gloire héritiers. 6+6 a
145 Trouveront nos deux noms | unis dans leurs quartiers : 6+6 a
Voilà, voilà mes droits, | plus chers que les tiens même. 6+6 a
On est toujours, crois-moi, | du pays que l'on aime ; 6+6 a
Mais si ton cœur jugeait | ces titres mal acquis. 6+6 a
J'aimerais malgré toi | la terre où tu naquis !… 6+6 a
Nom d'un torrent de Savoie.
Montagne de Savoie.
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