Métrique en Ligne
LAM_2/LAM56
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
SECONDES MÉDITATIONS
1823
QUINZIÈME MÉDITATION
LES PRÉLUDES
À M. VICTOR HUGO
La nuit, pour rafraîchir la nature embrasée, 6+6 a
De ses cheveux d’ébène exprimant la rosée, 6+6 a
Pose au sommet des monts ses pieds silencieux, 6+6 b
Et l’ombre et le sommeil descendent sur mes yeux : 6+6 b
5 C’était l’heure où jadis… Mais aujourd’hui mon âme, 6+6 a
Comme un feu dont le vent n’excite plus la flamme, 6+6 a
Fait pour se ranimer un inutile effort, 6+6 b
Retombe sur soi-même, et languit et s’endort. 6+6 b
Que ce calme lui pèse ! Ô lyre ! ô mon génie ! 6+6 a
10 Musique intérieure, ineffable harmonie, 6+6 a
Harpe que j’entendais résonner dans les airs 6+6 b
Comme un écho lointain des célestes concerts, 6+6 b
Pendant qu’il en est temps, pendant qu’il vibre encore, 6+6 a
Venez, venez bercer ce cœur qui vous implore ! 6+6 a
15 Et toi qui donnes l’âme à mon luth inspiré, 6+6 b
Esprit capricieux, viens, prélude à ton gré ! 6+6 b
Il descend ! il descend ! La harpe obéissante 6+6 a
A frémi mollement sous son vol cadencé, 6+6 b
Et de la corde frémissante 8 a
20 Le souffle harmonieux dans mon âme a passé. 6+6 b
L’onde qui baise ce rivage, 8 a
De quoi se plaint-elle à ses bords ? 8 b
Pourquoi le roseau sur la plage, 8 a
Pourquoi le ruisseau sous l’ombrage, 8 a
25 Rendent-ils de tristes accords ? 8 b
De quoi gémit la tourterelle 8 a
Quand, dans le silence des bois, 8 b
Seule auprès du ramier fidèle, 8 a
L’amour fait palpiter son aile, 8 a
30 Les baisers étouffent sa voix ? 8 b
Et toi, qui mollement te livre 8 a
Au doux sourire du bonheur, 8 b
Et du regard dont tu m’enivre 8 a
Me fais mourir, me fais revivre ; 8 a
35 De quoi te plains-tu sur mon cœur ? 8 b
Plus jeune que la jeune Aurore, 8 a
Plus limpide que ce flot pur, 8 b
Ton âme au bonheur vient d’éclore, 8 a
Et jamais aucun souffle encore 8 a
40 N’en a terni le vague azur. 8 b
Cependant si ton cœur soupire 8 a
De quelque poids mystérieux, 8 b
Sur tes traits si la joie expire, 8 a
Et si tout près de ton sourire 8 a
45 Brille une larme dans tes yeux, 8 b
Hélas ! c’est que notre faiblesse, 8 a
Pliant sous sa félicité 8 b
Comme un roseau qu’un souffle abaisse, 8 a
Donne l’accent de la tristesse 8 a
50 Même au chant de la volupté ; 8 b
Ou bien peut-être qu’avertie 8 a
De la fuite de nos plaisirs, 8 b
L’âme en extase anéantie 8 a
Se réveille et sent que la vie 8 a
55 Fuit dans chacun de nos soupirs. 8 b
Ah ! laisse le zéphyr avide 8 a
À leur source arrêter tes pleurs ; 8 b
Jouissons de l’heure rapide : 8 a
Le temps fuit, mais son flot limpide 8 a
60 Du ciel réfléchit les couleurs. 8 b
Tout naît, tout passe, tout arrive 8 a
Au terme ignoré de son sort : 8 b
À l’Océan l’onde plaintive, 8 a
Aux vents la feuille fugitive, 8 a
65 L’aurore au soir, l’homme à la mort. 8 b
Mais qu’importe, ô ma bien-aimée, 8 a
Le terme incertain de nos jours, 8 b
Pourvu que sur l’onde calmée, 8 a
Par une pente parfumée, 8 a
70 Le temps nous entraîne en son cours ? 8 b
Pourvu que, durant le passage, 8 a
Couché dans tes bras à demi, 8 b
Les yeux tournés vers ton image, 8 a
Sans le voir, j’aborde au rivage 8 a
75 Comme un voyageur endormi ? 8 b
Le flot murmurant se retire 8 a
Du rivage qu’il a baisé ; 8 b
La voix de la colombe expire, 8 a
Et le voluptueux zéphire 8 a
80 Dort sur le calice épuisé. 8 b
Embrassons-nous, mon bien suprême, 8 a
Et, sans rien reprocher aux dieux, 8 b
Un jour, de la terre où l’on aime, 8 a
Évanouissons-nous de même 8 a
85 En un soupir mélodieux ! 8 b
Non, non, brise à jamais cette corde amollie ! 6+6 a
Mon cœur ne répond plus à ta voix affaiblie. 6+6 a
L’amour n’a pas de sons qui puissent l’exprimer : 6+6 b
Pour révéler sa langue, il faut, il faut aimer. 6+6 b
90 Un seul soupir du cœur que le cœur nous renvoie, 6+6 a
Un œil demi-voilé par des larmes de joie, 6+6 a
Un regard, un silence, un accent de sa voix, 6+6 b
Un mot toujours le même et répété cent fois, 6+6 b
Ô lyre, en disent plus que ta vaine harmonie ! 6+6 a
95 L’amour est à l’amour, le reste est au génie. 6+6 a
Si tu veux que mon cœur résonne sous ta main, 6+6 b
Tire un plus mâle accord de tes fibres d’airain. 6+6 b
────
J’entends, j’entends de loin comme une voix qui gronde ; 6+6 a
Un souffle impétueux fait frissonner les airs, 6+6 b
100 Comme l’on voit frissonner l’onde 8 a
Quand l’aigle, au vol pesant, rase le sein des mers. 6+6 b
────
Eh ! qui m’emportera sur des flots sans rivages ? 6+6 a
Quand pourrai-je, la nuit, aux clartés des orages, 6+6 a
Sur un vaisseau sans mâts, au gré des aquilons, 6+6 b
105 Fendre de l’Océan les liquides vallons, 6+6 b
M’engloutir dans leur sein, m’élancer sur leurs cimes, 6+6 a
Rouler avec la vague au sein des noirs abîmes 6+6 a
Et, revomi cent fois par les gouffres amers, 6+6 b
Flotter comme l’écume au vaste sein des mers ? 6+6 b
110 D’effroi, de volupté tour à tour éperdue, 6+6 a
Cent fois entre la vie et la mort suspendue, 6+6 a
Peut-être que mon âme, au sein de ces horreurs, 6+6 b
Pourrait jouir au moins de ses propres terreurs, 6+6 b
Et, prête à s’abîmer dans la nuit qu’elle ignore, 6+6 a
115 À la vie un moment se reprendrait encore, 6+6 a
Comme un homme roulant des sommets d’un rocher 6+6 b
De ses bras tout sanglants cherche à s’y rattacher. 6+6 b
Mais toujours repasser par une même route, 6+6 a
Voir ses jours épuisés s’écouler goutte à goutte ; 6+6 a
120 Mais suivre pas à pas dans l’immense troupeau 6+6 b
Ces générations, inutile fardeau, 6+6 b
Qui meurent pour mourir, qui vécurent pour vivre, 6+6 a
Et dont chaque printemps la terre se délivre, 6+6 a
Comme dans nos forêts le chêne avec mépris 6+6 b
125 Livre aux vents des hivers ses feuillages flétris ; 6+6 b
Sans regrets, sans espoir, avancer dans la vie 6+6 a
Comme un vaisseau qui dort sur une onde assoupie ; 6+6 a
Sentir son âme usée en un stérile effort, 6+6 b
Se ronger lentement sous la rouille du sort ; 6+6 b
130 Penser sans découvrir, aspirer sans atteindre, 6+6 a
Briller sans éclairer, et pâlir sans s’éteindre, 6+6 a
Hélas ! tel est mon sort et celui des humains. 6+6 b
Nos pères ont passé par les mêmes chemins ; 6+6 b
Chargés du même sort, nos fils prendront nos places : 6+6 a
135 Ceux qui ne sont pas nés y trouveront leurs traces. 6+6 a
Tout s’use, tout périt, tout passe : mais, hélas ! 6+6 b
Excepté les mortels, rien ne change ici-bas. 6+6 b
Toi qui rendais la force à mon âme affligée, 6+6 a
Esprit consolateur, que ta voix est changée ! 6+6 a
140 On dirait qu’on entend, au séjour des douleurs, 6+6 b
Rouler, à flots plaintifs, le sourd torrent des pleurs. 6+6 b
Pourquoi gémir ainsi, comme un souffle d’orage, 6+6 a
À travers les rameaux qui pleurent leur feuillage ? 6+6 a
Pourquoi ce vain retour vers la félicité ? 6+6 b
145 Quoi donc ! ce qui n’est plus a-t-il jamais été ? 6+6 b
Faut-il que le regret, comme une ombre ennemie, 6+6 a
Vienne s’asseoir sans cesse au festin de la vie, 6+6 a
Et, d’un regard funèbre effrayant les humains, 6+6 b
Fasse tomber toujours les coupes de leurs mains ? 6+6 b
150 Non : de ce triste aspect que ta voix me délivre ! 6+6 a
Oublions, oublions : c’est le secret de vivre. 6+6 a
Viens, chante, et, du passé détournant mes regards, 6+6 b
Précipite mon âme au milieu des hasards ! 6+6 b
De quels sons belliqueux mon oreille est frappée ! 6+6 a
155 C’est le cri du clairon, c’est la voix du coursier ; 6+6 b
La corde de sang trempée 7 a
Retentit comme l’épée 7 a
Sur l’orbe du bouclier. 7 b
────
La trompette a jeté le signal des alarmes : 6+6 a
160 Aux armes ! et l’écho répète au loin : Aux armes ! 6+6 a
Dans la plaine soudain les escadrons épars, 6+6 b
Plus prompts que l’aquilon, fondent de toutes parts, 6+6 b
Et sur les flancs épais des légions mortelles 6+6 a
S’étendent tout à coup comme deux sombres ailes. 6+6 a
165 Le coursier, retenu par un frein impuissant, 6+6 b
Sur ses jarrets pliés s’arrête en frémissant ; 6+6 b
La foudre dort encore, et sur la foule immense 6+6 a
Plane, avec la terreur, un lugubre silence : 6+6 a
On n’entend que le bruit de cent mille soldats 6+6 b
170 Marchant comme un seul homme au-devant du trépas, 6+6 b
Les roulements des chars, les coursiers qui hennissent, 6+6 a
Les ordres répétés qui dans l’air retentissent, 6+6 a
Ou le bruit des drapeaux soulevés par les vents, 6+6 b
Qui, dans les camps rivaux flottant à plis mouvants, 6+6 b
175 Tantôt semblent, enflés d’un souffle de victoire, 6+6 a
Vouloir voler d'eux mêmesd'eux-même au-devant de la gloire, 6+6 a
Et tantôt, retombant le long des pavillons, 6+6 b
De leurs funèbres plis couvrir leurs bataillons. 6+6 b
Mais sur le front des camps déjà les bronzes grondent : 6+6 a
180 Ces tonnerres lointains se croisent, se répondent ; 6+6 a
Des tubes enflammés la foudre avec effort 6+6 b
Sort, et frappe en sifflant comme un souffle de mort : 6+6 b
Le boulet dans les rangs laisse une large trace, 6+6 a
Ainsi qu’un laboureur qui passe et qui repasse, 6+6 a
185 Et, sans se reposer déchirant le vallon, 6+6 b
À côté du sillon creuse un autre sillon : 6+6 b
Ainsi le trait fatal dans les rangs se promène, 6+6 a
Et comme des épis les couche dans la plaine. 6+6 a
Ici, tombe un héros moissonné dans sa fleur, 6+6 b
190 Superbe, et l’œil brillant d’orgueil et de valeur. 6+6 b
Sur son casque doré, d’où jaillit la lumière, 6+6 a
Flotte d’un noir coursier l’ondoyante crinière : 6+6 a
Ce casque éblouissant sert de but au trépas ; 6+6 b
Par la foudre frappé d’un coup qu’il ne sent pas, 6+6 b
195 Comme un faisceau d’acier il tombe sur larène ; 6+6 a
Son coursier bondissant, qui sent flotter la rêne, 6+6 a
Lance un regard oblique à son maître expirant, 6+6 b
Revient, penche sa tête, et le flaire en pleurant. 6+6 b
Là, tombe un vieux guerrier qui, né dans les alarmes, 6+6 a
200 Eut les camps pour patrie, et pour amour ses armes. 6+6 a
Il ne regrette rien que ses chers étendards, 6+6 b
Et les suit, en mourant, de ses derniers regards 6+6 b
La mort vole au hasard dans l’horrible carrière ; 6+6 a
L’un périt tout entier ; l’autre sur la poussière, 6+6 a
205 Comme un tronc dont la hache a coupé les rameaux, 6+6 b
De ses membres épars voit voler les lambeaux, 6+6 b
Et, se traînant encor sur la terre humectée, 6+6 a
Marque en ruisseaux de sang sa trace ensanglantée. 6+6 a
Le blessé que la mort n’a frappé qu’à demi 6+6 b
210 Fuit en vain, emporté dans les bras d’un ami : 6+6 b
Sur le sein l’un de l’autre ils sont frappés ensemble, 6+6 a
Et bénissent du moins le coup qui les rassemble. 6+6 a
Mais de la foudre en vain les livides éclats 6+6 b
Pleuvent sur les deux camps : d’intrépides soldats, 6+6 b
215 Comme la mer qu’entr’ouvre une proue écumante 6+6 a
Se referme soudain sur sa trace fumante, 6+6 a
Sur les rangs écrasés formant de nouveaux rangs, 6+6 b
Viennent braver la mort sur les corps des mourants !… 6+6 b
Cependant, las d’attendre un trépas sans vengeance, 6+6 a
220 Les deux camps, animés d’une même vaillance, 6+6 a
Se heurtent, et, du choc ouvrant leurs bataillons, 6+6 b
Mêlent en tournoyant leurs sanglants tourbillons. 6+6 b
Sous le pied des coursiers les escadrons s’entr’ouvrent ; 6+6 a
D’une voûte d’airain les rangs pressés se couvrent ; 6+6 a
225 Les feux croisent les feux, le fer frappe le fer ; 6+6 b
Les rangs entre-choqués lancent un seul éclair : 6+6 b
Le salpêtre, au milieu des torrents de fumée, 6+6 a
Brille et court en grondant sur la ligne enflammée, 6+6 a
Et, d’un nuage épais enveloppant leur sort, 6+6 b
230 Cache encore à nos yeux la victoire ou la mort. 6+6 b
Ainsi quand deux torrents dans deux gorges profondes, 6+6 a
De deux monts opposés précipitant leurs ondes, 6+6 a
Dans le lit trop étroit qu’ils vont se disputer 6+6 b
Viennent au même instant tomber et se heurter, 6+6 b
235 Le flot choque le flot ; les vagues courroucées, 6+6 a
Rejaillissant au loin par les vagues poussées, 6+6 a
D’une poussière humide obscurcissent les airs, 6+6 b
Du fracas de leur chute ébranlent les déserts, 6+6 b
Et, portant leur fureur au lit qui les rassemble, 6+6 a
240 Tout en s’y combattant leurs flots roulent ensemble. 6+6 a
Mais la foudre se tait. Écoutez !… Des concerts 6+6 b
De cette plaine en deuil s’élèvent dans les airs : 6+6 b
La harpe, le clairon, la joyeuse cymbale, 6+6 a
Mêlant leurs voix d’airain, montent par intervalle, 6+6 a
245 S’éloignent par degrés, et sur l’aile des vents 6+6 b
Nous jettent leurs accords, et les cris des mourants !… 6+6 b
De leurs brillants éclats les coteaux retentissent ; 6+6 a
Le cœur glacé s’arrête, et tous les sens frémissent, 6+6 a
Et dans les airs pesants que le son vient froisser 6+6 b
250 On dirait qu’on entend l’âme des morts passer ! 6+6 b
Tout à coup le soleil, dissipant le nuage, 6+6 a
Éclaire avec horreur la scène du carnage ; 6+6 a
Et son pâle rayon, sur la terre glissant, 6+6 b
Découvre à nos regards de longs ruisseaux de sang, 6+6 b
255 Des coursiers et des chars brisés dans la carrière, 6+6 a
Des membres mutilés épars sur la poussière, 6+6 a
Les débris confondus des armes et des corps, 6+6 b
Et les drapeaux jetés sur des monceaux de morts. 6+6 b
Accourez maintenant, amis, épouses, mères ! 6+6 a
260 Venez compter vos fils, vos amants et vos frères ; 6+6 a
Venez sur ces débris disputer aux vautours 6+6 b
L’espoir de vos vieux ans, le fruit de vos amours 6+6 b
Que de larmes sans fin sur eux vont se répandre ! 6+6 a
Dans vos cités en deuil que de cris vont s’entendre 6+6 a
265 Avant qu’avec douleur la terre ait reproduit, 6+6 b
Misérables mortels, ce qu’un jour a détruit ! 6+6 b
Mais au sort des humains la nature insensible 6+6 a
Sur leurs débris épars suivra son cours paisible : 6+6 a
Demain, la douce aurore, en se levant sur eux, 6+6 b
270 Dans leur acier sanglant réfléchira ses feux ; 6+6 b
Le fleuve lavera sa rive ensanglantée, 6+6 a
Les vents balayeront leur poussière infectée, 6+6 a
Et le sol, engraissé de leurs restes fumants, 6+6 b
Cachera sous des fleurs leurs pâles ossements ! 6+6 b
────
275 Silence, Esprit de feu ! Mon âme épouvantée 6+6 a
Suit le frémissement de ta corde irritée, 6+6 a
Et court en frissonnant sur tes pas belliqueux, 6+6 b
Comme un char emporté par des coursiers fougueux ; 6+6 b
Mais mon œil, attristé de ces sombres images, 6+6 a
280 Se détourne en pleurant vers de plus doux rivages. 6+6 a
N’as-tu point sur ta lyre un chant consolateur ? 6+6 b
N’as-tu pas entendu la flûte du pasteur, 6+6 b
Quand seul, assis en paix sous le pampre qui plie, 6+6 a
Il charme par ses airs les heures qu’il oublie, 6+6 a
285 Et que l’écho des bois, ou le fleuve en coulant, 6+6 b
Porte de saule en saule un son plaintif et lent ? 6+6 b
Souvent pour l’écouter, le soir, sur la colline, 6+6 a
Du côté de ses chants mon oreille s’incline ; 6+6 a
Mon cœur, par un soupir soulagé de son poids, 6+6 b
290 Dans un monde étranger se perd avec la voix ; 6+6 b
Et je sens par moments, sur mon âme calmée, 6+6 a
Passer avec le son une brise embaumée, 6+6 a
Plus douce qu’à mes sens l’ombre des arbrisseaux, 6+6 b
Ou que l’air rafraîchi qui sort du lit des eaux. 6+6 b
────
295 Un vent caresse ma lyre : 7 a
Est-ce l’aile d’un oiseau ? 7 b
Sa voix dans le cœur expire 7 a
Et l’humble corde soupire 7 a
Comme un flexible roseau. 7 b
────
300 Ô vallons paternels, doux champs, humble chaumière 6+6 a
Au bord penchant des bois suspendue aux coteaux, 6+6 b
Dont l’humble toit, caché sous des touffes de lierre, 6+6 a
Ressemble au nid sous les rameaux ; 8 b
Gazons entrecoupés de ruisseaux et d’ombrages ; 6+6 a
305 Seuil antique où mon père, adoré comme un roi, 6+6 b
Comptait ses gras troupeaux rentrant des pâturages, 6+6 a
Ouvrez-vous, ouvrez-vous ! c’est moi. 8 b
Voilà du dieu des champs la rustique demeure. 6+6 a
J’entends l’airain frémir au sommet de ses tours ; 6+6 b
310 Il semble que dans l’air une voix qui me pleure 6+6 a
Me rappelle à mes premiers jours. 8 b
Oui, je reviens à toi, berceau de mon enfance, 6+6 a
Embrasser pour jamais tes foyers protecteurs. 6+6 b
Loin de moi les cités et leur vaine opulence ! 6+6 a
315 Je suis né parmi les pasteurs. 8 b
Enfant, j’aimais, comme eux, à suivre dans la plaine 6+6 a
Les agneaux pas à pas, égarés jusqu’au soir ; 6+6 b
À revenir, comme eux, baigner leur blanche laine 6+6 a
Dans l’eau courante du lavoir. 8 b
320 J’aimais à me suspendre aux lianes légères, 6+6 a
À gravir dans les airs de rameaux en rameaux, 6+6 b
Pour ravir le premier, sous l’aile de leurs mères, 6+6 a
Les tendres œufs des tourtereaux. 8 b
J’aimais les voix du soir dans les airs répandues, 6+6 a
325 Le bruit lointain des chars gémissant sous leur poids, 6+6 b
Et le sourd tintement des cloches suspendues 6+6 a
Au cou des chevreaux dans les bois. 8 b
Et depuis, exilé de ces douces retraites, 6+6 a
Comme un vase imprégné d’une première odeur, 6+6 b
330 Toujours, loin des cités, des voluptés secrètes 6+6 a
Entraînaient mes yeux et mon cœur. 8 b
Beaux lieux, recevez-moi sous vos sacrés ombrages ! 6+6 a
Vous qui couvrez le seuil de rameaux éplorés, 6+6 b
Saules contemporains, courbez vos longs feuillages 6+6 a
335 Sur le frère que vous pleurez. 8 b
Reconnaissez mes pas, doux gazons que je foule, 6+6 a
Arbres que dans mes jeux j’insultais autrefois ; 6+6 b
Et toi qui loin de moi te cachais à la foule, 6+6 a
Triste écho, réponds à ma voix. 8 b
340 Je ne viens pas traîner, dans vos riants asiles, 6+6 a
Les regrets du passé, les songes du futur : 6+6 b
J’y viens vivre, et, couché sous vos berceaux fertiles, 6+6 a
Abriter mon repos obscur. 8 b
S’éveiller le cœur pur, au réveil de l’aurore, 6+6 a
345 Pour bénir, au matin, le Dieu qui fait le jour ; 6+6 b
Voir les fleurs du vallon sous la rosée éclore, 6+6 a
Comme pour fêter son retour ; 8 b
Respirer les parfums que la colline exhale, 6+6 a
Ou l’humide fraîcheur qui tombe des forêts ; 6+6 b
350 Voir onduler de loin l’haleine matinale 6+6 a
Sur le sein flottant des guérets ; 8 b
Conduire la génisse à la source qu’elle aime, 6+6 a
Ou suspendre la chèvre au cytise embaumé, 6+6 b
Ou voir les blancs taureaux venir tendre d’eux-même 6+6 a
355 Leur front au joug accoutumé ; 8 b
Guider un soc tremblant dans un sillon qui crie, 6+6 a
Du pampre domestique émonder les berceaux, 6+6 b
Ou creuser mollement, au sein de la prairie, 6+6 a
Les lits murmurants des ruisseaux ; 8 b
360 Le soir, assis en paix au seuil de la chaumière, 6+6 a
Tendre au pauvre qui passe un morceau de son pain, 6+6 b
Et, fatigué du jour, y fermer sa paupière 6+6 a
Loin des soucis du lendemain ; 8 b
Sentir sans les compter, dans leur ordre paisible, 6+6 a
365 Les jours suivre les jours, sans faire plus de bruit 6+6 b
Que ce sable léger dont la fuite insensible 6+6 a
Nous marque l’heure qui s’enfuit ; 8 b
Voir de vos doux vergers sur vos fronts les fruits pendre 6+6 a
Les fruits d’un chaste amour dans vos bras accourir, 6+6 b
370 Et, sur eux appuyé, doucement redescendre : 6+6 a
C’est assez pour qui doit mourir. 8 b
Le chant meurt, la voix tombe. Adieu, divin Génie ; 6+6 a
Remonte au vrai séjour de la pure harmonie ! 6+6 a
Tes chants ont arrêté les larmes de mes yeux. 6+6 b
375 Je lui parlais encore… Il était dans les cieux. 6+6 b
mètre profils métriques : 8, 7, 6+6
forme globale type : suite de strophes et distiques
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