Métrique en Ligne
a voyelle stable
er voyelle ambigüe
e "e" masculin
e "e" féminin
e "e" élidé
e "e" ignoré
e "e" écarté
12 longueur métrique
6-6 mètre
LAM_10/LAM191
Alphonse de LAMARTINE
RECUEILLEMENTS POÉTIQUES
1839
XXV
UTOPIE,
A MONSIEUR BOUCHARD *
« Enfant des mers, ne vois-tu rien là-bas ? »
Frère ! ce que je vois, oserai-je le dire ! 6+6 a
Pour notre âge avancé, raisonner c'est prédire ; 6+6 a
Il ne faut pas gravir un foudroyant sommet, 6+6 b
Voir sécher ou fleurir la, verge du prophète, 6+6 c
5 Des cornes du bélier diviniser sa tête, 6+6 c
Ni passer sur la flamme au vent de la tempête 6+6 c
Le pont d'acier de Mahomet. 8 b
Il faut plonger ses sens dans le grand sens du monde ; 6+6 a
Qu'avec l'esprit des temps notre esprit s'y confonde ! 6+6 a
10 En palper chaque artère et chaque battemens, 6+6 b
Avec l'humanité s'unir par chaque pore, 6+6 c
Comme un fruit qu'en ses flancs la mère porte encore, 6+6 c
Qui, vivant de sa vie, éprouve avant d'éclore 6+6 c
Ses plus obscurs tressaillemens ! 8 b
15 Oh ! qu'il a tressailli, ce sein de notre mère ! 6+6 a
Depuis que nous vivons, nous, son germe éphémère, 6+6 a
Nous, parcelle sans poids de sa vaste unité, 6+6 b
Quelle main créatrice a touché ses entrailles ? 6+6 c
De quel enfantement, ô Dieu ! tu la travailles ? 6+6 c
20 Et toi, race d'Adam, de quels coups tu tressailles 6+6 c
Aux efforts de l'humanité ? 8 b
Est-ce un stérile amour de sa décrépitude ? 6+6 a
Un monstrueux hymen qu'accouple l'habitude ? 6+6 a
Embryon avorté du doute et du néant ! 6+6 b
25 Est-ce un germe fécond de jeunesse éternelle 6+6 c
Que, pour éclore à temps, l'amour couvait en elle, 6+6 c
Et qui doit en naissant suspendre à sa mamelle 6+6 c
L'homme Dieu d'un monde géant ? 8 b
Frère du même lait, que veux-tu que je dise ? 6+6 a
30 Que suis-je à ses destins pour que je les prédise ? 6+6 a
Moi qui sais sourdement que son sein a gémi, 6+6 b
Moi qui ne vois de jour que celui qu'elle allume, 6+6 c
Moi qu'un atome ombrage et qu'un éclair consume, 6+6 c
Et qui sens seulement au frisson de ma plume 6+6 c
35 Que l'onde où je nage a frémi ! 8 b
Écoute, cependant ! Il est dans la nature 6+6 a
Je ne sais quelle voix sourde, profonde, obscure, 6+6 a
Et qui révèle à tous ce que nul n'a conçu. 6+6 b
Instinct mystérieux d'une ame collective, 6+6 c
40 Qui, pressent la lumière avant que l'aube arrive, 6+6 c
Lit au livre infini sans que le doigt écrive, 6+6 c
Et prophétise à son insu ! 8 b
C'est l'aveugle penchant des vagues oppressées 6+6 a
Qui reviennent sans fin, de leur lit élancées, 6+6 a
45 Battre le roc miné de leur flux écumant, 6+6 b
C'est la force du poids qui dans le corps gravite, 6+6 c
La sourde impulsion des astres dans l'orbite, 6+6 c
Ou sur l'axe de fer l'aiguille qui palpite 6+6 c
Vers les pôles où dort l'aimant ! 8 b
50 C'est l'éternel soupir qu'on appelle chimère, 6+6 a
Cette aspiration qui prouve une atmosphère, 6+6 a
Ce dégoût du connu, celle soif du nouveau, 6+6 b
Qui semblent condamner la race qui se lève 6+6 c
A faire un marche-pied de ce que l'autre achève, 6+6 c
55 Jusqu'à ce qu'au niveau des astres qu'elle rêve 6+6 c
Son monde ait porté son niveau ! 8 b
Il se trompe, dis-tu ? Quoi donc ! se trompe-t-elle 6+6 a
L'eau qui se précipite où sa pente l'appelle ? 6+6 a
Se trompe-t-il le sein qui bat pour respirer ? 6+6 b
60 L'air qui veut s'élever, le poids qui veut descendre ? 6+6 c
Le feu qui veut brûler tant que tout n'est pas cendre ? 6+6 c
Et l'esprit que Dieu fit sans bornes pour comprendre, 6+6 c
Et sans bornes pour espérer ? 8 b
Élargissez, mortels, vos âmes rétrécies ! 6+6 a
65 O siècles ! vos besoins ce sont vos prophéties ! 6+6 a
Voire cri de Dieu même est l'infaillible voix ! 6+6 b
Quel mouvement sans but agite la nature ? 6+6 c
Le possible est un mot qui grandit à mesure, 6+6 c
Et le temps qui s'enfuit vers la race future 6+6 c
70 A déjà fait ce que je vois… 8 b
🙫
La mer dont les flots sont les âges, 8 a
Dont les bords sont l'éternité, 8 b
Voit fourmiller sur ses rivages 8 a
Une innombrable humanité ! 8 b
75 Ce n'est plus la race grossière 8 c
Marchant les yeux vers la poussière, 8 c
Disputant l'herbe aux moucherons, 8 d
C'est une noble et sainte engeance 8 e
Où tout porte l'intelligence 8 e
80 Ainsi qu'un diadème aux fronts. 8 d
Semblables aux troupeaux serviles 8 a
Sur leurs pailles d'infections, 8 b
Ils ne vivent pas dans des villes, 8 a
Ces étables des nations ; 8 b
85 Sur les collines et les plaines, 8 c
L'été, comme des ruches pleines, 8 c
Les essaims en groupe pareil, 8 d
Sans que l'un à l'autre l'envie, 8 e
Chacun a son arpent de vie 8 e
90 Et sa large place au soleil. 8 d
Les éléments de la nature, 8 a
Par l'esprit enfin surmontés, 8 b
Lui prodiguant la nourriture 8 a
Sous l'effort qui les a domptés, 8 b
95 Les nobles sueurs de sa joue 8 c
Ne vont plus détremper la boue 8 c
Que sa main doit ensemencer, 8 d
La sainte loi du labeur change, 8 e
Son esprit a vaincu la fange 8 e
100 Et son travail est de penser. 8 d
Il pense, et de l'intelligence 8 a
Les prodiges multipliés 8 b
Lui font de distance en distance 8 a
Fouler l'impossible à ses piés. 8 b
105 Nul ne sait combien de lumière 8 c
Peut contenir notre paupière, 8 c
Ni ce que de Dieu lient la main, 8 d
Ni combien de mondes d'idées, 8 e
L'une de l'autre dévidées, 8 e
110 Peut contenir l'esprit humain. 8 d
Elle a balayé tous les doutes, 8 a
Celle qu'en feux le ciel écrit, 8 b
Celle qui les éclaire toutes : 8 a
L'homme adore et croit en esprit. 8 b
115 Minarets, pagodes et dômes 8 c
Sont écroulés sur leurs fantômes, 8 c
Et l'homme, de ces dieux vainqueur, 8 d
Sous tous ces temples en poussière, 8 e
N'a ramassé que la prière 8 e
120 Pour la transvaser dans son cœur ! 8 d
Un seul culte enchaîne le monde 8 a
Que vivifie un seul amour : 8 b
Son dogme, où la lumière abonde, 8 a
N'est qu'un évangile au grand jour ; 8 b
125 Sa foi, sans ombre et sans emblème, 8 c
Astre éternel que Dieu lui-même 8 c
Fait grandir sur notre horizon, 8 d
N'est que l'image immense et pure 8 e
Que le miroir de la nature 8 e
130 Fait rayonner dans la raison. 8 d
C'est le verbe pur du Calvaire, 8 a
Non tel qu'en terrestres accens 8 b
L'écho lointain du sanctuaire 8 a
En laissa fuir le divin sens, 8 b
135 Mais, tel qu'en ses veilles divines 8 c
Le front du couronné d'épines 8 c
S'illuminait d'un jour soudain ; 8 d
Ciel incarné dans la parole, 8 e
Dieu dont chaque homme est le symbole, 8 e
140 Le songe du Christ au jardin !… 8 d
Cette loi, qui dit à tous :Frère, 8 a
A brisé ces divisions 8 b
Qui séparaient les fils du père 8 a
En royaumes et nations. 8 b
145 Semblable au métal de Corinthe 8 c
Qui, perdant la forme et l'empreinte 8 c
Du sol ou du rocher natal 8 d
Quand sa lave fui refroidie, 8 e
Au creuset du grand incendie 8 e
150 Fut fondu dans un seul métal ! 8 d
Votre tête est découronnée, 8 a
Rois, césars, tyrans, dieux mortels 8 b
A qui la terre prosternée 8 a
Dressait des trônes pour autels ! 8 b
155 Quand l'égalité fut bannie 8 c
L'homme inventa la tyrannie 8 c
Pour qu'un seul exprimât ses droits ; 8 d
Mais au jour de Dieu qui se lève 8 e
Le sceptre tombe sur le glaive, 8 e
160 Nul n'est esclave, et tous sont rois !… 8 d
La guerre, ce grand suicide, 8 a
Ce meurtre impie à mille bras, 8 b
Ne féconde plus d'homicide 8 a
Ces sillons de cadavres gras. 8 b
165 Leur soif de morts est assouvie ; 8 c
Sève de pourpre de la vie, 8 c
L'homme a sacré le sang humain, 8 d
Il sait que Dieu compte ses gouttes 8 e
Et vengeur les retrouve toutes 8 e
170 Ou dans la veine… ou sur la main ! 8 d
Et nul n'absout ou ne condamne, 8 a
Mais chacun porte dans un cœur 8 b
Dont la conscience est l'organe, 8 a
La loi, le juge et le vengeur. 8 b
175 La loi de rature en rature, 8 c
A si bien écrit la nature, 8 c
Dont la révolte enfin s'est lu, 8 d
Que semblable à la Providence 8 e
Elle a trouvé la concordance 8 e
180 Des instincts et de la vertu. 8 d
Avec les erreurs et les vices 8 a
S'engendrant éternellement, 8 b
Toutes les passions factices 8 a
Sont mortes faute d'aliment. 8 b
185 Pour élargir son héritage 8 c
L'homme ne met plus en otage 8 c
Ses services contre de l'or ; 8 d
Serviteur libre et volontaire, 8 e
Une demande est son salaire 8 e
190 Et le bienfait est son trésor. 8 d
L'égoïsme, étroite pensée, 8 a
Qui hait tout pour n'adorer qu'un, 8 b
Maudit son erreur insensée, 8 a
Et jouit du bonheur commun ; 8 b
195 Au lieu de resserrer son ame, 8 c
L'homme immense en étend la trame 8 c
Aussi loin que l'humanité, 8 d
Et sûr de grandir avec elle 8 e
Répand sa vie universelle 8 e
200 Dans l'indivisible unité ! 8 d
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
« Oh ! dis-tu, si ton ame a vu toutes ces choses, 6+6 a
« Si l'humanité marche à ces apothéoses, 6+6 a
« Comment languir si loin ? comment croupir si bas ? 6+6 b
« Comment rentrant au cœur sa colère indignée, 6+6 c
205 « Suivre dans ses sillons la brute résignée 6+6 c
« Et ne pas soulever la hache et la cognée 6+6 c
« Pour lui faire presser ses pas ? 8 b
« Honte à nous ! honte à toi, faible et timide athlète ! 6+6 a
« Allume au ciel la torche ! » Ami, dit le poète, 6+6 a
210 Nul ne peut retenir, ni presser les instans ; 6+6 b
Dieu qui, dans ses trésors, les puise en abondance, 6+6 c
Pour ses desseins cachés, les presse ou les condense ; 6+6 c
Les hâter c'est vouloir hâter sa Providence : 6+6 c
Les pas de Dieu sont ceux du temps ! 8 b
215 Eh ! que sert de courir dans la marche sans terme ? 6+6 a
Le premier, le dernier, qu'on l'ouvre ou qu'on la ferme, 6+6 a
La mort nous trouve tous et toujours en chemin ! 6+6 b
Le paresseux s'assied, l'impatient devance, 6+6 c
Le sage sur la roule où le siècle s'avance, 6+6 c
220 Marche avec la colonne au but qu'il voit d'avance, 6+6 c
Au pas réglé du genre humain ! 8 b
Il est dans les accès des fièvres politiques 6+6 a
Deux natures sans prix de cœurs antipathiques ; 6+6 a
Ceux-là dans le roulis, niant le mouvement, 6+6 b
225 Pour végétation prenant la pourriture, 6+6 c
A l'immobilité condamnant la nature, 6+6 c
Et mesurant haineux à leur courte ceinture 6+6 c
Son gigantesque accroissement ! 8 b
Ceux-ci voyant plus loin sur un pied qui se dresse, 6+6 a
230 Buvant la vérité jusqu'à l'ardente ivresse, 6+6 a
Mêlant au jour divin l'éclair des passions, 6+6 b
Voudraient pouvoir ravir l'étincelle à la foudre 6+6 c
Et que le monde entier fût un monceau de poudre 6+6 c
Pour faire d'un seul coup tout éclater en poudre, 6+6 c
235 Lois, autels, trônes, nations ! 8 b
Nous, amis ! qui plus haut fondons nos confiances, 6+6 a
Marchons au but certain sans ces impatiences ; 6+6 a
La colère consume et n'illumine pas ; 6+6 b
La chaste vérité n'engendre pas la haine ; 6+6 c
240 Si quelque vil débris barre la voie humaine, 6+6 c
Écartons de la main l'obstacle qui la gène, 6+6 c
Sans fouler un pied sous nos pas ! 8 b
Dieu saura bien sans nous accomplir sa pensée, 6+6 a
Son front dort-il jamais sur l'œuvre commencée ? 6+6 a
245 Homme ! quand il attend, pourquoi t'agiles-tu ? 6+6 b
Quel trait s'est émoussé sur le but qu'il ajuste ? 6+6 c
N'étendons pas le Temps sur le lit de Procuste ! 6+6 c
La résignation est la force du juste ! 6+6 c
La patience est sa vertu ! 8 b
250 Ne devançons donc pas le lever des idées, 6+6 a
Ne nous irritons pas des heures retardées, 6+6 a
Ne nous enfermons pas dans l'orgueil de nos lois ! 6+6 b
Du poids de son fardeau, si l'humanité plie, 6+6 c
Prêtons à son rocher notre épaule meurtrie, 6+6 c
255 Servons l'humanité, le siècle, la patrie : 6+6 c
Vivre en tout, c'est vivre cent fois ! 8 b
C'est vivre en Dieu, c'est vivre avec l'immense vie 6+6 a
Qu'avec l'être et les temps sa vertu multiplie, 6+6 a
Rayonnement lointain de sa divinité ! 6+6 b
260 C'est tout porter en soi comme l'ame suprême, 6+6 c
Qui sent dans ce qui vit et vil dans ce qu'elle aime, 6+6 c
Et d'un seul point du temps c'est se fondre soi-même 6+6 c
Dans l'universelle unité ? 8 b
Ainsi quand le navire aux épaisses murailles 6+6 a
265 Qui porte un peuple entier, bercé dans ses entrailles, 6+6 a
Sillonne au point du jour l'océan sans chemin, 6+6 b
L'astronome chargé d'orienter la voile 6+6 c
Monte au sommet des mâts où palpite la toile, 6+6 c
Et promenant ses yeux de la vague à l'étoile, 6+6 c
270 Se dit : Nous serons là demain ! 8 b
Puis quand il a tracé sa route sur la dune 6+6 a
Et de ses compagnons présagé la fortune, 6+6 a
Voyant dans sa pensée un rivage surgir, 6+6 b
Il descend sur le pont où l'équipage roule, 6+6 c
275 Met la main au cordage et lutte avec la houle ; 6+6 c
Il faut se séparer, pour penser, de la foule, 6+6 c
Et s'y confondre pour agir ! 8 b
M. Bouchard, jeune poète de grande espérance et de haute philosophie, avait adresse à l'auteur une ode sur l'avenir poétique du monde, dont chaque strophe finissait par ce vers : Enfant des mers , ne vois-tu rien là-bas ? Cette ode et une autre pièce de vers adressée par M. Bouchard à M.de Lamartine, sur son voyage en Orient, ont été ajoutées à ce volume par l'Éditeur.
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