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LAM_7/LAM102
Alphonse de LAMARTINE
HARMONIES POÉTIQUES ET RELIGIEUSES
1830
LIVRE DEUXIÈME
HARMONIE III
LA PERTE DE L'ANIO
A M. LE MARQUIS TANCRÈDE DE BAROL.
J'avais rêvé, jadis, au bruit de ses cascades, 6+6 a
Couché sur le gazon qu'Horace avait foulé 6+6 b
A l'ombre des vieilles arcades, 8 a
Où la Sibylle dort sous son temple écroulé ; 6+6 b
5 Je l'avais vu tomber dans les grottes profondes 6+6 a
Où la flottante Iris se jouait dans ses ondes, 6+6 a
Comme avec les crins blancs d'un coursier des déserts 6+6 a
Le vent aime à jouer pendant qu'il fend les airs ; 6+6 a
Je l'avais vu plus loin sur la mousse écumante 6+6 a
10 Diviser en ruisseaux sa nappe encor fumante, 6+6 a
Étendre, resserrer ses ondoyants réseaux, 6+6 a
Jeter sur le gazon le voile errant des eaux, 6+6 a
Et, comblant le vallon de bruit et de poussière . 6+6 a
Poursuivre au loin sa course en vagues de lumière ! 6+6 a
15 Mes regards à ses flots suspendus tout le jour. 6+6 a
Les cherchaient, les suivaient, les perdaient tour à tour. 6+6 a
Comme un esprit flottant de pensée en pensée, 6+6 a
Qui les perd, et revient sur leur trace effacée ; 6+6 a
Je le voyais monter, rouler, s'évanouir, 6+6 a
20 Et de ces flots brillants j'aimais à m'éblouir ! 6+6 a
Il me semblait revoir ces longs rayons de gloire, 6+6 a
Dont la ville éternelle avait ceint sa mémoire, 6+6 a
Remonter vers leur source, à travers l'âge obscur, 6+6 a
Et couronner encor les sommets de Tibur ; 6+6 a
25 Et quand des flots hurlant dans leurs larges abîmes 6+6 a
Mon oreille écoutait les murmures sublimes, 6+6 a
Dans ces convulsions, ces voix, ces cris des flot», 6+6 a
Multipliés cent fois par de roulants échos, 6+6 a
Il me semblait entendre à travers la distance 6+6 a
30 Les secousses, les pas, les voix d'un peuple immense, 6+6 a
Qui, pareil à ces eaux, mais plus prompt dans son cours, 6+6 a
Fit du bruit sur ses bords, et s'est lu pour toujours… 6+6 a
O Fleuve lui disais-je : ô toi qui vis les âges 6+6 a
Prêter et retirer l'empire à tes rivages ! 6+6 a
35 Toi dont le nom chanté par un humble affranchi 6+6 a
Vient braver, grâce à lui, le temps qu'il a franchi ! 6+6 a
Toi, qui vis sur les bords les oppresseurs du monde 6+6 a
Errer et demander du sommeil à ton onde, 6+6 a
Tibulle soupirer les délires du cœur, 6+6 a
40 Scipion dédaigner les faisceaux du licteur. 6+6 a
César fuir son triomphe au fond de tes retraites, 6+6 a
Mécène y mendier de la gloire aux poëtes, 6+6 a
Brutus rêver le crime, et Caton la vertu, 6+6 a
Dans tes cent mille voix, Fleuve, que me dis-tu ? 6+6 a
45 M'apportes-tu des sons de la lyre d'Horace ? 6+6 a
Ou la voix de César qui flatte et qui menace ? 6+6 a
Ou l'orageux forum d'un peuple de héros, 6+6 a
Dont la voix des tribuns précipitait les flots, 6+6 a
Et qui, dans sa fureur montant comme ton onde, 6+6 a
50 Trop vaste pour son lit, débordait sur le monde ? 6+6 a
Hélas ! ces bruits divers ont passé sans retour ; 6+6 a
Plus d'armes, de forum, de lyre, ni d'amour ! 6+6 a
Ce n'est qu'une eau qui pleut sur le rocher sonore. 6+6 a
Ce n'est que toi qui tombe, et qui murmure encore ! 6+6 a
55 Que dis-je ? il murmurait ; il ne murmure plus ! 6+6 a
De leur lit desséché ses flots sont disparus ! 6+6 a
Et ces rochers pendants, et ces cavernes vides, 6+6 a
Et ces arbres privés de leurs perles liquides, 6+6 a
Et la génisse errante, et la biche, et l'oiseau 6+6 a
60 Qui vient sur le rocher chercher sa goutte d'eau, 6+6 a
Attendent vainement que l'onde évanouie 6+6 a
Rende au vallon muet le murmure et la vie, 6+6 a
Et dans leur solitude, et dans leur nudité, 6+6 a
Semblent prendre une voix, et dire : Vanité !… 6+6 a
65 Ah ! faut-il s'étonner que les empires tombent ? 6+6 a
Que de nos faibles mains les ouvrages succombent ? 6+6 a
Quand ce que la nature avait fait éternel, 6+6 a
S'altère par degrés, et meurt comme un mortel ! 6+6 a
Quand un fleuve écumant qu'ont vu couler les âges . 6+6 a
70 Disparu tout à coup, laisse à nu ses rivages ! 6+6 a
Un fleuve a disparu ! mais ces trônes du jour, 6+6 a
Ces gigantesques monts crouleront à leur tour ; 6+6 a
Mais dans ces cieux semés de leur sable splendide, 6+6 a
Tous ces astres éteints laisseront la nuit vide ; 6+6 a
75 Mais cet espace même à la fin périra, 6+6 a
Et de tout ce qui fut, un jour, rien ne sera. 6+6 a
Rien ne sera, Seigneur ? Mais toi ! source des mondes. 6+6 a
Qui fais briller les feux, qui fais couler les ondes, 6+6 a
Qui, sur l'axe des temps, fais circuler les jours, 6+6 a
80 Tu seras ! tu seras ce que tu fus toujours ! 6+6 a
Tous ces astres éteints, ces fleuves qui tarissent, 6+6 a
Ces sommets écroulés, ces mondes qui périssent, 6+6 a
Dans l'abîme des temps ces siècles engloutis, 6+6 a
Ce temps et cet espace eux-même anéantis. 6+6 a
85 Ce pouvoir qui se rit de ses propres ouvrages, 6+6 a
A celui qui survit ce sont autant d'hommages, 6+6 a
Et chaque être mortel, par le temps emporté. 6+6 a
Est un hymne de plus à ton Éternité ! 6+6 a
Italie ! Italie ! ah ! pleure tes collines, 6+6 a
90 Où l'histoire du monde est écrite en ruines ! 6+6 a
Où l'empire, en passant de climats en climats, 6+6 a
A gravé plus avant l'empreinte de ses pas ! 6+6 a
Où la gloire, qui prit ton nom pour son emblème, 6+6 a
Laisse un voile éclatant sur ta nudité même. 6+6 a
95 Voilà le plus parlant de tes sacrés débris ! 6+6 a
Pleure ! un cri de pitié va répondre à tes cris ! 6+6 a
Terre que consacra l'empire et l'infortune. 6+6 a
Source des nations, reine, mère commune ! 6+6 a
Tu n'es pas seulement chère aux nobles enfants 6+6 a
100 Que la verte vieillesse a portés dans ses flancs ; 6+6 a
De les ennemis même enviée et chérie. 6+6 a
De tout ce qui naît grand ton ombre est la patrie ! 6+6 a
Et l'esprit inquiet, qui dans l'antiquité 6+6 a
Remonte vers la gloire et vers la liberté, 6+6 a
105 Et l'esprit résigné qu'un jour plus pur inonde. 6+6 a
Qui dédaignant ces dieux qu'adore en vain le monde. 6+6 a
Plus loin, plus haut encor, cherche un unique autel 6+6 a
Pour le Dieu véritable, unique, universel. 6+6 a
Le cœur plein, tous les deux, d'une tendresse amère, 6+6 a
110 T'adorent dans ta poudre, et te disent : Ma mère ! 6+6 a
Le vent, en ravissant tes os à ton cercueil, 6+6 a
Semble outrager la gloire et profaner le deuil ! 6+6 a
De chaque monument qu'ouvre le soc de Rome, 6+6 a
On croit voir s'exhaler les mânes d'un grand homme ; 6+6 a
115 Et dans ce temple immense, où le Dieu du chrétien 6+6 a
Règne sur les débris du Jupiter païen, 6+6 a
Tout mortel, en entrant, prie et sent mieux encore 6+6 a
Que ton temple appartient à tout ce qui l'adore !… 6+6 a
Sur tes monts glorieux chaque arbre qui périt, 6+6 a
120 Chaque rocher miné, chaque urne qui tarit, 6+6 a
Chaque fleur que le soc brise sur une tombe. 6+6 a
De tes sacrés débris chaque pierre qui tombe. 6+6 a
Au cœur des nations retentissent longtemps. 6+6 a
Comme un coup plus hardi de la hache du temps ! 6+6 a
125 Et tout ce qui flétrit ta majesté suprême 6+6 a
Semble en te dégradant nous dégrader nous-même ! 6+6 a
Le malheur pour toi seule a doublé le respect, 6+6 a
Tout cœur s'ouvre à ton nom ! tout œil à ton aspect ! 6+6 a
Ton soleil, trop brillant pour une humble paupière, 6+6 a
130 Semble épancher sur toi la gloire et la lumière ; 6+6 a
Et la voile qui vient de sillonner tes mers, 6+6 a
Quand tes grands horizons se montrent dans les airs, 6+6 a
Sensible et frémissante à ces grandes images, 6+6 a
S'abaisse d'elle-même en touchant tes rivages ! 6+6 a
135 Ah ! garde-nous longtemps, veuve des nations ! 6+6 a
Garde au pieux respect des générations 6+6 a
Ces titres mutilés de la grandeur de l'homme 6+6 a
Qu'on retrouve à tes pieds dans la cendre de Rome 6+6 a
Respecte tout, de toi, jusques à tes lambeaux ! 6+6 a
140 Ne porte point envie à des destins plus beaux ! 6+6 a
Mais, semblable à César à son heure suprême, 6+6 a
Qui du manteau sanglant s'enveloppe lui-même, 6+6 a
Quel que soit le destin que couve l'avenir, 6+6 a
Terre ! enveloppe-toi de ton grand souvenir ! 6+6 a
145 Que t'importe où s'en vont l'empire et la victoire ? 6+6 a
Il n'est point d'avenir égal à ta mémoire ! 6+6 a
Mécène, dans les derniers temps de sa vie, ne pouvait
dormir qu'à Tibur, au bruit «les cascatelles. (Historique.)
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