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LAM_7/LAM114
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE TROISIÈME
HARMONIE II
MILLY
OU
LA TERRE NATALE
Pourquoi le prononcer ce nom de la patrie ? 6+6 a
Dans son brillant exil mon cœur en a frémi ; 6+6 b
Il résonne de loin dans mon âme attendrie. 6+6 a
Comme les pas connus ou la voix d'un ami. 6+6 b
5 Montagnes que voilait le brouillard de l'automne. 6+6 a
Vallons que tapissait le givre du matin, 6+6 b
Saules dont l'émondeur effeuillait la couronne. 6+6 a
Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain, 6+6 b
Murs noircis par les ans, coteaux, sentier rapide. 6+6 a
10 Fontaine où les pasteurs accroupis tour à tour 6+6 b
Attendaient goutte à goutte une eau rare et limpide, 6+6 a
Et, leur urne à la main, s'entretenaient du jour ; 6+6 b
Chaumière où du foyer étincelait la flamme, 6+6 a
Toits que le pèlerin aimait à voir fumer, 6+6 b
15 Objets inanimés, avez-vous donc une âme 6+6 a
Qui s'attache à notre âme et la force d'aimer ? 6+6 b
J'ai vu des cieux d'azur, où la nuit est sans voiles, 6+6 a
Dorés jusqu'au malin sous les pieds des étoiles. 6+6 a
Arrondir sur mou front, dans leur arc infini, 6+6 b
20 Leur dôme de cristal qu'aucun vent n'a terni ! 6+6 b
J'ai vu des monts voilés de citrons et d'olives 6+6 a
Réfléchir dans les flots leurs ombres fugitives, 6+6 a
Et dans leurs frais vallons, au souffle du zéphyr, 6+6 b
Bercer sur l'épi mûr le cep prêt à mûrir ; 6+6 b
25 Sur des bords où les mers ont à peine un murmure, 6+6 a
J'ai vu des flots brillants l'onduleuse ceinture 6+6 a
Presser et relâcher dans l'azur de ses plis 6+6 b
De leurs caps dentelés les contours assouplis, 6+6 b
S'étendre dans le golfe en nappes de lumière, 6+6 a
30 Blanchir l'écueil fumant de gerbes de poussière, 6+6 a
Porter dans le lointain d'un occident vermeil 6+6 b
Des îles qui semblaient le lit d'or du soleil, 6+6 b
Ou s'ouvrant devant moi sans rideau, sans limite, 6+6 a
Me montrer l'infini que le mystère habite ! 6+6 a
35 J'ai vu ces fiers sommets, pyramides des airs, 6+6 b
Où l'été repliait le manteau des hivers. 6+6 b
Jusqu'au sein des vallons descendant par étages, 6+6 a
Entrecouper leurs flancs de hameaux et d'ombrages. 6+6 a
De pics et de rochers ici se hérisser, 6+6 b
40 En pentes de gazon plus loin fuir et glisser, 6+6 b
Lancer en arcs fumants, avec un bruit de foudre, 6+6 a
Leurs torrents en écume et leurs fleuves en poudre, 6+6 a
Sur leurs flancs éclairés, obscurcis tour à tour, 6+6 b
Former des vagues d'ombre et des îles de jour, 6+6 b
45 Creuser de frais vallons que la pensée adore, 6+6 a
Remonter, redescendre et remonter encore, 6+6 a
Puis des derniers degrés de leurs vastes remparts, 6+6 b
A travers les sapins et les chênes épars. 6+6 b
Dans le miroir des lacs qui dorment sous leur ombre 6+6 a
50 Jeter leurs reflets verts ou leur image sombre, 6+6 a
Et sur le tiède azur de ces limpides eaux 6+6 b
Faire onduler leur neige et flotter leurs coteaux ! 6+6 b
J'ai visité ces bords et ce divin asile 6+6 a
Qu'a choisis pour dormir l'ombre du doux Virgile, 6+6 a
55 Ces champs que la Sibylle à ses yeux déroula. 6+6 b
Et Cume, et l'Élysée ; et mon cœur n'est pas là !… 6+6 b
Mais il est sur la terre une montagne aride 6+6 a
Qui ne porte en ses flancs ni bois ni flot limpide, 6+6 a
Dont par l'effort des ans l'humble sommet miné, 6+6 b
60 Et sous son propre poids jour par jour incliné, 6+6 b
Dépouillé de son sol fuyant dans les ravines, 6+6 a
Garde à peine un buis sec qui montre ses racines, 6+6 a
Et se couvre partout de rocs prêts à crouler 6+6 b
Que sous son pied léger le chevreau fait rouler. 6+6 b
65 Ces débris, par leur chute, ont formé d'âge en âge 6+6 a
Un coteau qui décroît et, d'étage en étage. 6+6 a
Porte, à l'abri des murs dont ils sont étayés, 6+6 b
Quelques avares champs de nos sueurs payés, 6+6 b
Quelques ceps dont les bras, cherchant en vain l'érable, 6+6 a
70 Serpentent sur la terre ou rampent sur le sable, 6+6 a
Quelques buissons de ronce, où l'enfant des hameaux 6+6 b
Cueille un fruit oublié qu'il dispute aux oiseaux ; 6+6 b
Où la maigre brebis des chaumières voisines 6+6 a
Broute en laissant sa laine en tribut aux épines ; 6+6 a
75 Lieux que ni le doux bruit des eaux pendant l'été, 6+6 b
Ni le frémissement du feuillage agité, 6+6 b
Ni l'hymne aérien du rossignol qui veille, 6+6 a
Ne rappellent au cœur, n'enchantent pour l'oreille ; 6+6 a
Mais que, sous les rayons d'un ciel toujours d'airain, 6+6 b
80 La cigale assourdit de son cri souterrain. 6+6 b
Il est dans ces déserts un toit rustique et sombre 6+6 a
Que la montagne seule abrite de son ombre, 6+6 a
Et dont les murs, battus par la pluie et les vents, 6+6 b
Portent leur âge écrit sur la mousse des ans. 6+6 b
85 Sur le seuil désuni de trois marches de pierre 6+6 a
Le hasard a planté les racines d'un lierre 6+6 a
Qui, redoublant cent fois ses nœuds entrelacés. 6+6 b
Cache l'affront du temps sous ses bras élancés. 6+6 b
Et, recourbant en arc sa volute rustique, 6+6 a
90 Fait le seul ornement du champêtre portique. 6+6 a
Un jardin qui descend au revers d'un coteau, 6+6 b
Y présente au couchant son sable altéré d'eau ; 6+6 b
La pierre sans ciment, que l'hiver a noircie, 6+6 a
En borne tristement l'enceinte rétrécie ; 6+6 a
95 La terre, que la bêche ouvre à chaque saison, 6+6 b
Y montre à nu son sein sans ombre et sans gazon ; 6+6 b
Ni tapis émaillés, ni cintres de verdure. 6+6 a
Ni ruisseau sous des bois, ni fraîcheur, ni murmure ; 6+6 a
Seulement sept tilleuls par le soc oubliés. 6+6 b
100 Protégeant un peu d'herbe étendue à leurs piés, 6+6 b
Y versent dans l'automne une ombre tiède et rare. 6+6 a
D'autant plus douce au front sous un ciel plus avare ; 6+6 a
Arbres dont le sommeil et des songes si beaux 6+6 b
Dans mon heureuse enfance habitaient les rameaux ! 6+6 b
105 Dans le champêtre enclos qui soupire après l'onde. 6+6 a
Un puits dans le rocher cache son eau profonde, 6+6 a
Où le vieillard qui puise, après de longs efforts, 6+6 b
Dépose en gémissant son urne sur les bords ; 6+6 b
Une aire où le fléau sur l'argile étendue 6+6 a
110 Bat à coups cadencés la gerbe répandue, 6+6 a
Où la blanche colombe et l'humble passereau 6+6 b
Se disputent l'épi qu'oublia le râteau ; 6+6 b
Et sur la terre épars des instruments rustiques, 6+6 a
Des jougs rompus, des chars dormant sous les portiques, 6+6 a
115 Des essieux dont l'ornière a brisé les rayons. 6+6 b
Et des socs émoussés qu'ont usés les sillons. 6+6 b
Rien n'y console l'œil de sa prison stérile, 6+6 a
Ni les dômes dorés d'une superbe ville, 6+6 a
Ni le chemin poudreux, ni le fleuve lointain, 6+6 b
120 Ni les toits blanchissants aux clartés du matin ; 6+6 b
Seulement, répandus de distance en distance, 6+6 a
De sauvages abris qu'habite l'indigence, 6+6 a
Le long d'étroits sentiers en désordre semés, 6+6 b
Montrent leur toit de chaume et leurs murs enfumés, 6+6 b
125 Où le vieillard, assis au bord de sa demeure. 6+6 a
Dans son berceau de jonc endort l'enfant qui pleure, 6+6 a
Enfin un sol sans ombre et des cieux sans couleur, 6+6 b
Et des vallons sans onde ! — Et c'est là qu'est mon cœur ! 6+6 b
Ce sont là les séjours, les sites, les rivages 6+6 a
130 Dont mon âme attendrie évoque les images. 6+6 a
Et dont pendant les nuits mes songes les plus beaux 6+6 b
Pour enchanter mes yeux composent leurs tableaux ! 6+6 b
Là chaque heure du jour, chaque aspect des montagnes, 6+6 a
Chaque son qui le soir s'élève des campagnes. 6+6 a
135 Chaque mois qui revient, comme un pas des saisons, 6+6 b
Reverdir ou faner les bois ou les gazons, 6+6 b
La lune qui décroît et s'arrondit dans l'ombre. 6+6 a
L'étoile qui gravit sur la colline sombre. 6+6 a
Les troupeaux des hauts lieux chassés par les frima ?. 6+6 b
140 Des coteaux aux vallons descendant pas à pas, 6+6 b
Le vent, l'épine en fleurs, l'herbe verte ou flétrie. 6+6 a
Le soc dans le sillon, l'onde dans la prairie. 6+6 a
Tout m'y parle une langue aux intimes accents 6+6 b
Dont les mots entendus dans l'âme et dans les sens. 6+6 b
145 Sont des bruits, des parfums, des foudres, des orages, 6+6 a
Des rochers, des torrents, et ces douces images, 6+6 a
Et ces vieux souvenirs dormant au fond de nous, 6+6 b
Qu'un site nous conserve et qu'il nous rend plus doux. 6+6 b
Là mon cœur en tout lieu se retrouve lui-même ! 6+6 a
150 Tout s'y souvient de moi, tout m'y connaît, tout m'aime ! 6+6 a
Mon œil trouve un ami dans tout cet horizon, 6+6 b
Chaque arbre a son histoire et chaque pierre un nom. 6+6 b
Qu'importe que ce nom, comme Thèbe ou Palmyre, 6+6 a
Ne nous rappelle pas les fastes d'un empire, 6+6 a
155 Le sang humain versé pour le choix des tyrans, 6+6 b
Ou ces fléaux de Dieu que l'homme appelle grands ? 6+6 b
Ce site où la pensée a rattaché sa trame, 6+6 a
Ces lieux encor tout pleins des fastes de notre âme. 6+6 a
Sont aussi grands pour nous que ces champs du destin 6+6 b
160 Où naquit, où tomba quelque empire incertain : 6+6 b
Rien n'est vil ! rien n'est grand ! l'âme en est la mesure ! 6+6 a
Un cœur palpite au nom de quelque humble masure. 6+6 a
Et sous les monuments des héros et des dieux 6+6 b
Le pasteur passe et siffle en détournant les yeux ! 6+6 b
165 Voilà le banc rustique où s'asseyait mon père, 6+6 a
La salle où résonnait sa voix mâle et sévère, 6+6 a
Quand les pasteurs assis sur leurs socs renversés 6+6 b
Lui comptaient les sillons par chaque heure tracés. 6+6 b
Ou qu'encor palpitant des scènes de sa gloire, 6+6 a
170 De l'échafaud des rois il nous disait l'histoire. 6+6 a
Et, plein du grand combat qu'il avait combattu. 6+6 b
En racontant sa vie enseignait la vertu ! 6+6 b
Voilà la place vide où ma mère à toute heure 6+6 a
Au plus léger soupir sortait de sa demeure, 6+6 a
175 Et. nous faisant porter ou la laine ou le pain, 6+6 b
Vêtissait l'indigence ou nourrissait la faim ; 6+6 b
Voilà les toits de chaume où sa main attentive 6+6 a
Versait sur la blessure ou le miel ou l'olive. 6+6 a
Ouvrait près du chevet des vieillards expirants 6+6 b
180 Ce livre où l'espérance est permise aux mourants. 6+6 b
Recueillait leurs soupirs sur leur bouche oppressée. 6+6 a
Faisait tourner vers Dieu leur dernière pensée, 6+6 a
Et tenant par la main les plus jeunes de nous, 6+6 b
A la veuve, à l'enfant, qui tombaient à genoux, 6+6 b
185 Disait, en essuyant les pleurs de leurs paupières : 6+6 a
Je vous donne un peu d'or, rendez-leur vos prières ! 6+6 a
Voilà le seuil, à l'ombre, où son pied nous berçait, 6+6 b
La branche du figuier que sa main abaissait ; 6+6 b
Voici l'étroit sentier où, quand l'airain sonore, 6+6 a
190 Dans le temple lointain vibrait avec l'aurore, 6+6 a
Nous montions sur sa trace à l'autel du Seigneur 6+6 b
Offrir deux purs encens, innocence et bonheur ! 6+6 b
C'est ici que sa voix pieuse et solennelle 6+6 a
Nous expliquait un Dieu que nous sentions en elle, 6+6 a
195 Et nous montrant l'épi dans son germe enfermé, 6+6 b
La grappe distillant son breuvage embaumé, 6+6 b
La génisse en lait pur changeant le suc des plantes. 6+6 a
Le rocher qui s'entr'ouvre aux sources ruisselantes, 6+6 a
La laine des brebis dérobée aux rameaux 6+6 b
200 Servant à tapisser les doux nids, des oiseaux, 6+6 b
Et le soleil exact à ses douze demeures, 6+6 a
Partageant aux climats les saisons et les heures, 6+6 a
Et ces astres des nuits que Dieu seul peut compter. 6+6 b
Mondes où la pensée ose à peine monter. 6+6 b
205 Nous enseignait la foi par la reconnaissance, 6+6 a
Et faisait admirer à notre simple enfance 6+6 a
Comment l'astre et l'insecte invisible à nos yeux 6+6 b
Avaient, ainsi que nous, leur père dans les cieux ! 6+6 b
Ces bruyères, ces champs, ces vignes, ces prairies, 6+6 a
210 Ont tous leurs souvenirs et leurs ombres chéries. 6+6 a
Là, mes sœurs folâtraient, et le vent dans leurs jeux 6+6 b
Les suivait en jouant avec leurs blonds cheveux ! 6+6 b
Là, guidant les bergers aux sommets des collines, 6+6 a
J'allumais des bûchers de bois mort et d'épines, 6+6 a
215 Et mes yeux, suspendus aux flammes du foyer, 6+6 b
Passaient heure après heure à les voir ondoyer. 6+6 b
Là, contre la fureur de l'aquilon rapide 6+6 a
Le saule caverneux nous prêtait son tronc vide, 6+6 a
Et j'écoutais siffler dans son feuillage mort 6+6 b
220 Des brises dont mon âme a retenu l'accord. 6+6 b
Voilà le peuplier qui, penché sur l'abîme, 6+6 a
Dans la saison des nids nous berçait sur sa cîme, 6+6 a
Le ruisseau dans les prés dont les dormantes eaux 6+6 b
Submergeaient lentement nos barques de roseaux, 6+6 b
225 Le chêne, le rocher, le moulin monotone, 6+6 a
Et le mur au soleil où, dans les jours d'automne, 6+6 a
Je venais sur la pierre, assis près des vieillards, 6+6 b
Suivre le jour qui meurt de mes derniers regards ! 6+6 b
Tout est encor debout ; tout renaît à sa place ; 6+6 a
230 De nos pas sur le sable on suit encor la trace ; 6+6 a
Rien ne manque à ces lieux qu'un cœur pour en jouir 6+6 b
Mais, hélas ! l'heure baisse et va s'évanouir ! 6+6 b
La vie a dispersé, comme l'épi sur l'aire, 6+6 a
Loin du champ paternel les enfants et la mère. 6+6 a
235 Et ce foyer chéri ressemble aux nids déserts 6+6 b
D'où l'hirondelle a fui pendant de longs hivers ! 6+6 b
Déjà l'herbe qui croît sur les dalles antiques 6+6 a
Efface autour des murs les sentiers domestiques. 6+6 a
Et le lierre, flottant comme un manteau de deuil, 6+6 b
240 Couvre à demi la porte et rampe sur le seuil ; 6+6 b
Bientôt peut-être… — Écarte, ô mon Dieu, ce présage ! 6+6 a
Bientôt un étranger, inconnu du village, 6+6 a
Viendra, l'or à la main ! s'emparer de ces lieux 6+6 b
Qu'habite encor pour nous l'ombre de nos aïeux, 6+6 b
245 Et d'où nos souvenirs des berceaux et des tombes 6+6 a
S'enfuiront à sa voix, comme un nid de colombes 6+6 a
Dont la hache a fauché l'arbre dans les forêts. 6+6 b
Et qui ne savent plus où se poser après ! 6+6 b
Ne permets pas, Seigneur, ce deuil et cet outrage ! 6+6 a
250 Ne souffre pas, mon Dieu, que notre humble héritage 6+6 a
Passe de mains en mains troqué contre un vil prix, 6+6 b
Comme le toit du vice ou le champ des proscrits ! 6+6 b
Qu'un avide étranger vienne d'un pied superbe 6+6 a
Fouler l'humble sillon de nos berceaux sur l'herbe, 6+6 a
255 Dépouiller l'orphelin, grossir, compter son or 6+6 b
Aux lieux où l'indigence avait seule un trésor, 6+6 b
Et blasphémer ton nom sous ces mêmes portiques 6+6 a
Où ma mère à nos voix enseignait tes cantiques ! 6+6 a
Ah ! que plutôt cent fois, aux vents abandonné, 6+6 b
260 Le toit pende en lambeaux sur le mur incliné ; 6+6 b
Que les fleurs du tombeau, les mauves, les épines, 6+6 a
Sur les parvis brisés germent dans les ruines ! 6+6 a
Que le lézard dormant s'y réchauffe au soleil, 6+6 b
Que Philomèle y chante aux heures du sommeil, 6+6 b
265 Que l'humble passereau, les colombes fidèles, 6+6 a
Y rassemblent en paix leurs petits sous leurs ailes, 6+6 a
Et que l'oiseau du ciel vienne bâtir son nid 6+6 b
Aux lieux où l'innocence eut autrefois son lit ! 6+6 b
Ah ! si le nombre écrit sous l'œil des destinées 6+6 a
270 Jusqu'aux cheveux blanchis prolonge mes années, 6+6 a
Puissé-je, heureux vieillard, y voir baisser mes jours 6+6 b
Parmi ces monuments de mes simples amours ! 6+6 b
Et quand ces toits bénis et ces tristes décombres 6+6 a
Ne seront plus pour moi peuplés que par des ombres, 6+6 a
275 Y retrouver au moins dans les noms, dans les lieux, 6+6 b
Tant d'êtres adorés disparus de mes yeux ! 6+6 b
Et vous, qui survivrez à ma cendre glacée, 6+6 a
Si vous voulez charmer ma dernière pensée, 6+6 a
Un jour, élevez-moi… ! Non ! ne m'élevez rien ! 6+6 b
280 Mais près des lieux où dort l'humble espoir du chrétien, 6+6 b
Creusez-moi dans ces champs la couche que j'envie 6+6 a
Et ce dernier sillon où germe une autre vie ! 6+6 a
Étendez sur ma tète un lit d'herbes des champs 6+6 b
Que l'agneau du hameau broute encore au printemps, 6+6 b
285 Où l'oiseau dont mes sœurs ont peuplé ces asiles 6+6 a
Vienne aimer et chanter durant mes nuits tranquilles ; 6+6 a
Là, pour marquer la place où vous m'allez coucher. 6+6 b
Roulez de la montagne un fragment du rocher ; 6+6 b
Que nul ciseau surtout ne le taille et n'efface 6+6 a
290 La mousse des vieux jours qui brunit sa surface. 6+6 a
Et d'hiver en hiver incrustée à ses flancs. 6+6 b
Donne en lettre vivante une date à ses ans ! 6+6 b
Point de siècle ou de nom sur cette agreste page ! 6+6 a
Devant l'éternité tout siècle est du même âge, 6+6 a
295 Et celui dont la voix réveille le trépas 6+6 b
Au défaut d'un vain nom ne nous oublîra pas ! 6+6 b
Là, sous des cieux connus, sous les collines sombres, 6+6 a
Qui couvrirent jadis mon berceau de leurs ombres, 6+6 a
Plus près du sol natal, de l'air et du soleil. 6+6 b
300 D'un sommeil plus léger j'attendrai le réveil ! 6+6 b
Là ma cendre, mêlée à la terre qui m'aime, 6+6 a
Retrouvera la vie avant mon esprit même, 6+6 a
Verdira dans les prés, fleurira dans les fleurs, 6+6 b
Boira des nuits d'été les parfums et les pleurs ; 6+6 b
305 Et quand du jour sans soir la première étincelle 6+6 a
Viendra m'y réveiller pour l'aurore éternelle, 6+6 a
En ouvrant mes regards je reverrai des lieux 6+6 b
Adorés de mon cœur et connus de mes yeux, 6+6 b
Les pierres du hameau, le clocher, la montagne, 6+6 a
310 Le lit sec du torrent et l'aride campagne ; 6+6 a
Et rassemblant de l'œil tous les êtres chéris, 6+6 b
Dont l'ombre près de moi dormait sous ces débris, 6+6 b
Avec des sœurs, un père et l'âme d'une mère, 6+6 a
Ne laissant plus de cendre en dépôt à la terre, 6+6 a
315 Comme le passager qui des vagues descend, 6+6 b
Jette encore au navire un œil reconnaissant, 6+6 b
Nos voix diront ensemble à ces lieux pleins de charmes 6+6 a
L'adieu, le seul adieu qui n'aura point de larmes ! 6+6 a
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite périodique et distiques
schéma : 1{4(abab) 143((aa))}
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