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LAM_2/LAM49
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
SECONDES MÉDITATIONS
1823
HUITIÈME MÉDITATION
LES ÉTOILES
À MADAME DE P***.
Il est pour la pensée une heure… une heure sainte, 6+6 a
Alors que, s’enfuyant de la céleste enceinte, 6+6 a
De l’absence du jour pour consoler les cieux, 6+6 b
Le crépuscule aux monts prolonge ses adieux. 6+6 b
5 On voit à l’horizon sa lueur incertaine, 6+6 a
Comme les bords flottants d’une robe qui traîne, 6+6 a
Balayer lentement le firmament obscur, 6+6 b
Où les astres ternis revivent dans l’azur. 6+6 b
Alors ces globes d’or, ces îles de lumière, 6+6 a
10 Que cherche par instinct la rêveuse paupière, 6+6 a
Jaillissent par milliers de l’ombre qui s’enfuit, 6+6 b
Comme une poudre d’or sur les pas de la nuit ; 6+6 b
Et le souffle du soir qui vole sur sa trace 6+6 a
Les sème en tourbillons dans le brillant espace. 6+6 a
15 L’œil ébloui les cherche et les perd à la fois : 6+6 b
Les uns semblent planer sur les cimes des bois, 6+6 b
Tels qu’un céleste oiseau dont les rapides ailes 6+6 a
Font jaillir, en s’ouvrant, des gerbes d’étincelles. 6+6 a
D’autres en flots brillants s’étendent dans les airs, 6+6 b
20 Comme un rocher blanchi de l’écume des mers ; 6+6 b
Ceux-là, comme un coursier volant dans la carrière, 6+6 a
Déroulent à longs plis leur flottante crinière ; 6+6 a
Ceux-ci, sur l’horizon se penchant à demi, 6+6 b
Semblent des yeux ouverts sur le monde endormi ; 6+6 b
25 Tandis qu’aux bords du ciel de légères étoiles 6+6 a
Voguent dans cet azur comme de blanches voiles 6+6 a
Qui, revenant au port d’un rivage lointain, 6+6 b
Brillent sur l’Océan aux rayons du matin. 6+6 b
De ces astres de feu, son plus sublime ouvrage, 6+6 a
30 Dieu seul connaît le nombre, et la distance, et l’âge : 6+6 a
Les uns, déjà vieillis, pâlissent à nos yeux ; 6+6 b
D’autres se sont perdus dans les routes des cieux ; 6+6 b
D’autres, comme des fleurs que son souffle caresse, 6+6 a
Lèvent un front riant de grâce et de jeunesse, 6+6 a
35 Et, charmant l’orient de leurs fraîches clartés, 6+6 b
Étonnent tout à coup l’œil qui les a comptés. 6+6 b
Dans l’espace aussitôt ils s’élancent… et l’homme, 6+6 a
Ainsi qu’un nouveau-né, les salue et les nomme. 6+6 a
Quel mortel enivré de leur chaste regard, 6+6 b
40 Laissant ses yeux errants les fixer au hasard, 6+6 b
Et cherchant le plus pur parmi ce chœur suprême, 6+6 a
Ne l’a pas consacré du nom de ce qu’il aime ? 6+6 a
Moi-même… il en est un, solitaire, isolé, 6+6 b
Qui dans mes longues nuits m’a souvent consolé, 6+6 b
45 Et dont l’éclat, voilé des ombres du mystère, 6+6 a
Me rappelle un regard qui brillait sur la terre. 6+6 a
Peut-être… ah ! puisse-t-il au céleste séjour 6+6 b
Porter au moins ce nom que lui donna l’amour ! 6+6 b
Cependant la nuit marche, et sur l’abîme immense 6+6 a
50 Tous ces mondes flottants gravitent en silence, 6+6 a
Et nous-même avec eux emportés dans leur cours, 6+6 b
Vers un port inconnu nous avançons toujours. 6+6 b
Souvent pendant la nuit, au souffle du zéphyre, 6+6 a
On sent la terre aussi flotter comme un navire ; 6+6 a
55 D’une écume brillante on voit les monts couverts 6+6 b
Fendre d’un cours égal le flot grondant des airs ; 6+6 b
Sur ces vagues d’azur où le globe se joue, 6+6 a
On entend l’aquilon se briser sous la proue, 6+6 a
Et du vent dans les mâts les tristes sifflements, 6+6 b
60 Et de ses flancs battus les sourds gémissements ; 6+6 b
Et l’homme, sur l’abîme où sa demeure flotte, 6+6 a
Vogue avec volupté sur la foi du pilote ! 6+6 a
Soleils, mondes errants qui voguez avec nous, 6+6 b
Dites, s’il vous l’a dit, où donc allons-nous tous ? 6+6 b
65 Quel est le port céleste où son souffle nous guide ? 6+6 a
Quel terme assigna-t-il à notre vol rapide ? 6+6 a
Allons-nous sur des bords de silence et de deuil, 6+6 b
Échouant dans la nuit sur quelque vaste écueil, 6+6 b
Semer l’immensité des débris du naufrage ? 6+6 a
70 Ou, conduits par sa main sur un brillant rivage, 6+6 a
Et sur l’ancre éternelle à jamais affermis, 6+6 b
Dans un golfe du ciel aborder endormis ? 6+6 b
Vous qui nagez plus près de la céleste voûte, 6+6 a
Mondes étincelants, vous le savez sans doute ! 6+6 a
75 Cet océan plus pur, ce ciel où vous flottez, 6+6 b
Laisse arriver à vous de plus vives clartés ; 6+6 b
Plus brillantes que nous, vous savez davantage ; 6+6 a
Car de la vérité la lumière est l’image. 6+6 a
Oui, si j’en crois l’éclat dont vos orbes errants 6+6 b
80 Argentent des forêts les dômes transparents, 6+6 b
Ou qui, glissant soudain sur des mers irritées, 6+6 a
Calme en les éclairant les vagues agitées ; 6+6 a
Si j’en crois ces rayons qui, plus doux que le jour, 6+6 b
Inspirent la vertu, la prière, l’amour, 6+6 b
85 Et, quand l’œil attendri s’entr’ouvre à leur lumière, 6+6 a
Attirent une larme aux bords de la paupière ; 6+6 a
Si j’en crois ces instincts, ces doux pressentiments 6+6 b
Qui dirigent vers vous les soupirs des amants, 6+6 b
Les yeux de la beauté, les rêves qu’on regrette, 6+6 a
90 Et le vol enflammé de l’aigle et du poëte, 6+6 a
Tentes du ciel, Édens, temples, brillants palais, 6+6 b
Vous êtes un séjour d’innocence et de paix ! 6+6 b
Dans le calme des nuits, à travers la distance, 6+6 a
Vous en versez sur nous la lointaine influence. 6+6 a
95 Tout ce que nous cherchons, l’amour, la vérité, 6+6 b
Ces fruits tombés du ciel, dont la terre a goûté, 6+6 b
Dans vos brillants climats que le regard envie 6+6 a
Nourrissent à jamais les enfants de la vie ; 6+6 a
Et l’homme un jour peut-être, à ses destins rendu, 6+6 b
100 Retrouvera chez vous tout ce qu’il a perdu. 6+6 b
Hélas ! combien de fois seul, veillant sur ces cimes 6+6 a
Où notre âme plus libre a des vœux plus sublimes, 6+6 a
Beaux astres, fleurs du ciel dont le lis est jaloux, 6+6 b
J’ai murmuré tout bas : Que ne suis-je un de vous ! 6+6 b
105 Que ne puis-je, échappant à ce globe de boue, 6+6 a
Dans la sphère éclatante où mon regard se joue, 6+6 a
Jonchant d’un feu de plus le parvis du saint lieu, 6+6 b
Éclore tout à coup sous les pas de mon Dieu, 6+6 b
Ou briller sur le front de la beauté suprême, 6+6 a
110 Comme un pâle fleuron de son saint diadème ! 6+6 a
Dans le limpide azur de ces flots de cristal, 6+6 b
Me souvenant encor de mon globe natal, 6+6 b
Je viendrais chaque nuit, tardif et solitaire, 6+6 a
Sur les monts que j’aimais briller près de la terre ; 6+6 a
115 J’aimerais à glisser sous la nuit des rameaux, 6+6 b
À dormir sur les prés, à flotter sur les eaux, 6+6 b
À percer doucement le voile d’un nuage, 6+6 a
Comme un regard d’amour que la pudeur ombrage. 6+6 a
Je visiterais l’homme ; et s’il est ici-bas 6+6 b
120 Un front pensif, des yeux qui ne se ferment pas, 6+6 b
Une âme en deuil, un cœur qu’un poids sublime oppresse, 6+6 a
Répandant devant Dieu sa pieuse tristesse ; 6+6 a
Un malheureux au jour dérobant ses douleurs, 6+6 b
Et dans le sein des nuits laissant couler ses pleurs ; 6+6 b
125 Un génie inquiet, une active pensée 6+6 a
Par un instinct trop fort dans l’infini lancée ; 6+6 a
Mon rayon, pénétré d’une sainte amitié, 6+6 b
Pour des maux trop connus prodiguant sa pitié, 6+6 b
Comme un secret d’amour versé dans un cœur tendre, 6+6 a
130 Sur ces fronts inclinés se plairait à descendre. 6+6 a
Ma lueur fraternelle en découlant sur eux 6+6 b
Dormirait sur leur sein, sourirait à leurs yeux : 6+6 b
Je leur révélerais dans la langue divine 6+6 a
Un mot du grand secret que le malheur devine ; 6+6 a
135 Je sécherais leurs pleurs, et quand l’œil du matin 6+6 b
Ferait pâlir mon disque à l’horizon lointain, 6+6 b
Mon rayon, en quittant leur paupière attendrie, 6+6 a
Leur laisserait encor la vague rêverie, 6+6 a
Et la paix et l’espoir ; et, lassés de gémir, 6+6 b
140 Au moins avant l’aurore ils pourraient s’endormir ! 6+6 b
Et vous, brillantes sœurs, étoiles mes compagnes, 6+6 a
Qui du bleu firmament émaillez les campagnes, 6+6 a
Et, cadençant vos pas à la lyre des cieux, 6+6 b
Nouez et dénouez vos chœurs harmonieux ; 6+6 b
145 Introduit sur vos pas dans la céleste chaîne, 6+6 a
Je suivrais dans l’éther l’instinct qui vous entraîne ; 6+6 a
Vous guideriez mon œil dans ce vaste désert, 6+6 b
Labyrinthe de feux où le regard se perd : 6+6 b
Vos rayons m’apprendraient à louer, à connaître 6+6 a
150 Celui que nous cherchons, que vous voyez peut-être ; 6+6 a
Et, noyant dans mon sein ses tremblantes clartés, 6+6 b
Je sentirais en lui… tout ce que vous sentez. 6+6 b
mètre profil métrique : 6+6
forme globale type : suite de distiques
schéma : 76((aa))
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