Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LAM_2/LAM46
Alphonse de LAMARTINE
MÉDITATIONS POÉTIQUES
SECONDES MÉDITATIONS
1823
CINQUIÈME MÉDITATION
LE POËTE MOURANT
La coupe de mes jourss’est brisée encor pleine ; 6+6 a
Ma vie en longs soupirss’enfuit à chaque haleine ; 6+6 a
Ni larmes ni regretsne peuvent l’arrêter : 6+6 b
Et l’aile de la Mort,sur l’airain qui me pleure, 6+6 c
5 En sons entrecoupésfrappe ma dernière heure. 6+6 c
 Faut-il gémir ? faut-il chanter ?… 8 b
Chantons, puisque mes doigtssont encor sur la lyre ; 6+6 a
Chantons, puisque la mort,comme au cygne, m’inspire 6+6 a
Au bord d’un autre mondeun cri mélodieux. 6+6 b
10 C’est un présage heureuxdonné par mon génie : 6+6 c
Si notre âme n’est rienqu’amour et qu’harmonie, 6+6 c
 Qu’un chant divin soit ses adieux ! 8 b
La lyre en se brisantjette un son plus sublime ; 6+6 a
La lampe qui s’éteinttout à coup se ranime, 6+6 a
15 Et d’un éclat plus purbrille avant d’expirer ; 6+6 b
Le cygne voit le cielà son heure dernière : 6+6 c
L’homme seul, reportantses regards en arrière, 6+6 c
 Compte ses jours pour les pleurer. 8 b
Qu’est-ce donc que des jourspour valoir qu’on les pleure ? 6+6 a
20 Un soleil, un soleil,une heure, et puis une heure ; 6+6 a
Celle qui vient ressembleà celle qui s’enfuit ; 6+6 b
Ce qu’une nous apporte,une autre nous l’enlève : 6+6 c
Travail, repos, douleur,et quelquefois un rêve, 6+6 c
 Voilà le jour ; puis vient la nuit. 8 b
25 Ah ! qu’il pleure, celuidont les mains acharnées 6+6 a
S’attachant comme un lierreaux débris des années, 6+6 a
Voit avec l’avenirs’écouler son espoir ! 6+6 b
Pour moi qui n’ai point prisracine sur la terre, 6+6 c
Je m’en vais sans effort,comme l’herbe légère 6+6 c
30  Qu’enlève le souffle du soir. 8 b
Le poëte est semblableaux oiseaux de passage, 6+6 a
Qui ne bâtissent pointleurs nids sur le rivage, 6+6 a
Qui ne se posent pointsur les rameaux des bois : 6+6 b
Nonchalamment bercéssur le courant de l’onde, 6+6 c
35 Ils passent en chantantloin des bords, et le monde 6+6 c
 Ne connt rien d’eux que leur voix. 8 b
Jamais aucune mainsur la corde sonore 6+6 a
Ne guida dans ses jeuxma main novice encore : 6+6 a
L’homme n’enseigne pasce qu’inspire le ciel ; 6+6 b
40 Le ruisseau n’apprend pasà couler dans sa pente, 6+6 c
L’aigle à fendre les airsd’une aile indépendante, 6+6 c
 L’abeille à composer son miel. 8 b
L’airain, retentissantdans sa haute demeure, 6+6 a
Sous le marteau sacrétour à tour chante et pleure 6+6 a
45 Pour célébrer l’hymen,la naissance ou la mort : 6+6 b
J’étais comme ce bronzeépuré par la flamme, 6+6 c
Et chaque passion,en frappant sur mon âme, 6+6 c
 En tirait un sublime accord. 8 b
Telle durant la nuitla harpe éolienne, 6+6 a
50 Mêlant au bruit des eauxsa plainte aérienne, 6+6 a
Résonne d’elle-mêmeau souffle des zéphyrs. 6+6 b
Le voyageur s’arrête,étonné de l’entendre ; 6+6 c
Il écoute, il admire,et ne saurait comprendre 6+6 c
 D’ partent ces divins soupirs. 8 b
55 Ma harpe fut souventde larmes arrosée ; 6+6 a
Mais les pleurs sont pour nousla céleste rosée ; 6+6 a
Sous un ciel toujours purle cœur ne mûrit pas ; 6+6 b
Dans la coupe écraséle jus du pampre coule, 6+6 c
Et le baume flétrisous le pied qui le foule 6+6 c
60  Répand ses parfums sur vos pas. 8 b
Dieu d’un souffle brûlantavait formé mon âme ; 6+6 a
Tout ce qu’elle approchaits’embrasait de sa flamme. 6+6 a
Don fatal ! Et je meurspour avoir trop aimé ! 6+6 b
Tout ce que j’ai touchés’est réduit en poussière : 6+6 c
65 Ainsi le feu du cieltombé sur la bruyère 6+6 c
 S’éteint quand tout est consumé. 8 b
Mais le temps ? — Il n’est plus.— Mais la gloire ? — Hé ! qu’importe 6+6 a
Cet écho d’un vain sonqu’un siècle à l’autre apporte, 6+6 a
Ce nom, brillant jouetde la postérité ? 6+6 b
70 Vous qui de l’avenirlui promettez l’empire, 6+6 c
Écoutez cet accordque va rendre ma lyre 6+6 c
 Les vents déjà l’ont emporté ! 8 b
Ah ! donnez à la mortun espoir moins frivole. 6+6 a
Hé quoi ! le souvenirde ce son qui s’envole 6+6 a
75 Autour d’un vain tombeauretentirait toujours ? 6+6 b
Ce souffle d’un mourant,quoi ! c’est là de la gloire ! 6+6 c
Mais vous qui promettezles temps à sa mémoire, 6+6 c
 Mortels, possédez-vous deux jours ? 8 b
J’en atteste les dieux !depuis que je respire, 6+6 a
80 Mes lèvres n’ont jamaisprononcé sans sourire 6+6 a
Ce grand nom inventépar le délire humain ; 6+6 b
Plus j’ai pressé ce mot,plus je l’ai trouvé vide, 6+6 c
Et je l’ai rejeté,comme une écorce aride 6+6 c
 Que nos lèvres pressent en vain. 8 b
85 Dans le stérile espoird’une gloire incertaine, 6+6 a
L’homme livre en passant,au courant qui l’entrne, 6+6 a
Un nom de jour en jourdans sa course affaibli : 6+6 b
De ce brillant débrisle flot du temps se joue ; 6+6 c
De siècle en siècle il flotte,il avance, il échoue 6+6 c
90  Dans les abîmes de l’oubli. 8 b
Je jette un nom de plusà ces flots sans rivage : 6+6 a
Au gré des vents, du ciel,qu’il s’abîme ou surnage, 6+6 a
En serai-je plus grand ?Pourquoi ? ce n’est qu’un nom. 6+6 b
Le cygne qui s’envoleaux vtes éternelles, 6+6 c
95 Amis, s’informe-t-ilsi l’ombre de ses ailes 6+6 c
 Flotte encor sur un vil gazon ? 8 b
Mais pourquoi chantais-tu ?— Demande à Philomèle 6+6 a
Pourquoi, durant les nuits,sa douce voix se mêle 6+6 a
Au doux bruit des ruisseauxsous l’ombrage roulant. 6+6 b
100 Je chantais, mes amis,comme l’homme respire, 6+6 c
Comme l’oiseau gémit,comme le vent soupire, 6+6 c
 Comme l’eau murmure en coulant. 8 b
Aimer, prier, chanter,voilà toute ma vie. 6+6 a
Mortel, de tous ces biensqu’ici-bas l’homme envie, 6+6 a
105 À l’heure des adieuxje ne regrette rien ; 6+6 b
Rien que l’ardent soupirqui vers le ciel s’élance, 6+6 c
L’extase de la lyre,ou l’amoureux silence 6+6 c
 D’un cœur pressé contre le mien. 8 b
Aux pieds de la beautésentir frémir sa lyre ; 6+6 a
110 Voir d’accord en accordl’harmonieux délire 6+6 a
Couler avec le sonet passer dans son sein ; 6+6 b
Faire pleuvoir les pleursde ces yeux qu’on adore, 6+6 c
Comme au souffle des ventsles larmes de l’aurore 6+6 c
 Pleuvent d’un calice trop plein ; 8 b
115 Voir le regard plaintifde la vierge modeste 6+6 a
Se tourner tristementvers la vte céleste, 6+6 a
Comme pour s’envoleravec le son qui fuit ; 6+6 b
Puis, retombant sur vousplein d’une chaste flamme, 6+6 c
Sous ses cils abaisséslaisser briller son âme, 6+6 c
120  Comme un feu tremblant dans la nuit ; 8 b
Voir passer sur son frontl’ombre de sa pensée ; 6+6 a
La parole manquerà sa bouche oppressée ; 6+6 a
Et de ce long silenceentendre enfin sortir 6+6 b
Ce mot qui retentitjusque dans le ciel même, 6+6 c
125 Ce mot, le mot des dieuxet des hommes : « Je t’aime ! » 6+6 c
 Voilà ce qui vaut un soupir. 8 b
Un soupir ! un regret !inutile parole ! 6+6 a
Sur l’aile de la mortmon âme au ciel s’envole ; 6+6 a
Je vais leur instinctemporte nos désirs ; 6+6 b
130 Je vais le regardvoit briller l’espérance ; 6+6 c
Je vais va le sonqui de mon luth s’élance, 6+6 c
  sont allés tous mes soupirs ! 8 b
Comme l’oiseau qui voitdans les ombres funèbres, 6+6 a
La foi, cet œil de l’âme,a percé mes ténèbres ; 6+6 a
135 Son prophétique instinctm’a révélé mon sort. 6+6 b
Aux champs de l’avenircombien de fois mon âme, 6+6 c
S’élançant jusqu’au cielsur des ailes de flamme, 6+6 c
 A-t-elle devancé la mort ! 8 b
N’inscrivez point de nomsur ma demeure sombre ; 6+6 a
140 Du poids d’un monumentne chargez pas mon ombre : 6+6 a
D’un peu de sable, hélas !je ne suis point jaloux. 6+6 b
Laissez-moi seulementà peine assez d’espace 6+6 c
Pour que le malheureuxqui sur ma tombe passe 6+6 c
 Puisse y poser ses deux genoux. 8 b
145 Souvent, dans le secretde l’ombre et du silence, 6+6 a
Du gazon d’un cercueilla prière s’élance, 6+6 a
Et trouve l’espéranceà côté de la mort. 6+6 b
Le pied sur une tombe,on tient moins à la terre, 6+6 c
L’horizon est moins vaste ;et l’âme, plus légère, 6+6 c
150  Monte au ciel avec moins d’effort. 8 b
Brisez, livrez aux vents,aux ondes, à la flamme, 6+6 a
Ce luth qui n’a qu’un sonpour répondre à mon âme : 6+6 a
Celui des séraphinsva frémir sous mes doigts. 6+6 b
Bientôt, vivant comme euxd’un immortel délire, 6+6 c
155 Je vais guider, peut-être,aux accords de ma lyre, 6+6 c
 Des cieux suspendus à ma voix. 8 b
Bientôt… Mais de la Mortla main lourde et muette 6+6 a
Vient de toucher la corde ;elle se brise, et jette 6+6 a
Un son plaintif et sourddans le vague des airs. 6+6 b
160 Mon luth glacé se tait…Ami, prenez le vôtre ; 6+6 c
Et que mon âme encorpasse d’un monde à l’autre, 6+6 c
 Au bruit de vos sacrés concerts ! 8 b
mètre profils métriques : 8, 6+6
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