Métrique en Ligne
LAM_2/LAM63
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
SECONDES MÉDITATIONS
1823
VINGT-DEUXIÈME MÉDITATION
LE CRUCIFIX
Toi que j’ai recueilli sur sa bouche expirante 6+6 a
Avec son dernier souffle et son dernier adieu, 6+6 b
Symbole deux fois saint, don d’une main mourante, 6+6 a
Image de mon Dieu ; 6 b
5 Que de pleurs ont coulé sur tes pieds que j’adore, 6+6 a
Depuis l’heure sacrée où, du sein d’un martyr, 6+6 b
Dans mes tremblantes mains tu passas, tiède encore 6+6 a
De son dernier soupir ! 6 b
Les saints flambeaux jetaient une dernière flamme ; 6+6 a
10 Le prêtre murmurait ces doux chants de la mort, 6+6 b
Pareils aux chants plaintifs que murmure une femme 6+6 a
À l’enfant qui s’endort. 6 b
De son pieux espoir son front gardait la trace, 6+6 a
Et sur ses traits, frappés d’une auguste beauté, 6+6 b
15 La douleur fugitive avait empreint sa grâce, 6+6 a
La mort sa majesté. 6 b
Le vent qui caressait sa tête échevelée 6+6 a
Me montrait tour à tour ou me voilait ses traits, 6+6 b
Comme l’on voit flotter sur un blanc mausolée 6+6 a
20 L’ombre des noirs cyprès. 6 b
Un de ses bras pendait de la funèbre couche ; 6+6 a
L’autre, languissamment replié sur son cœur, 6+6 b
Semblait chercher encore et presser sur sa bouche 6+6 a
L’image du Sauveur. 6 b
25 Ses lèvres s’entr’ouvraient pour l’embrasser encore, 6+6 a
Mais son âme avait fui dans ce divin baiser, 6+6 b
Comme un léger parfum que la flamme dévore 6+6 a
Avant de l’embraser. 6 b
Maintenant tout dormait sur sa bouche glacée, 6+6 a
30 Le souffle se taisait dans son sein endormi, 6+6 b
Et sur l’œil sans regard la paupière affaissée 6+6 a
Retombait à demi. 6 b
Et moi, debout, saisi d’une terreur secrète, 6+6 a
Je n’osais m’approcher de ce reste adoré, 6+6 b
35 Comme si du trépas la majesté muette 6+6 a
L’eût déjà consacré. 6 b
Je n’osais !… Mais le prêtre entendit mon silence, 6+6 a
Et, de ses doigts glacés prenant le crucifix : 6+6 b
« Voilà le souvenir, et voilà l’espérance : 6+6 a
40 » Emportez-les, mon fils ! » 6 b
Oui, tu me resteras, ô funèbre héritage ! 6+6 a
Sept fois, depuis ce jour, l’arbre que j’ai planté 6+6 b
Sur sa tombe sans nom a changé de feuillage : 6+6 a
Tu ne m’as pas quitté. 6 b
45 Placé près de ce cœur, hélas ! où tout s’efface, 6+6 a
Tu l’as contre le temps défendu de l’oubli, 6+6 b
Et mes yeux goutte à goutte ont imprimé leur trace 6+6 a
Sur l’ivoire amolli. 6 b
Ô dernier confident de l’âme qui s’envole, 6+6 a
50 Viens, reste sur mon cœur ! parle encore, et dis-moi 6+6 b
Ce qu’elle te disait quand sa faible parole 6+6 a
N’arrivait plus qu’à toi ; 6 b
À cette heure douteuse où l’âme recueillie, 6+6 a
Se cachant sous le voile épaissi sur nos yeux, 6+6 b
55 Hors de nos sens glacés pas à pas se replie, 6+6 a
Sourde aux derniers adieux ; 6 b
Alors qu’entre la vie et la mort incertaine, 6+6 a
Comme un fruit par son poids détaché du rameau, 6+6 b
Notre âme est suspendue, et tremble à chaque haleine 6+6 a
60 Sur la nuit du tombeau. 6 b
Quand des chants, des sanglots la confuse harmonie 6+6 a
N’éveille déjà plus notre esprit endormi, 6+6 b
Aux lèvres des mourants collé dans l’agonie, 6+6 a
Comme un dernier ami : 6 b
65 Pour éclaircir l’horreur de cet étroit passage, 6+6 a
Pour relever vers Dieu leur regard abattu, 6+6 b
Divin consolateur, dont nous baisons l’image, 6+6 a
Réponds, que leur dis-tu ? 6 b
Tu sais, tu sais mourir ! et tes larmes divines, 6+6 a
70 Dans cette nuit terrible où tu prias en vain, 6+6 b
De l’olivier sacré baignèrent les racines 6+6 a
Du soir jusqu’au matin. 6 b
De la croix, où ton œil sonda ce grand mystère, 6+6 a
Tu vis ta mère en pleurs et la nature en deuil ; 6+6 b
75 Tu laissas comme nous tes amis sur la terre, 6+6 a
Et ton corps au cercueil ! 6 b
Au nom de cette mort, que ma faiblesse obtienne 6+6 a
De rendre sur ton sein ce douloureux soupir : 6+6 b
Quand mon heure viendra, souviens-toi de la tienne, 6+6 a
80 Ô toi qui sais mourir ! 6 b
Je chercherai la place où sa bouche expirante 6+6 a
Exhala sur tes pieds l’irrévocable adieu, 6+6 b
Et son âme viendra guider mon âme errante 6+6 a
Au sein du même Dieu. 6 b
85 Ah ! puisse, puisse alors sur ma funèbre couche, 6+6 a
Triste et calme à la fois, comme un ange éploré, 6+6 b
Une figure en deuil recueillir sur ma bouche 6+6 a
L’héritage sacré ! 6 b
Soutiens ses derniers pas, charme sa dernière heure ; 6+6 a
90 Et, gage consacré d’espérance et d’amour, 6+6 b
De celui qui s’éloigne à celui qui demeure 6+6 a
Passe ainsi tour à tour, 6 b
Jusqu’au jour où, des morts perçant la voûte sombre, 6+6 a
Une voix dans le ciel, les appelant sept fois, 6+6 b
95 Ensemble éveillera ceux qui dorment à l’ombre 6+6 a
De l’éternelle croix ! 6 b
mètre profils métriques : 6, 6+6
forme globale type : suite périodique
schéma : 24(abab)
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