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LAM_2/LAM58
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
SECONDES MÉDITATIONS
1823
DIX-SEPTIÈME MÉDITATION
L’ANGE
FRAGMENT ÉPIQUE
Dieu se lève, et soudain sa voix terrible appelle 6+6 a
De ses ordres secrets un ministre fidèle, 6+6 a
Un de ces esprits purs qui sont chargés par lui 6+6 b
De servir aux humains de conseil et d’appui, 6+6 b
5 De lui porter leurs vœux sur leurs ailes de flamme, 6+6 a
De veiller sur leur vie, et de garder leur âme. 6+6 a
Tout mortel a le sien : cet ange protecteur, 6+6 b
Cet invisible ami veille autour de son cœur, 6+6 b
L’inspire, le conduit, le relève s’il tombe, 6+6 a
10 Le reçoit au berceau, l’accompagne à la tombe, 6+6 a
Et, portant dans les cieux son âme entre ses mains, 6+6 b
La présente en tremblant au juge des humains. 6+6 b
C’est ainsi qu’entre l’homme et Jéhovah lui-même, 6+6 a
Entre le pur néant et la grandeur suprême, 6+6 a
15 D’êtres inaperçus une chaîne sans fin 6+6 b
Réunit l’homme à l’ange, et l’ange au séraphin ; 6+6 b
C’est ainsi que, peuplant l’étendue infinie, 6+6 a
Dieu répandit partout l’esprit, l’âme et la vie, 6+6 a
Au son de cette voix qui fait trembler le ciel, 6+6 b
20 S’élance devant Dieu l’archange Ithuriel : 6+6 b
C’est lui qui du héros est le céleste guide, 6+6 a
Et qui pendant sa vie à ses destins préside. 6+6 a
Sur les marches du trône, où de la Trini 6+6 b
Brille au plus haut des cieux la triple majesté, 6+6 b
25 L’Esprit, épouvan de la splendeur divine, 6+6 a
Dans un saint tremblement soudain monte et s’incline, 6+6 a
Et du voile éclatant de ses deux ailes d’or 6+6 b
Du céleste regard s’ombrage, et tremble encor. 6+6 b
Mais Dieu, voilant pour lui sa clarté dévorante, 6+6 a
30 Modère les accents de sa voix éclatante, 6+6 a
Se penche sur son trône, et lui parle : soudain 6+6 b
Tout le ciel, attentif au Verbe souverain, 6+6 b
Suspend les chants sacrés, et la cour immortelle 6+6 a
S’apprête à recueillir la parole éternelle. 6+6 a
35 Pour la première fois, sous la voûte des cieux, 6+6 b
Cessa des chérubins le chœur harmonieux : 6+6 b
On n’entendit alors, dans les saintes demeures, 6+6 a
Que le bruit caden du char léger des heures, 6+6 a
Qui, des jours éternels mesurant l’heureux cours, 6+6 b
40 Dans un cercle sans fin fuit et revient toujours ; 6+6 b
On n’entendit alors que la sourde harmonie 6+6 a
Des sphères poursuivant leur course indéfinie, 6+6 a
Et des astres pieux le murmure d’amour, 6+6 b
Qui vient mourir au seuil du céleste séjour. 6+6 b
45 Mais en vain dans le ciel les chœurs sacrés se turent ; 6+6 a
Autour du trône en vain tous les saints accoururent : 6+6 a
L’archange entendit seul les ordres du Très-Haut. 6+6 b
Il s’incline, il adore, il s’élance aussitôt. 6+6 b
Telle qu’au sein des nuits une étoile tombante, 6+6 a
50 Se détachant soudain de la voûte éclatante, 6+6 a
Glisse, et, d’un trait de feu fendant l’obscurité, 6+6 b
Vient au bord des marais éteindre sa clarté ; 6+6 b
Tel, d’un vol lumineux et d’une aile assurée, 6+6 a
L’ardent Ithuriel fend la plaine azurée. 6+6 a
55 À peine il a franchi ces déserts enflammés 6+6 b
Que la main du Très-Haut de soleils a semés, 6+6 b
Il ralentit son vol, et, comme un aigle immense, 6+6 a
Sur son aile immobile un instant se balance : 6+6 a
Il craint que la clarté des célestes rayons 6+6 b
60 Ne trahisse son vol aux yeux des nations, 6+6 b
Et, secouant trois fois ses ailes immortelles, 6+6 a
Trois fois en fait jaillir des gerbes d’étincelles. 6+6 a
Le nocturne pasteur, qui compte dans les cieux 6+6 b
Les astres tant de fois nommés par ses aïeux, 6+6 b
65 Se trouble, et croit que Dieu, de nouvelles étoiles, 6+6 a
A de l’antique nuit semé les sombres voiles. 6+6 a
Mais, pour tromper les yeux, l’archange essaye en vain 6+6 b
De dépouiller l’éclat de ce reflet divin ; 6+6 b
L’immortelle clarté dont son aile est empreinte 6+6 a
70 L’accompagne au de de la céleste enceinte ; 6+6 a
Et ces rayons du ciel dont il est pénétré, 6+6 b
Se détachant de lui, pâlissent par degré. 6+6 b
Ainsi le globe ardent que l’ange des batailles 6+6 a
Inventa pour briser les tours et les murailles, 6+6 a
75 Sur ses ailes de feu projeté dans les airs, 6+6 b
Trace au sein de la nuit de sinistres éclairs : 6+6 b
Immobile un moment au haut de sa carrière, 6+6 a
Il pâlit, il retombe en perdant sa lumière ; 6+6 a
Tous les yeux avec lui dans les airs suspendus 6+6 b
80 Le cherchent dans l’espace, et ne le trouvent plus. 6+6 b
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C’était l’heure où la Nuit, de ses paisibles mains, 6+6 a
Répand le doux sommeil, ce nectar des humains. 6+6 a
Le fleuve, déroulant ses vagues fugitives, 6+6 b
Réfléchissait les feux allumés sur ses rives, 6+6 b
85 Ces feux abandonnés, dont les débris mouvants 6+6 a
Pâlissaient, renaissaient, mouraient au gré des vents ; 6+6 a
D’une antique forêt le ténébreux ombrage 6+6 b
Couvrait au loin la plaine et bordait le rivage : 6+6 b
Là, sous l’abri sacré du chêne aimé des Francs, 6+6 a
90 Clovis avait plan ses pavillons errants. 6+6 a
Les vents par intervalle agitant les armures, 6+6 b
En tiraient dans la nuit de belliqueux murmures ; 6+6 b
L’astre aux rayons d’argent, se levant dans les cieux, 6+6 a
Répandait sur le camp son jour mystérieux, 6+6 a
95 Et, se réfléchissant sur l’acier des trophées, 6+6 b
Jetait dans la forêt des lueurs étouffées : 6+6 b
Tels brillent dans la nuit, à travers les rameaux, 6+6 a
Les feux tremblants du ciel réfléchis dans les eaux. 6+6 a
Le messager divin s’avance vers la tente 6+6 b
100 Où Clovis, qu’entourait sa garde vigilante, 6+6 b
Commençait à gter les nocturnes pavots : 6+6 a
Clodomir et Lisois, compagnons du héros, 6+6 a
Debout devant la tente, appuyés sur leur lance, 6+6 b
Gardaient l’auguste seuil, et veillaient en silence. 6+6 b
105 Mais de la palme d’or qui brille dans sa main 6+6 a
L’ange, en touchant leurs yeux, les assoupit soudain : 6+6 a
Ils tombent ; de leur main la lance échappe et roule, 6+6 b
Et sous son pied divin l’ange en passant les foule. 6+6 b
Du pavillon royal il franchit les degrés. 6+6 a
110 Sur la peau d’un lion, dont les ongles dorés 6+6 a
Retombaient aux deux bords de sa couche d’ivoire, 6+6 b
Clovis dormait, bercé par des songes de gloire. 6+6 b
L’ange, de sa beauté, de sa grâce étonné, 6+6 a
Contemple avec amour ce front prédestiné : 6+6 a
115 Il s’approche, il retient son haleine divine, 6+6 b
Et sur le lit du prince en souriant s’incline. 6+6 b
Telle une jeune mère, au milieu de la nuit, 6+6 a
De son lit nuptial sortant au moindre bruit, 6+6 a
Une lampe à la main, sur un pied suspendue, 6+6 b
120 Vole à son premier-né, tremblant d’être entendue, 6+6 b
Et, pour calmer l’effroi qui la faisait frémir, 6+6 a
En silence longtemps le regarde dormir ; 6+6 a
Tel des ordres d’en haut l’exécuteur fidèle, 6+6 b
Se penchant sur Clovis, l’ombrageait de son aile. 6+6 b
125 Sur le front du héros il impose ses mains : 6+6 a
Soudain, par un pouvoir ignoré des humains, 6+6 a
Dénouant sans efforts les liens de la vie, 6+6 b
Des entraves des sens son âme se délie : 6+6 b
L’ange, qui la reçoit, dirige son essor, 6+6 a
130 Et le corps du héros paraît dormir encor. 6+6 a
Dans l’astre au front changeant, dont la forme inégale 6+6 b
Grandissant, décroissant, mourant par intervalle, 6+6 b
Prête ou retire aux nuits ses limpides rayons, 6+6 a
L’Éternel étendit d’immenses régions, 6+6 a
135 Où, des êtres réels images symboliques, 6+6 b
Les Songes ont bâti leurs palais fantastiques. 6+6 b
Sortis demi-formés des mains du Tout-Puissant, 6+6 a
Ils tiennent à la fois de l’être et du néant : 6+6 a
Un souffle aérien est toute leur essence, 6+6 b
140 Et leur vie est à peine une ombre d’existence ; 6+6 b
Aucune forme fixe, aucun contour précis, 6+6 a
N’indiquèrent jamais ces êtres indécis ; 6+6 a
Mais ils sont, aux regards du Dieu qui les fit naître, 6+6 b
L’image du possible et les ombres de l’être. 6+6 b
145 La matière et le temps sont soumis à leurs lois. 6+6 a
Revêtus tour à tour de formes de leur choix, 6+6 a
Tantôt de ce qui fut ils rendent les images ; 6+6 b
Et tantôt, s’élançant dans le lointain des âges, 6+6 b
Tous les êtres futurs, au néant arrachés, 6+6 a
150 Apparaissent d’avance en leurs jeux ébauchés. 6+6 a
Quand la nuit des mortels a fermé la paupière, 6+6 b
Sur les pâles rayons de l’astre du mystère 6+6 b
Ils glissent en silence, et leurs nombreux essaims 6+6 a
Ravissent au sommeil les âmes des humains, 6+6 a
155 Et, les portant d’un trait à leurs palais magiques, 6+6 b
Font éclore à leurs yeux des mondes fantastiques. 6+6 b
De leur globe natal les divers éléments, 6+6 a
Subissant à leur voix d’éternels changements, 6+6 a
Ne sont jamais fixés dans des formes prescrites, 6+6 b
160 Ne connaissent ni lois, ni repos, ni limites ; 6+6 b
Mais sans cesse en travail, l’un par l’autre pressés, 6+6 a
Séparés, confondus, attirés, repoussés, 6+6 a
Comme des flots mouvants d’une mer en furie, 6+6 b
Leur forme insaisissable à chaque instant varie : 6+6 b
165 Où des fleuves coulaient, où mugissaient des mers, 6+6 a
Des sommets escarpés s’élancent dans les airs ; 6+6 a
Soudain dans les vallons les montagnes descendent, 6+6 b
Sur leurs flancs décharnés des champs féconds s’étendent, 6+6 b
Qui, changés aussitôt en immenses déserts, 6+6 a
170 S’abîment à grand bruit dans des gouffres ouverts. 6+6 a
Des cités, des palais et des temples superbes 6+6 b
S’élèvent, et soudain sont cachés sous les herbes ; 6+6 b
Tout change, et les cités, et les monts, et les eaux, 6+6 a
S’y déroulent sans terme en horizons nouveaux : 6+6 a
175 Tel roulait le chaos dans les déserts du vide, 6+6 b
Lorsque Dieu, séparant la terre du fluide, 6+6 b
De la confusion des éléments divers 6+6 a
Son regard créateur vit sortir l’univers. 6+6 a
C’est là qu’Ithuriel, sur son aile brillante, 6+6 b
180 Du héros endormi portait l’âme tremblante. 6+6 b
À peine il a touché ces bords mystérieux, 6+6 a
L’ombre de l’avenir éclôt devant ses yeux : 6+6 a
L’ange l’y précipite ; et son âme étonnée 6+6 b
Parcourt en un clin d’œil l’immense destinée. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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