Métrique en Ligne
P = préposition
C = clitique
M = voyelle masculine
F = "e" féminin
| = césure
LAM_2/LAM54
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
SECONDES MÉDITATIONS
1823
TREIZIÈME MÉDITATION
LA SOLITUDE
Heureux qui, s’écartant | des sentiers d’ici-bas, 6+6 a
À l’ombre du désert | allant cacher ses pas, 6+6 a
D’un monde dédaigné | secouant la poussière, 6+6 b
Efface, encor vivant, | ses traces sur la terre, 6+6 b
5 Et, dans la solitude | enfin enseveli, 6+6 a
Se nourrit d’espérance | et s’abreuve d’oubli ! 6+6 a
Tel que ces esprits purs | qui planent dans l’espace, 6+6 b
Tranquille spectateur | de cette ombre qui passe, 6+6 b
Des caprices du sort | à jamais défendu, 6+6 a
10 Il suit de l’œil ce char | dont il est descendu !… 6+6 a
Il voit les passions, | sur une onde incertaine, 6+6 b
De leur souffle orageux | enfler la voile humaine. 6+6 b
Mais ces vents inconstants | ne troublent plus sa paix ; 6+6 a
Il se repose en Dieu, | qui ne change jamais ; 6+6 a
15 Il aime à contempler | ses plus hardis ouvrages, 6+6 b
Ces monts vainqueurs des vents, | de la foudre et des âges, 6+6 b
Où dans leur masse auguste | et leur solidité 6+6 a
Ce Dieu grava sa force | et son éternité. 6+6 a
À cette heure où, frappé | d’un rayon de l’aurore, 6+6 b
20 Leur sommet enflammé | que l’orient colore, 6+6 b
Comme un phare céleste | allumé dans la nuit, 6+6 a
Jaillit étincelant | de l’ombre qui s’enfuit, 6+6 a
Il s’élance, il franchit | ces riantes collines 6+6 b
Que le mont jette au loin | sur ses larges racines, 6+6 b
25 Et, porté par degrés | jusqu’à ses sombres flancs, 6+6 a
Sous des pins immortels | il s’enfonce à pas lents : 6+6 a
Là, des torrents séchés | le lit seul est la route ; 6+6 b
Tantôt les rocs minés | sur lui pendent en voûte, 6+6 b
Et tantôt, sur leurs bords | tout à coup suspendu, 6+6 a
30 Il recule étonné : | son regard éperdu 6+6 a
Jouit avec horreur | de cet effroi sublime, 6+6 b
Et sous ses pieds longtemps | voit tournoyer l’abîme. 6+6 b
Il monte, et l’horizon | grandit à chaque instant ; 6+6 a
Il monte, et devant lui | l’immensité s’étend 6+6 a
35 Comme sous le regard | d’une nouvelle aurore ; 6+6 b
Un monde à chaque pas | pour ses yeux semble éclore, 6+6 b
Jusqu’au sommet suprême | où son œil enchanté 6+6 a
S’empare de l’espace, | et plane en liberté. 6+6 a
Ainsi lorsque notre âme, | à sa source envolée, 6+6 b
40 Quitte enfin pour toujours | la terrestre vallée, 6+6 b
Chaque coup de son aile, | en l’élevant aux cieux, 6+6 a
Élargit l’horizon | qui s’étend sous ses yeux ; 6+6 a
Des mondes sous son vol | le mystère s’abaisse ; 6+6 b
En découvrant toujours, | elle monte sans cesse, 6+6 b
45 Jusqu’aux saintes hauteurs | d’où l’œil du séraphin 6+6 a
Sur l’espace infini | plonge un regard sans fin. 6+6 a
Salut, brillants sommets, | champs de neige et de glace ; 6+6 b
Vous qui d’aucun mortel | n’avez gardé la trace ; 6+6 b
Vous que le regard même | aborde avec effroi, 6+6 a
50 Et qui n’avez souffert | que les aigles et moi ! 6+6 a
Œuvres du premier jour, | augustes pyramides 6+6 b
Que Dieu même affermit | sur vos bases solides, 6+6 b
Confins de l’univers, | qui depuis ce grand jour 6+6 a
N’avez jamais changé | de forme et de contour, 6+6 a
55 Le nuage en grondant | parcourt en vain vos cimes, 6+6 b
Le fleuve en vain grossi | sillonne vos abîmes, 6+6 b
La foudre frappe en vain | votre front endurci : 6+6 a
Votre front solennel, | un moment obscurci, 6+6 a
Sur nous, comme la nuit, | versant son ombre obscure, 6+6 b
60 Et laissant pendre au loin | sa noire chevelure, 6+6 b
Semble, toujours vainqueur | du choc qui l’ébranla, 6+6 a
Au Dieu qui l’a fondé | dire encor : « Me voilà. » 6+6 a
Et moi, me voici seul | sur ces confins du monde ! 6+6 b
Loin d’ici, sous mes pieds | la foudre vole et gronde ; 6+6 b
65 Les nuages battus | par les ailes des vents, 6+6 a
Entre-choquant comme eux | leurs tourbillons mouvants, 6+6 a
Tels qu’un autre Océan | soulevé par l’orage, 6+6 b
Se déroulent sans fin | dans des lits sans rivage, 6+6 b
Et, devant ces sommets | abaissant leur orgueil, 6+6 a
70 Brisent incessamment | sur cet immense écueil. 6+6 a
Mais tandis qu’à ses pieds | ce noir chaos bouillonne, 6+6 b
D’éternelles splendeurs | le soleil le couronne : 6+6 b
Depuis l’heure où son char | s’élance dans les airs, 6+6 a
Jusqu’à l’heure où son disque | incline vers les mers, 6+6 a
75 Cet astre, en décrivant | son oblique carrière, 6+6 b
D’aucune ombre jamais | n’y souille sa lumière ; 6+6 b
Et déjà la nuit sombre | a descendu des cieux, 6+6 a
Qu’à ces sommets encore | il dit de longs adieux. 6+6 a
Là, tandis que je nage | en des torrents de joie, 6+6 b
80 Ainsi que mon regard | mon âme se déploie, 6+6 b
Et croit, en respirant | cet air de liberté, 6+6 a
Recouvrer sa splendeur | et sa sérénité. 6+6 a
Oui, dans cet air du ciel, | les soins lourds de la vie, 6+6 b
Le mépris des mortels, | leur haine ou leur envie, 6+6 b
85 N’accompagnent plus l’homme | et ne surnagent pas : 6+6 a
Comme un vil plomb, d'eux mêmesd'eux-même | ils retombent en bas. 6+6 a
Ainsi, plus l’onde est pure, | et moins l’homme y surnage ; 6+6 b
À peine de ce monde | il emporte une image : 6+6 b
Mais ton image, ô Dieu, | dans ces grands traits épars, 6+6 a
90 En s’élevant vers toi | grandit à nos regards ! 6+6 a
Comme au prêtre habitant | l’ombre du sanctuaire, 6+6 b
Chaque pas te révèle | à l’âme solitaire : 6+6 b
Le silence et la nuit, | et l’ombre des forêts, 6+6 a
Lui murmurent tout bas | de sublimes secrets ; 6+6 a
95 Et l’esprit, abîmé | dans ces rares spectacles, 6+6 b
Par la voix des déserts | écoute tes oracles. 6+6 b
J’ai vu de l’Océan | les flots épouvantés, 6+6 a
Pareils aux fiers coursiers | dans la plaine emportés, 6+6 a
Déroulant à ta voix | leur humide crinière, 6+6 b
100 Franchir en bondissant | leur bruyante carrière, 6+6 b
Puis soudain, refoulés | sous ton frein tout-puissant, 6+6 a
Dans l’abîme étonné | rentrer en mugissant. 6+6 a
J’ai vu le fleuve, épris | des gazons du rivage, 6+6 b
Se glisser, flots à flots, | de bocage en bocage, 6+6 b
105 Et dans son lit, voilé | d’ombrage et de fraîcheur, 6+6 a
Bercer en murmurant | la barque du pêcheur. 6+6 a
J’ai vu le trait brisé | de la foudre qui gronde, 6+6 b
Comme un serpent de feu, | se dérouler sur l’onde ; 6+6 b
Le zéphyr, embaumé | des doux parfums du miel, 6+6 a
110 Balayer doucement | l’azur voilé du ciel ; 6+6 a
La colombe, essuyant | son aile encore humide, 6+6 b
Sur les bords de son nid | poser un pied timide, 6+6 b
Puis, d’un vol cadencé | fendant le flot des airs, 6+6 a
S’abattre en soupirant | sur la rive des mers. 6+6 a
115 J’ai vu ces monts voisins | des cieux où tu reposes, 6+6 b
Cette neige où l’aurore | aime à semer ses roses, 6+6 b
Ces trésors des hivers, | d’où par mille détours, 6+6 a
Dans nos champs desséchés | multipliant leur cours, 6+6 a
Cent rochers de cristal, | que tu fonds à mesure, 6+6 b
120 Viennent désaltérer | la mourante verdure ; 6+6 b
Et ces ruisseaux pleuvant | de ces rocs suspendus, 6+6 a
Et ces torrents grondant | dans les granits fendus, 6+6 a
Et ces pics où le temps | a perdu sa victoire… 6+6 b
Et toute la nature | est un hymne à ta gloire. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
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