Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
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F = "e" féminin
| = césure
LAM_4/LAM86
Alphonse de LAMARTINE
LA MORT DE SOCRATE
1823
La Mort de Socrate
La vérité, c'est Dieu.
Le soleil, se levant aux sommets de l'Hymette, 6+6 a
Du temple de Thésée illuminait le faîte, 6+6 a
Et, frappant de ses feux les murs du Parthénon , 6+6 b
Comme un furtif adieu, glissait dans la prison ; 6+6 b
5 On voyait sur les mers une poupe dorée, 6+6 a
Au bruit des hymnes saints, voguer vers le Pirée, 6+6 a
Et c'était ce vaisseau dont le fatal retour 6+6 b
Devait aux condamnés marquer leur dernier jour ; 6+6 b
Mais la loi défendait qu'on leur ôtât la vie 6+6 a
10 Tant que le doux soleil éclairait l'Ionie, 6+6 a
De peur que ses rayons, aux vivants destinés, 6+6 b
Par des yeux sans regard ne fussent profanés, 6+6 b
Ou que le malheureux, en fermant sa paupière, 6+6 a
N'eût à pleurer deux fois la vie et la lumière ! 6+6 a
15 Ainsi l'homme exilé du champ de ses aïeux 6+6 b
Part avant que l'aurore ait éclairé les cieux. 6+6 b
Attendant le réveil du fils de Sophronique, 6+6 a
Quelques amis en deuil erraient sous le portique, 6+6 a
Et sa femme, portant son fils sur ses genoux, 6+6 b
20 Tendre enfant dont la main joue avec les verrous, 6+6 b
Accusant la lenteur des geôliers insensibles, 6+6 a
Frappait du front l'airain des portes inflexibles ! 6+6 a
La foule, inattentive au cri de ses douleurs, 6+6 b
Demandait en passant le sujet de ses pleurs, 6+6 b
25 Et reprenant bientôt sa course suspendue, 6+6 a
Et dans les longs parvis par groupes répandue, 6+6 a
Recueillait ces vains bruits dans le peuple semés, 6+6 b
Parlait d'autels détruits et des dieux blasphémés, 6+6 b
Et d'un culte nouveau corrompant la jeunesse, 6+6 a
30 Et de ce Dieu sans nom, étranger dans la Grèce ! 6+6 a
'était quelque insensé, quelque monstre odieux ! 6+6 b
Quelque nouvel Oreste aveuglé par les dieux, 6+6 b
Qu'atteignait à la fin la tardive justice, 6+6 a
Et que la terre au ciel devait en sacrifice ! 6+6 a
35 Socrate ! et c'était toi qui, dans les fers jeté, 6+6 b
Mourais pour la justice et pour la vérité ! 6+6 b
Enfin de la prison les gonds bruyants roulèrent ; 6+6 a
A pas lents, l'œil baissé, les amis s'écoulèrent. 6+6 a
Mais Socrate, jetant un regard sur les flots, 6+6 b
40 Et leur montrant du doigt la voile vers Délos 6+6 b
« Regardez sur les mers cette poupe fleurie ; 6+6 a
C'est le vaisseau sacré, l'heureuse Théorie ! 6+6 a
Saluons-la, dit-il : cette voile est la mort ! 6+6 b
Mon âme, aussitôt qu'elle, entrera dans le port ! 6+6 b
45 Et cependant parlez ! et que ce jour suprême 6+6 a
Dans nos doux entretiens s'écoule encor de même ! 6+6 a
Ne jetons point aux vents les restes du festin ; 6+6 b
Des dons sacrés des dieux usons jusqu'à la fin : 6+6 b
L'heureux vaisseau qui touche au terme du voyage 6+6 a
50 Ne suspend pas sa course à l'aspect du rivage : 6+6 a
Mais, couronné de fleurs, et les voiles aux vents, 6+6 b
Dans le port qui l'appelle il entre avec les chants ! 6+6 b
« Les poètes ont dit qu'avant sa dernière heure 6+6 a
En sons harmonieux le doux cygne se pleure ; 6+6 a
55 Amis, n'en croyez rien ; l'oiseau mélodieux 6+6 b
D'un plus sublime instinct fut doué par les dieux ! 6+6 b
Du riant Eurotas près de quitter la rive, 6+6 a
L'âme, de ce beau corps à demi fugitive, 6+6 a
S'avançant pas à pas vers un monde enchanté, 6+6 b
60 Voit poindre le jour pur de l'immortalité, 6+6 b
Et, dans la douce extase où ce regard la noie, 6+6 a
Sur la terre en mourant elle exhale sa joie. 6+6 a
Vous qui près du tombeau venez pour m'écouter, 6+6 b
Je suis un cygne aussi : je meurs, je puis chanter ! 6+6 b
65 Sous la voûte, à ces mots, des sanglots éclatèrent ; 6+6 a
D'un cercle plus étroit ses amis l'entourèrent : 6+6 a
« Puisque tu vas mourir, ami trop tôt quitté, 6+6 b
Parle-nous d'espérance et d'immortalité ! 6+6 b
— Je le veux bien, dit-il : mais éloignons les femmes ; 6+6 a
70 Leurs soupirs étouffés amolliraient nos âmes ; 6+6 a
Or, il faut, dédaignant les terreurs du tombeau, 6+6 b
Entrer d'un pas hardi dans un monde nouveau ! 6+6 b
« Vous le savez, amis ; souvent, dès ma jeunesse, 6+6 a
Un génie inconnu m'inspira la sagesse, 6+6 a
75 Et du monde futur me découvrit les lois. 6+6 b
Était-ce quelque dieu caché dans une voix ? 6+6 b
Une ombre m'embrassant d'une amitié secrète ? 6+6 a
L'écho de l'avenir ? la muse du poëte ? 6+6 a
Je ne sais ; mais l'esprit qui me parlait tout bas, 6+6 b
80 Depuis que de ma fin je m'approche à grands pas, 6+6 b
En sons plus élevés me parle, me console ; 6+6 a
Je reconnais plus tôt sa divine parole, 6+6 a
Soit qu'un cœur affranchi du tumulte des sens 6+6 b
Avec plus de silence écoute ses accents ; 6+6 b
85 Soit que, comme l'oiseau, l'invisible génie 6+6 a
Redouble vers le soir sa touchante harmonie ; 6+6 a
Soit plutôt qu'oubliant le jour qui va finir, 6+6 b
Mon âme, suspendue aux bords de l'avenir, 6+6 b
Distingue mieux le son qui part d'un autre monde, 6+6 a
90 Comme le nautonier, le soir, errant sur l'onde, 6+6 a
A mesure qu'il vogue et s'approche du bord, 6+6 b
Distingue mieux la voix qui s'élève du port. 6+6 b
Cet invisible ami jamais ne m'abandonne, 6+6 a
Toujours de son accent mon oreille résonne 6+6 a
95 Et sa voix dans ma voix parle seule aujourd'hui ; 6+6 b
Amis, écoutez donc ! ce n'est plus moi, c'est lui !… » 6+6 b
Le front calme et serein, l'œil rayonnant d'espoir. 6+6 a
Socrate à ses amis fit signe de s'asseoir ; 6+6 a
A ce signe muet soudain ils obéirent, 6+6 b
100 Et sur les bords du lit en silence ils s'assirent : 6+6 b
Symmias abaissait son manteau sur ses yeux ; 6+6 a
Criton d'un œil pensif interrogeait les cieux ; 6+6 a
Cébès penchait à terre un front mélancolique ; 6+6 b
Anaxagore, armé d'un rire sardonique, 6+6 b
105 Semblait, du philosophe enviant l'heureux sort, 6+6 a
Rire de la fortune et défier la mort ! 6+6 a
Et le dos appuyé sur la porte de bronze, 6+6 b
Les bras entrelacés, le serviteur des Onze, 6+6 b
De doute et de pitié tour à tour combattu, 6+6 a
110 Murmurait sourdement : « Que lui sert sa vertu ? » 6+6 a
Mais Phédon, regrettant l'ami plus que le sage, 6+6 b
Sous ses cheveux épars voilant son beau visage, 6+6 b
Plus près du lit funèbre aux pieds du maître assis. 6+6 a
Sur ses genoux pliés se penchait comme un fils, 6+6 a
115 Levait ses yeux voilés sur l'ami qu'il adore, 6+6 b
Rougissait de pleurer, et le pleurait encore ! 6+6 b
Du sage cependant la terrestre douleur 6+6 a
N'osait point altérer les traits ni la couleur ; 6+6 a
Son regard élevé loin de nous semblait lire ; 6+6 b
120 Sa bouche, où reposait son gracieux sourire, 6+6 b
Toute prête à parler, s'entr'ouvrait à demi ; 6+6 a
Son oreille écoutait son invisible ami ; 6+6 a
Ses cheveux, effleurés du souffle de l'automne, 6+6 b
Dessinaient sur sa tête une pâle couronne, 6+6 b
125 Et, de l'air matinal par moments agités, 6+6 a
Répandaient sur son front des reflets argentés ; 6+6 a
Mais, à travers ce front où son âme est tracée, 6+6 b
On voyait rayonner sa sublime pensée, 6+6 b
Comme, à travers l'albâtre ou l'airain transparents, 6+6 a
130 La lampe, sur l'autel jetant ses feux mourants, 6+6 a
Par son éclat voilé se trahissant encore, 6+6 b
D'un reflet lumineux les frappe et les colore ! 6+6 b
Comme l'œil sur les mers suit la voile qui part, 6+6 a
Sur ce front solennel attachant leur regard, 6+6 a
135 A ses yeux suspendus, ne respirant qu'à peine, 6+6 b
Ses amis attentifs retenaient leur haleine ; 6+6 b
Leurs yeux le contemplaient pour la dernière fois ! 6+6 a
Ils allaient pour jamais emporter cette voix ! 6+6 a
Comme la vague s'ouvre au souffle errant d'Éole, 6+6 b
140 Leur âme impatiente attendait sa parole. 6+6 b
Enfin du ciel sur eux son regard s'abaissa, 6+6 a
Et lui, comme autrefois, sourit et commença 6+6 a
Quoi ! vous pleurez, amis ! vous pleurez quand mon âme, 6+6 b
Semblable au pur encens que la prêtresse enflamme, 6+6 b
145 Affranchie à jamais du vil poids de son corps, 6+6 a
Va s'envoler aux dieux, et, dans de saints transports, 6+6 a
Saluant ce jour pur, qu'elle entrevit peut-être, 6+6 b
Chercher la vérité, la voir et la connaître ! 6+6 b
Pourquoi donc vivons-nous, si ce n'est pour mourir ? 6+6 a
150 Pourquoi pour la justice ai-je aimé de souffrir ? 6+6 a
Pourquoi dans cette mort qu'on appelle la vie, 6+6 b
Contre ses vils penchants luttant, quoique asservie. 6+6 b
Mon âme avec mes sens a-t-elle combattu ? 6+6 a
Sans la mort, mes amis, que serait la vertu ?… 6+6 a
155 C'est le prix du combat, la céleste couronne, 6+6 b
Qu'aux bornes de la course un saint juge nous donne ; 6+6 b
La voix de Jupiter qui nous rappelle à lui ! 6+6 a
Amis, bénissons-la ! Je l'entends aujourd'hui : 6+6 a
Je pouvais, de mes jours disputant quelque reste, 6+6 b
160 Me faire répéter deux fois l'ordre céleste. 6+6 b
Me préservent les dieux d'en prolonger le cours ! 6+6 a
En esclave attentif, ils m'appellent, j'y cours ! 6+6 a
Et vous, si vous m'aimez, comme aux plus belles fêtes, 6+6 b
Amis, faites couler des parfums sur vos têtes. 6+6 b
165 Suspendez une offrande aux murs de la prison ! 6+6 a
Et, le front couronné d'un verdoyant feston, 6+6 a
Ainsi qu'un jeune époux qu'une foule empressée, 6+6 b
Semant de chastes fleurs le seuil du gynécée, 6+6 b
Vers le lit nuptial conduit après le bain, 6+6 a
170 Dans les bras de la mort menez-moi par la main !… 6+6 a
Qu'est-ce donc que mourir ? Briser ce nœud infâme, 6+6 b
Cet adultère hymen de la terre avec l'âme, 6+6 b
D'un vil poids, à la tombe, enfin se décharger ! 6+6 a
Mourir n'est pas mourir, mes amis, c'est changer ! 6+6 a
175 Tant qu'il vit, accablé sous le corps qui l'enchaîne, 6+6 b
L'homme vers le vrai bien languissamment se traîne, 6+6 b
Et, par ses vils besoins dans sa course arrêté, 6+6 a
Suit d'un pas chancelant, ou perd la vérité. 6+6 a
Mais celui qui, touchant au terme qu'il implore, 6+6 b
180 Voit du jour éternel étinceler l'aurore, 6+6 b
Comme un rayon du soir remontant dans les cieux, 6+6 a
Exilé de leur sein, remonte au sein des dieux ; 6+6 a
Et buvant à longs traits le nectar qui l'enivre, 6+6 b
Du jour de son trépas il commence de vivre ! » 6+6 b
185 « Mais mourir c est souffrir ; et souffrir est un mal. 6+6 a
—Amis, qu'en savons-nous ? Et quand l'instant fatal, 6+6 a
Consacré par le sang comme un grand sacrifice, 6+6 b
Pour ce corps immolé serait un court supplice, 6+6 b
N'est-ce pas par un mal que tout bien est produit ? 6+6 a
190 L'été sort de l'hiver, le jour sort de la nuit, 6+6 a
Dieu lui-même a noué cette éternelle chaîne ; 6+6 b
Nous fûmes à la vie enfantés avec peine, 6+6 b
Et cet heureux trépas, des faibles redouté, 6+6 a
N'est qu'un enfantement à l'immortalité ! 6+6 a
195 « Cependant de la Mort qui peut sonder l'abîme ? 6+6 b
Les dieux ont mis leur doigt sur sa lèvre sublime : 6+6 b
Qui sait si dans ses mains, prêtes à la saisir, 6+6 a
L'âme incertaine tombe avec peine ou plaisir ? 6+6 a
Pour moi, qui vis encor, je ne sais, mais je pense 6+6 b
200 Qu'il est quelque mystère au fond de ce silence ; 6+6 b
Que des dieux indulgents la sévère bonté 6+6 a
A jusque dans la mort caché lac volupté, 6+6 a
Comme, en blessant nos cœurs de ses divines armes, 6+6 b
L'Amour cache souvent un plaisir sous des larmes ! » 6+6 b
205 L'incrédule Cébès à ce discours sourit. 6+6 a
« Je le saurai bientôt, » dit Socrate. Il reprit : 6+6 a
« Oui : le premier salut de l'homme à la lumière, 6+6 b
Quand le rayon doré vient baiser sa paupière, 6+6 b
L'accent de ce qu'on aime à la lyre mêlé, 6+6 a
210 Le parfum fugitif de la coupe exhalé, 6+6 a
La saveur du baiser, quand de sa lèvre errante 6+6 b
L'amant cherche, la nuit, les lèvres de l'amante, 6+6 b
Sont moins doux à nos sens que le premier transport 6+6 a
De l'homme vertueux affranchi par la mort ! 6+6 a
215 Et pendant qu'ici-bas sa cendre est recueillie, 6+6 b
Emporté par sa course, en fuyant il oublie 6+6 b
De dire même au monde un éternel adieu ! 6+6 a
Ce monde évanoui disparaît devant Dieux ! 6+6 a
« Mais quoi ! suffit-il donc de mourir pour revivre ? 6+6 b
220 — Non ; il faut que des sens notre âme se délivre, 6+6 b
De ses penchants mortels triomphe avec effort ; 6+6 a
Que notre vie enfin soit une longue mort ! 6+6 a
La vie est un combat, la mort est la victoire, 6+6 b
Et la terre est pour nous l'autel expiatoire 6+6 b
225 Où l'homme, de ses sens sur le seuil dépouillé, 6+6 a
Doit jeter dans les feux son vêtement souillé, 6+6 a
Avant d'aller offrir sur un autel propice 6+6 b
De sa vie, au Dieu pur, l'aussi pur sacrifice ! 6+6 b
« Ils iront, d'un seul trait, du tombeau dans les cieux, 6+6 a
230 Joindre, où la mort n'est plus, les héros et les dieux, 6+6 a
Ceux qui, vainqueurs des sens pendant leur courte vie, 6+6 b
Ont soumis à l'esprit la matière asservie, 6+6 b
Ont marché sous le joug des rites et des lois, 6+6 a
Du juge intérieur interrogé la voix, 6+6 a
235 Suivi les droits sentiers écartés de la foule, 6+6 b
Prié, servi les dieux, d'où la vertu découle, 6+6 b
Souffert pour la justice, aimé la vérité, 6+6 a
Et des enfants du ciel conquis la liberté ! 6+6 a
«Mais ceux qui, chérissant la chair autant que l'âme ? 6+6 b
240 De l'esprit et des sens ont resserré la trame, 6+6 b
Et prostitué l'âme aux vils baisers du corps, 6+6 a
Comme Léda livrée à de honteux transports, 6+6 a
Ceux-là, si toutefois un dieu ne les délivre, 6+6 b
Même après leur trépas ne cessent pas de vivre, 6+6 b
245 Et des coupables nœuds qu'eux-même ils ont serrés 6+6 a
Ces mânes imparfaits ne sont pas délivrés ! 6+6 a
Comme à ses fils impurs Arachné suspendue, 6+6 b
Leur âme, avec leur corps mêlée et confondue, 6+6 b
Cherche enfin à briser ses liens flétrissants ; 6+6 a
250 L'amour qu'elle eut pour eux vit encor dans ses sens ; 6+6 a
De leurs bras décharnés ils la pressent encore, 6+6 b
Lui rappellent cent fois cet hymen qu'elle abhorre, 6+6 b
Et, comme un air pesant qui dort sur les marais, 6+6 a
Leur vil poids, loin des dieux, la retient à jamais ! 6+6 a
255 Ces mânes gémissants, errant dans les ténèbres. 6+6 b
Avec l'oiseau de nuit jettent des cris funèbres ; 6+6 b
Autour des monuments, des urnes, des tombeaux, 6+6 a
De leur corps importun traînant d'affreux lambeaux, 6+6 a
Honteux de vivre encore, et fuyant la lumière, 6+6 b
260 A l'heure où l'innocence a fermé sa paupière, 6+6 b
De leurs antres obscurs ils s'échappent sans bruit, 6+6 a
Comme des criminels s'emparent de la nuit, 6+6 a
Imitent sur les flots le réveil de l'aurore, 6+6 b
Font courir sur les monts le pâle météore ; 6+6 b
265 De songes effrayants assiégeant nos esprits, 6+6 a
Au fond des bois sacrés poussent d'horribles cris, 6+6 a
Ou, tristement assis sur le bord d'une tombe, 6+6 b
Et dans leurs doigts sanglants cachant leur front qui tombe. 6+6 b
Jaloux de leur victime, ils pleurent leurs forfaits : 6+6 a
270 Mais les âmes des bons ne reviennent jamais ! » 6+6 a
Il se tut, et Cébès rompit seul le silence : 6+6 b
« Me préservent les dieux d'offenser l'Espérance, 6+6 b
Cette divinité qui, semblable à l'Amour, 6+6 a
Un bandeau sur les yeux, nous conduit au vrai jour ! 6+6 a
275 Mais puisque de ces bords comme elle tu t'envoles, 6+6 b
Hélas ! et que voilà tes suprêmes paroles, 6+6 b
Pour m'instruire, ô mon maitre, et non pour t'affliger, 6+6 a
Permets-moi de répondre et de t'interroger. » 6+6 a
Socrate, avec douceur, inclina son visage, 6+6 b
280 Et Cébès en ces mots interrogea le sage : 6+6 b
« L'âme, dis-tu, doit vivre au delà du tombeau ; 6+6 a
Mais si l'âme est pour nous la lueur d'un flambeau, 6+6 a
Quand la flamme à des sens consumé la matière, 6+6 b
Quand le flambeau s'éteint, que devient la lumière ? 6+6 b
285 La clarté, le flambeau, tout ensemble est détruit, 6+6 a
Et tout rentre à la fois dans une même nuit ! 6+6 a
Ou si l'âme est aux sens ce qu'est à cette lyre 6+6 b
L'harmonieux accord que notre main en tire, 6+6 b
Quand le temps ou les vers en ont usé le bois, 6+6 a
290 Quand la corde rompue a crié sous nos doigts, 6+6 a
Et que les nerfs brisés de la lyre expirante 6+6 b
Sont foulés sous les pieds de la jeune bacchante, 6+6 b
Qu'est devenu le bruit de ces divins accords ? 6+6 a
Meurt-il avec la lyre ? et l'âme avec le corps ?… » 6+6 a
295 Les sages, à ces mots, pour sonder ce mystère, 6+6 b
Baissant leurs fronts pensifs, et regardant la terre, 6+6 b
Cherchaient une réponse et ne la trouvaient pas ! 6+6 a
Se parlant l'un à l'autre ils murmuraient tout bas : 6+6 a
«Quand la lyre n'est plus, où donc est l'harmonie ?…» 6+6 b
300 Et Socrate semblait attendre son génie ! 6+6 b
Sur l'une de ses mains appuyant son menton, 6+6 a
L'autre se promenait sur le front de Phédon, 6+6 a
Et, sur son cou d'ivoire errant à l'aventure, 6+6 b
Caressait, en passant, sa blonde chevelure ; 6+6 b
305 Puis, détachant du doigt un de ses longs rameaux 6+6 a
Qui pendaient jusqu'à terre en flexibles anneaux, 6+6 a
Faisait sur ses genoux flotter leurs molles ondes, 6+6 b
Ou dans ses doigts distraits roulait leurs tresses blondes, 6+6 b
Et parlait en jouant, comme un vieillard divin 6+6 a
310 Qui mêle la sagesse aux coupes d'un festin ! 6+6 a
« Amis, l'âme n'est pas l'incertaine lumière 6+6 b
Dont le flambeau des sens ici-bas nous éclaire ; 6+6 b
Elle est l'œil immortel qui voit ce faible jour 6+6 a
Naître, grandir, baisser, renaître tour à tour, 6+6 a
315 Et qui sent hors de soi, sans en être affaiblie, 6+6 b
Pâlir et s'éclipser ce flambeau de la vie, 6+6 b
Pareille à l'œil mortel qui dans l'obscurité 6+6 a
Conserve le regard en perdant la clarté ! 6+6 a
« L'âme n'est pas aux sens ce qu'est à cette lyre 6+6 b
320 L'harmonieux accord que notre main en tire ; 6+6 b
Elle est le doigt divin qui seul la fait frémir, 6+6 a
L'oreille qui l'entend ou chanter ou gémir, 6+6 a
L'auditeur attentif, l'invisible génie 6+6 b
Qui juge, enchaîne, ordonne et règle l'harmonie, 6+6 b
325 Et qui des sons discords que rendent chaque sens 6+6 a
Forme au plaisir des dieux des concerts ravissants ! 6+6 a
En vain la lyre meurt et lé son s'évapore : 6+6 b
Sur ces débris muets l'oreille écoute encore ! 6+6 b
Es-tu content, Cébès ? — Oui, j'en crois tes adieux, 6+6 a
330 Socrate est immortel ! —Eh bien, parlons des dieux ! » 6+6 a
Et déjà le soleil était sur les montagnes, 6+6 b
Et, rasant d'un rayon les flots et les campagnes, 6+6 b
Semblait, faisant au monde un magnifique adieu, 6+6 a
Aller se rajeunir au sein brillant de Dieu ! 6+6 a
335 Les troupeaux descendaient des sommets du Taygète ; 6+6 b
L'ombre dormait déjà sur les flancs de l'Hymette ; 6+6 b
Le Cythéron nageait dans un océan d'or ; 6+6 a
Le pêcheur matinal, sur l'onde errant encor, 6+6 a
Modérant près du bord sa course suspendue, 6+6 b
340 Repliait, en chantant, sa voile détendue ; 6+6 b
La flûte dans les bois, et ces chants sur les mers, 6+6 a
Arrivaient jusqu'à nous sur les soupirs des airs, 6+6 a
Et venaient se mêler à nos sanglots funèbres, 6+6 b
Comme un rayon du soir se fond dans les ténèbres ! 6+6 b
345 « Hâtons-nous, mes amis, voici l'heure du bain. 6+6 a
Esclaves, versez l'eau dans le vase d'airain ! 6+6 a
Je veux offrir aux dieux une victime pure. » 6+6 b
Il dit : et se plongeant dans l'urne qui murmure, 6+6 b
Comme fait à l'autel le sacrificateur, 6+6 a
350 Il puisa dans ses mains le flot libérateur. 6+6 a
Et, le versant trois fois sur son front qu'il inonde, 6+6 b
Trois fois sur sa poitrine eu fit ruisseler l'onde ; 6+6 b
Pais, d'un voile de pourpre en essuyant les flots, 6+6 a
Parfuma ses cheveux, et reprit en ces mots : 6+6 a
355 « Nous oublions le Dieu pour adorer ses traces ! 6+6 b
Me préserve Apollon de blasphémer les Grâces ! 6+6 b
Hébé versant la vie aux célestes lambris, 6+6 a
Le carquois de l'Amour, ni l'écharpe d'Iris, 6+6 a
Ni surtout de Vénus la brillante ceinture 6+6 b
360 Qui d'un nœud sympathique enchaîne la nature. 6+6 b
Ni l'éternel Saturne, ou le grand Jupiter, 6+6 a
Ni tous ces dieux du ciel, de la terre et de l'air ! 6+6 a
Tous ces êtres peuplant l'Olympe ou l'Élysée 6+6 b
Sont l'image de Dieu par nous divinisée, 6+6 b
365 Des lettres de son nom sur la nature écrit, 6+6 a
Une ombre que ce Dieu jette sur notre esprit ! 6+6 a
A ce titre divin ma raison les adore, 6+6 b
Comme nous saluons le soleil dans l'aurore ; 6+6 b
Et peut-être qu'enfin tous ces dieux inventés, 6+6 a
370 Cet enfer et ce ciel par la lyre chantés, 6+6 a
Ne sont pas seulement des songes du génie, 6+6 b
Mais les brillants degrés de l'échelle infinie 6+6 b
Qui, des êtres semés dans ce vaste univers, 6+6 a
Sépare et réunit tous les astres divers. 6+6 a
375 Peut-être qu'en effet, dans l'immense étendue, 6+6 b
Dans tout ce qui se meut une âme est répandue ; 6+6 b
Que ces astres brillants sur nos têtes semés 6+6 a
Sont des soleils vivants, et des feux animés ; 6+6 a
Que l'Océan, frappant sa rive épouvantée, 6+6 b
380 Avec ses flots grondants roule une âme irritée ; 6+6 b
Que notre air embaumé volant dans un ciel pur 6+6 a
Est un esprit flottant sur des ailes d'azur ; 6+6 a
Que le jour est un œil qui répand la lumière, 6+6 b
La nuit, une beauté qui voile sa paupière ; 6+6 b
385 Et qu'enfin dans le ciel, sur la terre, en tout lieu, 6+6 a
Tout est intelligent, tout vit, tout est un dieu. 6+6 a
« Mais, croyez-en, amis, ma voix prête à s'éteindre, 6+6 b
Par delà tous ces dieux que notre œil peut atteindre, 6+6 b
Il est sous la nature, il est au fond des cieux, 6+6 a
390 Quelque chose d'obscur et de mystérieux 6+6 a
Que la nécessité, que la raison proclame, 6+6 b
Et que voit seulement la foi, cet œil de l'âme ! 6+6 b
Contemporain des jours et de l'éternité ! 6+6 a
Grand comme l'infini, seul comme l'unité ! 6+6 a
395 Impossible à nommer, à nos sens impalpable ! 6+6 b
Son premier attribut, c'est d'être inconcevable ! 6+6 b
Dans les lieux, dans les temps, hier, demain, aujourd'hui, 6+6 a
Descendons, remontons, nous arrivons à lui ! 6+6 a
Tout ce que vous voyez est sa toute-puissance, 6+6 b
400 Tout ce que nous pensons est sa sublime essence ! 6+6 b
Force, amour, vérité, créateur de tout bien, 6+6 a
C'est le dieu de vos dieux ! c'est le seul ! c'est le mien ! … 6+6 a
— Mais le mal, dit Cébès, qui l'a créé ? — Le crime : 6+6 b
Des coupables mortels châtiment légitime, 6+6 b
405 Sur ce globe déchu le mal et le trépas 6+6 a
Sont nés le même jour : Dieu ne les connaît pas ! 6+6 a
Soit qu'un attrait fatal, une coupable flamme 6+6 b
Ait attiré jadis la matière vers l'âme ; 6+6 b
Soit plutôt que la vie, en des nœuds trop puissants 6+6 a
410 Resserrant ici-bas l'esprit avec les sens, 6+6 a
Les pénètre tous deux d'un amour adultère, 6+6 b
Ils ne sont réunis que par un grand mystère. 6+6 b
Cette horrible union, c'est le mal : et la mort, 6+6 a
Remède et châtiment, la brise avec effort. 6+6 a
415 Mais, à l'instant suprême où cet hymen expire, 6+6 b
Sur les vils éléments l'âme reprend l'empire, 6+6 b
Et s'envole, aux rayons de l'immortalité, 6+6 a
Au monde du bonheur et de la vérité ! 6+6 a
— Connais-tu le chemin de ce monde invisible ? 6+6 b
420 Dit Cébès ; à ton œil est-il donc accessible ? 6+6 b
— Mes amis, j'en approche, et pour le découvrir… 6+6 a
— Que faut-il ? dit Phédon. — Être pur et mourir ! 6+6 a
« Dans un point de l'espace inaccessible aux hommes, 6+6 b
Peut-être au ciel, peut-être aux lieux même où nous sommes. 6+6 b
425 Il est un autre monde, un Élysée, un ciel, 6+6 a
Que ne parcourent pas de longs ruisseaux de miel, 6+6 a
Où les âmes des bons, de Dieu seul altérées, 6+6 b
D'un nectar éternel ne sont pas enivrées, 6+6 b
Mais où les mânes saints, les immortels esprits, 6+6 a
430 De leurs corps immolés vont recevoir le prix ! 6+6 a
Ni la sombre Tempé, ni le riant Ménale, 6+6 b
Qu'enivre de parfums l'haleine matinale, 6+6 b
Ni les vallons d'Hémus, ni ces riches coteaux 6+6 a
Qu'enchante l'Eurotas du murmure des eaux, 6+6 a
435 Ni cette terre enfin des poëtes chérie 6+6 b
Qui fait aux voyageurs oublier leur patrie, 6+6 b
N'approchent pas encor du fortuné séjour 6+6 a
Où le regard de Dieu donne aux âmes le jour ; 6+6 a
Où jamais dans la nuit ce jour divin n'expire ; 6+6 b
440 Où la vie et l'amour sont l'air qu'elle respire ; 6+6 b
Où des corps immortels ou toujours renaissants 6+6 a
Pour d'autres voluptés lui prêtent d'autres sens. 6+6 a
— Quoi ! des corps dans le ciel ? la mort avec la vie ? 6+6 b
— Oui, des corps transformés que l'âme glorifie ! 6+6 b
445 L'âme, pour composer ces divins vêtements, 6+6 a
Cueille en tout l'univers la fleur des éléments ; 6+6 a
Tout ce qu'ont de plus pur la vie et la matière, 6+6 b
Les rayons transparents de la douce lumière, 6+6 b
Les reflets nuancés des plus tendres couleurs, 6+6 a
450 Les parfums que le soir enlève au sein des fleurs, 6+6 a
Les bruits harmonieux que l'amoureux Zéphire 6+6 b
Tire au sein de la nuit de l'onde qui soupire, 6+6 b
La flamme qui s'exhale en jets d'or et d'azur, 6+6 a
Le cristal des ruisseaux roulant dans un ciel pur, 6+6 a
455 La pourpre dont l'aurore aime à teindre ses voiles, 6+6 b
Et les rayons dormants des tremblantes étoiles, 6+6 b
Réunis et formant d'harmonieux accords, 6+6 a
Se mêlent sous ses doigts et composent son corps, 6+6 a
Et l'âme, qui jadis esclave sur la terre 6+6 b
460 A ses sens révoltés faisait en vain la guerre 6+6 b
Triomphante aujourd'hui de leurs vœux impuissants, 6+6 a
Règne avec majesté sur le monde des sens, 6+6 a
Pour des plaisirs sans fin, sans fin les multiplie, 6+6 b
Et joue avec l'espace et les temps et la vie ! 6+6 b
465 Tantôt, pour s'envoler où l'appelle un désir, 6+6 a
Elle aime à parfumer les ailes du zéphyr, 6+6 a
D'un rayon de l'iris en glissant les colore ; 6+6 b
Et du ciel aux enfers, du couchant à l'aurore, 6+6 b
Comme une abeille errante elle court en tout lieu 6+6 a
470 Découvrir et baiser les ouvrages de Dieu. 6+6 a
Tantôt au char brillant que l'aurore lui prête 6+6 b
Elle attelle un coursier qu'anime la tempête ; 6+6 b
Et, dans ces beaux déserts de feux errants semés, 6+6 a
Cherchant ces grands esprits qu'elle a jadis aimés, 6+6 a
475 De soleil en soleil, de système en système, 6+6 b
Elle vole et se perd avec l'âme qu'elle aime, 6+6 b
De l'espace infini suit les vastes détours, 6+6 a
Et dans le sein de Dieu se retrouve toujours ! 6+6 a
« L'âme, pour soutenir sa céleste nature, 6+6 b
480 N'emprunte pas des corps sa chaste nourriture ; 6+6 b
Ni le nectar coulant de la coupe d'Hébé, 6+6 a
Ni le parfum des fleurs par le vent dérobé, 6+6 a
Ni la libation en son honneur versée, 6+6 b
Ne sauraient nourrir l'âme : elle vit de pensée, 6+6 b
485 De désirs satisfaits, d'amour, de sentiments, 6+6 a
De son être immortel immortels aliments. 6+6 a
Grâce à ces fruits divins que le ciel multiplie, 6+6 b
Elle soutient, prolonge, éternise sa vie, 6+6 b
Et peut, par la vertu de l'éternel amour, 6+6 a
490 Multiplier son être, et créer à son tour ! 6+6 a
« Car, ainsi que les corps, la pensée est féconde. 6+6 b
Un seul désir suffit pour peupler tout un monde ; 6+6 b
Et, de même qu'un son par l'écho répété, 6+6 a
Multiplié sans fin, court dans l'immensité, 6+6 a
495 Ou comme en s'étendant l'éphémère étincelle 6+6 b
Allume sur l'autel une flamme immortelle ; 6+6 b
Ainsi ces êtres purs l'un vers l'autre attirés, 6+6 a
De l'amour créateur constamment pénétrés, 6+6 a
A travers l'infini se cherchent, se confondent, 6+6 b
500 D'une éternelle étreinte, en s'aimant, se fécondent, 6+6 b
Et, des astres déserts peuplant les régions, 6+6 a
Prolongent dans le ciel leurs générations. 6+6 a
O célestes amours ! saints transports ! chaste flamme ! 6+6 b
Baisers où sans retour l'âme se mêle à l'âme, 6+6 b
505 Où l'éternel désir et la pure beauté 6+6 a
Poussent en s'unissant un cri de volupté ! 6+6 a
Si j'osais !… » Mais un bruit retentit sous la voûte ! 6+6 b
Le sage interrompu tranquillement écoute, 6+6 b
Et nous vers l'occident nous tournons tous les yeux : 6+6 a
510 Hélas ! c'était le jour qui s'enfuyait des cieux ! 6+6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
En détournant les yeux, le serviteur des Onze 6+6 b
Lui tendait le poison dans la coupe de bronze ; 6+6 b
Socrate la reçut d'un front toujours serein, 6+6 a
Et, comme un don sacré l'élevant dans sa main, 6+6 a
515 Sans suspendre un moment sa phrase commencée, 6+6 b
Avant de la vider acheva sa pensée. 6+6 b
Sur les flancs arrondis du vase au large bord, 6+6 a
Qui jamais de son sein ne versait que la mort, 6+6 a
L'artiste avait fondu sous un souffle de flamme 6+6 b
520 L'histoire de Psyché, ce symbole de l'âme ; 6+6 b
Et, symbole plus doux de l'immortalité, 6+6 a
Un léger papillon en ivoire sculpté, 6+6 a
Plongeant sa trompe avide en ces ondes mortelles, 6+6 b
Formait l'anse du vase en déployant ses ailes : 6+6 b
525 Psyché, par ses parents dévouée à l'Amour, 6+6 a
Quittant avant l'aurore un superbe séjour, 6+6 a
D'une pompe funèbre allait environnée 6+6 b
Tenter comme la mort ce divin hyménée ; 6+6 b
Puis, seule, assise, en pleurs, le front sur ses genoux, 6+6 a
530 Dans un désert affreux attendait son époux ; 6+6 a
Mais, sensible à ses maux, le volage Zéphire, 6+6 b
Comme un désir divin que le ciel nous inspire, 6+6 b
Essuyant d'un soupir les larmes de ses yeux, 6+6 a
Dormante sur son sein l'enlevait dans les cieux ! 6+6 a
535 On voyait son beau front penché sur son épaule 6+6 b
Livrer ses longs cheveux aux doux baisers d'Éole, 6+6 b
Et Zéphyr, succombant sous son charmant fardeau, 6+6 a
Lui former de ses bras un amoureux berceau, 6+6 a
Effleurer ses longs cils de sa brûlante haleine, 6+6 b
540 Et, jaloux de l'Amour, la lui rendre avec peine. 6+6 b
Ici, le tendre Amour sur des roses couché 6+6 a
Pressait entre ses bras la tremblante Psyché, 6+6 a
Qui, d'un secret effroi ne pouvant se défendre, 6+6 b
Recevait ses baisers sans oser les lui rendre ; 6+6 b
545 Car le céleste époux, trompant son tendre amour, 6+6 a
Toujours du lit sacré fuyait avec le jour. 6+6 a
Plus loin, par le désir en secret éveillée, 6+6 b
Et du voile nocturne à demi dépouillée, 6+6 b
Sa lampe d'une main et de l'autre un poignard, 6+6 a
550 Psyché, risquant l'amour, hélas ! contre un regard, 6+6 a
De son époux qui dort tremblant d'être entendue, 6+6 b
Se penchait vers le lit, sur un pied suspendue, 6+6 b
Reconnaissait l'Amour, jetait un cri soudain, 6+6 a
Et l'on voyait trembler la lampe dans sa main. 6+6 a
555 Mais de l'huile brûlante une goutte épanchée. 6+6 b
S'échappant par malheur de la lampe penchée 6+6 b
Tombait sur le sein nu de l'amant endormi ; 6+6 a
L'Amour impatient, s'éveillant à demi, 6+6 a
Contemplait tour à tour ce poignard, cette goutte. 6+6 b
560 Et fuyait indigné vers la céleste voûte ! 6+6 b
Emblème menaçant des désirs indiscrets 6+6 a
Qui profanent les dieux, pour les voir de trop près. 6+6 a
La vierge cette fois errante sur la terre 6+6 b
Pleurait son jeune amant, et non plus sa misère : 6+6 b
565 Mais l'Amour à la fin, de ses larmes touché, 6+6 a
Pardonnait à sa faute, et l'heureuse Psyché, 6+6 a
Par son céleste époux dans l'Olympe ravie, 6+6 b
Sur les lèvres du dieu buvant des flots de vie, 6+6 b
S'avançait dans le ciel avec timidité ; 6+6 a
570 Et l'on voyait Vénus sourire à sa beauté ! 6+6 a
Ainsi par la vertu l'âme divinisée 6+6 b
Revient, égale aux dieux, régner dans l'Élysée ! 6+6 b
Mais Socrate élevant la coupe dans ses mains : 6+6 a
« Offrons ! offrons d'abord aux maîtres des humains 6+6 a
575 De l'immortalité cette heureuse prémice ! » 6+6 b
Il dit ; et vers la terre inclinant le calice, 6+6 b
Comme pour épargner un nectar précieux, 6+6 a
En versa seulement deux gouttes pour les dieux, 6+6 a
Et, de sa lèvre avide approchant le breuvage, 6+6 b
580 Le vida lentement sans changer de visage, 6+6 b
Comme un convive avant de sortir d'un festin 6+6 a
Qui dans sa coupe d'or verse un reste de vin, 6+6 a
Et, pour mieux savourer le dernier jus qu'il goûte. 6+6 b
L'incline lentement et le boit goutte à goutte. 6+6 b
585 Puis, sur son lit de mort doucement étendu, 6+6 a
Il reprit aussitôt son discours suspendu. 6+6 a
« Espérons dans les dieux, et croyons-en notre âme 6+6 b
De l'amour dans nos cœurs alimentons la flamme ! 6+6 b
L'amour est le lien des dieux et des mortels ; 6+6 a
590 La crainte ou la douleur profanent leurs autels. 6+6 a
Quand vient l'heureux signal de notre délivrance, 6+6 b
Amis, prenons vers eux le vol de l'espérance ! 6+6 b
Point de funèbre adieu ! point de cris ! point de pleurs ! 6+6 a
On couronne ici-bas la victime de fleurs ; 6+6 a
595 Que de joie et d'amour notre âme couronnée 6+6 b
S'avance au-devant d'eux comme à son hyménée ! 6+6 b
Ce sont là les festons, les parfums précieux, 6+6 a
Les voix, les instruments, les chants mélodieux, 6+6 a
Dont l'âme convoquée à ce banquet suprême 6+6 b
600 Avant d'aller aux dieux, doit s'enchanter soi-même ! 6+6 b
« Relevez donc ces fronts que l'effroi fait pâlir ! 6+6 a
Ne me demandez plus s'il faut m'ensevelir ; 6+6 a
Sur ce corps qui fut moi quelle huile on doit répandre ; 6+6 b
Dans quel lieu, dans quelle urne il faut garder ma cendre. 6+6 b
605 Qu'importe à vous, à moi, que ce vil vêtement 6+6 a
De la flamme, ou des vers, devienne l'aliment ? 6+6 a
Qu'une froide poussière, à moi jadis unie, 6+6 b
Soit balayée aux flots ou bien aux gémonies ? 6+6 b
Ce corps vil, composé des éléments divers, 6+6 a
610 Ne sera pas plus moi qu'une vague des mers, 6+6 a
Qu'une feuille des bois que l'aquilon promène, 6+6 b
Qu'un atome flottant qui fut argile humaine, 6+6 b
Que le feu du bûcher dans les airs exhalé, 6+6 a
Ou le sable mouvant de vos chemins foulé ! 6+6 a
615 « Mais je laisse en partant à cette terre ingrate 6+6 b
Un plus noble débris de ce que fut Socrate : 6+6 b
Mon génie à Platon ! à vous tous mes vertus 6+6 a
Mon âme aux justes dieux ! ma vie à Mélitus, 6+6 a
Comme au chien dévorant qui sur le seuil aboie, 6+6 b
620 Eu quittant le festin, on jette aussi sa proie !… » 6+6 b
Tel qu'un triste soupir de la rame et des flots 6+6 a
Se mêle sur les mers aux chants des matelots, 6+6 a
Pendant cet entretien une funèbre plainte 6+6 b
Accompagnait sa voix sur le seuil de l'enceinte ; 6+6 b
625 Hélas ! c'était Myrto demandant son époux, 6+6 a
Que l'heure des adieux ramenait parmi nous ! 6+6 a
L'égarement troublait sa démarche incertaine, 6+6 b
Et, suspendus aux plis de sa robe qui traîne, 6+6 b
Deux enfants, les pieds nus, marchant à ses côtés, 6+6 a
630 Suivaient en chancelant ses pas précipités. 6+6 a
Avec ses longs cheveux elle essuyait ses larmes ; 6+6 b
Mais leur trace profonde avait flétri ses charmes ; 6+6 b
Et la mort sur ses traits répandait sa pâleur : 6+6 a
On eût dit qu'en passant l'impuissante douleur, 6+6 a
635 Ne pouvant de Socrate atteindre la grande âme, 6+6 b
Avait respecté l'homme et profané la femme ! 6+6 b
De terreur et d'amour saisie à son aspect, 6+6 a
Elle pleurait sur lui dans un tendre respect. 6+6 a
Telle, aux fêtes du dieu pleuré par Cythérée, 6+6 b
640 Sur le corps d'Adonis la bacchante éplorée, 6+6 b
Partageant de Vénus les divines douleurs, 6+6 a
Réchauffe tendrement le marbre de ses pleurs, 6+6 a
De sa bouche muette avec respect l'effleure, 6+6 b
Et paraît adorer le beau dieu qu'elle pleure ! 6+6 b
645 Socrate, en recevant ses enfants dans ses bras, 6+6 a
Baisa sa joue humide et lui parla tout bas : 6+6 a
Nous vîmes une larme, et ce fut la dernière, 6+6 b
Sous ses cils abaissés rouler dans sa paupière. 6+6 b
Puis d'un bras défaillant offrant ses fils aux dieux : 6+6 a
650 « Je fus leur père ici, vous l'êtes dans les cieux ! 6+6 a
Je meurs, mais vous vivez ! Veillez sur leur enfance ! 6+6 b
Je les lègue, ô dieux bons, à votre providence !… » 6+6 b
Mais déjà le poison dans ses veines versé 6+6 a
Enchaînait dans son cours le flot du sang glacé : 6+6 a
655 On voyait vers le cœur, comme une onde tarie, 6+6 b
Remonter pas à pas la chaleur et la vie, 6+6 b
Et ses membres roidis, sans force et sans couleur, 6+6 a
Du marbre de Paros imitaient la pâleur. 6+6 a
En vain Phédon, penché sur ses pieds qu'il embrasse, 6+6 b
660 Sous sa brûlante haleine en réchauffait la glace ; 6+6 b
Son front, ses mains, ses pieds se glaçaient sous nos doigts ! 6+6 a
Il ne nous restait plus que son âme et sa voix ! 6+6 a
Semblable au bloc divin d'où sortit Galatée 6+6 b
Quand une âme immortelle à l'Olympe empruntée, 6+6 b
665 Descendant dans le marbre à la voix d'un amant, 6+6 a
Fait palpiter son cœur d'un premier sentiment, 6+6 a
Et qu'ouvrant sa paupière au jour qui vient d'éclore, 6+6 b
Elle n'est plus un marbre, et n'est pas femme encore ! 6+6 b
Était-ce de la mort la pâle majesté, 6+6 a
670 Ou le premier rayon de l'immortalité ? 6+6 a
Mais son front rayonnant d'une beauté sublime 6+6 b
Brillait comme l'aurore aux sommets de Didyme, 6+6 b
Et nos yeux, qui cherchaient à saisir son adieu, 6+6 a
Se détournaient de crainte et croyaient voir un dieu ! 6+6 a
675 Quelquefois l'œil au ciel il rêvait en silence ; 6+6 b
Puis, déroulant les flots de sa sainte éloquence, 6+6 b
Comme un homme enivré du doux jus du raisin, 6+6 a
Brisant cent fois le fil de ses discours sans fin, 6+6 a
Ou comme Orphée errant dans les demeures sombres, 6+6 b
680 En mots entrecoupés il parlait à des ombres ! 6+6 b
« Courbez-vous, disait-il, cyprès d'Académus ! 6+6 a
Courbez-vous, et pleurez, vous ne le verrez plus ! 6+6 a
Que la vague, en frappant le marbre du Pirée, 6+6 b
Jette avec son écume une voix éplorée ! 6+6 b
685 Les dieux l'ont rappelé ! ne le savez-vous pas ?… 6+6 a
Mais ses amis en deuil, où portent-ils leurs pas ? 6+6 a
Voilà Platon, Cébès, ses enfants et sa femme ! 6+6 b
Voilà son cher Phédon, cet enfant de son âme ! 6+6 b
Ils vont d'un pas furtif, aux lueurs de Phébé, 6+6 a
690 Pleurer sur un cercueil aux regards dérobé, 6+6 a
Et, penchés sur mon urne, ils paraissent attendre 6+6 b
Que la voix qu'ils aimaient sorte encor de ma cendre. 6+6 b
Oui, je vais vous parler, amis, comme autrefois, 6+6 a
Quand penchés sur mon lit vous aspiriez ma voix !… 6+6 a
695 Mais que ce temps est loin ! et qu'une courte absence 6+6 b
Entre eux et moi, grands dieux , a jeté de distance ! 6+6 b
Vous qui cherchez si loin la trace de mes pas, 6+6 a
Levez les yeux, voyez !… Ils ne m'entendent pas ! 6+6 a
Pourquoi ce deuil ? pourquoi ces pleurs dont tu t'inondes ? 6+6 b
700 Épargne au moins, Myrto, tes longues tresses blondes, 6+6 b
Tourne vers moi tes yeux de larmes essuyés : 6+6 a
Myrto, Platon, Cébès, amis !… si vous saviez !… 6+6 a
« Oracles, taisez-vous ! tombez, voix du Portique ! 6+6 b
Fuyez, vaines lueurs de la sagesse antique ! 6+6 b
705 Nuages colorés d'une fausse clarté, 6+6 a
Évanouissez-vous devant la vérité ! 6+6 a
D'un hymen ineffable elle est prête d'éclore ; 6+6 b
Attendez… Un, deux, trois… quatre siècles encore, 6+6 b
Et ses rayons divins qui partent des déserts 6+6 a
710 D'un éclat immortel rempliront l'univers ! 6+6 a
Et vous, ombres de Dieu qui nous voilez sa face, 6+6 b
Fantômes imposteurs qu'on adore à sa place, 6+6 b
Dieux de chair et de sang, dieux vivants, dieux mortels, 6+6 a
Vices déifiés sur d'immondes autels, 6+6 a
715 Mercure aux ailes d'or, déesse de Cythère, 6+6 b
Qu'adorent impunis le vol et l'adultère ; 6+6 b
Vous tous, grands et petits, race de Jupiter, 6+6 a
Qui peuplez, qui souillez les eaux, la terre et l'air, 6+6 a
Encore un peu de temps, et votre auguste foule, 6+6 b
720 Roulant avec l'erreur de l'Olympe qui croule, 6+6 b
Fera place au Dieu saint, unique, universel, 6+6 a
Le seul Dieu que j'adore et qui n'a point d'autel !… 6+6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Quels secrets dévoilés ! quelle vaste harmonie !… 6+6 b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Mais qui donc étais-tu, mystérieux génie ? 6+6 b
725 Toi qui, voilant toujours ton visage à mes yeux, 6+6 a
M'as conduit par la voix jusqu'aux portes des cieux ? 6+6 a
Toi qui, m'accompagnant comme un oiseau fidèle, 6+6 b
Caresse encor mon front du doux vent de ton aile, 6+6 b
Es-tu quelque Apollon de ce divin séjour, 6+6 a
730 Ou quelque beau Mercure envoyé par l'Amour ? 6+6 a
Tiens-tu l'arc, ou la lyre, ou l'heureux caducée ? 6+6 b
Ou n'es-tu, réponds-moi, qu'une simple pensée ? 6+6 b
Ah ! viens, qui que tu sois, esprit, mortel ou dieu ! 6+6 a
Avant de recevoir mon éternel adieu, 6+6 a
735 Laisse-moi découvrir, laisse-moi reconnaître 6+6 b
Cet ami qui m'aima même avant que de naître ! 6+6 b
Que je puisse, en touchant au terme du chemin, 6+6 a
Rendre grâce à mon guide et pleurer sur sa main ! 6+6 a
Sors du voile éclatant qui te dérobe encore ! 6+6 b
740 Approche !… Mais que vois-je ? ô Verbe que j'adore ! 6+6 b
Rayon coéternel, est-ce vous que je vois ?… 6+6 a
Voilez-vous, ou je meurs une seconde fois ! 6+6 a
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Heureux ceux qui naîtront dans la sainte contrée 6+6 b
Que baise avec respect la vague d'Érythrée ! 6+6 b
745 Ils verront les premiers, sur leur pur horizon, 6+6 a
Se lever au matin l'astre de la raison. 6+6 a
Amis, vers l'orient tournez votre paupière : 6+6 b
La vérité viendra d'où nous vient la lumière ! 6+6 b
Mais qui l'apportera ?… C'est toi, Verbe conçu ! 6+6 a
750 Toi, qu'à travers les temps mes yeux ont aperçu ; 6+6 a
Toi, dont par l'avenir la splendeur réfléchie 6+6 b
Vient m'éclairer d'avance au sommet de la vie» 6+6 b
Tu viens ! tu vis ! tu meurs d'un trépas mérité ! 6+6 a
Car la mort est le prix de toute vérité. 6+6 a
755 Mais ta voix expirante en ce monde entendue 6+6 b
Comme la mienne, au moins, ne sera pas perdue. 6+6 b
La voix qui vient du ciel n'y remontera pas ; 6+6 a
L'univers assoupi t'écoute et fait un pas ! 6+6 a
L'énigme du destin se révèle à la terre ! 6+6 b
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
760 Quoi ! j'avais soupçonné ce sublime mystère ! 6+6 b
Nombre mystérieux ! profonde trinité ! 6+6 a
Triangle composé d'une triple unité ! 6+6 a
Les formes, les couleurs, les sons, les nombres même, 6+6 b
Tout me cachait mon Dieu ! tout était son emblème ! 6+6 b
765 Mais les voiles enfin pour moi sont révolus ; 6+6 a
Écoutez !… » Il parlait : nous ne l'entendions plus ! 6+6 a
Cependant dans son sein son haleine oppressée », 6+6 b
Trop faible pour prêter des sons à sa pensée, 6+6 b
Sur sa lèvre entr'ouverte, hélas ! venait mourir, 6+6 a
770 Puis semblait tout à coup palpiter et courir : 6+6 a
Comme, prêt à s'abattre aux rives paternelles, 6+6 b
D'un cygne qui se pose on voit battre les ailes ; 6+6 b
Entre les bras d'un songe il semblait endormi. 6+6 a
L'intrépide Cébès penché sur notre ami, 6+6 a
775 Rappelant dans ses yeux l'âme qui s'évapore, 6+6 b
Jusqu'au bord du trépas l'interrogeait encore : 6+6 b
« Dors-tu ? lui disait-il ; la mort, est-ce un sommeil ? » 6+6 a
Il recueillit sa force, et dit : « C'est un réveil ! 6+6 a
—Ton œil est-il voilé par des ombres funèbres ? 6+6 b
780 —Non ; je vois un jour pur poindre dans les ténèbres. 6+6 b
—N'entends-tu pas des cris, des gémissements ?—Non ! 6+6 a
J'entends des astres d'or qui murmurent un nom ! 6+6 a
— Que sens-tu ? —Ce que sent la jeune chrysalide 6+6 b
Quand, livrant à la terre une dépouille aride, 6+6 b
785 Aux rayons de l'aurore ouvrant ses faibles yeux, 6+6 a
Le souffle du matin la roule dans les cieux. 6+6 a
—Ne nous trompais-tu pas ? réponds : l'âme était-elle 6+6 b
—Croyez-en ce sourire, elle était immortelle 6+6 b
—De ce monde imparfait qu'attends-tu pour sortir ? 6+6 a
790 —J'attends, comme la nef, un souffle pour partir ! 6+6 a
—D'où viendra-t-il ?—Du ciel ! —Encore une parole ! 6+6 b
—Non ; laisse en paix mon âme, afin qu'elle s'envole ! » 6+6 b
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Il dit, ferma les yeux pour la dernière fois, 6+6 a
Et resta quelque temps sans haleine et sans voix. 6+6 a
795 Un faux rayon de vie errant par intervalle 6+6 b
D'une pourpre mourante éclairait son front pâle. 6+6 b
Ainsi, dans un soir pur de l'arrière-saison, 6+6 a
Quand déjà le soleil a quitté l'horizon, 6+6 a
Un rayon oublié des ombres se dégage, 6+6 b
800 Et colore en passant les flancs d'or d'un nuage.. 6+6 b
Enfin plus librement il semble respirer, 6+6 a
Et, laissant sur ses traits son doux sourire errer : 6+6 a
« Aux dieux libérateurs, dit-il, qu'on sacrifie ! 6+6 b
Ils m'ont guéri ! —De quoi ? dit Cébès.—De la vie !… » 6+6 b
805 Puis un léger soupir de ses lèvres coula, 6+6 a
Aussi doux que le vol d'une abeille d'Hybla ! 6+6 a
Était-ce… Je ne sais ; mais, pleins d'un saint dictame, 6+6 b
Nous sentîmes en nous comme une seconde âme !… 6+6 b
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Comme un lis sur les eaux et que la rame incline, 6+6 a
810 Sa tête mollement penchait sur sa poitrine ; 6+6 a
Ses longs cils, que la mort n'a fermés qu'à demi, 6+6 b
Retombant en repos sur son œil endormi, 6+6 b
Semblaient comme autrefois, sous leur ombre abaissée 6+6 a
Recueillir le silence, ou voiler la pensée ! 6+6 a
815 La parole surprise en son dernier essor 6+6 b
Sur sa lèvre entr'ouverte, hélas ! errait encor, 6+6 b
Et ses traits, où la vie a perdu son empire, 6+6 a
Étaient comme frappés d'un éternel sourire !… 6+6 a
Sa main, qui conservait son geste habituel, 6+6 b
820 De son doigt étendu montrait encor le ciel ; 6+6 b
Et quand le doux regard de la naissante aurore, 6+6 a
Dissipant par degrés les ombres qu'il colore, 6+6 a
Comme un phare allumé sur un sommet lointain, 6+6 b
Vint dorer son front mort des ombres du matin, 6+6 b
825 On eût dit que Vénus, d'un deuil divin suivie, 6+6 a
Venait pleurer encor sur son amant sans vie ; 6+6 a
Que la triste Phébé de son pâle rayon 6+6 b
Caressait, dans la nuit, le sein d'Endymion ; 6+6 b
Ou que du haut du ciel l'âme heureuse du sage 6+6 a
830 Revenait contempler le céleste rivage, 6+6 a
Et, visitant de loin le corps qu'elle a quitté, 6+6 b
Réfléchissait sur lui l'éclat de sa beauté, 6+6 b
Comme un astre bercé dans un ciel sans nuage 6+6 a
Aime à voir dans les flots briller sa chaste image, 6+6 a
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835 On n'entendait autour ni plainte, ni soupir !… 6+6 b
C'est ainsi qu'il mourut, si c'était là mourir ! 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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