Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAM_2/LAM67
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
SECONDES MÉDITATIONS
1823
VINGT-SIXIÈME MÉDITATION
ADIEUX À LA POÉSIE
Il est une heure de silence 8 a
Où la solitude est sans voix, 8 b
Où tout dort, même l’espérance ; 8 a
Où nul zéphyr ne se balance 8 a
5 Sous l’ombre immobile des bois. 8 b
Il est un âge où de la lyre 8 a
L’âme aussi semble s’endormir, 8 b
Où du poétique délire 8 a
Le souffle harmonieux expire 8 a
10 Dans le sein qu’il faisait frémir. 8 b
L’oiseau qui charme le bocage, 8 a
Hélas ! ne chante pas toujours : 8 b
À midi, caché sous l’ombrage, 8 a
Il n’enchante de son ramage 8 a
15 Que l’aube et le déclin des jours. 8 b
Adieu donc, adieu, voici l’heure, 8 a
Lyre aux accords mélodieux ! 8 b
En vain à la main qui t’effleure 8 a
Ta fibre encor répond et pleure : 8 a
20 Voici l’heure de nos adieux. 8 b
Reçois cette larme rebelle 8 a
Que mes yeux ne peuvent cacher. 8 b
Combien sur ta corde fidèle 8 a
Mon âme, hélas ! en versa-t-elle, 8 a
25 Que tes soupirs n’ont pu sécher ! 8 b
Sur cette terre infortunée, 8 a
Où tous les yeux versent des pleurs, 8 b
Toujours de cyprès couronnée, 8 a
La lyre ne nous fut donnée 8 a
30 Que pour endormir nos douleurs. 8 b
Tout ce qui chante ne répète 8 a
Que des regrets ou des désirs ; 8 b
Du bonheur la corde est muette ; 8 a
De Philomèle et du poëte 8 a
35 Les plus doux chants sont des soupirs. 8 b
Dans l’ombre auprès d’un mausolée, 8 a
Ô lyre, tu suivis mes pas ; 8 b
Et, des doux festins exilée, 8 a
Jamais ta voix ne s’est mêlée, 8 a
40 Aux chants des heureux d’ici-bas. 8 b
Pendue aux saules de la rive, 8 a
Libre comme l’oiseau des bois, 8 b
On n’a point vu ma main craintive 8 a
T’attacher, comme une captive, 8 a
45 Aux portes des palais des rois. 8 b
Des partis l’haleine glacée 8 a
Ne t’inspira pas tour à tour ; 8 b
Aussi chaste que la pensée, 8 a
Nul souffle ne t’a caressée, 8 a
50 Hormis le souffle de l’Amour. 8 b
En quelque lieu qu’un sort sévère 8 a
Fît plier mon front sous ses lois, 8 b
Grâce à toi, mon âme étrangère 8 a
A trouvé partout sur la terre 8 a
55 Un céleste écho de sa voix. 8 b
Aux monts d’où le jour semble éclore, 8 a
Quand je t’emportais avec moi 8 b
Pour louer celui que j’adore, 8 a
Le premier rayon de l’aurore 8 a
60 Ne se réveillait qu’après toi. 8 b
Au bruit des flots et des cordages, 8 a
Aux feux livides des éclairs, 8 b
Tu jetais des accords sauvages, 8 a
Et, comme l’oiseau des orages, 8 a
65 Tu rasais l’écume des mers. 8 b
Celle dont le regard m’enchaîne 8 a
À tes accents mêlait sa voix, 8 b
Et souvent ses tresses d’ébène 8 a
Frissonnaient sous ma molle haleine, 8 a
70 Comme tes cordes sous mes doigts. 8 b
Peut-être à moi, lyre chérie, 8 a
Tu reviendras dans l’avenir, 8 b
Quand, de songes divins suivie, 8 a
La mort approche, et que la vie 8 a
75 S’éloigne comme un souvenir. 8 b
Dans cette seconde jeunesse 8 a
Qu’un doux oubli rend aux humains, 8 b
Souvent l’homme, dans sa tristesse, 8 a
Sur toi se penche et te caresse, 8 a
80 Et tu résonnes sous ses mains. 8 b
Ce vent qui sur nos âmes passe 8 a
Souffle à l’aurore, ou souffle tard ; 8 b
Il aime à jouer avec grâce 8 a
Dans les cheveux qu’un myrte enlace, 8 a
85 Ou dans la barbe du vieillard. 8 b
En vain une neige glacée 8 a
D’Homère ombrageait le menton ; 8 b
Et le rayon de la pensée 8 a
Rendait la lumière éclipsée 8 a
90 Aux yeux aveugles de Milton. 8 b
Autour d’eux voltigeaient encore 8 a
L’amour, l’illusion, l’espoir, 8 b
Comme l’insecte amant de Flore, 8 a
Dont les ailes semblent éclore 8 a
95 Aux tardives lueurs du soir. 8 b
Peut-être ainsi… Mais avant l’âge 8 a
Où tu reviens nous visiter, 8 b
Flottant de rivage en rivage, 8 a
J’aurai péri dans un naufrage, 8 a
100 Loin des cieux que je vais quitter. 8 b
Depuis longtemps ma voix plaintive 8 a
Sera couverte par les flots, 8 b
Et, comme l’algue fugitive, 8 a
Sur quelque sable de la rive 8 a
105 La vague aura roulé mes os. 8 b
Mais toi, lyre mélodieuse, 8 a
Surnageant sur les flots amers, 8 b
Des cygnes la troupe envieuse 8 a
Suivra ta trace harmonieuse 8 a
110 Sur l’abîme roulant des mers. 8 b
mètre profil métrique : 8
logo du CRISCO logo de l'université