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| = césure
LAM_3/LAM84
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
TROISIÈMES MÉDITATIONS
1812-1847
QUINZIÈME MÉDITATION
SUR L’INGRATlTUDE DES PEUPLES
ODE
1827
Un jour qu’errant de ville en ville, 8 a
Et cachant sa lyre et son nom, 8 b
L’aveugle qui chantait Achille 8 a
Montait au temple d’Apollon ; 8 b
5 Ses rivaux, que sa gloire outrage, 8 c
Le reconnaissent à l’image 8 c
Du dieu qu’on adore à Claros, 8 d
Et chassent du seuil du génie 8 e
Ce mendiant, dont l’Ionie 8 e
10 Un jour disputera les os ! 8 d
À pas lents, la tête baissée, 8 a
Le vieillard reprend son chemin, 8 b
Seul, et roulant dans sa pensée 8 a
L’injustice du genre humain. 8 b
15 En marchant, sous son bras il presse 8 c
Sa lyre sainte et vengeresse, 8 c
Qui résonne comme un carquois ; 8 d
Et sur un écueil de la plage 8 e
Il va s’asseoir près du rivage, 8 e
20 Pleurant et chantant à la fois. 8 d
« Reptiles qui vivez de gloire, 8 a
Disait-il, déchirez mes jours ! 8 b
Souillez d’avance ma mémoire 8 a
D’un poison qui ronge toujours ! 8 b
25 Sifflez, vils serpents de l’envie ! 8 c
De ma fortune et de ma vie 8 c
Arrachez le dernier lambeau, 8 d
Jusqu’à ce que les Euménides 8 e
Écrasent vos têtes livides 8 e
30 Sur la pierre de mon tombeau ! 8 d
« Tel est donc le sort, ô nature, 8 a
Que tu garde à tes favoris ? 8 b
De tout temps l’outrage et l’injure 8 a
Sont le pain dont tu les nourris. 8 b
35 Sitôt qu’un des fils de Mémoire 8 c
Élève ses mains vers la gloire, 8 c
Un cri s’élève : il doit périr ! 8 d
Semblable aux chiens de Laconie, 8 e
La haine dispute au génie 8 e
40 Un seuil qu’elle ne peut franchir. 8 d
« Cependant j’ai courbé ma tête 8 a
Au niveau de vos fronts jaloux ; 8 b
J’ai fui de retraite en retraite, 8 a
De peur d’être plus grand que vous ! 8 b
45 Ma voix, sans écho sur la terre, 8 c
Montait sur un bord solitaire ; 8 c
Et quand je vous tendais la main 8 d
(Les siècles le pourront-ils croire ?), 8 e
Je ne demandais pas de gloire, 8 e
50 Ingrats ! je mendiais du pain ! 8 d
« Mais le génie en vain dépouille 8 a
L’éclat dont il est revêtu : 8 b
Comme Ulysse qu’un haillon souille, 8 a
Il est trahi par sa vertu. 8 b
55 De quelque ombre qu’il se recèle, 8 c
Dès qu’un être divin se mêle 8 c
Aux enfants de ce vil séjour, 8 d
L’envie à sa trace s’enchaîne, 8 e
Et le reconnaît à sa haine, 8 e
60 Comme la terre à son amour. 8 d
« Si du moins, ô langues impures, 8 a
Contentes de boire mes pleurs, 8 b
Vos traits restaient dans mes blessures !… 8 a
Mais non : vous vivez, et je meurs ! 8 b
65 Mes yeux, à travers leur nuage, 8 c
Vous voient renaître d’âge en âge. 8 c
Ô temps, que me dévoiles-tu ? 8 d
Toujours le génie est un crime. 8 e
Toujours, quoi ! toujours un abîme 8 e
70 Entre la gloire et la vertu ? 8 d
« Race immortelle des Zoïle, 8 a
Non, vous ne vous éteindrez plus ! 8 b
Bavius attend son Virgile, 8 a
Socrate meurt sous Anitus ! 8 b
75 Le Dante est maudit de Florence ; 8 c
La mort, dans sa dure indigence 8 c
Surprend l’aveugle d’Albion ; 8 d
Et l’Envie un jour se console 8 e
De marchander pour une obole 8 e
80 La gloire d’une nation 1 ! 8 d
« Le chantre divin d’Herminie, 8 a
Rongeant son cœur dans sa prison, 8 b
Sous les assauts de l’insomnie 8 a
Sent fléchir jusqu’à sa raison. 8 b
85 D’une haine injuste et barbare 8 c
Les sombres cachots de Ferrare 8 c
Éteignent-ils l’affreux flambeau ? 8 d
Non : la haine qui lui pardonne 8 e
Lui laisse entrevoir sa couronne, 8 e
90 Mais c’est plus loin que son tombeau ! 8 d
« Et toi, chantre d’un saint martyre ; 8 a
Toi que Sion vit adorer 8 b
Toi qu’en secret l’envie admire, 8 a
En s’indignant de t’admirer ; 8 b
95 En vain, en rampant sur ta trace, 8 c
La Haine avec sa langue efface 8 c
Ta route à l’immortalité : 8 b
Trop grand pour un siècle vulgaire, 8 d
Ta gloire tristement éclaire 8 d
100 Son envieuse obscurité ! 8 b
« En vain l’impure Calomnie 8 a
Lançant ses traits sur l’avenir, 8 b
Ne pouvant nier ton génie, 8 a
S’efforce au moins de le ternir : 8 b
105 Comme un vaisseau voguant sur l’onde 8 c
Traîne après soi la vase immonde 8 c
Qu’il a soulevée en son cours, 8 d
Ton nom, plus fort que l’injustice, 8 e
Traîne ton Zoïle au supplice 8 e
110 D’une honte qui vit toujours ! 8 d
« Meute hideuse qu’un grand homme 8 a
Traîne sans cesse sur ses pas, 8 b
Toujours acharnés s’il vous nomme, 8 a
Honteux s’il ne vous nomme pas ; 8 b
115 Je pourrais… Mais que ce silence 8 c
Soit contre eux ma seule vengeance ! 8 c
Les dieux nous vengent à ce prix. 8 d
Que l’oubli soit leur anathème ; 8 e
Que leurs noms n’héritent pas même 8 e
120 L’immortalité du mépris ! 8 d
« Vils profanateurs que vous êtes, 8 a
Aux yeux des siècles indignés 8 b
Croyez-vous couronner vos têtes 8 a
Des rayons que vous éteignez ? 8 b
125 Non ! la gloire par vous ternie 8 c
Ne couvre que d’ignominie 8 c
Un front que l’ombre aurait caché ; 8 b
Et de ce front livide et blême 8 d
Le laurier tombe de lui-même, 8 d
130 Flétri dès qu’il vous a touché ! » 8 b
Il se tut : sa lyre plaintive 8 a
Suspendit ses rhythmes touchants, 8 b
Croyant que l’écho de la rive 8 a
Avait seul entendu ses chants ; 8 b
135 Mais, par ses rivaux irritée, 8 c
Sur ses pas la foule ameutée 8 c
Suivait sa trace et l’entendit : 8 d
Leurs cœurs de venin se gonflèrent, 8 e
Au lieu d’applaudir ils sifflèrent ; 8 e
140 Car ainsi l’envie applaudit. 8 d
Du sein de la foule offensée 8 a
De ces ennemis inhumains, 8 b
Soudain une pierre lancée 8 a
Va frapper sa lyre en ses mains. 8 b
145 L’aveugle en vain la presse encore, 8 c
Elle roule en débris sonore 8 c
Du sein qui veut la retenir ; 8 d
Mais, en se brisant sous ce crime, 8 e
Elle jette un accord sublime 8 e
150 Qui retentit dans l’avenir ! 8 d
Le Paradis perdu, vendu pour dix guinées.
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