Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAM_2/LAM61
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
SECONDES MÉDITATIONS
1823
VINGTIÈME MÉDITATION
LA LIBERTÉ
OU UNE NUIT À ROME
À ÉLI., DUCH. DE DEV…
Comme l’astre adouci | de l’antique Élysée, 6+6 a
Sur les murs dentelés | du sacré Colisée 6+6 a
L’astre des nuits, perçant | des nuages épars, 6+6 b
Laisse dormir en paix | ses longs et doux regards. 6+6 b
5 Le rayon qui blanchit | les vastes flancs de pierre, 6+6 a
En glissant à travers | les pans flottants du lierre, 6+6 a
Dessine dans l’enceinte | un lumineux sentier : 6+6 b
On dirait le tombeau | d’un peuple tout entier, 6+6 b
Où la mémoire, errant | après des jours sans nombre, 6+6 a
10 Dans la nuit du passé | viendrait chercher une ombre. 6+6 a
Ici, de voûte en voûte | élevé dans les cieux, 6+6 b
Le monument debout | défie encor les yeux ; 6+6 b
Le regard égaré | dans ce dédale oblique, 6+6 a
De degrés en degrés, | de portique en portique, 6+6 a
15 Parcourt en serpentant | ce lugubre désert, 6+6 b
Fuit, monte, redescend, | se retrouve et se perd. 6+6 b
Là, comme un front penché | sous le poids des années, 6+6 a
La ruine, abaissant | ces voûtes inclinées, 6+6 a
Tout à coup se déchire | en immenses lambeaux, 6+6 b
20 Pend comme un noir rocher | sur l’abîme des eaux ; 6+6 b
Ou, des vastes hauteurs | de son faîte superbe 6+6 a
Descendant par degrés | jusqu’au niveau de l’herbe, 6+6 a
Comme un coteau qui meurt | sous les fleurs d’un vallon, 6+6 b
Vient mourir à nos pieds | sur des lits de gazon. 6+6 b
25 Sur les flancs décharnés | de ces sombres collines, 6+6 a
Des forêts dans les airs | ont jeté leurs racines : 6+6 a
Là, le lierre jaloux | de l’immortalité 6+6 b
Triomphe en possédant | ce que l’homme a quitté ; 6+6 b
Et, pareil à l’oubli, | sur ces murs qu’il enlace 6+6 a
30 Monte de siècle en siècle | au sommet qu’il efface. 6+6 a
Le buis, l’if immobile, | et l’arbre des tombeaux, 6+6 b
Dressent en frissonnant | leurs funèbres rameaux ; 6+6 b
Et l’humble giroflée, | aux lambris suspendue, 6+6 a
Attachant ses pieds d’or | dans la pierre fendue, 6+6 a
35 Et balançant dans l’air | ses longs rameaux flétris, 6+6 b
Comme un long souvenir | fleurit sur des débris. 6+6 b
Aux sommets escarpés | du fronton solitaire, 6+6 a
L’aigle à la frise étroite | a suspendu son aire : 6+6 a
Au bruit sourd de mes pas, | qui troublent son repos, 6+6 b
40 Il jette un cri d’effroi, | grossi par mille échos, 6+6 b
S’élance dans le ciel, | en redescend, s’arrête, 6+6 a
Et d’un vol menaçant | plane autour de ma tête. 6+6 a
Du creux des monuments, | de l’ombre des arceaux, 6+6 b
Sortent en gémissant | de sinistres oiseaux : 6+6 b
45 Ouvrant en vain dans l’ombre | une ardente prunelle, 6+6 a
L’aveugle amant des nuits | bat les murs de son aile ; 6+6 a
La colombe, inquiète | à mes pas indiscrets, 6+6 b
Descend, vole et s’abat | de cyprès en cyprès, 6+6 b
Et sur les bords brisés | de quelque urne isolée 6+6 a
50 Se pose en soupirant, | comme une âme exilée. 6+6 a
Les vents, en s’engouffrant | sous ces vastes débris, 6+6 b
En tirent des soupirs, | des hurlements, des cris : 6+6 b
On dirait qu’on entend | le torrent des années 6+6 a
Rouler sous ces arceaux | ses vagues déchaînées, 6+6 a
55 Renversant, emportant, | minant de jours en jours 6+6 b
Tout ce que les mortels | ont bâti sur son cours. 6+6 b
Les nuages, flottant | dans un ciel clair et sombre, 6+6 a
En passant sur l’enceinte | y font courir leur ombre, 6+6 a
Et tantôt, nous cachant | le rayon qui nous luit, 6+6 b
60 Couvrent le monument | d’une profonde nuit ; 6+6 b
Tantôt, se déchirant | sous un souffle rapide, 6+6 a
Laissent sur le gazon | tomber un jour livide, 6+6 a
Qui, semblable à l’éclair, | montre à l’œil ébloui 6+6 b
Ce fantôme debout | du siècle évanoui ; 6+6 b
65 Dessine en serpentant | ses formes mutilées, 6+6 a
Les cintres verdoyants | des arches écroulées, 6+6 a
Ses larges fondements | sous nos pas entr’ouverts, 6+6 b
Ses frontons menaçants | suspendus dans les airs, 6+6 b
Et l’éternelle croix, | qui, surmontant le faîte, 6+6 a
70 Incline comme un mât | battu par la tempête. 6+6 a
Rome, te voilà donc ! | Ô mère des Césars, 6+6 b
J’aime à fouler aux pieds | tes monuments épars ; 6+6 b
J’aime à sentir le temps, | plus fort que ta mémoire, 6+6 a
Effacer pas à pas | les traces de ta gloire ! 6+6 a
75 L’homme serait-il donc | de ses œuvres jaloux ? 6+6 b
Nos monuments sont-ils | plus immortels que nous ? 6+6 b
Égaux devant le temps, | non, ta ruine immense 6+6 a
Nous console du moins | de notre décadence. 6+6 a
J’aime, j’aime à venir | rêver sur ce tombeau, 6+6 b
80 À l’heure où de la nuit | le lugubre flambeau, 6+6 b
Comme l’œil du passé, | flottant sur des ruines, 6+6 a
D’un pâle demi-deuil | revêt tes sept collines, 6+6 a
Et, d’un ciel toujours jeune | éclaircissant l’azur, 6+6 b
Fait briller les torrents | sur les flancs de Tibur. 6+6 b
85 Ma harpe, qu’en passant | l’oiseau des nuits effleure, 6+6 a
Sur tes propres débris | te rappelle et te pleure, 6+6 a
Et jette aux flots du Tibre | un cri de liberté, 6+6 b
Hélas ! par l’écho même | à peine répété. 6+6 b
« Liberté ! nom sacré | profané par cet âge, 6+6 a
90 » J’ai toujours dans mon cœur | adoré ton image, 6+6 a
» Telle qu’aux jours d’Émile | et de Léonidas, 6+6 b
» T’adorèrent jadis | le Tibre et l’Eurotas, 6+6 b
» Quand, tes fils se levant | contre la tyrannie, 6+6 a
» Tu teignais leurs drapeaux | du sang de Virginie, 6+6 a
95 » Ou qu’à tes saintes lois | glorieux d’obéir, 6+6 b
» Tes trois cents immortels | s’embrassaient pour mourir ; 6+6 b
» Telle enfin que, d’Uri | prenant ton vol sublime, 6+6 a
» Comme un rapide éclair | qui court de cime en cime, 6+6 a
» Des rives du Léman | aux rochers d’Appenzell, 6+6 b
100 » Volant avec la mort | sur la flèche de Tell, 6+6 b
» Tu rassembles tes fils | errant sur les montagnes, 6+6 a
» Et, semblable au torrent | qui fond sur leurs campagnes, 6+6 a
» Tu purges à jamais | d’un peuple d’oppresseurs 6+6 b
» Ces champs où tu fondas | ton règne sur les mœurs ! 6+6 b
105 » Alors… Mais aujourd’hui | pardonne à mon silence ! 6+6 a
» Quand ton nom, profané | par l’infâme licence, 6+6 a
» Du Tage à l’Éridan | épouvantant les rois, 6+6 b
» Fait crouler dans le sang | les trônes et les lois ; 6+6 b
» Détournant leurs regards | de ce culte adultère, 6+6 a
110 » Tes purs adorateurs, | étrangers sur la terre, 6+6 a
» Voyant dans ces excès | ton saint nom s’abolir, 6+6 b
» Ne le prononcent plus… |, de peur de l’avilir. 6+6 b
» Il fallait t’invoquer, | quand un tyran superbe 6+6 a
» Sous ses pieds teints de sang | nous foulait comme l’herbe, 6+6 a
115 » En pressant sur son cœur | le poignard de Caton. 6+6 b
» Alors il était beau | de confesser ton nom : 6+6 b
» La palme des martyrs | couronnait tes victimes, 6+6 a
» Et jusqu’à leurs soupirs | tout leur était des crimes. 6+6 a
» L’univers cependant, | prosterné devant lui, 6+6 b
120 » Adorait ou tremblait ! |… L’univers aujourd’hui 6+6 b
» Au bruit des fers brisés | en sursaut se réveille. 6+6 a
» Mais qu’entends-je ? et quels cris | ont frappé mon oreille ? 6+6 a
» Esclaves et tyrans, | opprimés, oppresseurs, 6+6 b
» Quand tes droits ont vaincu, | s’offrent pour tes vengeurs : 6+6 b
125 » Insultant sans péril | la tyrannie absente, 6+6 a
» Ils poursuivent partout | son ombre renaissante ; 6+6 a
» Et, de la vérité | couvrant la faible voix, 6+6 b
» Quand le peuple est tyran, | ils insultent aux rois. 6+6 b
» Tu règnes cependant | sur un siècle qui t’aime, 6+6 a
130 » Liberté ! tu n’as rien | à craindre que toi-même. 6+6 a
» Sur la pente rapide | où roule en paix ton char, 6+6 b
» Je vois mille Brutus… | mais où donc est César ? » 6+6 b
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