Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAM_2/LAM59
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
SECONDES MÉDITATIONS
1823
DIX-HUITIÈME MÉDITATION
L’APPARITION DE L’OMBRE DE SAMUEL À SAÜL
FRAGMENT DRAMATIQUE
SAÜL, LA PYTHONISSE D’ENDOR
SAÜL, seul.
Peut-être… puisqu’enfin | je puis le consulter, 6+6 a
Le ciel peut-être est las | de me persécuter ! 6+6 a
À mes yeux dessillés | la vérité va luire. 6+6 b
Mais au livre du sort, | ô Dieu, que vont-ils lire ? 6+6 b
5 De ce livre fatal, | qui s’explique trop tôt, 6+6 a
Chaque jour, chaque instant, | hélas ! révèle un mot. 6+6 a
Pourquoi donc devancer | le temps qui nous l’apporte ? 6+6 b
Pourquoi dans cet abîme, | avant l’heure… ? N’importe ! 6+6 b
C’est trop, c’est trop longtemps | attendre dans la nuit 6+6 a
10 Les invisibles coups | du bras qui me poursuit : 6+6 a
J’aime mieux, déroulant | la trame infortunée, 6+6 b
Y lire, d’un seul trait, | toute ma destinée. 6+6 b
La Pytonisse d’Endor entre sur la scène.
Est-ce toi qui, portant | l’avenir dans ton sein, 6+6 a
Viens au roi d’Israël | annoncer son destin ? 6+6 a
LA PYTHONISSE.
C’est moi.
SAÜL.
Qui donc es-tu ? |
LA PYTHONISSE.
15 La voix du Dieu suprême. 6+6 b
SAÜL.
Tremble de me tromper ! |
LA PYTHONISSE.
Saül, tremble toi-même ! 6+6 b
SAÜL.
Eh bien ! qu’apportes-tu ? |
LA PYTHONISSE.
Ton arrêt.
SAÜL.
Parle.
LA PYTHONISSE.
Ô ciel ! 6+6 a
Pourquoi m’as-tu choisie | entre tout Israël ? 6+6 a
Mon cœur est faible, ô ciel ! | et mon sexe est timide. 6+6 b
20 Choisis pour ton organe | un sein plus intrépide. 6+6 b
Pour annoncer au roi | tes divines fureurs, 6+6 a
Qui suis-je ?
SAÜL, étonné.
Ta main tremble ! | et tu verses des pleurs ! 6+6 a
Quoi ! ministre du ciel, | tu n’es plus qu’une femme ! 6+6 b
LA PYTHONISSE.
Détruis donc, ô mon Dieu, | la pitié dans mon âme ! 6+6 b
SAÜL.
25 Par tes feintes terreurs | penses-tu m’ébranler ? 6+6 a
LA PYTHONISSE.
Mais ma bouche, ô mon roi, | se refuse à parler. 6+6 a
SAÜL, avec colère.
Tes lenteurs, à la fin, | lassent ma patience : 6+6 b
Parle, si tu le peux ; | ou sors de ma présence ! 6+6 b
LA PYTHONISSE.
Que ne puis-je sortir, | emportant avec moi 6+6 a
30 Tout ce qu’ici je viens | prophétiser sur toi ! 6+6 a
Mais un Dieu me retient, | me pousse, me ramène ; 6+6 b
Je ne puis résister | à son bras qui m’entraîne. 6+6 b
Oui, je sens ta présence, | ô Dieu persécuteur ! 6+6 a
Et ta fureur divine | a passé dans mon cœur. 6+6 a
Avec plus d’horreur.
35 Mais quel rayon sanglant | vient frapper ma paupière ! 6+6 b
Mon œil épouvanté | cherche et fuit la lumière ! 6+6 b
Silence !… l’avenir | ouvre ses noirs secrets ! 6+6 a
Quel chaos de malheurs, | de vertus, de forfaits ! 6+6 a
Dans la confusion | je les vois tous ensemble ! 6+6 b
40 Comment, comment saisir | le fil qui les rassemble ? 6+6 b
Saül… Michol… David… | Malheureux Jonathas ! 6+6 a
Arrête ! arrête, ô roi ! | ne m’interroge pas. 6+6 a
SAÜL, tremblant.
Que dis-tu de David, | de Jonathas ? achève ! 6+6 b
LA PYTHONISSE, montrant du doigt une ombre.
Oui, l’ombre se dissipe | et le voile se lève, 6+6 b
C’est lui !
SAÜL.
Qui donc ?
LA PYTHONISSE.
David ! |
SAÜL.
Eh bien ?
LA PYTHONISSE.
45 Il est vainqueur ! 6+6
Quel triomphe, ô David ! | que d’éclat t’environne ! 6+6 a
Que vois-je sur ton front ? |
SAÜL.
Achève !
LA PYTHONISSE.
Une couronne ! 6+6 a
SAÜL.
Perfide ! Qu’as-tu dit ? | Lui, David, couronné ? 6+6 b
LA PYTHONISSE, avec tristesse.
Hélas ! et tu péris, | jeune homme infortuné ! 6+6 b
50 Et pour pleurer ton sort, | belle et tendre victime, 6+6 a
Les palmiers de Cadès | ont incliné leur cime !… 6+6 a
Grâce ! grâce, ô mon Dieu ! | détourne tes fureurs ! 6+6 b
Saül a bien assez | de ses propres malheurs… 6+6 b
Mais la mort l’a frappé, | sans pitié pour ses charmes, 6+6 a
55 Hélas ! et David même | en a versé des larmes ! 6+6 a
SAÜL.
Silence ! c’est assez : | j’en ai trop écouté. 6+6 b
LA PYTHONISSE.
Saül, pour tes forfaits | ton fils est rejeté. 6+6 b
D’un prince condamné | Dieu détourne sa face, 6+6 a
D’un souffle de sa bouche | il dissipe sa race : 6+6 a
Le sceptre est arraché ! |
SAÜL, l’interrompant avec violence.
60 Tais-toi, dis-je, tais-toi ! 6+6 b
LA PYTHONISSE.
Saül, Saül, écoute | un Dieu plus fort que moi ! 6+6 b
Le sceptre est arraché | de tes mains sans défense ; 6+6 a
Le sceptre dans Juda | passe avec ta puissance, 6+6 a
Et ces biens par Dieu même | à ta race promis, 6+6 b
65 Transportés à David, | passent tous à ses fils. 6+6 b
Que David est brillant ! | que son triomphe est juste ! 6+6 a
Qu’il sort de rejetons | de cette tige auguste ! 6+6 a
Que vois-je ? un Dieu lui-même ! |… Ô vierges du saint lieu, 6+6 b
Chantez, chantez David ! | David enfante un Dieu !… 6+6 b
SAÜL.
70 Ton audace, à la fin, | a comblé la mesure : 6+6 a
Va, tout respire en toi | la fourbe et l’imposture. 6+6 a
Dieu m’a promis le trône, | et Dieu ne trompe pas. 6+6 b
LA PYTHONISSE.
Dieu promet ses fureurs | à des princes ingrats. 6+6 b
SAÜL.
Crois-tu qu’impunément | ta bouche ici m’outrage ? 6+6 a
LA PYTHONISSE.
75 Crois-tu faire d’un Dieu | varier le langage ? 6+6 a
SAÜL.
Sais-tu quel sort t’attend ? | sais-tu…
LA PYTHONISSE.
Ce que je sais, 6+6 b
C’est que ton propre bras | va punir tes forfaits ; 6+6 b
Et qu’avant que des cieux | le flambeau se retire, 6+6 a
Un Dieu justifiera | tout ce qu’un Dieu m’inspire. 6+6 a
80 Adieu, malheureux père ! | adieu, malheureux roi ! 6+6 b
Elle se retire ; Saül la retient par force.
SAÜL.
Non, non, perfide, arrête ! | écoute, et réponds-moi. 6+6 b
C’est souffrir trop longtemps | l’insolence et l’injure : 6+6 a
Je veux convaincre ici | ta bouche d’imposture. 6+6 a
Si le ciel à tes yeux | a su les révéler, 6+6 b
85 Quels sont donc ces forfaits | dont tu m’oses parler ? 6+6 b
LA PYTHONISSE.
L’ombre les a couverts, | l’ombre les couvre encore, 6+6 a
Saül ; mais le ciel voit | ce que la terre ignore. 6+6 a
Ne tente pas le ciel. |
SAÜL.
Non : parle, si tu sais. 6+6 b
LA PYTHONISSE.
L’ombre de Samuel | te dira ces forfaits… 6+6 b
SAÜL.
90 Samuel ! Samuel ! | Hé quoi ! que veux-tu dire ? 6+6 a
LA PYTHONISSE.
Toi-même, en traits de sang, | ne peux-tu pas le lire ? 6+6 a
SAÜL.
Eh bien, qu’a de commun | ce Samuel et moi ? 6+6 b
LA PYTHONISSE.
Qui plongea dans son sein | ce fer sanglant ?
SAÜL.
Qui ?
LA PYTHONISSE.
Toi ! 6+6 b
SAÜL, furieux, se précipitant sur elle avec sa lance.
Monstre, qu’a trop longtemps | épargné ma clémence, 6+6 a
95 Ton audace, à la fin, | appelle ma vengeance ! 6+6 a
Prêt à la frapper.
Tiens, va dire à ton Dieu, | va dire à Samuel 6+6 b
Comment Saül punit | ton imposture…
Au moment où il va frapper, il voit l’ombre de Samuel ; il laisse tomber la lance, il recule.
Ô ciel ! 6+6 b
Ciel ! que vois-je ? C’est toi ! | c’est ton ombre sanglante ! 6+6 a
Quel regard !… Son aspect | m’a glacé d’épouvante. 6+6 a
100 Pardonne, ombre fatale ! | oh ! pardonne ! Oui, c’est moi. 6+6 b
C’est moi qui t’ai porté | tous ces coups que je voi ! 6+6 b
Quoi ! depuis si longtemps ! | quoi ! ton sang coule encore ! 6+6 a
Viens-tu pour le venger ? |… Tiens…
Il découvre sa poitrine, et tombe à genoux.
Mais il s’évapore !… 6+6 a
La Pythonisse disparaît pendant ces derniers mots.
mètre profil métrique : 6+6
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